OUSMANE SONKO DANS LES STARKINGS BLOCKS… CLAIRS-OBSCURS
Si personne ne peut lui reprocher en tant que citoyen le droit de critiquer le fonctionnement de la justice, force est de reconnaître que refuser de comparaitre par le biais d’une déclaration publique n’est pas une bonne idée.

En corsant la peine infligée en première instance au leader de Pastef, et aussi en choisissant de retenir le délit de faux et usage de faux rejeté par le juge Yakham Keïta du tribunal de grande instance hors classe de Dakar, la cour d’appel de Dakar a scellé provisoirement le sort politique d’Ousmane Sonko. En attendant une illusoire cassation de la Cour suprême. Pour les uns, cette peine de six mois de prison avec sursis rend le leader de Pastef systématiquement inéligible à la prochaine présidentielle de 2024 tandis que d’autres soutiennent sans grande conviction qu’il reste bel et bien électeur et éligible. En tout cas, une bataille d’interprétation des textes — eux mêmes très mal rédigés! — s’est engagée et qui fait attendre encore un coureur de fond électoral dans les starkings blocks… clairs obscurs.
En première instance devant le tribunal correctionnel du Tgi de Dakar, Ousmane Sonko avait écopé de deux mois de prison avec sursis et 200 millions CFA de dommages et intérêts pour diffamation. Une condamnation par défaut réputé contradictoire dans l’affaire l’opposant au ministre Mame Mbaye Niang. En appel, le juge a corsé les charges en ajoutant le faux et usage de faux à la diffamation et en portant la sanction à six mois de prison avec sursis tout en maintenant les 200 millions de dommages et intérêts alloués au plaignant en première instance.
Pour les plus optimistes des partisans du leader de Pastef, cette peine, bien que lourde et « politique », préserverait encore l’éligibilité de leur candidat à l’élection présidentielle de 2024. Les conseillers et souteneurs du ministre Mame Mbaye Niang, et plus généralement la majorité présidentielle, eux, soutiennent le contraire. Pour eux, l’actuel maire de Ziguinchor est appelé à ranger son dossard et ses chaussures de running pour la course en 2024. « Ousmane Sonko n’est plus éligible ! » Leur jubilation n’était pas feinte à la sortie de la salle d’audience du tribunal de Dakar lundi dernier. Guerre de l’opinion ou bataille d’interprétation des textes ? De nombreux juristes et anciens juges électoraux interpellés par « Le Témoin » déclarent que même si le droit a été dit dans ce procès, la messe « politique », quant à elle, n’est pas encore dite.
Pour mieux camper le débat et faciliter la compréhension des lecteurs, certains spécialistes nousrenvoient au Code électoral et précisément à son article L.29 qui dit que « Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale : les individus condamnés pour crime ; ceux condamnés à une peine d’emprisonnementsanssursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement ; ceux condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six mois avec sursis (…) » lit-on.
Donc sur le fondement des dispositions de l’article L29 du code électoral, qui prévoient une interdiction d’inscription sur les listes électorales de manière définitive pour certaines infractions, le leader de Pastef Ousmane Sonko serait toujours éligible puisque la peine prononcée par le juge Mamadou Cissé Fall n’est pas supérieure à six (06) mois avec sursis.
Cependant, l’interprétation de l’article L30 du Code électoral qui prévoit une interdiction d’inscription sur les listes électorales pour une durée de cinq (05) ans pour toute personne condamnée à une peine inférieure ou égale à six (06) mois avec sursis peut aboutir à une inéligibilité d’Ousmane Sonko. Si « Le Témoin » quotidien reste prudent c’est parce que nos interlocuteurs juristes estiment que le texte de l’article L30 est très mal rédigé. Il prête à confusion ! Et seule l’interprétation du Constitutionnel peut départager les deux camps à savoir celui d’Ousmane Sonko et de Mame Mbaye Niang.
