HOMMAGE AU GÉNÉRAL AMADOU FALL, PÈRE FONDATEUR DE L’ARMÉE SÉNÉGALAISE
EXCLUSIF SENEPLUS - Destitué par Senghor, radié des cadres, il a fini sa vie dans la précarité malgré ses états de service exceptionnels. Aujourd'hui, une commune française honore chaque année ce héros sénégalais. Et Dakar ?

Le 3 octobre 1990, le général Amadou Fall, premier chef d’État-major de l’Armée sénégalaise, décédait en France des suites d’une maladie. Trente-cinq ans plus tard, les cendres du fondateur des Forces armées sénégalaises reposent encore dans le petit cimetière de la ville de Fleury-les-Aubrais (France), loin de sa
terre sablonneuse et humide de Ndar, qui l’a vu naître le 17 juin 1906. Par hasard, quatre mois plus tard, le 9 octobre 1906, le poète-président sénégalais Léopold Sédar Senghor vit le jour. Ces deux grandes figures sénégalaises, bien que suivant des chemins professionnels distincts, partagent un lien profond avec l’histoire et le destin de leur pays. Le sort du premier nommé bascule définitivement le lundi 17 décembre 1962. À ce moment, le deuxième le destitue de son poste de chef d’état-major général de l’Armée pour le remplacer par
son adjoint, le lieutenant-colonel Jean Alfred Diallo.
Ce jour-là, le Sénégal, deux ans après son indépendance, a vécu une journée historique marquante. Il s’agit des événements du 17 décembre 1962, également connus sous le nom de « crise de décembre 1962 ». Ce jour-là, dans le conflit politique opposant le président de la République, Léopold Sédar Senghor, à son président du Conseil de gouvernement, Mamadou Dia, le premier à subir les conséquences a été le général des forces armées sénégalaises, Amadou Fall. Il est accusé par le président Senghor et son
gouvernement d’avoir participé à la « tentative de coup d’État » attribuée au président du Conseil. Le « Conseil d’enquête », qui établit sa culpabilité, indique dans son rapport : « Il est reproché au général de brigade Amadou Fall d’avoir failli entraîner le pays dans une guerre civile par ses réticences et par son retard
à prendre conscience de ses devoirs vis-à-vis de la Constitution et vis-à-vis du chef de l’État au cours du complot du 17 décembre 1962 ». Quelques semaines plus tard, le président Senghor signe le décret n° 63-230 du 12 avril 1963 prononçant la radiation des cadres de l’armée du général Amadou Fall pour des motifs disciplinaires à compter du 30 avril 1963. C’est ainsi que se termine la carrière militaire du fondateur de l’armée sénégalaise moderne.
Après le départ du président Senghor du pouvoir en 1980, Amadou Fall se reconvertit en tant qu’entrepreneur dans l’import-export. Il espère ainsi faire vivre sa famille et assurer l’éducation de ses six enfants dans un contexte difficile. L’ancien CEMGA avait espéré mettre à profit le changement intervenu à la tête de l’État ; il a donc écrit une lettre au Chef suprême des armées, le président Abdou Diouf, pour qu’il
réexamine sa situation et lui apporte le soutien qui convient à son rang. Le journal Le Témoin a consacré un dossier au général Amadou Fall dans son édition du 21 décembre 1993. Il y révèle le contenu émouvant d’une lettre qu’il a écrite le 5 juin 1982 : « Dans 12 jours, c’est-à-dire le 17 juin, exactement, j’aurai 76 ans.
J’ose espérer que d’ici là, l’audience sollicitée en janvier, par l’intermédiaire de Mme Konaté, me permettra de m’entretenir avec vous de ma pénible situation. Arrivé à mon âge, après le sacrifice de ma carrière par abnégation pour mon pays, le poids de cette décision aurait été plus supportable si les conditions de mon éviction de notre armée n’avaient pas été aussi brutales et irrégulières. En butte aux difficultés de l’existence avec six enfants, dont aucun n’est indépendant, et malgré l’anéantissement de notre patrimoine familial, ma
situation demeure très difficile. J’ai placé ma confiance en vous, monsieur le président de la République, avec le grand espoir dans votre juste appréciation de ma situation dont la responsabilité n’est pas de votre fait ». Cette lettre est restée jusque-là, à notre connaissance, sans réponse.
Qui est le général Amadou Fall ?
