CES GOULOTS QUI ÉTRANGLENT LA BAISSE DU LOYER
Non-application des textes, charges exorbitantes des bailleurs, absence d’accompagnement

Le manque d’application dans toute sa rigueur des textes de 2014 (problèmes liés à la surface corrigée, manque d’accompagnement de l’Etat vis-à-vis des bailleurs…) fait partie des goulots qui étranglent la mise en œuvre effective de la baisse du loyer font légion. Et les acteurs qui œuvrent dans le secteur de l’immobilier ont fait part de leurs préoccupations devant le ministre du Commerce Aminata Assome Diatta, à l’occasion d’une réunion hier.
Lors du Conseil des ministres du 21 octobre dernier, le Président Macky Sall insistait sur la nécessité d’une régulation urgente des prix du loyer tout en demandant aux ministres en charge du Commerce et des Finances de lui proposer, dans les meilleurs délais, des mesures d’urgence pour encadrer davantage et réguler les prix du loyer sur l’ensemble du territoire national, notamment au niveau des centres urbains. Le Président Macky Sall devra encore prendre son mal en patience si l’on se fie aux propos des principales parties prenantes. Sans ambages, ils ont disséqué les difficultés qui freinent l’efficacité de cette loi sur la baisse du loyer. ‘’Il y a une carence de synergie entre les parties prenantes du loyer surtout au niveau de l’administration. Il faut comprendre que le loyer touche beaucoup de secteurs qui sont indépendants. Concernant l’encadrement et la régulation du loyer, nous avons les meilleurs textes‘’, a estimé l’expert immobilier Chérif Thiam avant de s’interroger : ‘’Où est-ce que donc ça pèche ?
A mon avis, c’est au niveau de l’application. On ne peut pas prendre certaines mesures qui touchent la poche d’une partie de la population sans un encadrement et une rigueur constante.’’ A l’en croire, la mise en place d’un observatoire pour le loyer et l’immobilier semble opportune. Elle a son importance, selon l’expert immobilier, pour la simple et bonne raison que comme il y a beaucoup de services, beaucoup de parties de l’administration qui sont impliquées, il serait bon d’avoir un organe qui puisse centraliser le loyer et l’immobilier. ‘’Le deuxième point, c’est quand vous parlez de maîtrise du loyer. Pour nous, ça implique la révision surtout du décret de 2010. Et ce décret devrait être révisé tous les deux ans. On est en 2021. Il y a au moins 5 régularisations qui devraient avoir lieu‘’, renchérit M. Thiam non sans indiquer que pour parler de maîtrise aussi, il faut d’abord régulariser ces textes.
‘’LA DGID A FAIT PROFIL BAS DANS CET ASPECT DU LOYER‘’ ‘’
D’abord réveiller les commissions d’évaluation parce qu’entre 2010 et maintenant, la géographie du Sénégal et des villes a changé. Des quartiers qui étaient considérés avant comme quartiers qui n’étaient pas importants sont devenus des quartiers résidentiels. Il y a beaucoup de lotissements qui se sont faits et beaucoup de quartiers qui sont nés. La réalité du marché en transactions immobilières fait que pour la sauvegarde des intérêts des bailleurs, il faut en urgence réviser ce texte’’, insiste Chérif Thiam. Il souligne aussi la nécessité de réactiver le bureau des loyers au niveau de la Direction des Impôts et Domaines (DGID). Déplorant dans la foulée l’indifférence de cette direction, il trouve qu’il est constant que la DGID, dans cet aspect du loyer, a fait profil bas. ‘’C’est ça la réalité et ça se ressent’’, s’insurge-t-il. Dans le même ordre d’idées, il invite le gouvernement à faire appliquer la surface corrigée (c’est la surface habitable à laquelle on applique des coefficients de correction de la surface qui tiennent compte de l’état d’entretien, des équipements (ascenseur, baignoire…) ou encore de la situation du logement (l’ensoleillement, la vue…). Toutefois, pour sa part, la représentante de l’Association Nationale des Agences Immobilières du Sénégal (ANAIS) Fatoumata Diack estime qu’ils ont mesuré l’impact négatif de la surface corrigée sur le montant du loyer. ‘’Parce qu’actuellement, le barème de 2010 qui est utilisé pour le calcul de la surface corrigée donne un montant qui n’est pas réel. Entre une surface corrigée qui a été calculée en 2010 pour un bâtiment qui a été construit au niveau de la VDNet un autre qui est construit au niveau de Fan Résidence, cette surface corrigée, elle est identique. Alors que les prestations ne sont pas identiques. Les barèmes devraient être revus’’, renseigne Mme Diack qui trouve que ce barème est obsolète.
