DIAOBE ET OUASSADOU, DEUX COMMUNES AUX MAIRES FANTÔMES
Pendant deux semaines, en cette période d’hivernage, «Le Témoin» a sillonné la région de Kolda en passant par ses grandes villes jusque dans certains de ses villages les plus reculés

Pendant deux semaines, en cette période d’hivernage, «Le Témoin» a sillonné la région de Kolda en passant par ses grandes villes jusque dans certains de ses villages les plus reculés. Au cours de ce long périple, il a été question de tendre l’oreille aux populations de cette partie du monde rural, mais également d’échanger avec des élus locaux pour s’imprégner de leurs conditions de vie. Récit poignant du quotidien de ces oubliés !
Nous voilà à 585 Km de Dakar. Au cœur de Diaobé, localité rendue célèbre par son marché hebdomadaire sous régional. De par sa densité humaine et des bâtiments en construction dans tous les sens, Diaobé offre le visage d’une commune en pleine expansion. Le petit village qui, il y a quelques années, regroupait l’unique grande concession de la famille Diao (nom éponyme du village), est devenu une ville cosmopolite. Carrefour commercial de la sous-région. Voire, grenier économique du pays avec son « louma » hebdomadaire qui draine des foules. En quittant la périphérie de la localité, empruntant ses étroites rues, le visiteur non familier de la zone est confronté au doute sur sa direction. « Arrivé au marché, sur la route principale, il vous sera facile de retrouver la mairie », nous avait-on indiqué à l’avance. Mais on peine à retrouver l’artère principale.
Assise devant le portail de son domicile, entourée de sa fratrie, Ramata Baldé s’affaire à griller du maïs qu’elle écoule pour subvenir aux besoins de sa progéniture. Trois dames lui tiennent compagnie. On se renseigne. Puis, soudainement, l’évocation du nom du maire semble irriter les uns et les autres. Curieux, on cherche à déceler les causes d’une telle furie contre l’édile de la localité. « Si vous étiez venu pour rencontrer le maire, Moussa Diao, veuillez retourner sur vos pas ! Il est invisible à Diaobé. D’ailleurs, il ne vit même pas ici. Il passe tout son temps dans la capitale », explique la mère de famille d’un ton répugnant. Tandis que par derrière, une voix entonne : « Rencontrer le maire où même l’apercevoir dans la commune, relève de l’extraordinaire pour nous habitants de Diaobé. J’ai entendu même dire qu’il revient en catimini lors des grandes fêtes pour passer quelques jours avec sa famille puis retourner à Dakar. Mais ce qui est sûr est que notre maire est invisible dans la ville qu’il est censé administrer. D’ailleurs, on dit souvent ici que si une personne doit fuir le maire pour quelques raisons que ce soient, elle n’a qu’à aller se réfugier à la municipalité. Ce qui était partie pour être une visite en quête de renseignements sur les pertes subies du côté de la municipalité en termes de recettes fiscales vient de tourner à la recherche d’un maire qualifié de « fantôme » dans sa ville. La tâche requiert les témoignages des populations.
« Je n’ai pas aperçu le maire depuis les locales de 2014 »
Etudiant, Saliou Ba, 25 ans, est un natif de Diaobé. Rencontré sur les trottoirs da la grande artère qui traverse le marché hebdomadaire, le jeune homme aborde avec déception l’absentéisme d’un élu loin de ses administrés. Il dit : « Je ne l’ai pas aperçu depuis les élections locales de 2014 au moment où la campagne battait son plein. En ce temps, il faisait le tour des maisons, annonçant son projet pour la ville à travers son programme. Par la suite, après le vote, il a remporté l’élection à la tête de notre municipalité. Après son installation, je ne l’ai plus revu ». «Ce qui est vraiment déplorable pour des élus locaux qui, dans les normes, devraient être plus proches des populations du monde rural. Mais malheureusement, c’est comme ça que les choses se passent dans la campagne. On les élit ici pour qu’ils prennent en charge nos préoccupations, mais ils partent se la couler douce à Dakar », fustige avec ironie le jeune étudiant. A quelques encablures, se trouve la municipalité de la commune de Diaobé-Kabendou.
