«DANS LA LUTTE CONTRE LES INFRACTIONS NUMERIQUES, LA VOLONTE DU LEGISLATEUR SENEGALAIS LAISSE PLANER UN DOUTE SUR LA NOTION DE CYBERCRIMINALITE»
Thierno Amadou Ndiogou, enseignant et chercheur en droit commercial, en droit économique, en droit de la famille et en sciences criminelles, nous parle des diverses formes de criminalité en Afrique

Dr Thierno Amadou Ndiogou est un jeune juriste. Maître de conférences titulaire à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’ucad, Dr Ndiogou est à la fois enseignant et chercheur en droit commercial, en droit économique, en droit de la famille et en sciences criminelles. Au Sénégal comme en France, il a eu à intervenir dans plusieurs séminaires et ateliers relatifs aux diverses formes de criminalité en Afrique. Et particulièrement au Sénégal où il nous fait le diagnostic de la politique criminelle à l’aune de la lutte contre la cybercriminalité.
Le Témoin : Après les assassinats ou meurtres de Fatoumata Matar Ndiaye à Pikine, Bineta Camara à Tambacounda, du commandant de brigade Tamsir Sané à Koumpentoum et autres, le recours à la peine de mort avait été agité par plusieurs associations islamiques et mouvements féministes. Pensez vous réellement que la peine de mort peut faire reculer la criminalité ?
Thierno Ndiogou : Non ! L’application de la peine de mort n’a jamais fait reculer la criminalité. Jusque-là, aussi bien au Sénégal que dans le reste du monde, aucune étude sérieuse n’a pas pu démontrer le contraire. Allez aux Usa, en Arabie saoudite, en Chine, en Iran et au Nigeria, par exemple, autant de pays où la peine capitale est exercée. On y enregistre pourtant une hausse fulgurante du taux de criminalité malgré les multiples condamnations à mort et les nombreuses exécutions en place publique ou en salle. Il est vrai qu’au Sénégal, le débat fait régulièrement surface au lendemain de chaque crime commis avec barbarie et sauvagerie. De là, je comprends parfaitement la position des partisans de la peine de mort. Souvent, ils réagissent sous le coup de la colère et du désir de vengeance. Seulement, il faut retenir et reconnaitre que la peine de mort viole le droit humain le plus fondamental qu’est le droit à la vie.
Et les victimes de crimes sauvages et leurs familles dans tout ça ?
Ecoutez ! Non seulement toute perte humaine est douloureuse, mais elle est à la fois déplorable et regrettable. Parce que la vie est sacrée ! Malheureusement, criminalité et humanité vont de pair. Car le crime, c’est un fait social voire un phénomène de société qui n’épargne aucune société humaine. Et tant qu’il y aura des hommes sur terre, il y aura toujours des homicides. Par contre, les forces de sécurité et de défense ainsi que la justice doivent se focaliser davantage sur la lutte visant à faire reculer le taux de criminalité, et surtout réduire les homicides volontaires c’est-àdire le fait de tuer une personne de manière volontaire, gratuite, délibérée ou intentionnelle. Au Sénégal, comme partout dans le monde, certains ont le sentiment que ces crimes perpétrés avec cruauté et monstruosité sont de nouveaux phénomènes. Non ! La naissance des réseaux sociaux et la floraison des journaux, radios et télévisions nous ont plongés dans cet état de fait et de sentiment d’insécurité alors que la société sénégalaise a toujours connu ce genre de crimes violents ou assassinats barbares. Un jour, lors de mes recherches, je suis tombé sur un titre d’un exemplaire du journal « Le Soleil » des années 80 intitulé : « Drame à Dalifort (Dakar), Amadou Woury égorgé sa femme comme un poulet ». De même que des exemplaires de « Le Témoin/Hebdo » des années 90 où l’on découvre des histoires de crimes passionnels, crapuleux etc. Juste pour vous rappeler que ces crimes violents ont toujours secoué notre société comme toute société des hommes.
Comment analysez-vous la politique criminelle au Sénégal à l’aune de la lutte contre la cybercriminalité ?
Je pense qu’il ne s’agit pas d’analyser mais plutôt de mener une réflexion sur la politique criminelle relative à la lutte contre la cybercriminalité. Aujourd’hui, nul ne peut contester que le développement de nouvelles formes de criminalité a fait bouger les lignes juridiques. Ce, face à une forte pression qui impose aux gouvernants d’innover, parfois dangereusement. Pour mieux camper le débat ou mener à bien la réflexion, il est utile de rappeler que la politique criminelle est considérée comme « science et art, explicative, préventive et répressive » du phénomène criminel. À cet effet, elle dépasse les champs d’action du droit pénal et de la procédure pénale mais elle peut les servir tous. Stratégie juridique et sociale fondée sur des choix de politiques publiques, la politique criminelle permet de répondre avec pragmatisme aux problèmes posés par la prévention et la répression de la criminalité. Mais ici, il est question de parler de la cybercriminalité. C’est dans cette perspective que le législateur sénégalais a réaménagé sa politique juridique et sociale pour dissiper le malaise du juge pénal et être en phase avec le combat mené par la communauté internationale contre la cybercriminalité. D’où le réaménagement issu de la loi n° 2008-11 du 25 janvier 2008 sur la cybercriminalité qui s’est caractérisé par l’élaboration d’une stratégie de modernisation des instruments de répression et par l’articulation d’une stratégie d’amélioration du processus de répression. Huit ans après, le législateur sénégalais a entendu corriger les tares originelles de son dispositif juridique en apportant des améliorations techniques importantes à la législation contre les cyber-délinquants. Ont été adoptées des dispositions relatives aux interceptions de correspondances téléphoniques ou émises par voie électronique. Ainsi, cette nouvelle législation sénégalaise s’articule autour d’une politique d’extension des pouvoirs des investigateurs grâce à une politique d’instrumentalisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) à des fins probatoires.
