L'AFRIQUE LÂCHERA-T-ELLE L'IRAN ?
Entre coopération nucléaire, ventes d'armes et formation militaire, la République islamique avait fait du continent un pilier de sa stratégie d'expansion. Un château de cartes désormais menacé

(SenePlus) - Les bombardements israéliens qui s'abattent sur l'Iran depuis le 13 juin marquent un tournant décisif dans l'histoire récente de la République islamique. Ces frappes, d'une sophistication tactique inédite, ciblent les hauts dirigeants militaires et les centres stratégiques de commandement, révélant une volonté manifeste d'affaiblir durablement les capacités décisionnelles iraniennes, selon l'analyse de Jeune Afrique. Au-delà des enjeux régionaux, ce conflit pourrait redistribuer les cartes de l'influence iranienne en Afrique, continent que Téhéran considère depuis des décennies comme une zone stratégique prioritaire.
Le vote du 12 juin à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) condamnant l'Iran pour "non-respect" de ses obligations nucléaires a révélé les fractures du continent africain sur cette question sensible. Seul le Burkina Faso s'est joint à la Russie et à la Chine pour voter contre cette résolution, témoignant d'un alignement assumé sur Téhéran. Cette position s'inscrit dans une dynamique de rapprochement accélérée : la junte militaire burkinabè, au pouvoir depuis 2022, a signé en septembre 2024 un mémorandum d'entente avec l'Organisation iranienne de l'énergie atomique pour renforcer la coopération "en matière de recherche et de formation nucléaires", rapporte Jeune Afrique.
Cette collaboration nucléaire s'accompagne d'un partenariat militaire approfondi. En novembre 2023, l'ambassadeur iranien à Ouagadougou négociait déjà avec le ministre burkinabè des Affaires étrangères le renforcement des relations de défense, "incluant l'exportation d'équipements militaires, leur maintenance et la formation des forces de sécurité locales". Plus récemment, la visite d'Ahmad-Reza Radan, commandant de la police iranienne, au Burkina Faso illustre cette intensification des liens sécuritaires.
Face à cette alliance assumée, d'autres nations africaines ont adopté une posture plus nuancée. L'Afrique du Sud, l'Égypte, le Ghana et l'Algérie se sont abstenus lors du vote à l'AIEA, optant pour un équilibre délicat entre leurs intérêts énergétiques et les pressions internationales. Ces pays "défendent le droit de l'Iran à l'énergie nucléaire à des fins civiles tout en réaffirmant leur engagement envers la non-prolifération", analyse Jeune Afrique.
L'Afrique du Sud illustre parfaitement cette ambivalence. En février dernier, Pretoria déclarait qu'elle "pourrait se tourner vers la Russie ou l'Iran pour accroître sa capacité nucléaire civile", avant de nier toute coopération nucléaire bilatérale avec Téhéran suite aux accusations de Donald Trump. Cette valse-hésitation reflète les tensions géopolitiques qui traversent le continent.
À l'opposé, le Maroc a voté en faveur de la résolution, confirmant ses relations tendues avec Téhéran en raison du "soutien iranien au Front Polisario". Rabat "rejette fermement toute dimension militaire" du programme nucléaire iranien, témoignant d'une "méfiance enracinée dans la suspicion persistante envers les ambitions expansionnistes du régime iranien", selon Jeune Afrique.
L'exportation de la révolution : une stratégie idéologique assumée
Cette expansion iranienne en Afrique s'appuie sur les fondements idéologiques de la Constitution postrévolutionnaire, qui consacre le principe de "l'exportation de la révolution" et du soutien aux nations opposées à l'Occident. Affaiblie économiquement par des décennies de sanctions, notamment dans le secteur pétrolier, la République islamique "ne dispose plus d'atouts économiques majeurs à offrir" et "mise désormais sur ses capacités militaires", explique Jeune Afrique.
Cette stratégie porte ses fruits. Quelques jours avant sa mort dans une frappe israélienne, le chef d'état-major des forces armées iraniennes, Mohammad Bagheri, déclarait publiquement que les exportations d'armements de la République islamique avaient "considérablement augmenté" sous la présidence d'Ebrahim Raïssi, atteignant un niveau "trois fois supérieur" à celui des années précédentes.
Cette montée en puissance s'accompagne d'initiatives concrètes sur le terrain africain. Après une tournée diplomatique d'Ebrahim Raïssi au Zimbabwe, au Kenya et en Ouganda, son vice-président Rouhollah Dehghani annonçait la mise en place de "centres spécialisés en Afrique, notamment en Ouganda, pour fournir des services liés aux drones iraniens". Lors du troisième sommet de coopération Iran-Afrique, tenu du 27 au 29 avril à Téhéran, le président Massoud Pezechkian déclarait que son pays était prêt à partager "toutes ses capacités et réalisations", y compris dans le domaine de la "sécurité", avec ses partenaires africains.
L'un des dossiers les plus sensibles concerne les supposées négociations avec le Niger. En mars 2024, le Wall Street Journal révélait que des responsables américains redoutaient "un accord secret permettant à l'Iran d'accéder à l'uranium nigérien", les négociations ayant atteint un stade "avancé". Le quotidien français Le Monde confirmait par la suite que "la junte militaire au pouvoir au Niger maintenait son intention de vendre à Téhéran plusieurs centaines de tonnes d'uranium raffiné", également appelé "yellowcake".
Cette architecture d'influence iranienne en Afrique pourrait s'effondrer si le conflit avec Israël se prolonge. Comme l'analyse Jeune Afrique, "bien que l'influence extérieure de la République islamique s'appuie sur un socle idéologique, sa véritable crédibilité tient à sa force militaire". Une dégradation des capacités balistiques et de drones iraniens "réduirait fortement sa marge de manœuvre dans la région et au-delà, notamment en Afrique".
Le paradoxe iranien est saisissant : alors que de hauts responsables, dont les conseillers du Guide suprême Ali Khamenei, reconnaissent posséder la "capacité" de fabriquer l'arme atomique, Israël a fait de "l'élimination du programme nucléaire iranien" l'un des "objectifs prioritaires de sa campagne militaire". Si cet objectif devait être atteint, "les bases des partenariats nucléaires entre l'Iran et ses partenaires à travers le monde, y compris les collaborations récemment établies avec l'Afrique, seraient profondément remises en question", prévient Jeune Afrique.
L'Iran se trouve ainsi à la croisée des chemins : soit il résiste au défi israélien et consolide son influence africaine, soit il sort affaibli de ce conflit et voit "son influence internationale se réduire à une coquille vide, fardée d'un discours révolutionnaire mais privée de levier d'action concret". Pour l'Afrique, l'enjeu est de taille : la redistribution des cartes géopolitiques pourrait redéfinir les équilibres continentaux pour les décennies à venir.