LA TRICHERIE À L’ÉCOLE N’EST QUE LE REFLET DE CELLE QUE L’ON TROUVE DANS LA SOCIÉTÉ
La fraude est devenue fréquente et banale dans notre société. Elle a fini par atteindre tous les segments de la société avec des Sénégalais partisans du moindre effort et de la facilité

Des textes de 1960 gouvernent l’école sénégalaise de 2021. La triche à l’école est à ce point répandue que le mérite n’est plus important aux yeux des élèves qui la prennent pour une prison sans issue. C’est du moins ce qui ressort des analyses faites par les syndicalistes enseignants Tamsir Bakhoum du Saemss et Dame Mbodj du Cusems Authentique. A les en croire, tous les cas de fraudes découverts montrent l’échec de l’école de Jules Ferry qui serait en déphasage avec nos réalités socioculturelles.
« Team Pékesse », du nom de ce groupe Whatsapp créé par une vingtaine de candidats libres à l’examen du baccalauréat 2021 pour pouvoir tricher, serait-il le reflet de la société sénégalaise en général ? En tous les cas, 15 élèves candidats libres au bac ont été pris en flagrant délit de triche jeudi dernier, premier jour de l’examen du baccalauréat. Ils auraient quitté Dakar pour rallier Pékesse à la recherche du premier diplôme de l’enseignement supérieur.
Membres du groupe dit « Team Pékesse », ils s’étaient organisés avec un complice qui serait à Dakar pour traiter les sujets proposés. Selon Tamsir Bakhoum du Syndicat autonome des Enseignants du Moyen et Secondaire du Sénégal (Saemss), les évènements qui ont accompagné l’année académique 2020-2021 sont « catastrophiques » et « déplorables ». Au-delà des agressions perpétrées par des apprenants sur leurs enseignants, des élèves, candidats au bac, se sont adonnés à la triche.
Pour le cas des candidats du centre de Pékesse, M. Bakhoum pense que la responsabilité de l’école, qui a envoyé ces élèves, candidats libres, est engagée dans cette affaire de fraude. Le centre d’examen de Pékesse aussi. « Parce que quoi qu’il puisse advenir, il y a des surveillants qui ont été convoqués pour être dans les classes. Devant la porte de l’école du centre. Je sais que les centres d’examen sont clôturés et fermés. Aucun élève, conformément aux textes de l’office du bac, ne doit accéder au centre avec un téléphone.
Comment ces élèves ont-ils pu franchir la porte de l’école, entrer dans les classes avec leurs téléphones sans être appréhendés ? », se demande-t-il. Il estime que l’enquête doit être poursuivie pour que tous ceux qui ont été complices dans cette affaire puisse être arrêtés. C’est d’autant plus nécessaire selon lui que « ce que nous avons vu pendant l’examen, nous a beaucoup inquiétés. En tout cas, nous du Saemss, nous ne pouvons pas cautionner que des apprenants puissent se comporter de la sorte ». Mais c’est surtout un cas de triche avérée comme celui de Diourbel qui a soulevé tout un tollé au niveau national.
Des interrogations soulevées
La première interrogation qu’il se pose c’est « comment, dans une société comme la nôtre, un homme peut-il accepter de s’habiller comme une demoiselle avec un soutien-gorge, une perruque, une robe et je ne sais quoi encore pour se présenter dans un centre d’examen ? Il y a quelques jours, les gens criaient à l’homosexualité, mais cette affaire est beaucoup plus grave. En raison du contexte surtout. Un contexte d’examen où des milliers de candidats et des centaines d’enseignants sont convoqués. Dans ces conditions, qu’un garçon supposé être un intellectuel, parce que c’est un étudiant, puisse s’habiller en fille sous le seul prétexte que c’est l’amour qui l’a poussé à se comporter ainsi, j’avoue qu’il y a de quoi être interloqué », s’est-il indigné. Le Saems, d’après Bakhoum, interpelle les acteurs de l’école notamment les ministres de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur sur tous ces cas de fraudes. Il invite l’office du Bac a sévir pour que des sanctions administratives et pénales soient prises à l’encontre de ces fraudeurs.
Le Saems interpelle le président de la République en premier et le ministre de l’Education nationale pour qu’ils prennent toutes les dispositions afin de sauver le système éducatif. « Aujourd’hui, quand vous revisitez les textes qui gouvernent notre école, notre système éducatif, les moins anciens datent des années 2000 alors que nous sommes en 2021. Comment peut-on accepter que des textes de 1960 puissent gouverner l’école sénégalaise de 2021 ? Dans un tel contexte, je pense que les acteurs de l’école sont interpellés pour que nous puissions redéfinir une école propre à l’école sénégalaise, à la société sénégalaise et qui sera basée sur nos valeurs et croyances. Une école qui pourra impulser le mérite pour que, demain, aucun enfant ne puisse être pris dans des affaires de fraudes et de triche. En tout cas, nous du Saems, nous disons que les enseignants se sont battus pour terminer les programmes et de la plus belle manière. Ils ont accompli leur mission et rempli leur contrat. Maintenant, si les parents n’ont pas assumé leur rôle d’éduquer et de suivre leurs enfants pour éviter à ceux d’entre eux qui quittent la maison pour aller passer le Bac de se trouver dans une situation de triche, à ce niveau, les parents d’élèves ont failli ».
