IMAM MOUHAMAD DICKO LIVRE SES POSITIONS
Invité de l’émission «Objection» sur «Sud Fm», l’iconoclaste religieux s’est prononcé aussi sur la mal gouvernance, l’enlèvement de Soumaïla Cissé, la faillite de l’élite politique et sur ses ambitions politiques pour le Mali.

Alors que les chefs d’Etat dépêchés par la Cedeao sont en train de chercher des solutions pour une sortie de crise au Mali, l’imam Mouhamad Dicko Youssouf, figure de proue du M5, mouvement de contestation au Mali, est revenu sur les tenants et aboutissants de cette médiation. Invité de l’émission «Objection» sur «Sud Fm», l’iconoclaste religieux a fait part de ses appréhensions concernant cette mission. Il s’est prononcé aussi sur la mal gouvernance, l’enlèvement de Soumaïla Cissé, la faillite de l’élite politique et sur ses ambitions politiques pour le Mali.
Il a laissé entrevoir l’image d’un homme pacifique, ferme, lucide, révolutionnaire et foncièrement dévoué à la cause malienne. L’imam Mouhamad Dicko est manifestement loin d’être un fanatique religieux, d’un anarchiste et d’un jusqu’au-boutiste. Il donne l’impression d’une personne qui a la tête sur les épaules malgré sa célébrité grandissante dans le monde. Toutefois, ce qui est clairement ressorti de son entretien, c’est qu’il ne tombera jamais dans la compromission. Pas même avec la Cedeao ! «Nous saluons la présence de ces différents chefs d’Etat qui se sont déplacés pour venir partager avec nous les préoccupations qui sont les nôtres. La crise est profonde, parce qu’elle est existentielle. Ce n’est pas simplement une crise politique, c’est l’existence même du Mali qui est en cause. C’est pour cela que le peuple s’est mis ensemble pour restaurer la nation malienne qui est en train de s’abîmer sous nos yeux», soutient Imam Dicko dans l’entretien qu’il a accordé à nos confrères de «Sud Fm».
A en croire l’ancien président du Haut Conseil Islamique malien, les émissaires de la Cedeao sont restés sur des questions superficielles. «Ce sont des mesures superficielles qui ne tiennent pas en compte les véritables problèmes de gouvernance qui minent le pays. Ils ont parlé d’un gouvernement d’union nationale. Nous, nous ne nous sommes pas déplacés pour chercher des places ou des postes de ministres. Moi je ne cherche rien et je ne suis candidat à rien. Le pays est dans une crise profonde où les populations sont en train de s’entretuer. Et ce sont des choses qui sont encouragées par les autorités au vu et au su de tout le monde», fulmine ce natif de la région de Tombouctou. Il accuse les autorités maliennes d’avoir expliqué superficiellement le problème aux chefs d’Etat qui se sont déplacés. «Et ils nous ont demandé de nous conformer», affirme l’ancien secrétaire général de l’Association malienne pour l’Unité et le Progrès de l’Islam (Amupi) qui rappelle que le Président Ibrahima Boubacar Keita n’est pas élu par la Cedeao, mais par le peuple malien. «Donc si le peuple demande des comptes, ce n’est pas quelque chose de tabou. Dans le protocole de la Cedeao, il est dit que les peuples doivent exiger de leurs dirigeants la bonne gouvernance et la démocratie», souligne l’imam de la grande mosquée de Badalabougou de Bamako. Et d’ajouter : «Nous sommes d’accord que le Président est élu et qu’il faut le laisser exercer. Mais que le Président accepte aussi que des gens cherchent des solutions pour améliorer la gouvernance d’ici la fin de son mandat. La nature de ce qui nous oppose à IBK, c’est la gouvernance. Dans l’existence démocratique du Mali, le Président IBK a exercé combien d’années. Avec le premier mandat d’Alpha Omar Konaré, il a fait 6 ans dans le gouvernement. Durant les 10 ans d’Amadou Toumani Touré, il a fait 5 ans à la présidence de l’Assemblée Nationale. Et depuis sept ans maintenant, il est président de la République», relève imam Dicko.
