VIDEOFINANCER L'AFRIQUE AUTREMENT
L'économiste Abdou Cissé dessine les contours d'un système monétaire africain souverain, capable de financer le développement du continent sans les contraintes héritées de l'époque coloniale

Dans une interview accordée à l'émission "Décrypter l'Afrique" de la chaîne Le Média TV, l'actuaire et économiste Abdou Cissé dévoile les défis et les perspectives d'avenir du franc CFA, cette monnaie qui semble désormais "condamnée" à moyen terme.
Le débat autour de la souveraineté monétaire s'intensifie dans plusieurs pays africains. Au Sénégal, le président Bassirou Diomaye Faye a récemment affirmé que son pays "ne renoncera jamais à la quête de la souveraineté intégrale et à la recherche des voies et moyens pour disposer de sa propre monnaie", qu'il s'agisse d'une monnaie commune régionale ou d'une devise nationale.
En Côte d'Ivoire, Tidjane Thiam, président du PDCI et potentiel candidat à la présidentielle, partage cette vision : "La monnaie est un attribut essentiel de la souveraineté. Une nation qui n'a pas le contrôle de sa monnaie n'est pas vraiment souveraine."
Selon Abdou Cissé, la critique du franc CFA s'inscrit dans un contexte plus large d'inégalité entre les pratiques monétaires occidentales et africaines. "Comment les banques centrales occidentales peuvent-elles créer des centaines de milliards pour sauver leurs banques en période de crise, alors que nous, Africains, sommes contraints à des politiques monétaires restrictives qui freinent notre développement ?", s'interroge-t-il.
L'économiste cite plusieurs exemples frappants : la création de 250 milliards de francs suisses pour sauver le Crédit Suisse, l'injection massive de liquidités par la Réserve Fédérale américaine lors de la crise des banques régionales en 2023, ou encore la création par la France de la Société de Financement de l'Économie Française (SFEF) en 2008 pour emprunter 60 milliards d'euros hors dette publique.
L'analyse d'Abdou Cissé va plus loin en quantifiant les préjudices causés par les politiques économiques imposées aux pays africains. Les ajustements structurels des années 1980-1995, qui ont drastiquement réduit les dépenses publiques, auraient coûté au Sénégal environ 40 000 milliards de francs CFA en potentiel économique perdu.
Quant à la dévaluation du franc CFA de 1994, elle aurait représenté un coût supplémentaire de 38 000 milliards, portant le préjudice total à près de 78 000 milliards de francs CFA - bien plus que la dette actuelle du pays estimée à 18 000 milliards.
"On passe notre temps à compter notre passif, ce qu'on doit aux autres, mais il est grand temps qu'on compte ce que les autres nous doivent", affirme Cissé.
Malgré ce tableau sombre, des innovations prometteuses commencent à apparaître. La Côte d'Ivoire, par exemple, a lancé depuis 2017 des "CFA obligations", permettant d'emprunter en devises étrangères tout en libellant la dette en francs CFA. Ce mécanisme commence à faire du franc CFA une véritable devise internationale.
Abdou Cissé préconise également la création d'une holding financière dotée d'un capital d'un milliard de dollars pour financer les économies africaines, ainsi qu'une plus grande flexibilité monétaire pour les banques centrales régionales.
Pour l'économiste, l'avenir réside dans la création de marchés financiers interconnectés à l'échelle du continent et dans la cotation des matières premières africaines dans les monnaies locales.
"Comment expliquer que c'est nous qui produisons du coton, du cacao ou du cobalt, et que ces matières premières sont cotées à Londres ou aux États-Unis ?", s'indigne-t-il.
Cette "révolution de nature financière", fondée sur des innovations monétaires, constituerait selon lui l'étape décisive vers une véritable souveraineté économique africaine, au-delà de la simple question du franc CFA.