LE MAREYAGE, UNE ACTIVITÉ AUX FILETS LARGES
À cheval entre le pêcheur et le revendeur, les mareyeurs jouent le rôle de grossistes dans un secteur qui vit, croit et fait vivre

Une mer calme, d’une part, et, de l’autre, un rivage bruyant et assailli par des dizaines de mareyeurs. Le quai de pêche de Yarakh baigne dans une ambiance grouillante. Dans ce brouhaha absolu, deux jeunes, muscles saillants, essaient de se frayer un chemin avec des formules assez amusantes. « Cédez le passage, j’ai de l’eau chaude », crie l’un d’eux au tee-shirt mouillé et couvert d’écailles. Il s’agit d’Ousmane. Les occupants, tout en rigolant, se plient à sa volonté. Un boulevard s’ouvre ainsi à lui. Il déroule. Regard serein, l’air préoccupé, Ousmane s’approche de la pirogue qui vient de débarquer sur la plage et engage une conversation avec le responsable de l’embarcation. L’entretien ne durera que quelque secondes, histoire de fournir le nom de son employeur. Passée cette formalité, le colosse soulève, avec une facilité déconcertante, une caisse débordante de poissons frais, du thon plus précisément. Le carton au-dessus de sa casquette, le jeune homme accélère la cadence vers le chapiteau contigu à l’espace réservé aux vendeuses de petit-déjeuner. C’est le coin des mareyeurs dans ce cercle où le poisson est la vedette. Ils sont considérés comme les grands distributeurs.
Sur place, le docker se libère de son fardeau, en respect des indications d’un nommé Daouda. Dynamique au milieu de ses camarades de business, l’homme scrute les moindres faits et gestes de ses employés. De l’index, il montre le lieu d’emplacement des nouvelles marchandises. Grand acteur dans cette chaine de commerce, le barbu à la silhouette imposante maîtrise les arcanes du métier de mareyeur. Il capitalise 11 ans d’expérience. Et c’est cette expérience qui s’exprime. « Je travaille avec un pêcheur. Nous sommes tout le temps en contact. À son retour de campagne, il me fournit la quantité dont j’ai besoin. Je peux me procurer la caisse de Thon entre 14 000 et 18 000 FCfa pour le revendre aux détaillants. Les pêcheurs sont nos principaux interlocuteurs », explique-t-il. Mareyeur à Pikine, Amadou Mbengue a aussi « son » pêcheur. Il est établi à Saint-Louis. Son collaborateur lui envoie habituellement deux à quatre camions. Du coup, ils peuvent se retrouver avec trois ou quatre millions de FCfa après la revente. « Le gain dépend de la quantité. Les grands mareyeurs peuvent faire entre 200 000 et 300 000 de FCfa de bénéfice si le marché n’est pas bien approvisionné. Il suffit d’une bonne clientèle pour s’en sortir grassement », soutient-il en jouant avec son stylo.
Intermédiaires entre le pêcheur et les revendeurs
Qui est mareyeur ? Mame Daour pense détenir la bonne réponse. Doigt pointé vers le ciel, le propos sérieux, il s’explique : « Les gens font souvent une confusion. Ils appellent tout le monde mareyeur alors que certains sont des revendeurs ». D’après lui, les mareyeurs sont ceux qui, quotidiennement, achètent en grande quantité auprès des pêcheurs pour ensuite les exporter ou les revendre aux détaillants des différents marchés. Un avis partagé par Papa Niang. Un sexagénaire qui a capitalisé 32 ans dans le secteur. Passé de docker à mareyeur, le vieil homme dessine son schéma. « Être mareyeur, c’est acheter un camion ou des camions auprès des pêcheurs pour les redistribuer aux femmes et hommes qui sont dans les marchés », explique-t-il. Mareyeurs et vendeurs à petite échelle sont tous les deux des maillons de la chaine de la vente de poissons. Astou Diagne le sait bien. Camisole en wax décolorée, un seau sous l’aisselle, elle est en plein marchandage avec un vieil homme. C’est une question de prix. « Pourtant tu peux faire un tas à 8000 FCfa. Mes clientes du quartier m’attendent », prie la dame. Plaisantin, son interlocuteur lui rétorque : « Pourquoi aimez-vous la facilité, vous les aawos (les premières femmes) ? » Avant d’ajouter plus sérieusement : « Sincèrement, je n’ai pas assez de poissons aujourd’hui, mes pirogues sont en haute mer ». Par « mes pirogues », le vieux Diop parle des pêcheurs avec qui il a l’habitude de travailler. Finalement, les deux protagonistes tombent d’accord à 9000 FCfa. Il l’aide à porter sa marchandise.
Admiratif devant cette scène, Aly Cissé manifeste son intérêt pour ce secteur. Il préfère d’abord s’en ouvrir à un jeune mareyeur adossé à un poteau et surveillant une dizaine de caisses de produits halieutiques. Après des explications, l’homme à la tunique de l’équipe nationale de football détaille son projet. « Chez moi, à Mbirkilane, on nous vend de petits poissons à 500 FCfa le kilogramme. Avec 500 000 FCfa, je peux démarrer l’activité. Je pense avoir une bonne quantité que je pourrais revendre aux femmes de mon village », dit-il. La réponse de son interlocuteur ne tarde pas : « Il faut plutôt prévoir un million de FCfa ou un peu plus. Il faut penser au transport de la marchandise ».
Une activité à bénéfices
« De jolies dorades à vendre. Occasion à saisir ». C’est la rengaine qu’entonne Fama Thiam. Assise sur un seau blanc, elle ne cesse de vanter la qualité de son produit. « Elles sont fraiches et pas chères », ajoute-t-elle. Sourire aux lèvres, Fama consent à parler de son gagne-pain. « J’achète un seau ou une caisse auprès des mareyeurs installés derrière moi (elle montre du doigt le quai). Des amis ou voisins pêcheurs peuvent aussi m’offrir quelques pièces en fonction de la quantité de leurs prises », indique-t-elle. Pour ce qui concerne le caractère lucratif ou pas de son commerce, la vendeuse évoque les réalités du marché. « Si la pêche est bonne, les mareyeurs cassent les prix. Dans ce cas, il est possible d’acheter une plus grande quantité qu’on peut écouler à l’intérieur du marché ou dans les quartiers environnants », soutient Fama. Avec cette stratégie, elle confie faire des bénéfices quotidiens qui peuvent aller jusqu’à 30 000 FCfa.
En cette matinée du dimanche, la chaleur impose son diktat au marché central au poisson de Pikine. Entre discussions frivoles, approches et marchandages, le commerce vit. Tablier rouge bien mis au-dessus d’un tee-shirt noir, Aïda Guèye est entourée de « clients du dimanche ». Deux hommes et une femme auxquels elle est liée par un pacte hebdomadaire. Ils ont regagné le lieu pour la récupération de commandes variant, dit-elle, entre 35 000 et 40 000 FCfa. Mine joviale, couteau couvert d’écailles en main, Aïda revient sur les aléas d’une activité qu’elle exerce depuis 2003. « Je ne vis que du commerce de poisson. C’est un métier passionnant et rentable à certaines périodes de l’année. Je travaille avec un mareyeur qui m’approvisionne quotidiennement entre 200 000 et 250 000 FCfa selon les réalités du marché », dit-elle, rangeant quelques billets de banque dans la sacoche autour des reins.
Par rapport à ses revenus, la dame parle d’une somme pouvant aller jusqu’à 15 000 FCfa par jour, voire plus. En cas de mévente, elle ne se plaint pas trop. Du doigt, elle désigne les caisses de conservation. Il y en aura encore pour le lendemain.