«NOUS AVIONS TRANSFORME NOS MOSQUEES ET NOS LIEUX DE CULTE EN QG DE CAMPAGNE POUR L’ELIRE»
Imam Mouhamad Dicko Youssouf qui a fait ses études en Arabie Saoudite et en Mauritanie rappelle qu’ils ont participé considérablement à l’élection d’IBK comme Président du Mali. «Nous avons transformé nos mosquées et lieux de culte pour en faire des QG de campagne pour pouvoir l’élire parce que nous croyions en lui, malgré le fait qu’il n’avait pas un projet de société islamique, mais un projet laïc», renchérit Imam Dicko. S’ils ont accepté de le soutenir, c’est parce que le Mali connaît des problèmes de bonne gouvernance. «Malheureusement, il nous a offert une gouvernance catastrophique. Quand il venait au pouvoir, le Mali avait un problème sécuritaire dans un endroit bien localisé qui est la région de Kidal, mais aujourd’hui, c’est tout la Mali qui est embrasé et il y a aucune solution», s’alarme-t-il en ajoutant avec humilité qu’il est juste l’autorité morale de ce mouvement et qu’il n’en est ni le mobilisateur ni l’instigateur comme le pensent certains.
«LES CHEFS D’ETAT SONT VENUS PARLER AVEC IBK A HUIS CLOS»
Dénonçant la partialité de la mission de la Cedeao surtout sur la composition de la future Cour Constitutionnelle, l’Imam Dicko soutient : «Sur la composition de la Cour constitutionnelle, ce sont des propositions qui ont été faites et qui n’ont pas été validées et discutées. Nous n’avons même pas donné notre point de vue par rapport à tout cela. C’est des choses qui ont été discutées par les différentes délégations de la Cedeao. On nous a balancé des propositions comme ça. Mais en réalité, cela n’a pas fait l’objet de grands débats et d’un accord d’une manière ou d’une autre. C’est seulement des intentions et des incantations. » Il se désole du fait que les chefs d’Etat sont venus parler avec IBK à huis clos. «Ils sont tombés d’accord et sont venus nous dire que ce que les délégations ont dit. C’est d’abord les différentes délégations qui étaient là avant l’arrivée de chefs d’Etat. Et ces derniers sont venus simplement entériner ce que ces délégations ont eu à ébaucher comme solutions. Sinon, rien n’a été fait en réalité. On ne nous a pas parlé d’accords. Nous leur avons dit que nous sommes un pays souverain. Nous ne sommes pas un peuple soumis et nous n’acceptons pas qu’on vienne nous dicter des choses comme ça sans un débat. Et avec tout le respect qu’on leur doit, on ne peut pas l’accepter», souligne le religieux. Montrant par ailleurs tout son scepticisme quant à l’éventualité d’un gouvernement d’union nationale, le leader du M5 affirme : « Ils ont exigé que le premier ministre reste en place. Nous avons demandé qu’il y ait un premier ministre consensuel sur lequel tout le monde est d’accord. Mais ils ont refusé. On nous demande d’emmener quelques représentants qu'on va mettre dans le gouvernement mais le ministre qui est là reste. Je dis, c’est trop demander parce c’est dans sa gouvernance que les gens sont sortis pour venir tirer sur nos maisons et tuer des enfants innocents. Vous voulez qu’on laisse ce même chef conduire un gouvernement qui devrait avoir pour mission de travailler et de redresser la situation du Mali !»
