POURQUOI HABITER DAKAR EST UN CAUCHEMAR
La capitale est congestionnée, certes. Mais surtout, les logements y ont été trop longtemps conçus « à l’occidentale » plutôt que pour répondre au mode de vie des habitants. L’architecte Nzinga Biegueng Mboup explique comment on en est arrivé là

Plusieurs théories expliquent l’origine du nom de Dakar. Pour certains, c’est la présence sur la presqu’île du Cap-Vert de nombreux tamariniers (daxar gi, en wolof) qui a donné son nom à la ville. Pour d’autres, il découle de l’expression dekk raw (« pays refuge ») que les familles lébous ont donné à la zone où elles ont trouvé asile pour fuir le damel (le souverain) du Cayor, au XVe siècle. Elles seront progressivement délogées de ce qui est devenu le centre-ville de la capitale sénégalaise à l’arrivée des colons français. S’en suit un siècle d’importantes modifications de la ville, qui permet d’expliquer aujourd’hui la « mésentente profonde » des Dakarois avec leur logement.
L’architecte sénégalaise Nzinga Biegueng Mboup a exploré les raisons historiques, politiques et architecturales, qui ont créé cette situation, et analysé l’évolution du logement dans la ville depuis 1857. La jeune femme a fait ses armes aux côtés de l’architecte ghanéen David Adjaye – connu pour s’être affranchi des canons d’architecture occidentaux -, avant de revenir s’installer à Dakar. Cofondatrice du collectif Worofila, qui promeut la construction bioclimatique au Sénégal, elle s’est spécialisée dans la construction en terre.
Nzinga B. Mboup a conçu l’exposition Habiter Dakar, en collaboration avec sa consœur française Caroline Geffriaud (qui vit et exerce, elle aussi, dans la capitale sénégalaise), où elle montre les profondes mutations de la ville et comment le logement y a été pensé depuis la colonisation. Sans oublier de proposer diverses pistes qui permettraient aux Dakarois de se réconcilier avec leur habitat. Pandémie oblige, l’exposition virtuelle est accessible sur Facebook (et téléchargeable sur le site du Goethe-Institut Senegal).
Jeune Afrique : Dans Habiter Dakar, vous abordez les grandes étapes de construction de la ville en vous concentrant sur l’évolution du logement. Pourquoi un tel choix ?
Nzinga Biegueng Mboup : Nous avons retenu le logement comme sujet critique pour repenser la ville. Nous voulions expliquer pourquoi il n’est pas adapté au contexte social et économique, pourquoi il ne répond pas aux attentes des habitants en matière de confort thermique, de place, de conception urbanistique. À partir d’une analyse historique, nous avons voulu comprendre comment on en était arrivé là, et proposer des solutions.
Analyser le logement permet aussi de comprendre l’organisation de l’espace public. On voit par exemple que la rue est devenue l’extension des habitations. De la même manière, la très forte occupation du territoire induit un problème d’écoulement des eaux qui explique les inondations et les difficultés en matière d’assainissement.
Dans la partie historique, vous revenez sur l’arrivée des colons, en 1857. Comment s’articule cette « ingérence d’une nouvelle manière d’habiter » ?
Avant l’arrivée des Français, la majorité des villages lébous (divisés en douze penc, « terroirs ») étaient situés dans la pointe de Dakar, autour du port. Le premier plan de la ville est tracé par les Français. Certaines bâtisses sont alors construites. Progressivement, alors que le rôle politique de Dakar s’accroît, surtout lorsqu’elle devient la capitale de l’Afrique occidentale française [AOF, en 1902], les Français construisent de plus en plus d’infrastructures autour du port, déplaçant les habitations lébous vers l’Ouest. En 1914, lorsqu’éclate une épidémie de peste, l’administration française indexe « l’insalubrité » des Africains et crée la Médina. Avec ce quartier « indigène », le Plateau devient une ville majoritairement blanche.