MACKY SALL N’A AUCUNE LEÇON À DONNER À SES MINISTRES
EXCLUSIF SENEPLUS - Ce régime est déconnecté des réalités du pays. L’IGE a une tare congénitale. Le président semble découvrir l'existence de la loi sur la déclaration de patrimoine, six ans après sa naissance - INTERVIEW DE SEYBANI SOUGOU

La mort des gazelles oryx, le scandale foncier de Ndingler, les rapports de l’IGE, la non-déclaration de patrimoine des ministres de Macky Sall, tels sont les principaux thèmes que l’éminent juriste, Seybani Sougou, tente d’analyser dans cette interview.
SenePlus : Le Sénégal est fortement secoué par la mort des gazelles oryx mortes durant leur translocation. On pensait que seul le ministre de l’Environnement et du développement durable Abdou Karim Sall était impliqué alors que son homologue de l’Intérieur est lui aussi éclaboussé. Comment qualifier ces actes ?
Seybani Sougou : L’indignation collective suscitée par la mort des gazelles oryx est saine et parfaitement justifiée. Pour Karim Sall, il y a une triple infraction : un conflit d’intérêt puisque la Direction des parcs nationaux est placée sous son autorité (cf Décret n° 2019-794 du 17 avril 2019) ; le transfert clandestin d’espèces protégées en violation de la loi 86-04 du 24 janvier 1986 portant Code de la Chasse, et un délit d’atteinte à la conservation d’une espèce animale protégée, et de destruction d’un animal appartenant à une espèce protégée (2 gazelles sont mortes durant ce transfert clandestin). Sans s’en rendre compte, Aly Ngouille Ndiaye a enfoncé Abdou Karim Sall en affirmant qu’il dispose d’un protocole signé entre lui, et le directeur des parcs nationaux, colonel Boucar Ndiaye, qui a été approuvé le 2 février 2020 par le ministre de l’Environnement, Abdou Karim Sall. C’est la preuve définitive que c’est Abdou Karim Sall qui approuve in fine, les protocoles. Or, Abdou Karim Sall ne peut en aucun cas approuver un protocole dont il est demandeur et principal bénéficiaire et qui n’a jamais été rendu public. Par ailleurs, le protocole évoqué par Aly N’gouille Ndiaye pour justifier le transfert de gazelles vers sa ferme est illégal, car l'Oryx gazelle est un animal intégralement protégé et n’a pas vocation à être introduit dans une réserve privée, dans un objectif de repeuplement d’espèces protégées. L’attitude des deux ministres Abdou Karim Sall et Aly N’gouille Ndiaye est indigne, criminelle et prouve que les membres de ce régime sont hors sol, totalement déconnectés des réalités. Abdou Karim Sall, Aly N’gouille Ndiaye, le Directeur des parcs nationaux Boucar Ndiaye et ceux qui ont participé à cette opération de transfert et de « braconnage » doivent être poursuivis pénalement. Les deux ministres empêtrés dans cet énorme scandale devraient être démis de leurs fonctions. Tous les particuliers ou membres du régime détenteurs d’un protocole, ayant pour objet le transfert de gazelles oryx vers leurs fermes privées doivent savoir que la détention de ce document illégal, même signé par Abdou Karim Sall ne les met pas à l’abri de poursuites judiciaires. Tout protocole de ce type est nul et non avenu (l’existence d’un protocole n’empêche en rien l’illégalité).
A ce problème vient s’ajouter celui du foncier. Le plus patent est celui de Ndingler où le businessman Babacar Ngom s’est vu attribuer des hectares de terre qui n’appartiennent au périmètre de la commune de Sindia attributrice.
En vérité, ce régime est abonné aux scandales. Les révélations extrêmement graves sur le bradage du littoral (un domaine inaliénable), démontre que la délinquance du régime étend ses tentacules, y compris dans le domaine foncier, avec des phénomènes d’accaparement et de spoliation qui atteignent des niveaux insoupçonnés. De fait, l’affaire « Ndingler » a des relents d’un scandale d’Etat pour la bonne et simple raison que les 300 hectares ont été attribués au Groupe Sedima par la communauté rurale de Sindia, suite à une délibération. Au Sénégal, désormais ce sont les gouvernants qui délivrent désormais des faux : le président avec les vrais-faux décrets 2020-964 sur l’honorariat, les ministres avec les protocoles illégaux pour le transfert des gazelles oryx vers des fermes privées, ou le maire, de Sindia qui a attribué 75 ha de terres n’appartenant pas à sa commune. Nous sommes dans une situation d’insécurité juridique sans précédent : les documents de l’Etat n’ont plus aucune valeur et ne garantissent plus aucune authenticité. Au point que la signature de Macky Sall n’est plus crédible.
L’IGE a publié une série de rapports. L’on se rend compte qu’il y a encore de réels problèmes de bonne gouvernance. Ne peut-on pas dire encore : à quoi bon ?
