GUY MARIUS SAGNA ASSÈNE SES VÉRITÉS
Invité de l’émission «grand Jury» de la Rfm, le célèbre activiste a apporté sa partition dans la lutte engagée par les autorités sénégalaises

Leader du mouvement «France Dégage», Guy Marius Sagna s’est prononcé sur la situation actuelle du pays marquée par la propagation du coronavirus. Invité de l’émission «grand Jury» de la Rfm, le célèbre activiste a apporté sa partition dans la lutte engagée par les autorités sénégalaises. Le coronavirus, le couvre-feu instauré, les mesures du gouvernement, la récente sortie du secrétaire de l’ONU ou encore sa libération qui suscite encore des interrogations, Guy Marius Sagna est sorti de son «confinement».
LES MESURES PRISES PAR LE GOUVERNEMENT
«Dans un Etat qui serait le 23ème le plus pauvre au monde, les décisions prises sont plus ou moins acceptables. Nous les soutenons, même si nous avions regretté en son temps la décision tardive de fermer nos frontières. Jusqu’à présent, nous sommes rattrapés par cette lenteur. Chaque jour, nous constatons des cas importés. Nous pensons que la plupart des décisions sont bonnes, mais il y a encore énormément à faire. C’est la mort dans l’âme quand je vois mes collègues de l’hôpital Fann crier leur désarroi en disant qu’ils n’ont pas suffisamment de masques. Comme j’ai eu à le dire, nous avons un infirmier pour 8 000 habitants. Certains disent que c’est un problème mondial. Mais je pense que non. Il ne faut pas réfléchir ainsi. Ceux qu’on appelle les plus grands, ce sont des pays capitalistes qui mettent le profil devant la vie humaine. Nous, nous devons avoir un autre système dans lequel c’est l’humain qui passe en premier. Notre problème dans le monde, ce ne sont pas les bactéries ou les virus. C’est plutôt ceux qui, à cause de l’appât du gain, ne réunissent pas les conditions pour résister et faire face. On parle de problème mondial, mais regardez les pays qui ont moins de problème avec le coronavirus. Ce sont des pays qui ont une Banque centrale, capable d’injecter rapidement de l’argent dans l’économie. C’est notamment le Japon, la Chine et tant d’autres pays. Regardez l’Europe, ils ont une Banque centrale, mais qui ne peut pas venir en aide à l’Italie, à l’Espagne ou à la France. Donc, ce n’est pas une question de grands pays. Pour moi, être un grand pays, c’est être un pays qui respecte l’humain, qui met en avant la solidarité, la complémentarité, l’humanité. Et pour moi, ces pays dont certains parlent ne sont pas des modèles. Cette crise de coronavirus doit nous emmener à tirer les bonnes leçons. Tous ensemble, l’humanité entière, l’Afrique en particulier. Nous ne pouvons pas continuer avec ce système néocolonial. Si les pays qui ont l’habitude de nous donner à manger coupent aujourd’hui les ponts car ils ont aujourd’hui des besoins importants, qu’est-ce que nous allons faire ? Ce qui pose le problème de la souveraineté alimentaire.».
LE RESPECT DES MESURES PAR LES CITOYENS
«Nous appelons les citoyens sénégalais à la responsabilité individuelle. C’est vrai que l’Etat a une grande responsabilité. Mais il y a également une responsabilité individuelle. Les citoyens doivent respecter les consignes sanitaires et administratives. Les consignes sanitaires, c’est respecter la distanciation sociale, c’est le lavage régulier des mains, c’est de pouvoir disposer de masques. Encore une fois de plus, nous revenons toujours sur le système. Les masques les plus basiques coûtent 750 francs l’unité. Il faut les porter deux à trois heures de temps. Et là, quel est le citoyen sénégalais qui a la possibilité, avec une famille de dix personnes, d’acheter pour chaque membre de la famille, une dizaine de masques par jour à ce prix-là ? Malgré la difficulté du contexte, nous appelons les citoyens à être responsables et à surtout respecter les consignes sanitaires.»
