LES FAMILLES DES VICTIMES DU NAUFRAGE DU JOOLA DANS L’ATTENTE DE LA REALISATION DES PROMESSES
Cheikhna Keita, brigadier-chef de Police à la retraite, président par intérim de l’Association nationale des familles victimes du naufrage du bateau le Joola, indexe directement la responsabilité de l’ancien président Me Abdoulaye Wade dans cette tragédie

Dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002, le Sénégal a connu la pire catastrophe, avec le naufrage du bateau le Joola. Officiellement, le drame a fait 1 863 morts et 64 rescapés et selon Cheikhna Keita, brigadier-chef de la Police à la retraite, président par intérim de l’Association nationale des familles victimes du naufrage du bateau le Joola, les familles des victimes sont toujours dans l’attente de la concrétisation des promesses de l’Etat comme l’édification d’un Mémorial. Il a par ailleurs indexé l’ancien Président comme étant un des responsables de ce drame, avant de demander la réouverture du dossier judiciaire.
Le Sénégal va commémorer demain 26 septembre, le 18ème anniversaire du naufrage du bateau « le Joola », intervenu dans les eaux gambiennes dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002. Il s’agit de la pire catastrophe maritime qui a emporté officiellement 1 863 personnes et fait 64 rescapés. La plupart des promesses faites par le régime d’alors, pour célébrer la mémoire des disparus, sont encore restées en l’état. Et d’ailleurs, lors du dernier conseil des ministres, le président Macky Sall est revenu sur la question en réaffirmant « la solidarité de la nation aux familles des victimes », avant de demander au gouvernement d’aller dans le sens de la concrétisation du projet d’édification du Mémorial et du Musée National dédiés aux victimes. Cheikhna Keita, brigadier-chef de Police à la retraite, président par intérim de l’Association nationale des familles victimes du naufrage du bateau le Joola, indexe directement la responsabilité de l’ancien président Me Abdoulaye Wade dans cette tragédie. Et sans détour, il demande que le dossier judiciaire du «Joola» soit réactivé. Selon lui, il a été indiqué que le seul responsable de la catastrophe est le commandant qui a eu à surcharger le bateau. Mais si le Procureur de l’époque avait un enfant, une épouse, un proche parent dans ce bateau, jamais une telle conclusion n’aurait été tirée. Pour lui, le commandant ne fait que conduire et déjà lors du voyage inaugural, le bateau est tombé en panne après le colmatage des moteurs. Jamais la vérité n’a été dite jusqu’à la survenue de la catastrophe, et à l’arrivée à Ziguinchor lors de l’inauguration, les personnalités à bord ont préféré rejoindre Dakar par avion.
Ainsi, tout le monde a fermé les yeux et il y avait de la magouille autour de ce bateau. Il poursuit : « Nous demandons à la justice sénégalaise de revenir sur ce dossier car il y a clairement des responsabilités en commençant par le chef de l’Etat d’alors qui a eu à mettre 17 milliards dans un avion alors qu’il fallait moins d’un milliard pour remettre en excellent état les deux moteurs du Joola. Pour toutes ces raisons, le dossier judiciaire doit être remis à jour, pour clarifier à jamais cette affaire. Revenant sur les indemnisations, il rappelle l’audience que le Président Abdoulaye Wade avait accordée à l’association pour en parler. Et il est clairement établi que chaque famille devait recevoir 50 millions de Fcfa conformément aux termes de la navigation en cas d’évènements malheureux de ce genre. Mais l’association avait préféré lui laisser le choix de la somme de sa convenance et dès qu’il a annoncé une enveloppe individuelle de 10 millions de Fcfa, tout le monde est tombé d’accord. Mais se désole Cheikhna Keita, l’Etat n’a pas daigné respecter ses promesses concernant surtout la fondation du Joola pour que les familles puissent être aidées, le renflouement du bateau pour permettre aux familles de faire leur deuil, l’édification du Mémorial dont la première pierre avait été posée à l’époque.
