MACKY ACCABLÉ DANS L’AFFAIRE DU FONCIER PIKINE-GUÉDIAWAYE
Simples exécutants ou vrais coupables ? Dans ce dossier, plusieurs hauts fonctionnaires sont poursuivis pour un projet qui était pourtant une directive présidentielle, d'après de nombreux documents consultés par Sud Quotidien

Après l’ex-ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall, le dossier explosif du foncier du tribunal de Pikine-Guédiawaye continue d’impliquer de hauts responsables. Abdoulaye Sy, ex-Dage du ministère de la Justice, El Hadji Mamadou Diao, ancien directeur des Domaines, ainsi que Daouda Diallo, ex-chef du bureau des Domaines et du Cadastre, portent désormais un bracelet électronique. D’après les informations du journal Libération, un mandat d’arrêt a également été émis contre Mamadou Gueye, lui aussi ex-directeur des Domaines, actuellement semble-t-il hors du territoire national. Pourtant, nombre de ces fonctionnaires n’auraient été que de simples exécutants de directives émanant de l’ex-chef de l’État Macky Sall. Sud Quotidien a pu consulter plusieurs correspondances officielles qui accréditent cette thèse.
L’instruction de construire un Tribunal de Grande instance a Pikine-Guediawaye est claire. Les ordres venaient de l’ancien Chef de l’Etat, le président de la République, Macky Sall.
Selon des documents reçus a Sud Quotidien tout a commencé en mai 2018, lorsque le ministère de la Justice d’alors, dans le cadre du Projet d’Appui au Renforcement de l’État de droit financé par l’Union européenne via le 11ème FED, sollicite officiellement l’affectation d’un terrain. Objectif : ériger le Tribunal de Grande Instance de Pikine–Guédiawaye, dans une optique de modernisation de la carte judiciaire.
Dans une lettre estampillée « très urgent », l’ancien ministre des Finances et du Budget, écrit, à l’endroit au directeur général des impôts et domaines.
« Par lettre en date du 8 mai 2018, le ministère de la Justice avait sollicité l'affectation d'une parcelle de terrain pour les besoins de la construction du Tribunal de Grande Instance de Pikine - Guédiawaye. Le financement de l’infrastructure est obtenu dans le cadre du 11ème FED auprès de l’Union Européenne pour le Projet d'Appui au renforcement de l'Etat de droit.
Dans cette perspective, un terrain a été ciblé à Pikine, d'une superficie de 2ha 80a 10ca, à distraire du titre foncier n°407/DP appartenant à l'Etat du Sénégal et affecté au ministère des Forces Armées en 1971 pour les besoins du Camp militaire de Thiaroye.
Saisie du dossier, la Commission de contrôle des opérations domaniales a, au cours de sa consultation à domicile du 29 mai 2019, émis un avis favorable. Par la suite, l'Autorité Supérieure a demandé la préservation de l'emprise du Camp militaire, et les prospections au niveau de la zone dite « bande des filaos » à Guédiawaye entamées n'avaient pas abouti en raison du plan déménagement qui était en cours d'étude au niveau de l'urbanisme. Aujourd'hui, il est devenu urgent de faire une proposition d'affectation sur cette bande en vue de permettre la finalisation de :
- l'affectation au ministère de la justice d'un terrain de 2 ha pour les besoins du Tribunal de grande Instance de Pikine - Guédiawaye ;
- l'affectation d'un terrain de 5000m2 à la Ville de Guédiawaye pour la réalisation d'un centre de formation professionnelle », peut-on lire sur la lettre écrite le 8 avril 2021.
On comprend dès lors que la première option a été abandonnée pour cause de conflit d’usage. Ainsi, une première emprise est identifiée à Thiaroye, sur 2 ha 80 a 10 ça, au sein du Camp militaire (TF n°407/DP, affecté aux Forces Armées depuis 1971). Sauf qu’il y a un problème parce que les autorités militaires exigent le maintien intégral du périmètre du camp. Cette piste est encore abandonnée.
D’où le recentrage stratégique sur la bande des filaos de Guédiawaye. La recherche s’oriente alors à cet endroit.
Un Plan d’Urbanisme de Détail (PUD) est conçu, validé à tous les niveaux (Conseil municipal, Comité régional d’urbanisme présidé par le Gouverneur) et approuvé par décret présidentiel n°2021-701 du 4 juin 2021, ce qui le rend opposable et exécutoire.
Suivra une parcelle définie et redimensionnée sur instruction. Initialement, le site prévu pour le Tribunal couvrait 2 ha 80 a 10 ça. Mais la lettre ministérielle susmentionnée oriente une réduction à 2 hectares.
Cette décision est confirmée par le ministère de l’Urbanisme dans le cadre du PUD. Dans une lettre du ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique au ministre des Finances et du Budget, il est écrit : « Par lettre citée en seconde référence, je vous avais saisi relativement en exécution des Directives de son Excellence, Monsieur le Président de la République en vous transmettant le Plan d’Urbanisme de Détails de la bande à filao de Guédiawaye pour suite à donner.
Ce plan à la demande de la ville, avait été approuvé par le Conseil municipal et le Comité régionale d'Urbanisme présidé par le Gouverneur de la région de Dakar. Il a été par la suite approuvé par décret n° 2021- 701 du 04 juin 2021 le rendant ainsi exécutoire. C'est pourquoi, je vous transmets à nouveau le plan approuvé par décret avec une intégration des projets du KMS3 relativement aux servitudes à préserver ». « Des discussions sont en cours avec l'AGETIP et les services de l'Environnement pour l'aménagement du site et la délivrance de l'autorisation de coupe d'arbres. Vous voudrez bien instruire vos services à finaliser les procédures domaniales sur la base du plan approuvé qui constitue le seul document de planification spatiale existant et approuvé ».
Un lotissement technique du reliquat de surface
Mais qu’en est-il des 8 010 m² restants ? C’est là où git le problème. Ils ont fait l’objet d’un lotissement administratif de 36 parcelles. La répartition suivante aurait été proposée : 26 bénéficiaires issus d’une liste transmise par le ministère de la Justice ; 4 parcelles pour les agents de la direction des Domaines ; 3 pour le Cadastre ; 3 pour l’Urbanisme. Nos sources précisent qu’il s’agissait là d’un « processus formel et documenté, instruit par lettres ministérielles ».
Une opération suspendue par la ccod avant toute exécution
C’est dans ce contexte que la Commission de Contrôle des Opérations Domaniales (CCOD) s’invite à son tour dans le dossier. Elle émet une réserve claire sur la procédure, et demande l’annulation du lotissement. Aucune attribution définitive n’aura finalement lieu. Le projet finira par être gelé avant tout transfert de propriété et l’État n’en subira aucun préjudice foncier ni financier. Toutefois, ce dossier révèle les limites d’un système où la chaîne de responsabilité entre autorités politiques et agents techniques reste floue, laissant ces derniers assumer seuls les conséquences.