«L’ETAT EST COINCÉ ET N’A PLUS LES MOYENS DE LA RÉSILIENCE»
Le Sénégal va vers de lendemains très sombres, si l’on en croit l’économiste Mounirou Ndiaye.

Le Sénégal va vers de lendemains très sombres, si l’on en croit l’économiste Mounirou Ndiaye. Invité de l’émission «Objection» sur «Sud Fm», l’enseignant-chercheur à l’université Iba Der Thiam de Thiès pense que l’Etat n’a plus les moyens de la résilience. Par conséquent, il demande aux Sénégalais de rehausser leur niveau de productivité, parce que des dangers guettent l’économie du pays.
Le Président Macky Sall et son régime seraient-ils dans l’impasse pour résoudre les difficultés économiques qui assaillent le Sénégal ? La réponse est affirmative, si l’on se fie aux propos de l’économiste Mounirou Ndiaye. Invité hier de l’émission «Objection» sur «Sud Fm», l’enseignant-chercheur célèbre pour ses nombreuses publications sur l’économie renseigne : «Il y a eu un arrêt des appareils productifs pendant un certain temps en 2020.Il y a une campagne de rattrapage sur les stocks, il y a eu aussi une dynamique internationale qui a impacté sur les coûts à la hausse».
Se montrant alarmiste, Dr Ndiaye recommande d’ores et déjà aux Sénégalais d’aller travailler et de chercher les moyens. «Il faut qu’on se focalise sur le pouvoir d’achat que nous allons subir. Il faut que les populations soient sensibilisées sur ce qui se passe. Il y a des tensions sur les stocks, des tensions sur le coût et des tensions sur le fret maritime qui fait que les coûts vont augmenter sur le plan international alors que nous importants 40% de ce que nous consommons», indique Mounirou Ndiaye qui fait un diagnostic peu reluisant de la situation économique du pays. «L’Etat est coincé, il n’a plus les moyens de la résilience. Il faudrait que tous les Sénégalais le sachent », dit-il.
Si l’on n’y prend garde, avertit-il, l’Etat va se retrouver avec des problèmes insolubles. «Il y a eu une dette qui était attendue à 55% en 2020 et qui a grimpé à 67%. Nous avons une inflation qui est en train de grimper. Le déficit public, qui était attendu à 3% et qui a atteint 6, 2% en 2020, risque de s’aggraver. Où voulez-vous que l’Etat trouve les moyens pour faire les subventions qu’on attend et bloquer les prix ? Il faut tirer les conséquences pour les populations. Il faut que les Sénégalais sachent que maintenant ils doivent se réconcilier avec le pouvoir d’achat, le travail, la productivité», souligne l’économiste. «L’interférence de la politique sur l’économie fait que les décisions publiques ne tiennent pas compte des données probantes»
Dans la même veine, il annonce que des dangers guettent les populations à cause de l’économie numérique pour laquelle ils ne sont pas préparés. «Les métiers intermédiaires disparaissent, il y a du chômage silencieux. Les vendeurs de cartes de crédit, on ne les voie plus. Dans quelques mois, il y aura le passage entre un compte bancaire et Wave. Le billet d’avion, on l’achète maintenant par E-dreams, les gens ne vont plus dans les agences de voyage. La Société Générale avait même déclaré qu’en 2020 elle n’aurait plus besoin de ses guichetiers. Malgré cela, nous ne nous sommes pas toujours préparés. Nous continuons à faire de la politique. Les dangers sont là et nous guettent», clame-t-il un tantinet pessimiste. Dans la foulée, il pense que l’interférence de la politique sur l’économie est telle que les décisions publiques ne tiennent pas compte des données probantes.
Pour attester cela, il rappelle : «Quant on signait un contrat avec Bin Laden Group, les autorités nous avaient dit que l’aéroport allait coûter 229 milliards Fcfa alors qu’il a couté 431 milliards Fcfa. Elles avaient fait une mauvaise évaluation et il y a eu 5 avenants. La licence de Tigo a été vendue à 50 millions Fcfa, au bout de 10 ans, elle a généré plus de 52 milliards Fcfa de chiffre d’affaires». Evoquant le rapport de l’Ansd sur la pauvreté, Dr Mounirou Ndiaye a soutenu que beaucoup de Sénégalais sont de plus en plus pauvres. Toutefois, il estime que cela ne remet pas en cause les efforts pour trouver des solutions aux problèmes des populations. «A partir de 2012, il y a eu les bourses de sécurité familiale qui ont servi à un certain nombre de ménages. Il y a eu également la CMU qui a permis à certains ménages d’amortir les dépenses liées à la santé», relève l’économiste.
«NOS STRUCTURES ÉCONOMIQUES SONT EXTREMEMENT FAIBLES»
Ces efforts, souligne Mounirou Ndiaye, sont amoindris par beaucoup de déconvenues. «Outre les problèmes conjoncturels, la Covid a entrainé des éléments structurels qui ont persisté. Sur le plan institutionnel, on parle de transparence des marchés. Mais l’Agence de Régulation des Marchés (Arm) ne s’intéresse pas à tous les produits. L’Arm n’a pas les compétences pour dévoiler la régulation sur tous les secteurs. Elle ne s’intéresse qu’à certains produits agricoles tels que le riz, l’oignon, la pomme de terre. Pour l’autoroute et le sucre, elle devrait avoir des compétences pour dérouler des enquêtes sectorielles. Aujourd’hui, si on avait un bon régulateur du point de vue institutionnel avec toutes les prérogatives et tous les moyens, on aurait pu déployer beaucoup d’actions pour mesurer la dynamique des coûts», explique-t-il.
Pour lui, il est impossible de demander à un commerçant de baisser ses prix, si le gouvernement ne maitrise pas ses coûts. «Il peut déclarer un coût qui est erroné, mais on ne peut pas le savoir, parce ce qu’il n’y a pas d’organes forts pour pouvoir contrôler», s’insurge Dr Ndiaye avant d’ajouter : «Quel crédit donner à la Cour des Comptes par rapport à la manière dont l’Etat traite les rapports que cette Cour publie chaque année ?. L’Armp, l’Ofnac publient chaque année des rapports qui n’ont sont pas suivis d’effets. Il y a beaucoup de problèmes sur le plan institutionnel qui font que nos structures économiques sont extrêmement faibles».
Déplorant par ailleurs le faible impact du secteur privé national, il considère qu’aucune mesure n’est appliquée pour protéger les intérêts des nationaux. «Aujourd’hui, 34% du PIB sont issus des entreprises européennes, 25% des entreprises françaises. Si on ajoute cela aux intérêts marocains, turcs, indiens, qu’est-ce qui reste ? », se demande Dr Mounirou Ndiaye