VOYAGE AUX ILES KARONES
Ziguinchor, c’est sa diversité culturelle et religieuse. Elle est également appréciée par la générosité de la nature

Ziguinchor, c’est sa diversité culturelle et religieuse. Elle est également appréciée par la générosité de la nature. Une zone écologique qui a fini de séduire les tour-opérateurs qui ont fait de la région une destination touristique privilégiée. Dans ce magnifique paysage si généreux, l’archipel des Karones, situé sur la rive droite du fleuve Casamance, est composé de 14 îles qui regorgent de belles plages, une sublime mangrove et des îles d’oiseaux comme celles de Kalisay et Kasel. Cependant, la culture du chanvre indien fait que le peuple Karone est oublié et stigmatisé par l’Etat. Découverte d’un coin paradisiaque à l’abandon à cause de la rébellion casamançaise.
Dans un passé très récent, avant les années 2000, dans l’île de Saloulou, la pêche était l’activité phare. C’était le point de convergence de toutes les communautés. Un brassage ethnique qui faisait le charme de cette île pas comme les autres. Toutes les communautés s’y retrouvaient. Les Sèrères de Joal, les Lébous de Yenn. Ce, sans oublier les pêcheurs Nigérians et Ghanéens. De ce fait, le secteur de la pêche était un vrai pourvoyeur d’emplois.
A travers ce brassage ethnique, l’île de Saloulou vivait au rythme d’un métissage culturel qui aurait fait frémir de bonheur le poète –président Sèrère. Une belle harmonie qui a été, hélas, brisée par les rebelles du MFDC. Lesquels avaient ciblé cette partie de l’île avec des attaques récurrentes qui ont fini par tuer l’économie de cette partie du pays. « Ils ont pillé, volé, agressé, tué des innocents sans défense. L’Etat n’ayant pas proposé une alternative pour désenclaver, sécuriser et développer l’archipel des Karones, ces insulaires sont laissés à leurs propres sorts », déplore un habitant de l’île. Le peuple Korone, installé dans le département de Bignona, plus précisément dans la commune de Kafountine, est très riche en culture. C’est l’un des peuples les plus égalitaires du sous-groupe Diola. Cependant, la culture du chanvre indien fait que ce sous-groupe soit stigmatisé et délaissé par l’Etat. Les rares postes de santé dépourvus de matériels et de personnels ne servent qu’à soigner des plaies. Ce qui fait que les femmes en couche éprouvent toutes les peines du monde à se faire évacuer dans les centres de la région.
Les pirogues devant les évacuer n’étant pas médicalisées, beaucoup d’entre elles meurent ou perdent leur enfant au cours de leur évacuation dans les pirogues. Les toilettes publiques construites sur certaines îles sont les résultats d’une coopération avec des pays européens. L’école de Saloulou dont la vétusté faisait craindre le pire pour les apprenants, a été réfectionnée par les anciens élèves, étudiants et cadres du village. Ceci pour permettre aux écoliers qui sont en classe d’examen d’avoir les mêmes chances de réussite que les candidats à l’entrée en sixième qui sont à Sacré Cœur ou dans d’autres prestigieux établissements de la capitale. Autres problèmes dans l’archipel des Karones, il n’existe point de château d’eau. Les habitants des îles profitent souvent de l’hivernage pour remplir des vingtaines de bidons de 20 litres pour les 7 voire 8 mois prochains de la période sèche. Les îles qui composent l’archipel sont : KaÏlo, Boune, Hillo, Kouba etc,..
La nostalgie des années passées
Dans les années 80, la pêche était l’activité pourvoyeuse d’emplois. La plage de l’île de Saloulou, vitrine de l’archipel des Karones, concurrençait fortement celle de Kafountine. « La pêche était l’activité principale des habitants de l’archipel. Les autres habitants des différents villages venaient à Saloulou pour chercher du travail. Le quai de pêche fonctionnait à merveille. La vue était magnifique car il y avait une trentaine de pirogues de pêche qui s’arrimaient au bord des rives de l’île. Il nous arrivait d’avoir 45. 000 FCFA par jour » se rappelle nostalgique de cette période prospère, la vieille Suzanne Diedhiou.
