TRACES ET STIGMATES DE LA MÉMOIRE DE PONTY
Plateaux de Belvédère, cimetière mixte, le village indigène, les trois bâtiments, la « Roudax »… l’École normale William Ponty, au-delà des bâtiments qui le constituaient, c’est quelques lieux de mémoire qui ont contribué à forger son histoire

Après Diamniadio, sur la Route nationale 2, juste avant l’hôpital pour enfants, une piste latéritique bifurque à gauche. À cause de la pluie de la veille, dont les eaux l’ont recouverte en partie, et les travaux de construction d’un pont qui enjambera le tracé du Train express régional (Ter), cette route est particulièrement difficile pour les automobilistes. Mais une fois l’obstacle de l’eau stagnante traversé, tout le reste de la chaussée est en parfait état. Cette route, les anciens normaliens l’appelaient « Route d’accès », en apocopée, cela donne « Roudax ». Elle garde encore cette appellation et conduit directement au site de l’École normale William Ponty en traversant le cœur du village de Sébi Ponty qui, à l’époque, s’appelait le « village indigène ». C’est là-bas qu’habitaient la plupart des membres du personnel africain de l’établissement. En effet, le transfert de l’école de Gorée à Sébikotane, en 1937, ne concernait pas que les élèves, le personnel enseignant et administratif, mais était également concerné le petit personnel. Parmi eux, des mulâtres et des mulâtresses.
Village de Sébi Ponty, par la grâce de William
C’est la raison pour laquelle, juste à quelques encablures de l’école, l’embryon de ce qui est aujourd’hui Sébi Ponty a été créé, en même temps que l’école. « Le village indigène, les normaliens l’appelaient « La Gaule ». Tout autour, il y avait des carrières pour la construction de la route nationale appelée à l’époque « la route coloniale ». Il y avait aussi des pistes carrossables, quelques ponts suspendus, des chignons géodésiques, des dortoirs… », se rappelle le Pr Mamadou Kandji, natif de Sébikotane et ancien pensionnaire de Ponty.
La « Roudax » et le village de Sébi Ponty font partie aujourd’hui des traces et stigmates qui permettent, en dehors du site principal, d’entretenir la mémoire de l’École normale William Ponty. On compte, parmi ces lieux de mémoire, le Plateau de Belvédère. Il se trouve à quelque deux kilomètres de l’école. On y accède par des chemins de campagne dans une zone escarpée, propice au maraîchage, faite d’une succession de dunes et de vallons. Aujourd’hui en proie à d’interminables conflits fonciers, les lieux sont habités par des Peuls.
À l’entrée du village, un espace surélevé colonisé par un tapis herbacé avec, en contrebas, un lit d’un petit cours d’eau se singularise : on l’appelle « Sébi discours ». Selon Djiby Sangole, habitant de Sébi Ponty, confirmé par le Pr Kandji, c’est à cet endroit qu’étaient célébrées toutes les festivités de l’École normale William Ponty, notamment la fête du 14 juillet, les feux de camp, les bals, les fêtes de fin d’année… Autant d’événements au cours desquels se tenaient des discours…
Nécropole mixte
Au nord de l’école, non loin du site qui accueille le Parc de technologie numérique (Ptn), caché derrière d’épaisses broussailles, on trouve le cimetière mixte. Dans cette nécropole, musulmans et chrétiens cohabitent dans le repos éternel, comme en attestent les épitaphes sur les pierres tombales, avec des noms et patronymes bien en évidence. Sauf quelques tombes anonymes numérotées de 1 à 9 « qui s’inscrivent dans une temporalité qui part de 1924, date de la garnison militaire, jusqu’au départ de l’École de William Ponty en 1965 », estime le Pr Kandji. Aujourd’hui, seuls les chrétiens continuent d’y enterrer leurs morts, les musulmans ont ouvert un autre cimetière. « Il faut inscrire ce cimetière dans l’esprit de Ponty, c’est-à-dire le brassage de toutes les communautés, y compris les communautés post-mortem, l’intégration plurielle en somme », ajoute le Doyen honoraire de la Faculté des Lettres de l’Ucad.
Par le passé, une nécropole fut découverte à l’emplacement du grand amphithéâtre de l’école et fut appelée « cimetière malgache ». Il semblerait qu’il s’agit de restes de soldats malgaches en poste à la garnison militaire qui furent décimés par une épidémie. Tout autour, des baobabs cimetières appelés « Loufs » où les sérères animistes gardaient leurs morts ont existé.
L’École normale William Ponty ayant été installée à la hâte à Sébikotane, le système d’adduction d’eau était loin de pouvoir satisfaire les besoins de la population. C’est ainsi que l’administration coloniale a décidé de mettre en place une station de pompage avec un dispositif mécanique qui aspirait et pompait l’eau vers des pipelines qui, sur un kilomètre, remplissaient le château d’eau qui permettait d’alimenter et l’école et le village indigène. Ce château d’eau est encore visible dans l’enceinte de ce qui est aujourd’hui un centre de formation pénitentiaire.
Parmi les traces et stigmates de la mémoire coloniale liée à l’École normale William Ponty, il y a la gare de Sébikhotane devenue aujourd’hui un lieu de commerce. « L’école a été construite dans le même continuum spatio-temporel que la gare. Dans la politique coloniale, quand les normaliens viennent, ils descendent à la gare et continuent à pied les 2,5 km qui séparent les deux lieux. Il y avait aussi de petits tramways qui empruntaient les rails secondaires et qui prenaient deux ou trois passagers et des marchandises pour le ravitaillement de l’école. La gare avait ses adjuvants, notamment la Poste, le Secco où se faisaient des transactions liées à l’arachide », explique le Pr Kandji.