«LES PERTES MENSUELLES DES SOCIETES AEROPORTUAIRES S’ELEVENT A PLUS DE 50 MILLIARDS FCFA»
Secrétaire général du Syndicat Unique des travailleurs du transport Aérien et Activités Annexes du Sénégal (Suttaaas), Alassane Ndoye revient largement, dans l’entretien accordé à «L’As», sur les impacts du Covid-19 dans le secteur du transport aérien

Secrétaire général du Syndicat Unique des travailleurs du transport Aérien et Activités Annexes du Sénégal (Suttaaas), Alassane Ndoye revient largement, dans l’entretien accordé à «L’As», sur les impacts du Covid-19 dans le secteur du transport aérien. Il se prononce sur les frontières fermées depuis le 20 mars dernier, les entreprises évoluant sur la plateforme aéroportuaire qui commencent à toucher le fond. Selon le syndicaliste Alassane Ndoye, les pertes mensuelles s’élèvent à plus de 50 milliards FCFA.
«L’AS» : Comment vivez-vous la fermeture des frontières aériennes consécutive à la propagation du nouveau coronavirus au Sénégal et dans le monde ?
ALASSANENDOYE: La pandémie du Covid-19 touche d’abord le transport aérien plus que n’importe quel autre secteur dans le monde. La maladie a été déclarée en Chine et en l’espace de 90 jours, elle a fait le tour du monde, facilité par les voyages. Donc les premiers impactés, ce sont les avions et les frontières aériennes. Au début de la crise, il y avait un ralentissement et les aéroports avaient commencé à mettre en place des mesures de riposte notamment une vérification de température dans tous les aéroports du monde afin de contenir la propagation rapide du virus. Après une explosion de la pandémie en Europe et dans le continent américain, les Etats africains étaient obligés de se barricader pour éviter quand-même les cas importés. Avec comme première conséquence, un ralentissement; puis un arrêt total de l’activité au niveau du secteur aérien.
Est-ce qu’il est possible d’évaluer les pertes commerciales dues à cette pandémie ?
L'Association du transport aérien international(IATA) a eu à alerter pour dire que les pertes étaient estimées à 114 milliards de F CFA au tout début pour tout le secteur aérien. Et le dernier réajustement laisse entrevoir 314 milliards de pertes et on parle d’une année 2020 négative. Pour ce qui est de 2021, en fonction de l’évolution de la pandémie, ce sera une reprise très lente et progressive. Ce qui fait que dès que l’aéroport est touché, par ricochet tous les autres secteurs qui gravitent autour de l’aéroport et de l’industrie du voyage ont commencé à être impactés. C’est le cas notamment de la restauration, du tourisme et cela va continuer au niveau du commerce. Aujourd’hui, les avions de rapatriement permettent de maintenir un semblant d’activité alors qu’ils ne génèrent pas d’argent. Les avions sont mêmes obligés de voler dans un sens à vide. Aussi, dans les aéroports, il y a des gens qui investissent, qui s’occupent des salons pour les passagers. S’il n’y a pas de passagers, les salons ferment. Il y a une industrie de la restauration aérienne. Ici c’est «Cerbere» qui a cette activité. Si tu faisais par exemple dix mille plateaux par mois ; là, tu te retrouves avec moins de 500 par mois en fonction des vols cargo et de certains vols spéciaux. C’est un énorme manque à gagner.
Quelles sont les pertes globales au Sénégal ?
