NOUS AVONS AU SENEGAL UN ETAT D’URGENCE REPRESSIF
Chef du département de droit public et président de l’Asdc, Abdou Aziz Kébé soutient que l’arsenal juridique du Sénégal face aux nouvelles calamités à venir est lacunaire

Organisé par l’Association de Droit Constitutionnel (Asdc) en collaboration avec l’UVS, le colloque international axé sur le thème : «Constitution et pandémie de la covid19» s’est ouvert hier à Dakar. Chef du département de droit public et président de l’Asdc, le Pr Abdou Aziz Kébé a soutenu lors des débats que l’arsenal juridique du Sénégal face aux nouvelles calamités à venir est lacunaire. Raison pour laquelle, il propose une réforme de la constitution.
Etat d’urgence, état d’alerte, péril en la demeure, état d’exception, état de catastrophe. Les mécanismes juridiques qui régissent les situations d’exception en droit constitutionnel sont nombreux.
Et à côté d’une riposte sanitaire, une réponse constitutionnelle a été apportée pour faire face à la pandémie de la covid-19 à travers l’état d’urgence et les ordonnances. Ce qui pousse le Pr Abdou Aziz Kébé, enseignant en droit public à l’Ucad, à dire que la constitution a été utilisée comme thérapie parce que le gouvernement a fait recours aux dispositions constitutionnelles pour régler la question de la pandémie. Il a soutenu cette thèse en introduisant le thème du colloque international qui va réunir pendant trois jours des juristes du monde entier en présentiel et par visioconférence pour réfléchir sur la constitution et la Covid-19.
Pour le chef du département de droit public à l’Ucad, la thérapie, c’est d’abord l’urgence. «L’urgence est déclarée parce que l’urgence est constatée. Le virus à l’origine de la pandémie est très contagieux et présente des mortalités élevées. Il y a aussi l’insuffisance des tests réalisés. L’état d’urgence autorise la remise en cause des droits fondamentaux. Le deuxième niveau, c’est l’ordonnance qui est présentée aussi comme une thérapie constitutionnelle dictée par l’urgence et la célérité à prendre», explique le spécialiste en droit public.
Disséquant les réponses constitutionnelles du Sénégal par rapport à la pandémie de la Covid-19 devant le doyen de la faculté de droit de l’Ucad Aly Kanté, le coordonnateur de l’UVS et plusieurs constitutionnalistes, Pr Kébé a invité l’Etat à un changement de paradigmes. Selon lui, il faut aller vers l’état d’urgence sanitaire et refondre la loi de 69. Relevant les insuffisances du cadre constitutionnel, il trouve que le Sénégal a un état d’urgence relativement répressif. «Le président de la République déclare l’état d’urgence seul, prend les ordonnances seul.
La constitution lui permet de déclarer l’état d’urgence sans consulter les autorités constitutionnelles», se désole le président de l’Asdc en tentant une petite comparaison avec d’autres Etats où l’état d’urgence est déclaré à la suite de consultations obligatoires des autorités législatives. En Afrique du Sud, renseigne Pr Kébé, c’est l’Assemblée qui proclame l’état d’urgence. «Il faudra, en termes de prospection, envisager la prophylaxie. Elle se manifeste par des mesures préventives visant à encadrer les pouvoirs et à protéger les droits des Sénégalais. Pourquoi encadrer les pouvoirs ? Nous avons au Sénégal un état d’urgence répressif. L’arsenal juridique du Sénégal face aux nouvelles calamités à venir est lacunaire. Et le président était obligé de convoquer toutes les parties prenantes pour avoir une base solide et proposer une démarche inclusive.
Dans la constitution, la loi ne mentionne aucune raison qui sous-tend la loi d’habilitation. De plus, depuis 20 ans, l’état d’urgence est décrété pour des situations de type nouveau», relève-t-il en appelant les Etats à endiguer des attaques immatérielles et insaisissables qui menacent la sécurité et la tranquillité, comme par exemple la covid-19. «Il faudra réviser la constitution, réformer et adapter le cadre juridique de la légalité d’exception pour que nos textes soient en mesure de répondre à ces nouvelles calamités», plaide Pr Abdou Aziz Kébé.
Par ailleurs, il pense que le Sénégal doit avoir un système constitutionnel où les droits sociaux sont renforcés comme le droit à la santé. «La pandémie de la covid-19 a montré qu’on doit renforcer sur le plan constitutionnel les droits sociaux. Elle a montré tout simplement que les montants alloués aux secteurs sociaux de base sont faibles, et que si nous avons ces pandémies, nous avons des difficultés à faire face», analyse-t-il.