La bataille de l’interprétation des textes…
Dans les normes, le juge ne devrait pas avoir à interpréter la loi. Il arrive néanmoins qu’il ait à le faire pour de multiples raisons. Pour ce faire, il dispose de plusieurs solutions ce qui pourrait tendre à prouver qu’une seule n’a pas réussi à s’imposer. Serait-ce qu’il n’en existe pas une meilleure que les autres ? Selon le juriste formateur Rivarol, « Quand les lois sont obscures, les juges se trouvent naturellement au-dessus d’elles, en les interprétant comme ils veulent ». Par conséquent, le mot « interprétation » désigne l’activité du juge tendant, d’une part, à déterminer la portée d’un texte ambigu ou obscur ; d’autre part, à élaborer une solution lorsque le texte présente une lacune. C’est manifestement le cas de l’article L30 du Code électoral qualifié de « clair-obscur » par certains spécialistes du droit. Mais quoi qu’il en soit, dans le domaine du droit comme celui de la médecine, l’interprétation s’opère même si le texte ou le cliché est clair. Car « interpréter », au sens large, signifie comprendre et bien comprendre une expression linguistique, un examen médical ou un acte de langage. Donc si l’éligibilité d’Ousmane Sonko devait faire l’objet d’un arbitrage électoral par le Conseil constitutionnel à la lumière de sa condamnation dans l’affaire de faux et usage de faux et diffamation l’opposant à Mame Mbaye Niang, les « sages » devraient d’abord procéder à une interprétation grammaticale qui serait la première étape de leur travail. En effet, à ce stade, lesjuges devraient déterminer le sens du texte en utilisant notamment les usages de la langue et les règles de la syntaxe. Il s’agit en réalité d’une recherche qui consiste à obtenir la signification des termes des articles L29 ou L30 dans le langage courant. Le but serait de trouver la signification objective du texte en s’abstenant de rechercher toute intention de l’auteur ou législateur, toute utilité sociale ou encore toute justification morale étrangère à la lettre du texte. Mais nous n’en sommes pas encore là !
Retenons juste qu’après le verdict de la cour d’appel de Dakar, la bataille de l’interprétation des textes relativement à l’éligibilité ou la non éligibilité des personnes condamnées fait rage entre partisans et adversaires du leader de Pastef au point de faire attendre encore le coureur de fond électoral Ousmane Sonko dans les starkings blocks pour la présidentielle de 2024. Comme nous l’avions si bien titré à la Une de notre édition de mardi « Sonko touché, mais pas encore coulé ! »
Politique de la chaise vide
La politique de la chaise vide pour un prévenu est-elle payante ? Certainement pas, car l’affaire Ousmane Sonko/Mame Mbaye Niang en est la parfaite illustration. Il n’est pas interdit de se demander légitimement si le leader de Pastef a des conseillers et si, dans l’affirmative, il les écoute. Parce que, selon les juristes, la première règle enseignée en matière de comparution d’un prévenu, c’est qu’en son absence, ses avocats n’ont pas droit à la parole. Puisqu’en matière pénale, l’avocat ne fait qu’assister son client qui a donc l’obligation de comparaitre en personne devant le juge répressif contrairement à ce qui se passe devant le juge civil où l’avocat peut représenter ledit client dont la présence physique n’est pas obligatoire. Carles conseils se limitent à échanger des conclusions et pièces justificatives. C’est toute la différence entre une procédure orale et une procédure écrite. Entre une procédure pénale et une procédure civile.
En refusant de comparaitre sans motif légitime et avec un air de défiance au nom d’une désobéissance civile, Ousmane Sonko se prive lui-même de ses droits et anéantit par voie de conséquence toute la stratégie de défense élaborée par ses avocats. Si personne ne peut lui reprocher en tant que citoyen le droit de critiquer le fonctionnement de la justice, force est de reconnaître que refuser de comparaitre par le biais d’une déclaration publique n’est pas une bonne idée. Une vraie erreur de communication ! Cela dit, rien ne prouve non plus que son sort n’était pas scellé même s’il avait comparu comme on l’a vu avec les jurisprudences Khalifa Sall et Karim Wade.