Il sera très difficile d’évaluer tout cela. Aujourd’hui, il y a plusieurs sociétés sur la plateforme. Les emplois directs et indirects tournent autour de sept mille personnes sur la plateforme aéroportuaire. Donc, il y a des sociétés qui avaient un chiffre d’affaires mensuel de 1 milliard, d’autres 400 voire 800 millions FCFA. Si on additionne tout cela, on a une perte mensuelle qui tourne autour de 50 milliards FCFA. Si on met les activités liées au fret, la restauration aérienne, la restauration au sol, les bars, la société 2AS qui assiste tous les avions et qui a 1 064 emplois directs, on peut facilement imaginer les pertes. Il y a aussi les transporteurs, Senecartours, la société Global, la publicité. Tout cela constitue au minimum des pertes autour de 6 milliards le mois. Si ce secteur n’est pas aidé, beaucoup de sociétés vont se retrouver dans des situations inconfortables à la fin de cette crise. Aujourd’hui, avec l’ordonnance du chef de l’Etat, elles ne peuvent pas licencier qui que ce soit. Mais si la crise persiste sans un appui de l’Etat, à un moment donné, elles seront obligées de parler de licenciement. Pour éviter cela, on interpelle le chef de l’Etat pour lui demander de se pencher sérieusement sur ce secteur. C’est une grosse erreur de penser que le transport aérien se limite à un seul exploitant, fut-il la compagnie nationale du Sénégal. Aujourd’hui ; c’est plus de 30% des allers et retours sur la plateforme aéroportuaire. Mais aussi la société «Transair» est aussi à côté. Et malgré le fait qu’il n’y ait pas d’activité, elle paie les assurances de ses avions et assure les formations de ses pilotes à travers des formations et des simulateurs. Et ce sont des coûts fixes et incompressibles. Et si maintenant l’investisseur n’a plus la possibilité de faire face à ces charges, mais à un moment donné, il va baisser les bras et mettre la clé sous le paillasson. Conséquence, c’est plus de sept mille emplois directs et directs de la plateforme aéroportuaire de Diass qui est en jeu. Nous avons fait des propositions et nous avons demandé à l’Etat du Sénégal d’essayer de mettre en place un fonds du transport aérien, comme c’est le cas dans le secteur du tourisme, qui sera logé au niveau du ministère du Tourisme et du Transport aérien pour faciliter la levée des fonds. Aujourd’hui, dans le cadre du fonds Force Covid-19, on pensait que l’Etat allait prendre 100% de la garantie des prêts comme c’est le cas en France ou ailleurs. Mais pour les PME, l’Etat prend la garantie à hauteurde50%.Pour les sociétés qui ont plus de deux milliards de chiffres d’affaires, c’est 20% de la garantie qui est prévue.(…)
Aujourd’hui, beaucoup d’emplois sont menacés. L’IATA avait parlé de 25 millions d’emplois dans le monde. Qu’en est-il pour le Sénégal ?
En tant que syndicaliste, nous avons deux problèmes majeurs : faire de sorte que les emplois soient préservés et les rémunérations assurées ; mais également faire de sorte que les entreprises s’en sortent. Nous avons très tôt tiré la sonnette d’alerte. Notre syndicat a commencé depuis le 26 mars par une déclaration pour alerter les autorités du pays pour leur dire qu’il va falloir mettre en place des mesures. Et nous avons eu l’assurance du chef d’Etat qui, à travers une ordonnance, garantit le maintien des emplois durant cette période de fermeture ainsi qu’un niveau de rémunération à hauteur de 70%. Parallèlement, il y a eu des mesures fiscales pour accompagner les entreprises. Maintenant, la deuxième étape de notre combat, c’est de faire en sorte que toutes les entreprises de la plateforme soient aidées comme ce qui se fait dans tous les pays du monde, en facilitant l’obtention de prêt pour faire face à la crise et à la relance. Malheureusement, dans notre secteur d’activité, hormis AIR SENEGAL et les agences de l’Etat, personne n’a reçu de subvention. On sait qu’on ne donne pas de subventions à une société privée. Mais quand on prête de l’argent à quelqu’un pour faire face à une situation pour un long moment, il faut lui accorder un prêt qui soit utile et rentable dans le temps. Par contre, aujourd’hui, ce qui se passe, on dit aux sociétés d’amener leurs masses salariales sur trois mois pour qu’on leur fasse un prêt remboursable au bout de 12 mois. Pis, ces prêts, on en parle depuis bientôt un mois ; mais avec les lourdeurs administratives, jusqu’à présent personne n’a vu la couleur de l’argent.
Pourtant l’Etat avait dégagé une enveloppe consistante pour soutenir les secteurs durement touchés ?
