CE QUI SE PASSE DANS NOTRE SOCIETE DEPASSE PARFOIS L’ENTENDEMENT
PALABRES AVEC… Zaccaria GUEYE, Ecrivain- Chercheur - Dans cet entretien, l’écrivain revient sur son parcours, sa vision de l’écriture et les thèmes abordés dans ses livres.

Ecrivain et chercheur, M. Zaccaria Gueye a déjà signé une riche production littéraire. Discret et bourré d’un grand talent de conteur, ses œuvres s’apprécient par la qualité de l’écriture et son ancrage sur les réalités sociologiques africaines. Son dernier roman, « L’appel de…la mère » aborde la question de l’émigration irrégulière. Dans cet entretien, l’écrivain revient sur son parcours, sa vision de l’écriture et les thèmes abordés dans ses livres.
Qui est Zaccaria Gueye ?
Zaccaria Gueye est un écrivain et chercheur qui est né à Saint-Louis où il a fait ses études élémentaires et secondaires et une partie de ses études supérieures.
M. Gueye, en quel moment vous vous êtes dit que vous allez écrire un livre ?
Je crois que l’idée est venue d’un ami (il va se reconnaître) avec qui je discutais. Après avoir écouté son histoire, je lui ai, à mon tour, raconté quelques épisodes de ma vie. Séduit et impressionné par mon récit, et surtout par la sérénité avec laquelle je déroulais mon histoire, il m’a suggéré l’idée de l’écrire, étant convaincu que cela allait faire un bel ouvrage.
Et comment écrit-on son premier ouvrage ?
La question est d’autant plus pertinente que tous ceux qui ont envie d’écrire se posent souvent cette question. Je crois qu’au début c’était très simple puisque j’ai suivi les conseils de mon ami, c’est-à-dire me raconter ma propre histoire. Personne n’est mieux placé que soi-même pour se raconter sa propre histoire.
Quel a été le procédé pour arriver à un roman ?
Une fois qu’on a la trame de fond, le reste est une question d’amélioration, mais aussi de modifications et d’adaptation pour éviter de tout centrer sur sa propre personne. Bien sûr, il faut aussi connaître les aspects propres au genre que l’on a choisi, ici le roman, et s’y conformer.
Qu’est-ce que tout cela a donné ?
Cela a donné naissance à « Miroir en vertige », mon premier roman. Mais je dois aussi préciser que cela a été un travail très laborieux auquel ont pris part beaucoup de personnes à qui je rends un hommage mérité, notamment pour la relecture, la correction, la mise en forme, les suggestions, etc.
Dans votre deuxième roman, « Le Gouverneur de Diorbivol », l’ouvrage est traversé par le personnage de l’enseignant intransigeant ‘Cekuta’. Pensez-vous que cette espèce est encore en cours dans nos écoles ?
Ah, oui, bien sûr. Ce roman était le lieu pour rendre hommage à tous ces hommes de l’ombre qui, dans tous les secteurs de la vie professionnelle, abattent un travail de titan sans tambour ni trompette. Ils sont partout ces citoyens rigoureux et consciencieux, pétris de compétence et d’expérience, mais discrets et juste motivés par le goût du travail bien fait.
A côté de Cekuta, son ami Baka qui incarne exactement les valeurs contraires et qui pourtant semble passer à travers les mailles du filet.
C’est ça aussi malheureusement notre société. Les personnes qui ont pour seules armes la ruse, l’éloquence et l’audace parviennent à imposer leur vision, si l’on peut parler de vision, à la société et en déterminer les grandes orientations. Mais il faut reconnaître que ceci n’est pas le propre de notre communauté. Ce sont malheureusement les mêmes règles qui régissent les relations internationales. Cependant, il faut remarquer que la ruse, la roublardise et la malhonnêteté qui les sous-tend, ne peuvent mener que vers une impasse.
L’univers que vous décrivez dans vos romans dévoile souvent un environnement quasi surréaliste avec certaines pratiques peu recommandables.
Affirmatif. C’est effectivement comme disait l’autre, je crois que c’est Stendhal, « le roman est un miroir que l’on traîne le long d’une société ». J’ai essayé le plus possible d’attirer l’attention sur des faits qui, à force d’être banalisés, acceptés et même glorifiés, deviennent le socle même de nos actions quotidiennes.