LES LIMITES DU COUVRE-FEU
«Ce couvre-feu seulement ne pourra pas faire grand-chose. Allié à d’autres choses, il peut être plus ou moins efficace. Car si nous prenons des mesures pour limiter les rassemblements, cela peut contribuer à endiguer l’avancée de la maladie. Mais le couvre-feu à lui seul ne pourrait faire grand-chose. De 6h du matin à 20 h du soir, nous nous rencontrons dans les voitures, dans les marchés et autres lieux publics. Je pense qu’il faudra ajouter d’autre mesures. Avec «No Lank» et «Ar Linou Bokk», nous disons aussi qu’il faut réfléchir pour voir comment mettre en avant, dans les meilleurs délais, un système de dépistage massif. Il faut élargir. Soit on dépiste tout le monde, soit on dépiste le maximum possible, quoi que ça puisse coûter. Cela permettra d’identifier ceux qui sont malades et les soigner, mais aussi identifier ceux qui étaient en contact avec eux pour les mettre en quarantaine. Cette méthode permettra de savoir ceux qui ne sont pas malades et leur dire qu’ils n’ont rien. C’est la meilleure manière.»
LE CONFINEMENT ET SES CONSEQUENCES
«Le confinement, c’est très difficile. Cela peut être plus ou moins facile pour les salariés. Mais ils sont combien ces salariés dans ce pays ? Est-ce qu’ils font 10 pour cent de la population ? Mais il faut savoir que la majeure partie des citoyens sont des journaliers. Certains doivent travailler jusqu’à 11h ou midi pour avoir la dépense quotidienne. Ces gens-là, vous les mettez en confinement, c’est les condamner à mourir. C’est pourquoi quand j’entends les propositions de confinement, je me dis que ceux qui font ces propositions-là sont sans doute des salariés. Ce sont des gens qui peuvent faire leurs emplettes pour deux à trois mois.».
SUPPRESSION DE QUELQUES INSTITUTIONS
«Avec Ar linou Bokk et No lank, nous avons estimé qu’il faudrait peut-être penser prendre les fonds politiques de la Présidence, du HCCT ou encore de l’Assemblée nationale pour les mettre dans cette lutte contre le coronavirus. Mais personnellement, je suis en train de penser à autre chose même de plus radicale. Est-ce qu’il ne nous faut pas un deuxième 19 septembre ? Pourquoi la date du 19 septembre ? Le président de la République, nouvellement élu, avait supprimé le Sénat, car il fallait lutter contre les inondations. Les citoyens avaient certes peur à l’époque. Mais c’est aujourd’hui qu’ils ont le plus peur. S’il a pu supprimer le Sénat en 2012 pour, dit-il, lutter contre les inondations, aujourd’hui, nous sommes encore plus menacés, inquiets. Je vous rappelle qu’à l’époque, le Sénat, c’était un budget de 7 à 8 milliards. Face à nos soldats de la santé qui travaillent les mains nues, aux forces de défense et de sécurité, face à l’inquiétude que nous éprouvons tous, car nous savons que nous n’avons pas un système de santé au point, est-ce qu’il ne faudrait pas supprimer certaines institutions dont le HCCT, le CESE… C’est pour dire que si aujourd’hui, c’est le peuple sénégalais qui compte, il faudrait poser des actes forts.»
REPRESSION DES FORCES DE L’ORDRE
«Tous les Sénégalais soutiennent leur équipe nationale sanitaire. De la même manière, nous invitons les citoyens sénégalais à soutenir nos forces de défense et de sécurité. De la même manière que nos médecins, nos infirmières travaillent pour nous sauver la vie, nous devons comprendre que les policiers, gendarmes et militaires qui sortent à 20h aussi travaillent pour nous. Nous invitons les citoyens à respecter le couvre-feu. Maintenant, c’est le revers de la médaille. Vous savez, mon point de vue est que si vous n’avez pas, pendant 60 ans, réussi à enrayer le taux d’analphabétisme, vous avez acheté les consciences de ce peuple-là, vous en avez fait un gros enfant, vous l’avez irresponsabilisé. Vous un Sénégalais issu d’une famille, mais aussi d’un système. C’est pourquoi ce coronavirus aussi nous interpelle car nous avons urgemment besoin d’un nouveau type de citoyen, de Sénégalais. De la même manière, nous dénonçons cette violence policière qui n’était pas justifiée. L’ennemi, ce n’est pas le citoyen sénégalais, mais bien le coronavirus. Il faut expliquer, il faut beaucoup de pédagogie pour convaincre les citoyens. Il faut passer par nos autorités coutumières, religieuses. Je crois que nous y parviendrons ensemble. Nous attirons l’attention pour que cet état d’urgence ne soit pas un état d’urgence pendant lequel les autorités, les forces de l’ordre, pensent qu’elles peuvent impunément piétiner les libertés et les droits des citoyens. Cet état d’urgence, c’est pour faire face au coronavirus et pas pour opprimer davantage le peuple sénégalais qui est déjà suffisamment fatigué.»
