TIR DE BARRAGE NOURRI SUR LES SEPT SAGES
La décision rendue vendredi par le Conseil constitutionnel et rejetant tous les recours introduits par les différents mandataires, continue d’alimenter la chronique tout en installant un malaise dans les milieux politiques et les cercles des spécialistes

La décision rendue vendredi par le Conseil constitutionnel et rejetant tous les recours introduits par les différents mandataires de partis politiques ou coalitions en lice pour les élections législatives du 31 juillet prochain, notamment de Yewwi Askan Wi (YAW), Benno Bokk Yakaar (BBY), Gueum Sa Bopp (GSB) et de Defar Sa Gox (DSG), recours contre l’arrêté du ministre en charge des Élections, Antoine Felix Diome, continue d’alimenter la chronique tout en installant un malaise dans les milieux politiques et les cercles des spécialistes du droit.
Pour Déthié Fall, le coordonnateur de la coalition YAW, les « 7 Sages » «n’ont pas respecté le droit». Surtout que pour le mandataire national de YAW, l’administration des élections en invalidant, une semaine auparavant, la liste départementale de YAW à Dakar n’avait pas fait le distinguo entre la liste des titulaires et celle des suppléants. Elle avait rejeté, selon lui l’ensemble de la liste de YAW à Dakar. Membre de l’Observatoire national des élections en 1998 aux côtés du regretté général Mamadou Niang, Me Assane Dioma Ndiaye, dans une réaction virale sur les réseaux sociaux, un tantinet mélancolique, laisse parler toute sa tristesse devant cette décision du Conseil Constitutionnel qui «vient d’entériner et d’avaliser une déstructuration totale de notre processus électoral ». «Désormais il sera loisible au Sénégal pour les élections législatives à tout Parti politique ou Coalition de partis de présenter uniquement au scrutin majoritaire avec liste proportionnelle soit une liste de titulaires sans suppléants soit une liste de suppléants sans titulaires en contradiction totale avec les dispositions de l’article 154 du Code électoral. Notre Droit électoral devient un droit élastique, compressible en fonction des contingences et circonstances factuelles. Il n’y a plus de référents communs, il n’y a plus d’uniformisation des règles. La hiérarchie des normes devient un principe susceptible de transaction. L’arrêté ministériel prime sur la loi poussant celle-ci à la désuétude », regrette l’ancien patron de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme (LSDH).
Et de poursuivre : « Comme pour la liste divisible et saucissonable voire charcutable, il est possible désormais de déposer plus de parrains que le maximum prévu par la loi, privant ainsi les autres chercheurs de parrains d’un potentiel de parrains. Et de ce fait le droit de vote et la libre participation des citoyens aux élections, qui induit le droit d’être élu, sont vidés de toute substance. Des droits fondamentaux garantis et consacrés par la Constitution deviennent des privilèges à la disposition du Prince ou des faiseurs des normes supplétives. Indubitablement, notre jeune Démocratie s’émousse et se désagrège au gré de rapports de force sou tendus par des incubateurs et déterminants aux antipodes de l’impératif catégorique. Certains de nos voisins jadis jamais convaincus d’un Sénégal îlot de lumière dans un océan d’obscurantisme que symboliserait une certaine Afrique toujours ancrée dans un immobilisme inhibant pavoiseront à souhait. Assurément un mythe s’effondre. L’histoire ne retiendra plus que le Sénégal vote depuis la Deferre dite Loi – cadre». Réagissant sur ce rejet par le Conseil constitutionnel de tous les recours qui lui ont été soumis, le Pr Mouhamadou Ngouda Mboup, enseignant-chercheur en droit public à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar, parle, pour sa part, de « bizarreries du Conseil constitutionnel et du ministre de l’Intérieur.
Pour le constitutionnaliste, en effet, le ministre de l’Intérieur et le Conseil constitutionnel doivent des explications précises aux Sénégalais et aux électeurs. «Si Ousmane SONKO dirige la liste des titulaires et tout autant la liste des suppléants, avec l’irrecevabilité déclarée de la liste des titulaires qui dirigera la liste des suppléants (indication pourtant obligatoire et prévue à l’article L.173-2 du Code électoral («le nom du candidat occupant le 1er rang sur la liste nationale», c’est à dire le 1er candidat titulaire) ?
Si la photo d’Ousmane SONKO doit figurer sur la liste nationale, avec l’irrecevabilité déclarée de la liste des titulaires quelle photo doit figurer sur la liste nationale de la Coalition Yewwi Askan Wi («la photo du candidat occupant le 1er rang sur la liste nationale», c’est à dire le 1er candidat titulaire, indication obligatoire prévue à l’article L.173-2 du Code électoral) ?», s’interroge le Pr Mboup qui estime que le Droit est quelque chose de très sérieux pour qu’on joue avec.
Le Droit sénégalais en agonie
Première femme sénégalaise agrégée en sciences juridiques et politiques, le Pr Amsatou Sow Sidibé, qui se désole de l’agonie du Droit sénégalais poussé vers une mort certaine, milite pour une création urgente d’une Cour constitutionnelle. « Le système juridique sénégalais, à l’épreuve des élections, a véritablement perdu de sa superbe. La politique politicienne est passée par là. L’inquiétude des juristes, des régulateurs sociaux, des protecteurs de la stabilité et de l’intérêt national paraît totalement justifiée. Comment la justice sénégalaise a-t-elle pu concevoir que des règles absolues (respect du nombre de parrainages, de la parité) aient été piétinées sous le nez et la barbe de nos juges, et au vu et au su du peuple sénégalais et du monde entier ? Comment notre justice a-t-elle pu accepter qu’une liste d’électeurs échappe au principe de l’indivisibilité et se fasse scinder en deux, la liste majoritaire devenant indépendante de la liste des suppléants ? On est suppléant de qui ? Du néant ?
Les mêmes questions sont valables s’agissant de la liste majoritaire déclarée valable en dehors des suppléants. Quelle est la raison d’être des suppléants ?», s’interroge l’éminente juriste devant ce «charabia épouvantable». Selon la professeure titulaire de classe exceptionnelle à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, notre justice ne doit pas perdre la conscience de sa responsabilité première et grave de régulation sociale, d’instauration de la stabilité et de protection de l’intérêt national. C’est le fondement de la règle de Droit. Dura lex sed lex. La loi est dure mais c’est la loi. Relativement à cette jurisprudence des 7 Sages, Pr Amsatou Sow Sidibé estime qu’il s’agit d’un précédent dangereux pour le présent et pour l’avenir. « Un Conseil Constitutionnel trop politique, ça suffit.
Les Assises nationales avaient suggéré la création d’une Cour constitutionnelle, véritable juridiction tenue de dire le Droit, garante de la démocratie, du respect du Droit ainsi que des libertés individuelles et collectives. L’urgence est signalée. La question que tout le monde doit avoir au bout des lèvres est : dans le contexte actuel, quelle légitimité aurait la future Assemblée nationale et quid de la stabilité du Sénégal ?», s’interroge encore l’ancienne ministre conseiller du Président Sall chargée des Droits humains et de la Paix qui ne cracherait pas sur le report des élections.