CAP SUR LES STARTUPS ET LES ESPACES D’ACCOMPAGNEMENT
Aly Tandian est chercheur, spécialisé dans les questions de migration, de diaspora et de développement. Il parle de la politique de l’emploi au Sénégal

Aly Tandian est chercheur, spécialisé dans les questions de migration, de diaspora et de développement. Il est enseignant-chercheur à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis et président de l'Observatoire Sénégalais des Migrations et consultant pour des organisations internationales et des gouvernements sur les questions migratoires.
Au cours des dernières années, la politique d’emploi au Sénégal est reprise sous le prisme de l’inadéquation entre formation et marché du travail et de la précarité et informalité. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
Au Sénégal, les politiques d’emploi rencontrent plusieurs limites structurelles et contextuelles, qui freinent leur efficacité et exacerbent les défis socio-économiques. Cela est rendu possible par l’inadéquation entre formation et marché du travail. Des programmes éducatifs et de formation professionnelle ne semblent pas répondre aux besoins réels des employeurs, notamment dans les secteurs porteurs comme les technologies ou l’agro-industrie. Cette inadéquation entraîne un chômage élevé chez les jeunes diplômés et une saturation du secteur informel, où de nombreux jeunes sénégalais occupent des emplois précaires et informels.
Pourtant des politiques publiques se sont penchées sur des initiatives locales
Oui, certaines initiatives gouvernementales ont été prises. Mais il faut préciser que la majeure partie des accords comme la migration circulaire souffrent d’un manque de cohérence, d’efficacité et de suivi. A titre de rappel, les 350 postes offerts par l’Espagne sont insuffisants face à la demande, et les critères de sélection manquent de transparence, favorisant parfois des clientélismes politiques. En plus de cette situation, il faut souligner l’absence de synergie car des actions des ministères du Travail, de l’Éducation ou des Finances ne sont pas harmonisées, limitant l’impact des réformes. La fragmentation et le manque de coordination ne peuvent pas être occultés. A titre d’exemple au Sénégal, plusieurs structures interviennent dans l’insertion des jeunes. C’est le cas de l’ANPEJ, du 3FPT, de la DER/FJ, du FONGIP, du PAPEJ, de la PROMISE, etc. qui sont des dispositifs qui manquent souvent de coordination, une telle situation crée des chevauchements, des doublons et parfois des lacunes dans les services offerts. En résumé, il est bien possible de souligner qu’il n’existe pas de stratégie unifiée et cohérente à l’échelle nationale ou territoriale.
Peut-on alors parler de défis structurels et de gouvernance ?
Oui. Le marché de l’emploi au Sénégal présente un mélange de dynamisme sectoriel et de défis structurels. En 2024, le taux de participation au marché du travail était de 58,6% (en légère baisse par rapport à 2023), avec une disparité notable entre hommes (68,5%) et femmes (49,1%). Le taux de chômage au sens large s’élevait à 23,2% au premier trimestre 2024, en hausse par rapport à 2023, touchant davantage les femmes (36,7%) et les zones rurales (31,7%). Nous assistons à une insuffisance des moyens financiers et humains avec des politiques d’insertion qui bénéficient de budgets limités, insuffisants pour répondre à l’ampleur des besoins alors que chaque année, plus de 200 000 jeunes arrivent sur le marché de l’emploi. Je pense que pour surmonter ces limites, une refonte systémique s’impose. Le Sénégal a besoin de réformer la formation professionnelle en alignant les curricula sur les besoins des secteurs émergents, en ciblant les femmes et les ruraux via des programmes adaptés, en auditant les dépenses et prioriser les investissements productifs, en facilitant l’accès au crédit et moderniser l’agro-industrie.
Avez-vous des propositions spécifiques à titre de réponses efficaces ?
Faut-il le rappeler, les réalités économiques varient beaucoup entre Dakar, les régions agricoles comme Kolda ou Kaolack, les zones minières comme Kédougou, ou encore les zones touristiques comme Saint-Louis ou Ziguinchor. Je pense qu’au niveau des zones urbaines comme Dakar et Thiès, il faut mettre en place des incubateurs urbains. Dans ces lieux, il faut encourager les startups dans le numérique, le e-commerce, les services. Il me semble que dans cette partie du Sénégal, les populations ont besoin de formations techniques et digitales pour adapter les cursus à la demande du marché. Au niveau des zones rurales et agricoles et plus exactement à Kaolack, Fatick et Tambacounda, il y a une réelle urgence pour la modernisation de l’agriculture. Il faut former les jeunes en agrobusiness, en irrigation, en conservation et cette offre doit être accompagnée par des coopératives agricoles qui vont favoriser l’accès au foncier, au matériel et à la transformation locale. Quant aux zones minières comme à Kédougou, l’urgence est la formation en métiers miniers, le développement d’activités connexes et des partenariats avec les entreprises minières en vue d’encourager l’embauche localement. S’agissant des zones touristiques comme c’est le cas à Saint-Louis, à Ziguinchor et à Sine-Saloum, il faut des offres en tourisme durable et communautaire. Les populations locales doivent bénéficier de formation en hôtellerie, en artisanat, etc. Le soutien à la création de petites entreprises touristiques serait une excellente chose pour développer des gîtes, de la restauration locale, et l’écotourisme.