CONSTRUIRE ET DECONSTRUIRE
Cinéma et migration

Il y a eu La Pirogue de Moussa Touré, à une époque où «tout le monde voulait partir». Partir, le grand saut, la réalisatrice Khadidiatou Sow d’Une place dans l’avion a plutôt préféré en rire… Notre cinéma et ses représentations de la migration, l’économique, l’Humain, les femmes, ou le citoyen, les cloisons, les murs et les barricades… La table-ronde d’hier, vendredi 14 décembre au Cesti, a fait le tour. Un concept de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), pour les besoins de la 3ème édition du Festival international du film sur la migration, qui s’ouvre ce mardi 18 décembre à l’Institut français.
I l nous aura fait tanguer avec sa Pirogue. Moussa Touré ne parle pas vraiment d’ «inspiration», il préfère plutôt parler de «déclencheur. Le réalisateur s’exprimait lors de la table-ronde d’hier, vendredi 14 décembre au Cesti, où l’on a énormément parlé de la façon dont le cinéma, le nôtre mais pas que, s’est donc amusé à représenter la migration. Pour La Pirogue, il y a d’abord eu cette ambiance-là: «Tout le monde voulait partir», et les «lumières d’Espagne» avaient le don d’éblouir nos pêcheurs, de leur en mettre plein la vue. Le réalisateur revient aussi sur cet entretien avec un jeune aventurier, rentré au bercail quelques petits mois plus tard. Son histoire ? Un «voyage vide» et des «silences». Le cinéaste, qui travaille en ce moment sur son prochain film (Nous sommes tous des peuples d’horizons) regrette que nos jeunes n’aient pas d’autres…horizons que le fameux «Mbeuk mi» : se «cogner la tête contre le mur», plonger la tête la première. Un «suicide» ? Moussa Touré n’a pas peur des mots. Dans la filmographie de chez nous, celle qui parle de voyage et d’aventure, il y a le très beau film de Khadidiatou Sow, avec, dans le rôle principal, un Sanekh magistral.
Loin du pathos habituel, l’histoire est drôle, jusqu’au burlesque, mais absolument pas légère. Comme Moussa Touré, la jeune réalisatrice évoque ses rencontres à elle : des jeunes gens pas si mal lotis, pas si désargentés que cela, des familles plus ou moins «stables» où l’on mange encore à sa faim…Jusqu’au grand saut, avec la bénédiction d’une tante ou d’une maman qui va racler ses fonds de tiroir pour financer un voyage à «900.000 francs CFA». Dans le discours, plus ou moins destiné à se justifier, on vous dira qu’ici, «ça ne va pas». La faute aux «médias », aux «télés et (autres) magazines», qui nous vendent du «rêve» et des fantasmes. Pour le producteur Oumar Sall de la maison Cinékap, qui pointe du doigt le côté réducteur pour ne pas dire ridicule de la chose, c’est légitime : tout le monde devrait «pouvoir se déplacer». Oumar Sall, qui est aussi l’heureux producteur du Félicité d’Alain Gomis, fait encore remarquer que les organismes ne s’intéressent que très peu au cinéma. A la place, des «images communicationnelles», ou des «spots publicitaires», mais à quoi bon, ou sinon «pour quel public» ? C’est ce type de lacune que le film de Khadidiatou Sow a comblé selon lui, en se rendant «accessible» à ceux d’entre nous qui ne seraient «pas instruits». Oumar Sall va plus loin, mettant notre société face à ses propres responsabilités, sans «hypocrisie» : «Si les entreprises ne marchent pas, dit-il, les jeunes s’en iront». Idem pour nos télés, qui devraient travailler à de «vrais contenus», si elles veulent «façonner de vrais citoyens».
SORY, AU NOM DE L’HUMAIN
Le réalisateur Pape Abdoulaye Seck, dont le film Sory (loin) sera projeté ce mardi 18 décembre à l’Institut français pour les besoins de la 3ème édition du Festival international du film sur la migration (à l’origine de cette table-ronde) estime justement que l’on ne parle pas assez de «l’Humain», et que «l’économique» a comme qui dirait fini par étouffer le sujet. Sory raconte l’histoire de jeunes Sénégalais devenus «vendeurs à la sauvette à Marrakech». Le réalisateur y évoque donc «l’Humain», les «relations à distance» ; de quoi rendre nos migrants moins transparents, de quoi les «mettre en valeur». La table-ronde d’hier a aussi permis d’aborder un certain nombre de sujets : la question de la migration Nord-Sud, la place des femmes dont on ne parle que très peu, pas plus que de «Celles qui attendent», pour reprendre le titre de l’ouvrage de Fatou Diome…Comme on ne parle pas, non plus, du moins pas assez, des nombreux «cas de divorce» ou de la «misère sexuelle». Quant au migrant, difficile de détricoter l’image de sauveur ou de héros qui lui colle à la peau ; suffisant pour vendre du rêve ! Autour de la table, il a aussi été question de décloisonner ce genre de discussions, autrement dit d’en parler extra muros, dans nos banlieues pas si lointaines, d’où partent justement la plupart de ceux qui s’en vont… Dans la peau du modérateur, Baba Diop, qui a donc eu le dernier mot, s’est dit «contre l’approche économiste». Pour l’expérimenté journaliste et critique de cinéma, c’est «notre mentalité» qu’il faudrait «décoloniser». C’est une bonne chose que d’offrir de l’emploi, ajoutera t-il, mais si nos jeunes sont convaincus que «le meilleur est ailleurs», à quoi bon ?! Le paradoxe de nos sociétés selon lui ? Ce «monde planétaire», où l’on «élève les murs» et «dresse des barricades».