Vous avez parfaitement raison de poser le débat sur la bonne gouvernance et l’utilité des rapports produits par les organes de contrôle. Vous aurez remarqué que depuis que Macky Sall est à la tête de la magistrature suprême, aucun membre de son régime épinglé par un organe de contrôle n’a été inquiété ni poursuivi par la justice, même lorsque des indices graves et concordants font état de malversations financières et de détournements de deniers publics constitutifs d’infractions pénales d’une extrême gravité. C’est le cas du rapport de l’Inspection Générale des Finances dans l’affaire Prodac resté sans suite ; du rapport de l’ARMP sur le scandale du Port autonome de Dakar, rangé aux oubliettes de l’histoire ou du rapport de l’OFNAC du Coud, qui enfonce la personne incriminée, et qui a eu l’outrecuidance de porter plainte pour diffamation. C’est le monde à l’envers puisque les incriminés estent en justice lorsqu’ils sont épinglés par des rapports officiels produits par des organes de contrôle !
Pour en revenir aux trois rapports publics de l’IGE 2016, 2017 et 2018/2019, ma première observation est de déplorer le retard considérable au niveau de la publication des rapports, car la loi impose à l’IGE de publier chaque année un rapport sur l’état de la gouvernance et la reddition des comptes. Secundo, beaucoup de nos concitoyens l’ignorent : ces trois rapports sont expurgés, en d’autres termes le public n’a pas accès à l’intégralité des éléments desdits rapports. Car, l'IGE produit deux types de rapports : d’une part, des rapports estampillés secret d’état, destinés exclusivement au président qui ne peuvent être publiés que lorsqu’ils sont déclassifiés (la notion de secret est désuète et doit être remise en cause car elle ne s’applique pas aux vols de deniers publics) ; et d’autre part, des rapports sur l’état de la gouvernance et la reddition des comptes (le rapport public n’est qu’une synthèse des constatations de l’IGE). Enfin, la troisième observation découle de la précédente, l’IGE, malgré le prestige attaché à ce corps a une tare congénitale, liée au fait que l’institution est placée sous l’autorité directe et exclusive du président (contrairement à l’OFNAC, l’IGE ne dispose d’aucun pouvoir pour transmettre ses rapports au procureur de la République). Cela dit, la lecture combinée des trois rapports de l’IGE fait apparaitre de nombreux actes de malversations et des pratiques de délinquance financière qui défient le bon sens. L’exemple de la Délégation Générale pour l’organisation du XV sommet de la Francophonie, illustre à lui seul, le carnage en matière de deniers publics. Tous les marchés passés en 2013 pour un montant de 40 milliards et 781 millions, 660 000 mille 141 un F CFA sont frappés de nullité (cf page 155 et 156 du rapport 2017). Au total sur les 2 exercices 2013 et 2014, des marchés d’un montant colossal de 65 milliards 627 millions, 971 mille et 570 F CFA ont été attribués par entente directe, de manière illégale, en violation totale des dispositions du code des marchés publics (cf page 157). Ces actes graves relèvent du grand banditisme financier. Il s’agit de crimes économiques. Comme les rapports de l’OFNAC, de la Cour des Comptes, de l’ARMP, les 3 rapports publics de l’IGE sont destinés au musée de l’histoire. Pour lutter contre la grande délinquance économique et financière, il faut une forte volonté politique et de nouveaux outils (parquet national financier). Ces réformes attendues ne seront pas mises en œuvre sous le régime de Macky Sall.
Comment appréciez-vous la déclaration de patrimoine à laquelle le président de la République astreint ses ministres ?
C’est une grotesque farce ! Macky Sall n’a aucune leçon à donner à ses ministres, car il est le premier à violer la loi (l’article 37 de la Constitution l’oblige à déclarer son patrimoine avant son installation). A ce jour, cette exigence constitutionnelle n’a pas été respectée. Par ailleurs, sa sortie prouve qu’il n’a aucune autorité sur ses ministres puisqu’il est obligé de verser dans la menace pour les contraindre à respecter la loi. La loi relative à la déclaration de patrimoine existe depuis 2014. Macky Sall semble découvrir l’existence de la loi qu’il a signée le 2 avril 2014, en 2020, soit six ans plus tard ! Ce n’est pas sérieux.
Face à l’ensemble de ces problèmes, certains pensent que la solution pourrait venir d’un gouvernement d’ouverture. Pensez-vous que cela soit la panacée pour sortir le pays du gouffre dans lequel il se trouve ?
Un gouvernement d’ouverture : pourquoi faire ? Pour le partage du gâteau et des postes ? S’il s’agit d’un gouvernement d’ouverture pour appliquer le même programme qui conduit le pays dans une impasse, alors, disons-le clairement, le Sénégal n’est pas sorti de l’auberge. Sortir le Sénégal du gouffre dans lequel il est plongé suppose une orientation nouvelle et un véritable changement de cap, au niveau économique et social. Or, ce serait un terrible aveu d’échec pour Macky Sall qui nous a vanté le PSE (plan Sénégal émergent) sous tous les cieux. Changer les hommes pour maintenir la même politique équivaut à un jeu de chaises musicales. Très honnêtement, je ne crois pas que la formation d’un gouvernement d’ouverture soit actuellement la priorité des Sénégalais.