«NOUS AVONS BESOIN D’UN INDEX QUI MESURE LES FLUX FINANCIERS ILLICITES»
Trois questions à… Ebrima Sall, directeur exécutif de Trust Africa

Ancien directeur exécutif du Codesria, l’universitaire gambien Ebrima Sall, est aujourd’hui à la tête de Trust Africa, organisme spécialisé dans le renforcement des capacités des agences africaines intervenant dans le domaine de la justice politique, économique et sociale, etc. Il revient, dans cet entretien, sur les enjeux liés aux flux financiers illicites.
Quelle est la prochaine étape dans la lutte contre les flux financiers illicites en provenance d’Afrique ?
Il faut agir à quatre niveaux. Premièrement, il faut avoir des instruments d’évaluation pour savoir ce qu’il faut entendre par Flux financiers illicites, comment les mesurer selon les contextes et les différents circuits empruntés par ces flux. Deuxièmement, pour le côté plaidoyer, il faudrait que la société civile fasse plus que ce qu’elle a fait jusque-là. Il faut aller plus loin, saisir les gouvernements pour avoir les informations, oser même produire des rapports alternatifs là où les gouvernements sont frileux, parce qu’il a été constaté que le panel de haut niveau mis en place par l’Union africaine et dirigé par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, n’a pas réussi à produire un seul rapport depuis trois ans, parce que les gouvernements se montrent réticents à lui fournir les données. La société civile pourrait non seulement sensibiliser, mettre la pression sur les gouvernements, mais aussi produire ses propres documents afin de donner une idée de l’évolution de ces flux. Troisièmement, il faut renforcer les capacités techniques sur le plan juridique (l’analyse et le suivi), la maîtrise des circuits empruntés, etc. On sait que 65% de ces flux se font dans le commerce (avec de fausses facturations dans certaines transactions afin de minorer les taxes à payer aux gouvernements). Quatrièmement, il faut renforcer la coopération internationale entre les Etats, parce que ces flux financiers illicites atterrissent généralement dans les pays du Nord ou dans des paradis fiscaux.
Les hydrocarbures constituent l’un des secteurs les plus exposés. Comment voyez-vous l’arsenal juridique et institutionnel mis en place par le Sénégal pour encadrer l’exploitation de ses gisements de pétrole et de gaz ?
Je n’ai pas étudié de près l’arsenal juridique et institutionnel pour le cas spécifique du Sénégal, mais je sais qu’il devrait être assez robuste. Pour deux raisons. D’abord, la capacité technique existe au Sénégal, avec des juristes parmi les plus performants sur les plans africain et mondial. Deuxièmement, il y a maintenant des pratiques établies et des acquis sur ce plan. Le Sénégal peut tirer des leçons sur l’expérience des autres pays producteurs d’hydrocarbures. A mon avis, il n’y a pas de problème de capacités techniques pour le Sénégal. Cependant, il faut une cohérence des politiques, notamment en matière fiscale. Parfois, ce sont les incitations fiscales qui ouvrent la voie à certaines pratiques menant aux flux financiers illicites.
Qui sont les bons et les mauvais élèves en Afrique dans la lutte contre les Ffi ?
Les chiffres donnent une idée des pays et même les secteurs où le phénomène est le plus grave. Mais, il faut être très prudent avec les chiffres dans la mesure où quand il n’y a pas de reporting sur un pays parce que l’appareil statistique ne permet pas d’avoir les données, on peut se retrouver avec des chiffres très faibles, alors que la réalité est souvent très différente. Ce qu’il faut, c’est travailler sur la mise en place d’un index, un instrument de mesure fiable, qui peut être appliqué dans plusieurs contextes et qui permet de faire des comparaisons entre pays et les secteurs. Ce qui est sûr, c’est que le secteur minier et celui des hydrocarbures sont les plus touchés par le fléau. Il suffit de regarder les pays qui ont des ressources minières pour se faire une idée.