Dans un tel environnement, les jeunes gagnaient dignement leur vie. Le brasage à la fois humaine et culturel faisait le charme des îles Karones. Car les gens se mariaient avec toutes les autres communautés. Les pêcheurs de la sous-région comme les Guinéens, les Nigérians et les pêcheurs ghanéens, sans oublier les pêcheurs Lébous et sérères qui habitaient également dans l’île. Certains avaient ainsi pu arriver à construire des maisons où ils vivaient avec leurs différentes familles. L’école élémentaire était le lieu par excellence qui symbolisait ce brassage humain. « A l’époque, il y avait tous les noms et prénoms du Sénégal et d’autres pays de la sous-région dans cette école. Vous imaginez, j’ai appris la langue wolof sur les îles », fait savoir Benoit Diédhiou étudiant doctorant à la Faculté des sciences juridiques.
Notre interlocuteur fait savoir que l’archipel regorge d’importants secteurs qui pourraient participer de façon harmonieuse au développement du pays. « L’école élémentaire où l’on trouvait toutes les communautés ethniques a bercé nos premiers pas. Mais après les attaques des rebelles dans les années 1997- 1998, ce fut la descente aux enfers », fait savoir M. Diedhiou. Les rebelles du MFDC ont vite fait de tuer la pêche et toutes les autres activités économiques qui offraient un cadre de vie aux insulaires. « L’île devenue une zone de non droit, les rebelles ont versé le sang de pauvres innocents, incendié des pirogues. Et par conséquent, ils ont tristement décrété la mort économique des habitants de l’archipel », se désole un vieil homme aujourd’hui installé dans la capitale et loin des siens.
La culture du chanvre indien et la stigmatisation de l’Etat
A la merci des rebelles, les îles Karones ont été tristement désignées avec la réputation de terre du chanvre indien. En effet, il suffit juste de surfer sur la toile pour voir l’étiquette qui leur est collée à la peau. Et ce même si la culture du chanvre indien dans les l’archipel des Karone n’est plus un sujet tabou. La rancœur des insulaires, c’est d’être pointés du doigt comme étant des producteurs de l’herbe qui tue alors que les iles n’ont plus ce monopole. La culture du chanvre se faisant un peu partout dans le pays. « Qu’est-ce que l’Etat du Sénégal offre comme alternative afin d’éradiquer la culture du chanvre indien », s’interroge un habitant qui déplore l’absence de soutien de l’Etat qui s’est complétement désengagé de son rôle régalien.
Et pourtant, la belle mangrove serpentée, qui s’allonge sur des km, peut devenir une source d’attractivité touristique afin de donner un nouveau souffle à un secteur qui n’arrive plus à nourrir ses enfants. Surtout en cette période de pandémie. Pour lutter contre l’érosion côtière, la mangrove peut être bien utilisée afin de freiner cette menace permanente qui n’est plus à prouver. Dans cette partie de la Casamance, les tortues de mer sont bien présentes et cela peut attirer plusieurs ONG environnementalistes. Ce qui pourrait procurer plusieurs emplois à ces gens qui sont dans les champs de culture de la plante interdite. Ce, sans oublier les deux niches d’oiseaux qui sont à Sankoy et à Kassel et qui pourraient attirer des milliers de touristes.
L’ancrage à la culture et l’importance que ce sous-groupe Diola accorde aux esprits des anciens est matérialisé par un certain rituel. Il s’agit d’être en contact direct avec les esprits des Anciens afin de solliciter une bonne pluie, chasser les mauvais esprits ou interroger un défunt. Des pratiques qui pourraient surprendre ceux qui n’appartiennent pas à ce groupe. Un peuple riche en culture et qui a toujours vécu en harmonie avec les autres. Une belle idylle qui a été, hélas, brisée par l’irrédentisme casamançais. Vivement la vraie paix pour faire revivre cette belle époque dont les habitants des iles Karones sont nostalgiques.