Guinée-Bissau
UNE ECONOMIE DEPENDANTE DES NOIX D’ACAJOU

La noix de cajou est le principal produit d'exportation de la Guinée-Bissau, représentant plus de 17% des recettes fiscales et plus de 90% des exportations totales. Mais, environ 60 000 tonnes du produit sortent chaque année clandestinement du pays vers le Sénégal.
Bom... toca na Guiné... Ma ami nka tene Fala... Na bay Guinée... Nka lussa.(Ndlr (en français): Le Bombolong des lendemains meilleurs a lancé son appel. J’ai perdu la voix pour le relayer.Je vais rentrer en Guinée-Bissau.)» Ces paroles, en créole portugais, entonnées par le célèbre chanteur Rui Sangara lors des premières élections démocratiques de 1994 sont remises au goût du jour pour les besoins du recensement électoral. En cette chaude matinée d’octobre 2018, un véhicule pick-up arborant de gros baffles sillonnent les artères de la capitale diffusant de belles notes de Bombolong.
Les Bissau-guinéens sont sensibilisés à aller s’inscrire sur les listes électorales en vue des élections législatives. En effet, le pays est en proie à une instabilité politique depuis 2015. Mais cette situation n’a pas entravé l’essor de l’exploitation de l’anacarde dans cette République lusophone de l'Afrique de l'Ouest. Considéré comme le 4ème producteur en Afrique de l’Ouest et 8ème exportateur mondial d’anacarde, la Guinée Bissau exporte 96% de sa production vers l’Inde et les 4% restants vers le Vietnam.
Pour une bonne maitrise de la filière et une régulation du secteur, l’Etat bissau-guinéen a créé depuis 2012 une Agence Nationale Cajou (Anca) qui a pour objectif de réguler le secteur. Et selon, le Directeur du service de promotion et du développement, Abdoulaye Sow plus de 90% des productions des cellules familiales de la Guinée-Bissau sont tournées vers la production des noix de cajou, ce qui représente, dit-il, plus de 90% du PIB Bissau guinéen
EXPLOSION DU MARCHE NOIR A DESTINATION DU SENEGAL
Et pour fixer le prix de référence, la loi donne l’ANCA, le privilège de réguler le marché. Mais le Directeur des services de règlementation et des Affaires juridiques de l’ANCA, Andres Gomis, révèle des ingérences «politiques» qui dépassent largement le cadre économique de la commercialisation de l’anacarde. «C’est ce qui a entrainé l’augmentation du prix à 1000 FCFA.
L’ANCA avait proposé 500 francs le kilo. Mais, le chef de l’Etat a voulu que le prix de référence soit fixé à 1000 francs», a-t-il déclaré. De leurs côtés, les Indiens ont fait semblant de boycotter le marché pour faire chuter les prix et favoriser le commerce clandestin vers le Sénégal. Et selon l ’ANCA, en moyenne 50.000 à 60.000 tonnes de cajou sortent chaque année clandestinement du pays. «Une fuite massive des noix s’effectue en direction du Sénégal». Par ailleurs, le président de l’Association nationale des agriculteurs de Guinée-Bissau (Anag), Jaime Boles Gomes, indique que le secteur du cajou est totalement désorganisé dans son pays, pointant du doigt les techniques de production rudimentaires et obsolètes. Ce qui, dit-il, n’est pas sans impact sur la productivité, sans compter les attaques d’insectes. Hélas, dit-il, le gouvernement bissau-guinéen qui tire beaucoup de taxes de ce produit n’apporte guère de soutien aux producteurs d’anacardes.
Et la dernière initiative en faveur des producteurs fut un échec. Selon M. Gomes, l’Etat avait créé un Fonds pour la promotion de l'industrialisation des produits agricoles (FUNPI) en 2011. Ce fonds a été constitué à partir d’une taxe prélevée sur les opérateurs du secteur de la noix de cajou, principal produit d'exportation du pays. Le fonds avait généré 16 millions d'euros, soit un peu plus de 10 milliards FCFA entre 2011, année de création de ce fonds, et 2014, date à laquelle le gouvernement a ordonné sa suspension. «Aucun franc n’a été reversé à notre association pour améliorer la culture du cajou en Guinée Bissau.
Et ce fonds a disparu comme cela», s’est-il désolé. Malheureusement, force est de constater que la production depuis 2016 connaît une tendance baissière. Une situation due aux attaques d’insectes, au vieillissement des plantations d’anacardiers. Et le ministère de l’Agriculture ne fait rien pour changer la donne, selon l’ANCA. Aujourd’hui, la superficie occupée par les plantations d’anacardier tourne autour de 445.000 hectares. Ce qui représente 5% du territoire avec une production de 400 à 450 Kg par hectare.
SAO DOMINGO, POINT FOCAL DES FRAUDEURS
Cette année, la Guinée Bissau a tardé à écouler ses stocks. Au mois d’octobre, trois mois après la fin de la campagne, à l’entrée de Bissau, des hommes, torses nus éparpillent des amas de noix posés sur des bâches à l’entrée de la capitale pour le séchage. Vêtus de Bermuda, en sueur comme s’ils étaient enduits d’huile, ils s’activent dans leur besogne sous un soleil ardent. Toutefois, si certains spéculateurs bissau-guinéens ont raté leur campagne, ce n’est pas le cas pour les commerçants de Sao Domingo, dernière grande ville de Guinée Bissau avant la région de Ziguinchor toute proche. Cette ville est à 115 km de Bissau et 27 km de Ziguinchor. Ici, Abdoulaye Ba fait partie des barons de la filière anacarde.
Devant son magasin à Sao Domingo, des dizaines de camions stationnés en file indienne attendent de recevoir leurs cargaisons. Ces engins transportent en cette période des produits alimentaires. Mais en période de campagne, leur principale cargaison est le cajou. Pour Abdoulaye Ba, teint clair et svelte, rien ne vaut plus que le cajou en période de campagne. Ce commerçant peulh, vivant à Sao Domingo, est devenu au fil des années un acteur incontournable de l’exploitation de l’anacarde dans cette région. Il emploie une dizaine de personnes dans son magasin de produits alimentaires.
A l’occasion de la saison de l’anacarde, il fait travailler une cinquantaine de collecteurs. «Je suis en règle avec l’Etat bissau-guinéen. Je paie 150.000FCFA au ministère du Commerce pour avoir une autorisation de campagne, puis 1.500.000 FCFA au ministère des Finances pour avoir l’autorisation d’amener le produit à Bissau. J’ai collecté cette année 1675 tonnes. Le prix de la tonne me revient à 500.000 voire 700.000 FCFA. J’achète le kilo de cajou à 500 voire700FCFA.Pour le transport, c’est 300.000 FCFA par camion», a-t-il expliqué. Avec son partenaire indien, il fustige la cherté des taxes qui, selon lui, asphyxie la filière. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, beaucoup d’Indiens ont fui la Guinée vers Ziguinchor.
Et malgré l’interdiction par le gouvernement Bissau-guinéen de tout transport de noix de cajou par voie terrestre, la plupart des villages autour de Sao Domingo continuent de vendre leurs récoltes à Ziguinchor. En passant par la brousse avec des vélos ou des tricycles qui font parvenir le produit à des intermédiaires Indiens massés le long des frontières. A Sao Domingo, en 20 minutes, sur une moto Jakarta, on peut traverser la frontière, sans contrôle au poste frontière, via les routes clandestines sous les bois pour ressortir à Mpack. Des routes de ce genre sont nombreuses. Elles servent de circuits parallèles de distribution de la noix de cajou et autres produits illicites.