CÉSAIRE : FONDATION D’UNE POÉTIQUE, DE MAMADOU SOULEY BA
EXCLUSIF SENEPLUS - Le sémiologue sénégalais décortique l'œuvre du poète martiniquais et révèle les ressorts d'une création poétique exceptionnelle, née de la révolte contre l'ordre colonial

Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Césaire : Fondation d’une poétique de Mamadou Souley Ba est un grand ouvrage d’analyse littéraire. En croisant l’acte littéraire, l’anthropologie, la linguistique, la sémiotique et la pragmatique dans l'œuvre césairienne, Mamadou Souley Ba livre un essai interdisciplinaire très érudit, passionnant et intemporel.
Publié en 2005 aux éditions de l’Harmattan, cet ouvrage est une mine d’exploration du travail d’Aimé Césaire, destinée à ceux qui cherchent à comprendre l’invention dans l'œuvre du poète martiniquais. Chercheur en lettres et sémiologue, Mamadou Souley Ba est un grand spécialiste des littératures négro-africaines et il propose ici une relecture savante de Césaire ou une revisite de l’analyse littéraire césairienne qui offre des angles multiples d’interprétation.
On savait déjà que la poétique d’Aimé Césaire est l’expression de la rupture littéraire. Un « schisme » littéraire lié au contexte historique de la colonisation, moment où Césaire invente le mot négritude et son mouvement, et qui inscrit durablement l’éclat de la culture négro-africaine.
Mais la poétique d’Aimé Césaire est aussi celle du conflit intérieur, la dualité universelle propre à l’être et à son existence. Le doute de l’identité chez Césaire s’installe car il repousse « l’antillanité » des masques, ou des singeries européennes, en même temps qu’il embrasse les paysages de l’île qui sont la matérialité de son regard.
Ainsi, en remontant l’histoire, il conçoit l’exil des Antilles comme une injustice profonde, séparées de la terre ancestrale africaine qui est l’essence de la culture noire et écartée de la métropole française.
Aimé Césaire est également l’inventeur d’une langue particulière car intrinsèquement il est rebelle. Et toute son invention langagière s’oppose au système colonial français. Ainsi il redessine l’espace pluriel de la francophonie en faisant revivre la réalité négro-africaine qui a été entravée depuis des siècles mais qui respire intimement et intensément sous le joug des empires dévastateurs.
Aimé Césaire foudroie alors les codes de la poésie classique pour faire vivre le rythme négro-africain, pour signifier l’essence originelle d’une culture ensevelie par la déportation, l’esclavage et la colonisation. Les voix poétiques, murmurantes et rugissantes, remontent aux origines pour faire exploser le « volcan » césairien.
Dans cette poétique nouvelle, Aimé Césaire engage le présupposé, le cliché des images du monde noir inventées par l’homme blanc pour le détourner en une vérité cathartique.
En cela, il est un créateur poétique exceptionnel qui invente un rythme époustouflant, fait d’anacoluthes récurrentes, avec des envolées lyriques telle des forteresses ancestrales puis composant des vers saccadés, morcelés, fragmentés, déclinant une sensibilité singulière. Mamadou Souley Ba parle d’un rythme à trois temps qui marque la fondation poétique de Césaire.
Ainsi, Césaire allie le fond et la forme pour créer un nouvel imaginaire où la cadence négro-africaine renaît comme un dogme inaltérable. C’est dans ce nœud poétique absolu que se trouve l’engagement de Césaire, à la fois poétique, historique et existentiel.
Mamadou Souley Ba explique aussi qu’Aimé Césaire est un chercheur textuel au sein de sa propre création. Et que de cette énonciation recomposée, semblable à un palimpseste, s’écrit le signifiant et le signifié, comme « une écriture en écho d’elle-même ».
Mamadou Souley Ba évoque également chez Césaire une « orchestration polyphonique d’un thème obsessionnel » qui cherche les « harmonies » et les « résonances ». Césaire impose ainsi « l’écriture d’un totem », la signification d’un motif pluriel qui n’est jamais abouti et qui se métamorphose continûment.
Césaire est l’inventeur d’une ambivalence imaginaire par une forme langagière démultipliée dans ses symboles. De fait, Mamadou Souley Ba décortique les énoncés poétiques d’Aimé Césaire, tout comme Lilyan Kesteloot évoquait l’importance lexicale césairienne dans son anthologie négro-africaine.
La poésie de Césaire est l’expression ultime d’une altérité culturelle qui ne se replie jamais, et où le poète questionne en permanence les « limites », les « frontières », les « seuils » d’un entendement commun.
Ainsi l’écriture de Césaire est faite de tous ces paradoxes, que la réalité imaginative est un chemin équivoque et que son harmonie réside dans cette espèce de foisonnement et de simplicité apparente. L’esthétique césairienne est ce déplacement autonome des retrouvailles avec la culture d’origine pour former une réincarnation poétique, salvatrice et moderne.
Car il n’y a jamais d’enfermement dans la dialectique césairienne, il y a une invention constante qui se prolonge dans sa lecture-écriture et au son d’un mouvement esthétique ininterrompu.
Mamadou Souley Ba souligne encore que l’épopée césairienne est un « formidable programme de remise en chantier d’une culture sur les chantiers de l’Histoire », tout en proposant d’en briser le « cercle », la « spirale », « l’anneau » pour à la fois veiller à sa différence mais aussi à engager son dépassement séculaire.
Cette échappée poétique libre conduit ainsi à défaire la logique identitaire figée, tout en prévalant les « effets multiples, imprévisibles, incalculables et interminables » d’une nouvelle énonciation historique.
Aimé Césaire, nous dit encore Mamadou Souley Ba, est l’inventeur d’une topologie littéraire qui est à même de se mouvoir sans cesse dans le paysage littéraire contemporain.
La proposition du livre de Mamadou Souley Ba est brillante, complexe et relance la modernité exceptionnelle de l'œuvre d’Aimé Césaire. Cet essai nous dit aussi combien la lecture esthétique et historique de l'œuvre de Césaire est abyssale et qu’elle est à la mesure de l’exigence de la grande littérature. Cette lecture revisitée procède d’une grande ambition littéraire qui s’inscrit dans la démarche césairienne, celle d’une œuvre gravée pour la postérité dans la littérature mondiale.
Amadou Elimane Kane, écrivain poète.
Césaire : Fondation d’une poétique, Mamadou Souley Ba, essai, éditions L’Harmattan, Paris, 2005.
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