A ce jour, rien de plus n’a été fait. Pour Cheikhna Keita, c’est là des demandes légitimes d’autant plus que le bateau, au-delà des 64 rescapés, a fait officiellement 1 863 morts. Mais en réalité, le nombre doit avoisiner les 3 000 décès ou disparus. Il ajoute : « Nous demandons au Président Macky Sall de mettre en place la fondation pour accompagner les familles qui sont dans le besoin, dans le plus grand désarroi. Il s’y ajoute la nécessité de proclamer officiellement la journée du 26 septembre chômée et payée, pour que les gens se rappellent que surcharger n’importe quel moyen de transport constitue un acte hautement répréhensible. Au Sénégal, beaucoup de fêtes religieuses bénéficient de jours fériés et il est temps que le Sénégal s’inspire des Etats-Unis qui ont déclaré férié le 11 septembre, marquant les attaques terroristes qui avaient touché le cœur de l’Amérique. L’Union européenne avait accepté de financer le renflouement mais aucune décision n’est prise dans ce sens par les pouvoirs publics qui se comportent comme s’ils avaient quelque chose à cacher, une vérité à cacher. Me Abdoulaye Wade avait également promis de mettre chaque année 10 billets pour La Mecque, à la disposition de l’association pour prier sur les lieux saints en faveur des morts et disparus. Mais la promesse n’a été tenue que pendant deux ans et personne n’en parle plus.»
Pour lui, ce naufrage s’est produit avec la négligence coupable de l’Etat et au premier chef l’ancien Président et étant donné que l’Etat est une continuité, le Président Macky Sall est interpellé. « Tant que j’assumerai l’intérim de la présidence de l’association, je n’arrêterai pas un seul jour de l’interpeller au quotidien pour qu’il puisse nous prendre en compte », a-t-il laissé entendre. Le département de Thiès compte 66 familles victimes qui, aux yeux de Cheikhna Keita, éprouvent d’énormes difficultés pour assurer la lecture du Coran pour le repos des âmes de leurs proches, à l’occasion de l’anniversaire du drame, ce 26 septembre 2020.
COMMENT LE POLICIER A PERDU SES DEUX ENFANTS DANS LE DRAME
Quand la surcharge a été indexée comme étant à la base de la catastrophe, le président de la République avait parlé d’introspection, mais aujourd’hui, note Cheikhna Keita, force est de constater que les Sénégalais se comportent comme si de rien n’était. Partout au Sénégal, les bus et autres moyens de transport sont surchargés au vu et au su de tout le monde et personne ne lève le plus petit doigt. Il révèle que des familles vivent le calvaire comme à Diakhao où une famille a perdu son fils unique, qui était médecin et qui s’était rendu à Ziguinchor pour des raisons de service et au retour, il est resté dans le Joola. «Je connais un autre père de famille en l’occurrence Omar Diagne qui a perdu dans le naufrage ses deux épouses et ses 7 enfants et aujourd’hui, on n’en parle plus», se désole-t-il. Il raconte ensuite son calvaire ce fameux jour du 26 septembre. « J’ai vécu ce fameux 26 septembre 2002 en grand croyant. J’étais en Italie, en position d’indisponibilité et c’est en sortant de l’usine où je travaillais que mon téléphone portable a sonné. Au bout du fil, il y avait mon beau-fils, l’époux de ma fille, qui m’a demandé si j’étais au courant de la catastrophe qui venait de se produire au Sénégal.
C’est ainsi qu’il m’a fait savoir que mes deux enfants Djibril Keita et Ibrahima devaient venir rejoindre leur maman à Thiès, mais malheureusement, il y a eu ce naufrage. Mes enfants étaient à Ziguinchor, parce que ma femme est de là-bas. Je l’ai épousée quand j’ai été affecté à Ziguinchor, nous avons eu 5 enfants dont les deux sont partis dans le naufrage. Après un bref séjour d‘un an à Tanaf puis Médina Yorofoula, j’avais été muté à Zinguichor. C’est là que j’ai fait connaissance avec celle qui sera la mère de mes enfants, après un mariage célébré en 1978. Les enfants poursuivaient leurs études à Ziguinchor après mon départ et le jour du drame, Ibrahima qui venait de décrocher son Baccalauréat était en route pour Dakar pour les besoins des formalités d’inscription à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Son jeune frère Djibril, menuisier ébéniste de profession, venait voir sa mère à Thiès. Les corps n’ont jamais été retrouvés et pourtant la famille a besoin de faire leur deuil. Leur petit frère Mohamed Keita, qui vit actuellement au Gabon, a tout fait dans les premières heures pour les retrouver, mais en vain.»