L'AFRIQUE DESSINE SA SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE
L'Association des Banques Centrales Africaines a franchi une étape décisive dans le projet de monnaie unique continentale avec l'adoption des statuts de l'Institut Monétaire Africain, qui préparera la création de la future Banque Centrale Africaine

Le siège de la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) a abrité hier la première réunion statutaire de l'année en cours de l'Association des Banques Centrales Africaines. Au cœur des discussions, l'avancement des projets clés pour la mise en place d'une monnaie unique africaine, la consolidation de l'intégration financière du continent et les défis économiques actuels.
Réunis à Dakar hier, les membres de l'Association des Banques Centrales Africaines (ABCA) ont relancé les discussions sur la création d'une monnaie unique et de l'intégration financière du continent. Entre adoption des statuts de l'Institut Monétaire Africaine, stratégie pour les paiements mobiles et plaidoyer pour une autonomie économique accrue, la rencontre marque une nouvelle étape vers une souveraineté monétaire africaine.
Parmi les dossiers phares examinés figure le projet de statuts de l'Institut Monétaire Africain (IMA), approuvé lors de la réunion ministérielle du Comité Technique Spécialisé (CTS) en novembre 2024. L'IMA, qui sera basé à Abuja, au Nigeria, servira d'organe transitoire pour la création de la future Banque Centrale Africaine (BCA). Ses missions couvriront des aspects techniques, juridiques, institutionnels et statistiques en vue du lancement d'une monnaie unique africaine. Le document de référence définit également sa gouvernance, articulée autour d'un conseil d'administration, d'un comité technique de convergence, d'un secrétariat, et de liens étroits avec la Commission de l'Union africaine (CUA), les banques centrales, les instituts monétaires régionaux et les institutions internationales.
Un autre point de la rencontre concerne l'élaboration d'une stratégie continentale d'intégration des paiements mobiles. Le but affiché est de faciliter les échanges commerciaux intra-africains et promouvoir l'inclusion financière, en appui à la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Cette initiative s'inscrit dans l'Agenda 2063 de l'Union africaine, qui vise à faire passer la part des échanges intra-africains de 12% en 2013 à 50% d'ici 2045.
Un contexte mondial incertain
S'exprimant à l'ouverture des travaux, Jean-Claude Kassi Brou, gouverneur de la BCEAO, a salué la volonté des États de bâtir un système monétaire africain « intégré, stable, résilient et porteur d'opportunités ». Il a toutefois mis en garde contre un environnement international tendu, marqué par la montée des tensions commerciales, les aléas climatiques et la pression croissante sur la soutenabilité des dettes publiques. Cependant, il a salué les bonnes perspectives au sein de l'Union, malgré les nombreux défis. En effet, la croissance économique du continent est projetée à 6,4% et l'inflation devrait se maintenir dans la fourchette cible de 1 à 3%. Le gouverneur a réaffirmé l'engagement de la BCEAO en faveur de la coopération monétaire africaine.
Plaidoyer pour l'intégration monétaire
Présidant la séance, Dr Rama Krishna Sithanen, président de l'ABCA et ancien ministre des Finances de Maurice, a appelé à une intensification de l'intégration monétaire et financière. Face aux risques de fragmentation géoéconomique, à la dépendance persistante au dollar et à la montée des mesures protectionnistes, il a insisté sur la coopération entre banques centrales africaines comme rempart à la vulnérabilité économique du continent. Il a également encouragé les États à adopter les normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), tout en modernisant leurs législations nationales.
Dr Sithanen a par ailleurs dénoncé le coût élevé des envois de fonds vers l'Afrique subsaharienne, estimé à 8,37% selon le rapport 2024 de la Banque mondiale. Il a plaidé pour des solutions alternatives afin de réduire ces frais et renforcer les flux financiers intra-africains. Il s'est enfin félicité de l'initiative de création d'une agence africaine de notation financière par l'Union africaine, adaptée aux réalités locales, et a salué le potentiel de la ZLECAf malgré son sous-usage, imputé à un déficit d'infrastructures, de financements et de facilités douanières.
Appelant à une plus grande autonomie des États dans la mobilisation des ressources internes, il appelle tous les États à se mobiliser face à une « aide publique au développement ». « Nous devons nous tenir debout et entreprendre les réformes nécessaires pour attirer les investisseurs institutionnels », a-t-il conclu son propos.