LE SORT DU PERSONNEL MEDICAL DANS LES HOPITAUX
«Déjà avant le coronavirus, vous avez régulièrement des agents qui n’ont pas de gants, de masques, en temps normal. En temps normal, vous avez des contractuels qui peuvent rester des moins sans salaires. Si en plus des pathologies habituelles quotidiennes, ils doivent se taper une nouvelle pathologie à savoir ce coronavirus, ce serait grave. C’est pour vous dire les difficultés que les travailleurs de la santé rencontrent. Nous exprimons toute notre solidarité et notre soutien à nos soldats de la santé, aux agents de la santé et de l’action sociale. L’Etat devrait payer les agents de la santé, particulièrement les contractuels qui vivent cela à temps. Mieux, l’Etat devait recruter ces contractuels là. Nous n’avons pas assez d’infirmiers et de médecins, on se permet de prendre des contractuels. Il faut les titulariser, les recruter dans la fonction publique. Pour moi, cela fait partie de la motivation.»
CONTRIBUTION DU SECTEUR PRIVE CONTRE
Le CoViD-19 «Vous ne pouvez pas donner les marchés les plus importants de ce pays-là aux investisseurs privés étrangers et demander que le privé national, qui en plus est marginalisé, de donner plus. Ceux qui disaient avant nous que ce sont les fils du pays qui vont construire ce pays avaient raison. Et aujourd’hui, le coronavirus l’a confirmé. Nous avions toujours alerté. Et aujourd’hui, les privés européens, américains donnent pour leurs pays, mais pas pour le Sénégal. Le privé africain, sénégalais ne peut donner que ce qu’il a. Je pense qu’il serait important d’écouter le Comité des industries du Sénégal. Le privé international rafle tous les marchés. Le doing business ne doit pas seulement servir à dérouler le tapis rouge au privé étranger.»
SORTIE DU SECRETAIRE GENERAL DE L’ONU
«Les propos de Antonio Guterres sont très douteux. Il annonce que l’apocalypse va s’abattre sur les pays africains. Et en plus de Guterres, nous entendons Emmanuel Macron et d’autres dire qu’ils sont en train de réunir de l’argent pour venir sauver l’Afrique. Comment est-ce qu’ils vont sauver l’Afrique alors qu’en France, c’est la catastrophe. Comment vont-ils sauver l’Afrique alors que leurs voisins italiens, espagnols et américains sont dans le crash sanitaire ?».
LES CONDITIONS DE SA LIBERATION
«L’Etat en général, l’administration pénitentiaire en particulier, fait du mieux qu’elle peut pour éviter des attroupements autour des établissements pénitentiaires. Mais tout ce que j’ai à dire et je persiste, c’est que la manière dont je suis sorti du quartier de haute sécurité du Camp pénal était illégale, arbitraire. Je n’ai jamais demandé une liberté provisoire et je n’ai signé aucun document allant dans ce sens. Je n’ai apposé mon doigt sur aucun document. L’avocat Me Amadou Sall est venu me voir, mais à aucun moment de notre échange, il n’a été question de liberté provisoire. Et pour moi, ce n’est pas Me Sall qui est le responsable. Pour moi, ce qu’on doit pointer du doigt et questionner, c’est notre système judiciaire. C’est inacceptable qu’un citoyen sénégalais soit arbitrairement arrêté, arbitrairement détenu et arbitrairement relâché. Nous sommes tous en danger. Même si je bénéficie aujourd’hui de cette illégalité, je décrie le cas arbitraire de cette mesure car nous sommes tous menacés».
LA VISITE DE L’ARCHEVEQUE DE DAKAR EN PRISON
«L’archevêque de Dakar est venu me rendre visite, avec une délégation. Il est venu en prison, dans ma chambre et a regardé les conditions dans lesquelles j’étais. Il a illuminé ma cellule avec son si beau et agréable sourire. Ce qui m’avait d’ailleurs réconforté. Il a posé sa main sur mon front et a prié pour moi et il est reparti comme il est venu. Et je l’en remercie vivement. J’en profite pour remercier tous les religieux, que ça soit catholique, musulmans ou des religions traditionnelles. Barthélémy Dias est un camarade, un frère, quelqu’un pour qui j’ai énormément d’admiration et de respect. Pour moi, le problème, ce ne sont pas les propos de mon frère Barthélémy. Pour moi, le problème, c’est l’injustice. Vous savez, si à la base, huit personnes sont arrêtées et qu’à l’arrivée, une seule reste en prison, cela suscite forcément des interrogations. Il faudrait que nos autorités soient responsables.»