On peut donc assimiler vos romans à un procès de la société sénégalaise.
Sauf que je ne juge pas, je ne condamne pas. On me reproche même le fait de ne pas prendre position à travers mes personnages. Mais c’est une option que j’assume. J’essaie de présenter des faits, réels ou imaginaires, et laisser au lecteur le soin de juger et d’en tirer les conclusions.
Vous confirmez donc que les faits que vous décrivez ont bien cours dans nos sociétés ?
Vous savez, le roman est pièce de fiction certes, mais il part de la réalité qu’il peut amplifier, exagérer, manipuler, mais il finit par revenir à la réalité. Dans mes romans, la fiction est parfois en deçà de la réalité, car pour éviter de choquer mes lecteurs, je reste à la limite du pudique. C’est aussi un choix de parfois atténuer la réalité, mais ce qui se passe dans notre société dépasse parfois l’entendement.
Est-ce donc étonnant de voir ces mêmes pratiques jusqu’au cœur de nos centres de décisions ?
Je rappelle que l’éducation c’est d’abord un comportement, par les parents, les membres de la famille, les proches, les voisins et enfin, l’école. L’environnement de l’enfant détermine son être, sa personne, sa personnalité. Et l’environnement socio-professionnel n’est qu’un lieu de mise en œuvre de ce formatage préalable.
C’est certainement ce qui explique cette crise généralisée de nos valeurs
On peut le dire ainsi, mais en partie seulement. Je pense aussi que les leaders d’opinion, quelque bord qu’ils appartiennent, ont la plus grande responsabilité dans cette crise. S’ils n’en sont pas la cause, ils en tirent les profits. Et même si ce n’est pas le cas, il y a des moments où le mutisme ne s’explique pas.
Mais vos romans restent quand-même un appel à la paix dans un monde en déconfiture
C’est cela. Malgré l’apparent relent de pessimisme, les personnages restent toujours persuadés de la possibilité d’une issue heureuse. Des amis me reprochent de ne pas donner cette chance à mes héros, mais de les laisser plutôt à la merci de la société. Pourtant, il y a toujours ce brin de lumière, un peu diffus certes, mais que l’on peut, avec un peu de vigilance, déceler.
Parmi vos ouvrages, Tuutaan, la légende du dernier pharaon et les Secrets de l’Obélisque qui laissent entrevoir chez vous un talent de conteur. Pourquoi et pour qui écrivez– vous ces contes et légendes ?
Dans ces deux ouvrages, une sorte de relecture de notre histoire à travers ses mythes fondateurs. A travers le mythe d’Isis et d’Osiris, le premier raconte le Saa Njaay (odyssée) de nos ancêtres depuis leur départ de Sanaar jusqu’à la fondation de l’empire du Jolof par Njaay Jaan Njaay.
Tuutaan est-il vraiment le dernier pharaon de l’Egypte ancienne ?
Pas précisément. Dans la réalité l’Egypte a compté plus de trente dynasties, et l’histoire se passe exactement à la dix-huitième dynastie. Le fait inédit est que pour une fois dans l’histoire de la royauté, l’héritier est le grand père du défunt. Ainsi, avec la mort de Tuutaan, c’est le pouvoir qui perd tout son lustre. Et le grand père de Tuutaan lui-même a été remplacé par le général Horemheb qui marque la naissance de la dynastie des Ramsès, mais aussi le retour en force Seth.
Vous considérez Akhenaton, le père de Tuutaan comme le premier à avoir revendiqué l’unicité de Dieu et dénoncé la pratique du polythéisme dans l’Égypte ancienne…
En effet, d’abord son père Aménophis Trois, puis lui-même Aménophis quatre, surnommé justement Akhenaton le renégat à cause de cette conviction. Mais le plus important à cet effet, est le démenti apporté à ceux qui pensent que les religions révélées sont des religions importées en Afrique. C’est exactement le contraire, sinon comment expliquer cette similarité entre les principaux concepts de la spiritualité égyptienne (Kâ, Râ et Bâ) et les concepts clés de l’Islam, par exemple (Raka, Kaba, Baka, etc.), alors que le prophète de l’Islam, analphabète, n’a jamais mis les pieds en Egypte.