Le transport aérien a une belle part. Sur les 100 milliards, 77 ont été affectés au secteur du transport aérien. Mais dans la répartition, 45 milliards ont été donnés à AIR SENEGAL et 27 milliards au Tourisme. Les 5 milliards restants devront être partagés entre les agences de l’Etat : ANACIM, la haute autorité de l’aéroport, l’agence sénégalaise de promotion touristique et AIBD. Maintenant, l’aéroport, ce n’est pas tout simplement les institutions régaliennes, il y a aussi les privés qui ont mis de l’argent et qui embauchent énormément de monde. Le gestionnaire aéroportuaire est un privé et il a plus de mille agents. La société 2AS qui s’occupe de l’assistance au sol ; c’est plus de mille agents. Les bars, restaurants et les petits shops, c’est presque 200 agents. Les sociétés de sûreté en l’occurrence TSA qui s’occupe aujourd’hui de tous les postes d’inspection, c’est plus de 550 agents. La restauration aérienne, c’est plus de 400 agents. Donc si vous additionnez toutes ces structures, on se rend compte que la répartition n’est pas juste. Peut-être qu’ils n’ont pas mis assez d’argent dans le secteur. Et aujourd’hui, ce n’est pas encore trop tard. L’Etat devra lever des sous pour aider ce secteur en facilitant juste les crédits à travers des garanties comme cela se fait dans d’autres pays. Par ailleurs, notre organisation syndicale a dénoncé l’iniquité de traitement entre le secteur touristique et le secteur des transports aériens. Il faut savoir que le tourisme et le transport aérien, c’est vraiment un couple et personne ne peut aller sans l’autre. Le Tourisme qui bénéficiait déjà d’un fonds de tourisme de 5 milliards, avec cette crise, ce fonds est passé à 15 milliards. C’est une bonne chose. Il y a eu aussi 12 milliards pour servir à payer les réquisitions dans les hôtels pour les Sénégalais qui sont mis en quarantaine. Au même moment, dans le secteur du transport aérien, hormis la compagnie nationale qui a bénéficié de 45 milliards d’argent direct, tout le reste est dans l’expectative et attend de bénéficier d’un accompagnement conséquent de l’Etat. Heureusement, ce matin (Ndlr : hier), nous étions en visio-conférence avec notre ministre de tutelle et nous lui avons soumis toutes nos préoccupations en espérant qu’il nous a bien entendus. Il devra essayer quand même de convaincre le président de la République pour gérer ce secteur avec plus de diligence. Si on ne le fait pas, c’est tout un secteur qui risque de s’écrouler.
Vous avez dit tantôt que beaucoup d’argent a été investi à Air Sénégal, une compagnie très jeune. Pensez-vous qu’elle va se remettre de cette crise?
Même les compagnies qui disposent d’une bonne assise financière éprouvent des difficultés. La compagnie britannique Flybe, qui a des centaines d’avions, a déposé le bilan. Aujourd’hui, au niveau de South African Airways, l’Etat sud africain dit ne plus pouvoir mettre de l’argent. La première compagnie africaine Ethiopian Ailrines perd 50 millions de dollars par mois. Donc, si cette crise perdure, beaucoup de structures ne pourront plus se remettre. Pour ce qui est d’Air Sénégal, c’est une compagnie qui bénéficie d’un fort soutien de l’Etat du Sénégal. Il y a un effort pour acquérir des avions, pour ouvrir de nouvelles routes. Il y a beaucoup d’argent qui est injecté. Même avant cette crise, Air Sénégal ne gagnait pas d’argent. Et cette crise va approfondir encore les difficultés d’Air Sénégal. Aujourd’hui, l’Etat a mis de l’argent et il devra aussi accompagner la relance en mettant davantage d’argent. Avec ces 45 milliards d’aide, si on paie les dettes, les qualifications des pilotes, les assurances, entre autres, il ne restera plus rien. Le transport aérien, c’est un secteur où on doit mobiliser beaucoup d’argent alors que les marges bénéficiaires sont très faibles. Il suffit d’une guerre, d’une maladie ou pas mal de choses pour que tout s’écroule. Je pense que c’est le moment pour que l’Etat du Sénégal, avec tous les experts du secteur et la direction d’Air Sénégal, d’être prudent dans la relance et de vérifier davantage les lignes. Il ne sert à rien d’ouvrir les lignes pour aller vers des destinations où on ne gagne pas d’argent. Le transport aérien à ce niveau on ne le fait pas pour des raisons de prestige. On le fait pour de la rentabilité.