Malgré la mise en place d’un arsenal pour lutter contre la cybercriminalité, certains avocats ne cessent de dénoncer un vide juridique dans certaines affaires liées aux infractions numériques. Leur position est-elle justifiée ?
Effectivement ! Car cette volonté du législateur sénégalais paraît cependant inachevée puisqu’il (Ndlr, le législateur) laisse planer un doute sur la notion de « cybercriminalité ». Mais, à l’analyse de l’exposé des motifs de la loi n° 2008-11 susvisée, il semble admettre que la cybercriminalité renvoie aux infractions commises dans les réseaux de télécommunication ou au moyen de ces derniers. Toutefois, une telle conception serait fort réductrice en ce sens qu’elle ne prend pas en compte les infractions commises contre les réseaux de télécommunication et elle n’inclut pas les infractions utilisant ces réseaux pour menacer ou tromper. Il est donc à espérer que d’autres projets de loi sur la cybercriminalité permettront de combler certains vides juridiques afin de trouver des réponses qui fassent autorité et satisfassent les uns et les autres.
Aujourd’hui, on constate que dans de nombreuses affaires criminelles, l’Internet est toujours au banc des accusés. Alors que la criminalité a toujours existé, bien avant l’ère numérique d’ailleurs !
Une bonne réflexion ! En réalité, Internet n’a pas seulement favorisé la perpétration d’actes de criminalité classique, il a également modernisé cette criminalité et donné naissance à de nouvelles infractions. C’est ce qui explique que l’analyse de l’organisation de la réponse méthodique contre la cybercriminalité au Sénégal, passe par l’articulation d’un véritable mouvement d’expansion du champ de la politique criminelle. En réponse à la problématique centrale, il convient de reconnaître une variété d’approches. Elles peuvent traduire des tendances négatives, positives ou mitigées. Cependant, la présente entreprise se propose d’explorer la physionomie de la stratégie juridique et sociale de lutte contre le phénomène de la cybercriminalité. La démarche débute par le constat d’une intensification de la politique criminelle. Elle se poursuit par les déficits de cette intensification. Donc, cette intensification doit se traduire en premier lieu par une portée élargie des mesures cyber-préventives, et en second lieu par le renforcement des mesures cyber-répressives.
Justement, vous nous parlez de mesures cyber-préventives mais y-a-t-il réellement une politique de prévention dans ce sens ?
D’abord permettez-moi de vous rappeler qu’au Sénégal, la stratégie de prévention de la criminalité sur Internet constitue un vaste sujet qui englobe de nombreux programmes et initiatives. Une grande variété d’infractions constitue la cible de cette prévention et différentes approches ciblent différents facteurs contribuant à la criminalité sur Internet. C’est ce qui explique que divers acteurs s’engagent fréquemment dans la prévention de la cybercriminalité. Cela inclut le Gouvernement sénégalais, les organisations non gouvernementales, la société civile, les volontaires, les activistes, le secteur privé et les citoyens. De même que la gendarmerie sénégalaise puisque ces deux dernières années, elle a mené des campagnes d’information et de sensibilisation dans les écoles pour protéger les enfants et leurs parents aux risques qu’ils encourent sur Internet et les réseaux sociaux. Vous voyez ! Tous ces acteurs jouent un rôle clé dans les stratégies et les mesures visant à réduire les risques de criminalité sur Internet et leurs effets néfastes potentiels sur les Sénégalais et la société sénégalaise. Donc, il convient alors de reconnaître que l’état du Sénégal est dans une logique d’élaborer une stratégie de prévention appropriée qui combine des réponses étatiques et sociétales.
Malheureusement sur le plan sociétal, les Sénégalais tombent toujours et « bêtement » dans les pièges numériques que leur tendent les cybercriminels…
Effectivement du fait que sur le plan sociétal, la cybercriminalité soulève des questions d’autant plus difficiles à résoudre qu’elle affecte toute une société globalisée. C’est pourquoi, les autorités publiques et les acteurs non étatiques ne cessent d’inviter à une culture de la cybercriminalité et ce, à travers la sensibilisation et la formation. Ces dernières, élargies à plusieurs couches de la population notamment les élèves et les enseignants, consistent à informer et à former non seulement sur les risques spécifiques qu’Internet présente, mais également sur les moyens de protection qui existent pour s’en prémunir. La sensibilisation peut s’articuler autour de quatre points : l’éducation aux médias, le rôle des parents, le rôle de l’école et la nécessité d’une collaboration entre le public et le privé.