Son siège, un bâtiment à étage surplombe le marché hebdomadaire. Tout juste à l’entrée principale, un agent de sécurité en poste indique la direction à prendre. L’intérieur de la municipalité donne l’impression d’un grand bâtiment abandonné. Soudainement, résonne l’écho de vives voix le long d’un couloir. Les voix émanent au travers d’une porte qui affiche sur un bout de papier : « secrétaire municipal ». On toque … L’adjoint au maire accueille en compagnie du secrétaire municipal. « Le maire est absent des lieux, vous ne pouvez le rencontrer », nous fait- il savoir d’emblée. L’objet de la visite décliné, les deux élus locaux se renvoient la balle, chacun préférant donner sa langue au chat. C’est au bout d’un instant d’hésitation que le secrétaire se résout à câbler l’édile au bout du fil depuis Dakar. L’ordre lui est donné de se pencher face à nos interpellations que sur des questions d’ordre économique.
Dans la commune de Ouassadou, un autre maire fantôme
A la sortie de Diaobé, juste aux portes de Kabendou, la voiture est obligée à faire un détour vers sa droite pour emprunter la piste cahoteuse qui mène vers Ouassadou. Commune située dans une des contrées historiques du Fouladou surnommée le «Pathiana ». Une demi-heure de route après avoir traversé les villages Takoudjiala et Saré Wogna, nous voici à Ouassadou. Contrairement à Diaobé dont la renommée et son lustre économique continuent de résister au temps, Ouassadou, elle, s’est vidée de sa substance de ville carrefour commercial. La localité ne fait plus attraction comme jadis où son economie avait connu un essor avec une ruée des habitants de la contrée. Le poste de police ainsi que le camp militaire, qui assuraient la sécurité dans la commune, ont été transférés à Nianawo, village environnant et frontalier avec la Guinée Bissau.
Ainsi, Ouassadou a vu la précarité s’installer dans son périmètre social. Penda Diallo, connue pour la floraison de ses activités commerciales dans la localité, a vu la ruine s’abattre sur ses économies. La faute, pour elle, est liée en grande partie à l’absence de soutien venant d’autorités locales sans vision ni projet pour la commune. « Dans la précarité et le manque de soutien, nous sommes abandonnés à notre propre sort. En association, nous, les femmes, avions soumis des projets à notre municipalité pour relancer nos activités économiques. Mais ça fait des années que nous sommes toujours sans réponse venant du maire. D’ailleurs qu’attendre d’un maire qui ne vit pas dans la commune qu’il dirige ?», se demande t- elle dans ses remontrances contre l’édile. Le ton est donné. On cherche de ce côté aussi à savoir où se terre ledit maire. « Il est parti s’installer à Vélingara avec sa famille. Notre maire n’a même pas de domicile dans la commune qu’il dirige. On ne l’aperçoit dans la municipalité que lors des réunions avec ses conseillers où pendant les échéances électorales », renseigne un enseignant habitant de Ouassadou. Plus tard, le maire joint au téléphone annonce sa venue le lendemain pour répondre aux interpellations de ses administrés sur les raisons de sa retraite à Vélingara. Le rendez- vous est calé au siège de la municipalité.
Le maire de Ouassadou, Barsa Soumboundou :
«Faute de sécurité dans la commune, j’ai fait l’objet d’une attaque menée par des individus lourdement armés. C’est un Barsa Soumboundou prêt à tout pour se justifier face aux accusations de « maire fantôme » qui nous accueille dans son bureau. Il va droit au but sans porter de gants. «Mes absences récurrentes dans la commune sont indépendantes de ma volonté. Il faut savoir que faute de sécurité dans la commune, j’ai fait l’objet d’une attaque menée par des individus lourdement armés. C’était en 2014 pendant que j’étais en réunion et en plein jour avec mes militants dans une maison d’à côté. Ce jour-là, c’était ma personne qui était visée. N’eut été l’intervention des éléments de la gendarmerie venus de Nianao, le pire allait se produire. Il faut aussi savoir que lors de pareilles attaques, les bandes armées n’ont pour cibles que les autorités sur qui elles espèrent obtenir un butin, comme de l’argent » s’est défendu le maire M. Soumboundou.
Selon lui, ces bandes armées qui mènent ces attaques sont tous nichées de l’autre côté de la frontière, en Guinée Bissau et c’est pourquoi, elles échappent facilement aux forces de l’ordre positionnées à Nianao. « J’ai demandé à l’Etat central de faire en sorte que les forces de l’ordre comme la police et la gendarmerie reviennent à Ouassadou. Car c’est depuis leur départ de la commune que nous avons commencé à faire face à ces problèmes d’insécurité. Certains habitants qui m’accusent d’absentéisme dans la localité sont tous au fait de cette attaque. Et étant donné que ces bandes armées ont fait de ma personne leur cible privilégiée, j’ai déménagé à Vélingara pour sauver ma peau. Mais cela ne veut pas dire que je ne viens pas à Ouassadou », a tenu à préciser le maire.