De son avis Le problème, ce n’est pas le partage mais une mal gouvernance et une corruption endémique qui minent le pays. Aucun ministre, s’exclame-t-il, ne peut aller en tournée dans le pays à cause de l’insécurité. « C’est des choses qui doivent faire l’objet de débat mais pas emmener quelques éléments et les mettre dans un gouvernement qui va rester à Bamako et faire du surplace. Le débat est beaucoup plus profond que ça », pense-t-il tout en soulignant néanmoins qu’ils ont senti quand même de la volonté de faire et de mieux faire de la CEDEAO. Ils vont faire une conférence extraordinaire lundi (aujourd’hui), se réjouit-il et que des décisions importantes vont être prises. Il révèle aussi qu’il y a une trêve qui va être respectée jusqu’après la tabaski. « Après, si les choses n’évoluent pas, nous allons certainement évaluer et voir la conduite à tenir », affirme le religieux.
Se prononçant en outre sur l’enlèvement de l’ancien ministre Soumaïla Cissé, il a indiqué que le problème, c’est que personne n’a revendiqué son kidnapping. «C’est ce qui nous embête parce que d’habitude, ceux qui sont taxés d’être les auteurs, quand ils commettent leur forfait, ils le revendiquent. Cette fois, personne n’a revendiqué. On ne sait pas réellement qui détient Soumaïla. On peut supposer. On peut penser que c’est tel ou tel mais personne ne sait où Soumaïla est détenu et par qui », constate-t-il avec tristesse. Tirant à boulets rouges sur l’élite malienne et africaine, il déclare : « Les hommes politiques font semblant mais on ne gouverne pas un pays en faisant semblant et en voulant simplement imiter des gens, faire des élections en invitant les institutions européennes pour venir donner leur quitus. Nous devons nous assumer, faire les choses selon ce qu'on pense être bon pour le pays. Je ne suis pas fier de cette élite. Quand j’entends les menaces occidentales en disant ‘’on va geler vos avoirs’’, je me dis : pourquoi ils ont des avoirs ailleurs ? Pourquoi nos banques ne suffisent-elles pas pour eux ? »
A l’en croire, c’est ce qui crée une rupture de confiance entre l’élite africaine et son peuple. « Pour faire face au terrorisme, il faut un pays uni, des gens qui regardent dans la même direction. Vous ne pouvez pas continuer à diviser les gens et à distraire les peuples seulement en prenant comme prétexte le problème du terrorisme. Les gouvernements essaient de cacher leurs incompétences, leur manque de volonté de résoudre les problèmes sociaux qui assaillent les populations par le prétexte simplement de lutte contre le terrorisme », trouve l’imam Dicko Youssouf qui ajoute que cette situation mérite une analyse beaucoup plus profonde. Dans la foulée, il signale que quelle que soit la nature des forces, tant que les populations qui habitent le sahel ne s’approprieront pas la lutte, ils ne pourront pas la gagner. Les forces étrangères qui sont ici, dit-il, nous, on les regarde comme ça et si vous demandez à la majorité des populations, ils ne savent pas pourquoi Barkane est là, pourquoi Minusma est là. « On doit quitter ce cycle d’enfantillage où l’Afrique ne sait rien faire tant qu’on ne lui montre pas », préconise-t-il.
‘’LES CONDITIONS DE MA MORT NE M’ONT JAMAIS INQUIETE ‘’
Dirigeant la contestation au Mali dans un contexte où le fondamentalisme religieux gagne du terrain dans le Sahel, l’imam Mouhamad Dicko se veut rassurant. «J’ai ma philosophie par rapport à la religion musulmane. Ce n’est pas une religion imposée, mais choisie. Pour moi, la religion ne s’impose pas. Le fait de venir avec un fusil et une bombe, c’est autre chose que la religion. La religion est un choix en Afrique, elle n’a jamais été imposée», renseigne celui qui est considéré par plusieurs observateurs comme un salafiste pacifique. Interpellé sur sa sécurité, il indique qu’il y a trois choses qui ne l’ont jamais inquiété parce que ne dépendant pas de lui : «Où est-ce que je dois mourir ? Quand est-ce que je dois mourir ? Et comment je dois mourir ? », Lance-t-il avant d’ajouter : «Je préfère mourir pour une cause réelle et juste que de vivre dans l’indignité.»