Né à Saint-Louis le 17 juin 1906, il y passe son enfance et y termine ses études secondaires au lycée Faidherbe. Ensuite, il s’engage dans l’armée et effectue un séjour en Afrique équatoriale française (AEF). En 1931, après avoir terminé sa formation militaire à Saint-Maixent, le jeune sous-lieutenant Amadou Fall
est envoyé en Haute-Volta. Plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, il se trouve en Algérie au moment du déclenchement des hostilités. De là, il est dirigé sur le front français, où il est deux fois blessé sur les théâtres d’opérations de la Somme et de l’Oise ; il est ensuite cité à l’ordre de l’Armée et est rapatrié sur le
Maroc, puis au Dahomey, où il rencontre la femme de sa vie.
Amadou Fall, véritable baroudeur, se trouve sur le front d’Italie en juin 1944, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Son supérieur hiérarchique note ses faits d’armes et distinctions dans son dossier de service. : « Commandant de compagnie énergique et brave, le 11 juin 1940 son Unité étant en terrain complètement découvert, a arrêté par ses feux l’ennemi et a permis au Bataillon de continuer sa progression. A attaqué et nettoyé le village de Rully. Blessé au cours de l’opération, n’a consenti à se laisser évacuer que lorsque
l’échelon de repli fut installé sur sa position ». Homologué J.O du 30 juin 1941, p. 201).
Aujourd’hui, on comprend toute l’importance du devoir de mémoire que la commune de Rully en France rend chaque année à ce courageux chef militaire du Sénégal. Après la guerre, Amadou Fall est resté en métropole jusqu’à la fin de 1944 avant de retourner au Dahomey (aujourd’hui le Bénin). Il a été promu chef de bataillon en 1949. Après un passage au Maroc, il est revenu à Dakar en 1951, où il a successivement travaillé aux cabinets de MM. Cornut-Gentille, Gaston Cusin et Pierre Messmer. Cette expérience en administration centrale lui permet de vivre les derniers instants de l’effondrement de l’empire colonial français tout en observant de près les luttes des élites politiques africaines pour obtenir l’indépendance.
En mai 1959, sa double culture militaire et administrative justifie sa mise à la disposition du gouvernement dirigé par le président Mamadou Dia, dont il devient le conseiller militaire. Il est aussitôt promu colonel le 1er janvier 1960 par l’armée française, avant d’être définitivement transféré aux Forces armées sénégalaises le 1er décembre 1960. Beaucoup de jeunes cadres militaires hésitaient alors à rejoindre leur patrie en choisissant de conserver leur nationalité française.
Le colonel Fall se trouve désormais au cœur du processus de création de l’Armée de la Fédération du Mali, puis de l’Armée sénégalaise. Il prend part activement aux pourparlers avec les dirigeants français et sénégalais pour la transition de l’armée coloniale à l’armée nationale. En examinant attentivement les
discussions sur les accords de défense et d’assistance militaire et technique lors des rencontres de sécurité, on peut évaluer avec précision l’engagement profondément patriotique et les valeurs fondamentales que le chef militaire a incarnées tout au long de sa vie. Durant cette période, le colonel Fall s’intéresse également à la question de la formation des soldats et officiers africains. Les promotions successives de Fréjus, puis de Saint-Cyr ont parfaitement accompli les objectifs de ce travail, ce qui a permis au Sénégal de compter sur plusieurs officiers militaires de grande qualité. C’est aussi le colonel Fall qui a mis en place les premiers éléments de ce qui deviendra l’armée sénégalaise. Après la séparation de la Fédération du Mali, les présidents Senghor et Dia lui confient la tâche de bâtir une armée sénégalaise moderne. Il élabore la carte du commandement militaire qu’il divise en quatre zones, soit Dakar, Saint-Louis, Kaolack et Tambacounda.
2Le 30 novembre 1960, lors de la réunion du Conseil des ministres, le colonel Amadou Fall a été promu au rang de général de brigade. Cette promotion met en lumière la carrière d’un chef militaire courageux et d’un fier représentant du Sénégal. Décoré de la Légion d’honneur et titulaire de la Croix de guerre 1939-1945, le général Fall possède également de nombreuses autres distinctions, telles que l’étoile noire du Bénin et d’Anjouan.
Il est temps, soixante ans après les événements du 17 décembre 1962, de rendre hommage au fondateur de l’armée sénégalaise. Comme le Building administratif et le l’ex-boulevard du Général de Gaulle qui portent le nom de Mamadou Dia, il revient à l’État du Sénégal de réhabiliter ce fils digne de son pays et ce chef
militaire respecté. II est nécessaire, pour cela, d’aider la famille à ramener le corps et lui rendre les honneurs de la République en tant que premier général CEMGA de l’Armée sénégalaise.
Mouhamadou Moustapha Sow est président de l'Association des Historiens du Sénégal.