L'ENVAHISSANT SEL DU SINE SALOUM
Il est un poison pour la population de ce vaste delta classé au Patrimoine mondial de l'Unesco. La montée des eaux est pour lui un très bon moyen de transport vers les terres et il s'infiltre partout, dans les corps, les constructions, les sous-sols

S'il peut être de l'or blanc pour ceux qui en font commerce, il est surtout un poison pour la population de ce vaste delta classé au Patrimoine mondial de l'Unesco. La montée des eaux est pour lui un très bon moyen de transport vers les terres et il s'infiltre partout, dans les corps, les constructions, les sous-sols. Qu'il s'agisse de cultures agricoles ou de leur hydratation avec une eau potable, hommes et femmes de cette zone doivent faire preuve de créativité pour s'adapter.
La vieille femme au boubou bariolé ajoute quelques mots en wolof et s'éclipse avant que nous n'ayons pu regarder l'objet glissé dans notre paume. Une pince de crabe blanchi par le temps et le soleil. On lève la tête : rien que du jaune, du sec, de l'épineux. L'eau se distingue vaguement au loin, et encore, il faut le savoir. « Durant l'hivernage [la saison des pluies, de juillet à novembre, ndlr], tout est recouvert par les eaux venues du fleuve, là-bas. C'est comme ça que les crabes se retrouvent ici », explique Omar Faye, secrétaire de Sakh Djam, une association locale de producteurs.
Diofior se situe au nord du Sine Saloum, du nom des deux grands fleuves de ce delta renommé. Dans les vallées de Boubalaye, en périphérie de ce village, on tente de cultiver le riz entre deux bras de mer, malgré l'incruste d'un adversaire coriace : le sel. Durant cette saison sèche, des traces cristallines de son dernier passage sont encore visibles sur la terre.
« En 1995, il n'y avait encore que des terres blanches », se souvient Baboucar Gning, chargé de projets sociaux à Diofior. Ici, on les appelle des « tans », des étendues trop salées pour être cultivées. Les choses ont changé à partir de 2011 quand les habitants ont décidé de réunir leurs forces : « on a commencé par créer des remblais de terre, avec nos pelles et nos pioches. Dès cette année-là, on a pu exploiter 80 hectares. Les gens se sont alors rendus compte qu'il était possible de récupérer des terres et se sont motivés. »
Alors Baboucar Gning monte un dossier pour l'obtention de deux digues en dur. En 2015, c'est chose faite : l'une, anti-sel, affronte sur 810 m l'arrivée des eaux de la mer et du sel ; l'autre, sur 1 100 m, permet la régulation des eaux. Entre les deux, des lopins rizicoles. Grâce aux digues, 160 hectares de rizières ont été regagnés sur les terres salines. Baboucar estime à 600 hectares le potentiel encore récupérable, qui pourrait bénéficier à quelque 20 000 habitants du secteur. « Moi-même, avant la construction des digues, j'achetais presque 80 kg de riz par an. Depuis, je n'ai plus acheté un grain puisque je le produis sur ma parcelle. » Pour le moment, Diofior cultive pour sa propre consommation. A terme, l'objectif est de pouvoir commercialiser ce riz. « C'est une question de sécurité alimentaire ». En attendant, la production a augmenté avec le nombre d'exploitants. Sakh Djam regroupe désormais près de 270 producteurs dont une large majorité de femmes, rizicultrices de mères en filles.
Tout n'est certes pas réglé. L'iode est toujours là et la mer monte. « Il s'est infiltré dans les sols et il y a des remontées capillaires. Si la pluie n'est pas abondante, la quantité de sel reste trop importante. Le lessivage du sel par les eaux de pluie est un travail de longue haleine », tempère le local. Et puis dans deux mois, il va falloir labourer ce sol si dur, asséché par le sel, rappelle Marie Sega Sarr, la présidente de Sakh Djam, qui demande un tracteur, des engrais et un bassin de rétention d'eau douce pour les femmes de sa communauté.
Mais les efforts ont incontestablement porté leurs fruits. Les digues, le reboisement – une véritable muraille verte a poussé en dix ans –, l'amendement des terres et la recherche de variétés de riz plus adaptées participent aussi à la lutte contre le fléau salin. « Les vallées mortes de Baboulaye commencent à se revitaliser », conclut Baboucar Gning. Ici, on semble avoir trouvé un rempart provisoire à l'avancée de la « langue salée ».