‘’DIRE QUE LE BAILLEUR DOIT TOUT ACCEPTER POURRAIT DEMOTIVER LES FUTURS PROPRIETAIRES QUI AURAIENT ENVIE D’INVESTIR DANS LE LOGEMENT‘’
Prenant en outre fait et cause pour les bailleurs, Elle déclare : ‘’ Les bailleurs et les locataires ne doivent pas être dans des situations de dos à dos. Nous devons savoir que ces bailleurs ont investi, ont choisi de mettre leurs biens en location. C’est une épargne. Ce montant de loyer sert quelquefois à subvenir aux besoins de la famille, à rembourser parce qu’il est adossé parfois à un crédit immobilier qui a été fait sur la base de loyers estimés.‘’ Dans ce cadre, pense-t-elle, il est important de ne pas occulter ce fait et dire du jour au lendemain que les loyers vont baisser. ‘’Il faut équilibrer les mesures qui vont avantager les locataires, mais aussi ne pas occulter que des bailleurs ont des droits et des obligations. Il ne faut pas occulter les charges. Quand le loyer est enregistré, il y a le coût de l’enregistrement de 2%. Quand vous prenez la TOM, c’est 3,6%. Quand vous prenez les impôts, ces impôts peuvent aller jusqu’à 40% du montant du loyer global‘’, plaide la représentante de l’ANAIS. De son avis, dire que le bailleur doit tout accepter pourrait démotiver les futurs propriétaires qui auraient envie d’investir dans le logement. ‘’Il y a un déficit de logement et l’Etat ne peut pas satisfaire tout le monde. Il faudrait peut-être inciter d’autres personnes à investir, à construire des logements à usage locatif mais pour ça, il faudrait les accompagner en créant par exemple des exonérations, des modes d’accompagnement relatifs aux promoteurs et aux propriétaires privés‘’, note-t-elle tout en rappelant aussi qu’il faudra accompagner les promoteurs dans les offres de location-vente. Une proposition appuyée par le président de l’ordre national des experts, Mohamed Lamine Sarr qui prône la nécessité d’augmenter l’offre de logement-locatif. ‘’Plus on aura de logements locatifs disponibles, plus on aura la possibilité de réguler et de maîtriser le coût du loyer’’, renseigne M. Sarr Mise en place d’un observatoire
Dans la même veine, il soutient que le marché de l’immobilier, il faut le connaître, l’analyser, le maîtriser pour voir dans quelle mesure il faut y adopter la loi sans problèmes. La prise en charge de l’écosystème locatif, d’après lui, est importante dans toutes ses composantes. ‘’Les agences immobilières sont le dernier élément du maillon. Elles sont au stade de la consommation, elles ne fixent pas le loyer. C’est le propriétaire qui fixe son loyer en tenant compte de l’antécédent et l’antécédent, c’est la filière. Dire que le loyer, c’est simplement les agences, c’est réducteur. C’est pourquoi l’Observatoire du marché, c’est quelque chose qu’il faut instaurer rapidement‘’, fait-il savoir. De son avis, le rôle de l’observatoire donc ne sera pas de réprimer les gens qui ne respectent pas la loi. Mais, renseigne-il, une vitrine qui permet d’avoir l’information sur le niveau du loyer dans tout le secteur. ‘’Les gens raisonnent par comparaison. Mon voisin a loué à 100 mille, je loue à 100 mille. Il faut des référentiels solides et puissants dans chaque quartier. L’observatoire servira à informer le consommateur pour dans chaque quartier, quelles sont les disponibilités’’, affirme le président de l’ONES.
LE PROGRAMME DES 100 MILLE LOGEMENTS, UNE SOLUTION
Répondant à certaines interpellations, le chargé de suivi et régulation au ministère de l’Urbanisme est revenu sur le programme des 100 mille logements. Selon lui, pour trouver une solution, le premier point, c’est une production massive de logements. Saluant dans la foulée la mise en place d’un dispositif adapté avec le projet ‘’100 mille logements‘’, qui offre un foncier gratuit bien aménagé aux promoteurs qui vont réaliser les logements.
ME BASSIROU SAKHO, PRESIDENT ADLS : «LA LOI 2014 A ETE PRISE POUR REGLER DES QUESTIONS CONJONCTURELLES DANS LA PRECIPITATION»
Pour le président de l’ADLS, la loi 2014 qui a été prise pour régler des questions conjoncturelles l’a été dans la précipitation. ‘’Ce qui justifie un tout petit peu l’échec de cette loi. Nous avions, à l’époque, considéré qu’il fallait trouver une solution alternative mais dans l’unique but de permettre à l’autorité, sur une période relativement courte de 5 ans, de régler définitivement la question du loyer à Dakar. Si nous sommes appelés à réfléchir à nouveau sur la question du loyer, et si on doit emprunter le même procédé, on risque d’aboutir aux mêmes résultats’’, déplore la robe noire. L’avocat insiste lui aussi sur l’impératif de mettre sur pied un observatoire. ‘’C’est d’abord pour régler tout de suite la question du loyer en demandant à tout locataire et bailleurs de venir déclarer son bail à ce niveau-là. Cet observatoire vous permettra, dans un délai court d’un an, de collecter toutes les données. Parce que nous n’avons pas des données fiables. Nous ne savons pas aujourd’hui le nombre exact de locataires à Dakar, sur le nombre de bailleurs qui donnent pas leur propriété à leurs agences‘’, prône-t-iltout ajoutant que le locataire est la partie faible de la relation contractuelle. ‘’Et entre le fort et le faible, c’est la loi qui libère’’, plaide Me Sakho.
MOMAR NDAO, ASCOSEN : ‘’BEAUCOUP DE BAILLEURS SONT AU MINISTERE DES FINANCES’’
Visiblement très remonté contre le ministre des Finances, le président de l’association des consommateurs Momar Ndao a soutenu que ce ministère est à la base de toutes les difficultés. ‘’C’est le ministère des Finances qui est compétent en matière de loyer. Et depuis 2014, est-ce que vous avez entendu le ministère des Finances parler de loyer ? Ils font tous le mort. Parce que beaucoup de bailleurs sont dans ce ministère et dans ces zones‘’, fulmine-t-il. Précisant aussi que la responsabilité est partagée concernant le coût du loyer, il déclare : ‘’La loi a été très bien faite mais le problème que nous avons, c’est l’application. Le consommateur ne paie pas le loyer. 57% ont des problèmes de paiement irréguliers. Le deuxième, c’est les bailleurs, ils veulent tous gagner. Et le troisième, c’est l’Etat.’’