LES FAMILLES DES VICTIMES DANS L’OUBLI
Le 16 février 1994, la tension politique qui régnait dans le pays, ponctuée par des difficultés économiques sans précédent, a atteint son comble, avec l’affaire des 6 policiers froidement tués sur les Allées du Centenaire

Le 16 février 1994, la tension politique qui régnait dans le pays, ponctuée par des difficultés économiques sans précédent, a atteint son comble, avec l’affaire des 6 policiers froidement tués sur les Allées du Centenaire, aujourd’hui Boulevard du Général De Gaulle. C’était lors d’un meeting organisé par Me Abdoulaye Wade, alors leader de l’opposition radicale. Vingt-sept (27) ans après ce drame, aucune indemnisation n’a été versée aux familles des victimes qui sont toujours oubliées.
La crise politique de 1988 au Sénégal, consécutive à de violentes manifestations contre les résultats de l’élection présidentielle, reste encore vivace dans la mémoire collective des populations. Avant le jour du scrutin, la campagne électorale a été émaillée de graves violences, notamment à Thiès, où le pire avait été évité de justesse sur la promenade des Thiessois. Mais cette tension sociopolitique, qui était sur le point de remettre en cause tous les acquis du pays, a été désamorcée en 1991, avec l’entrée de Me Abdoulaye Wade, tête de pont de l’opposition d’alors, dans le gouvernement socialiste du Président Abdou Diouf. Mais en 1993, alors que Me Wade a quitté le gouvernement, la crise a resurgi après les élections, marquées par l’assassinat de Me Babacar Sèye, alors président du Conseil Constitutionnel.
Outre les remous politiques, le pays était également plongé dans des difficultés économiques sans précédent avec la dévaluation du franc CFA survenue le 11 janvier 1994. Le cocktail a explosé le 16 février 1994, lors d’un meeting de l’opposition tenu sur les Allées du Centenaire, aujourd’hui Boulevard du Général de Gaulle et présidé par Me Abdoulaye Wade. Des éléments supposés appartenir au mouvement les Moustarchidines wal moustarchidati s’en sont pris aux forces de l’ordre, tuant atrocement 6 policiers.
Selon Cheikhna Kéita, brigadier-chef des gardiens de la paix à la retraite et président du mouvement national des policiers à la retraite du Sénégal, tous corps confondus, 27 ans après ces douloureux évènements, les familles des victimes sont toujours dans l’attente. «On est en droit de se rappeler cet évènement douloureux», souligne avec amertume le président des policiers retraités, qui rappelle que le mouvement Moustarchidina wal moustarchidati avait été aussitôt interdit de toute activité sur décision de Djibo Leyti Kâ alors ministre de l’Intérieur. En plus, presque 150 membres du mouvement avaient été interpellés. Il y a eu une suite judiciaire. Les coupables ont été identifiés et interpellés avant d’être finalement libérés, de l’avis de Cheikhna Kéita. Et 27 ans après, les familles sont dans l’oubli total. «L’Etat du Sénégal en général et le ministre de l’Intérieur, devaient penser aux familles des victimes».
Revenant les faits, il se souvient que les 6 policiers tués avaient été désignés dans le cadre du maintien de l’ordre. C’est ainsi qu’un dispositif sécuritaire a été mis en place, avec une réserve qui est restée dans un véhicule. Les policiers ont été surpris par des assaillants, identifiés comme des membres du Dahira Moustarchidine wal moustarchidati et qui venaient de Thiaroye où ils ont même blessés des policiers au niveau du commissariat. Sur les lieux du meeting, ils ont infiltré la foule en se dissimulant dans la masse avant d’incendier le véhicule dans lequel se trouvait la réserve de policiers. Dans le sauve-qui-peut, 6 policiers ont été rattrapés et atrocement tués. Parmi les victimes, on peut citer l’adjudant Moustapha Dieng, le lieutenant Mamadou Diop, Daouda Ndour de la 10ème promotion de la police, Abou Hane de la 15ème promotion, etc. Il y a eu également des blessés Ibrahima Fall, Babacar Diouf, Amadou Camara, le capitaine BabacarNdiaye qui s’est retrouvé avec les deux mains coupées. Il avait aussi perdu un œil. C’est Djibo Kâ, à l’époque ministre de l’Intérieur, qui l’avait pris en charge et évacué en France.
UNE ENVELOPPE D’UN MILLION DE FCFA PAR FAMILLE
Cheikhna Kéita souligne que l’Etat n’a pas assez fait pour les familles des victimes, avec le versement à l’époque d’une enveloppe d’un million de FCFA, pour chaque famille et depuis lors, c’est l’oubli total. Il propose de rebaptiser certains postes de police au nom de ces martyrs, pour qu’on se souvienne d’eux d’autant qu’ils ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions. «27 ans après, nous demandons à l’Etat du Sénégal et au Président Macky Sall de penser à ces martyrs, en s’enquérant de la situation des épouses et des enfants laissés derrière eux. Il serait normal de les recevoir au ministère de l’Intérieur et même à la Présidence de la République», affirme Cheikhna Keita qui préconise également l’organisation chaque année d’une cérémonie à la mémoire de ces martyrs.
Pensant à ces familles, souligne-t-il, le mouvement national des policiers à la retraite compte organiser des séances de prières ce 16 février, à la mémoire des policiers tués. «On a l’impression que les gens minimisent tout ce que font les policiers et il suffit d’une plus petite affaire pour qu’ils soient traînés dans la boue. Or, les citoyens ont besoin de sécurité quand ils organisent une manifestation. Quand ils vont à la mosquée ou à l’église, quand ils vaquent à leurs occupations et ce sont les policiers qui assurent cette charge. Il convient également de parler d’autres policiers disparus de façon tragique et dont on ne parle plus. Il s’agit de Cheikh Sadibou Ndiaye, du Commissaire Divisionnaire Boubacar Bâ qui avait en charge de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) à sa mise en place par le Président Abdou Diouf. Et avec les évènements du 23 juin 2011, on parle partout de Mamadou Diop, tout en passant sous silence la mort tragique du policier Fodé Ndiaye, qui a eu la tête fracassée». En définitive, dit-il, 27 ans après, il est vraiment grand temps que l’Etat du Sénégal prenne en charge ces familles.