Vous semblez aussi trouver des liens très forts entre l’Egypte ancienne et la civilisation Wolof.
Affirmatif. Mais je précise que le précurseur incontestable dans ce domaine est le Professeur Cheikh Anta Diop.Je donnerai néanmoins quelques exemples très simples : Xèpp (humide en Wolof), pour désigner le Nil ; Ayy (conflit en Wolof), le grand-père et successeur de Tuutaan qui était au cœur de tous les contentieux ; Tuutaan, lui-même, ainsi surnommé parce qu’intronisé à l’âge de neuf ans, etc. Et les exemples foisonnent dans le livre.
Après Tuutaan, vous avez publié les « Secrets de l’Obélisque », pouvez-vous nous en parler ?
On peut dire que c’est la suite et la fin de l’Odyssée, avec toujours une relecture des mythes fondateurs. La particularité dans cet ouvrage est que l’histoire se poursuit sur la période post-mythique et implique des personnages clés de notre histoire culturelle et même politique.
Votre dernier roman s’intitule « l’appel de…la mère », un titre assez évocateur.
En effet. Ce roman relate le phénomène quasi dramatique qui hante le sommeil de tous les humanistes en général, des Africains, en particulier. Ce qui peut pousser des dizaines, des centaines, voire des milliers de jeunes à affronter la mer sur des embarcations de fortune, voilà le mystère que cherche à « dévoiler » le roman.
Avec la différence que dans ce roman vous semblez proposer une solution.
Si tant est que l’on peut parler de solution. Je parlerais plutôt d’une alternative aux initiatives suicidaires. Mais il faut le dire la tentation est trop forte et l’exemple de ceux qui ont réussi la traversée ne rend pas service à ceux qui aspirent à partir.
Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
Si deux ou trois mois après son arrivée en Occident, le jeune immigré commence à envoyer des centaines de mille à sa famille ; un an ou deux après, il commence à construire un château, alors que, je ne parle même pas du sans emploi, mais même le salarié de l’Etat, après vingt ans de service, vit encore en location. Vous voyez ce que cela fait !
Pourtant votre roman ne milite pas en faveur de cette option.
Loin de là. Ce que je viens d’évoquer n’est que la partie visible de l’iceberg. Si, sur dix personnes qui prennent les embarcations quatre arrivent à destination ;sur ces quatre personnes, deux trouvent un travail décent et sur ces deux personnes, une seule arrive à fonder une famille stable, imaginez… Donc, il fallait bien faire voir que le bonheur n’est pas seulement l’accumulation de richesses au détriment de l’épanouissement de soi et des siens. Sans parler de la participation au développement de son pays.
Ainsi, vous êtes l’auteur de cinq ouvrages, lequel vous parait le plus abouti ?
Je dirais que chacun d’entre eux est spécifique dans son genre et dans son contenu. Ils ont, cependant, comme point commun la relecture des fondements mythiques de nos sociétés, sauf peut-être avec « Le Gouverneur de Diorbivol ». Cela ne veut pas dire qu’il est de moindre envergure, loin de là.
Justement dans cet ouvrage publié depuis 2013, vous parlez des jeunes patriotes : hasard, prémonition, vision ?
C’est aussi cela le roman, je l’ai déjà évoqué un peu plus haut : partir de la réalité, se projeter, mais toujours revenir à la réalité. Le déploiement des jeunes patriotes sur la scène politique, fait partie de ces projections. Souhaitons tout simplement que cette vision ne se réalise pas à cent pour cent.
Cinq ouvrages et presque inconnu, ou peu connu du public. C’est la qualité des ouvrages ? La nature de la personne ? Un choix délibéré ?
Peut-être les trois. Je crois que l’écriture est une passion, une profession pour certains, mais la promotion du livre et de la lecture aussi est un métier qui n’est pas forcément celui de l’écrivain.
Et pour l’avenir ?
Juste un souhait : que la chaîne des valeurs du livre et de la lecture soit mieux valorisée.