En faisant ressortir les maux qui gangrènent la société sénégalaise, il admet que « l’école, c’est la société en miniature. L’apprenant et les enseignants sont des membres à part entière de la société. De ce point de vue, toutes les attitudes qui se voient dans l’une se répercutent dans l’autre. Or, nous ne voulons pas que l’école puisse continuer à être un lieu de triche. Elle doit être le lieu de formation de l’élite qui doit porter le développement du Sénégal pour les années à venir ».
Tout le système manipulé
Pour Dame Mbodj du Cusems Authentique, «ils ont manipulé tout le système depuis le début jusqu’à l’organisation des examens avec leur système de repêchage et leur mode de correction... Je l’avais dit l’année dernière quand ils ont rabaissé le niveau des examens, et gonflé les notes dans certaines zones. J’avais dit que il y a un ajout de 10 points dans les résultats globaux, et au niveau national. L’histoire m’a donné raison. Cette année, pour le Cfee, ils ont perdu 10 points : de 72 %, le taux de réussite a chuté jusqu’à 62 %. L’année dernière, ils avaient dit que c’est Mbour département qui était premier pour ce qui est de la région de Thiès. Que la région de Matam était la première région. C’est faux. Ils avaient caché la réalité malheureusement pour eux.
A Pékesse aussi, celui qui l’a fait, ce Diaz le philosophe, n’est pas un professeur de philosophie. C’est l’occasion d’assainir la pléthore d’écoles privées surtout dans la banlieue. La tricherie, c’est en nous, et cela montre l’échec de l’école de Jules Ferry, une école qui ne nous parle pas qui n’a rien à voir avec nos réalité socio-culturelles».
Et de renchérir : «tous ces problèmes, c’est parce qu’ils sont tous issus de cette école française. Les sortants des daara, c’est rare qu’ils soient mêlés dans des histoires de détournements quand ils sont dans les instances de décisions. Ce système d’enseignement ne met pas les modules d’enseignement de valeurs. On prépare l’individu à l’école. Mais quand une école est arrimée à des valeurs autres que les nôtres, les sortants de cette école sont des gens corrompus. Il y a des exceptions à la règle, mais, en majorité, c’est des gens ancrés dans la corruption. Au Sénégal, on a un problèmes d’élites. Les contre- valeurs sont érigées en valeurs. Si un enfant voit tout cela, et sans sanctions, il minimise...».
LA TRICHE : Une pratique ancrée au sein de la société !
La fraude est devenue fréquente et banale dans notre société. Elle a fini par atteindre tous les segments de la société avec des Sénégalais partisans du moindre effort et de la facilité. Des citoyens rencontrés sont d’avis que le mal est tellement profond que notre société ne pourra pas s’en départir aussi facilement…
Les faits deviennent récurrents. La triche fait désormais partie des mauvaises habitudes non seulement des apprenants mais aussi de nos compatriotes évoluant à tous les niveaux de notre société. Avec l’avènement des téléphones portables, le phénomène s’est dangereusement amplifié. Et à chaque année scolaire, son lot de fraudes. En 2018, à Ndouloumadji (dans la région de Matam), lors de l’épreuve anticipée de philosophie, un élève avait été pris en flagrant délit de triche. Il a été surpris en train de manipuler son téléphone portable en salle d’examen. Et ceci, malgré la note de l’Office du Bac qui interdisait formellement l’introduction des téléphones portables au niveau des centres d’examen. Les années passent et les choses se répètent. A Tambacounda, 15 candidats au baccalauréat 2020 avaient été déférés au parquet. Ils étaient accusés de fraude lors des épreuves. Ces candidats dont 13 garçons et 2 filles auraient créé un groupe WhatsApp pour partager les épreuves corrigées. Cette année 2021 a été celle de trop. Les élèves sont passés à un cran supérieur de leurs turpitudes.
L’Office du Bac a ainsi répertorié plus de 100 cas de fraudes au niveau du Bac général 2021 en cours. Selon un communiqué du ministre de l’Education, un groupe d’élèves a été surpris par les surveillants en train de consulter un corrigé d’un des sujets de l’épreuve de philosophie dans leurs téléphones portables au centre du lycée de Pékesse (Inspection d’Académie de Thiès). Le sujet a été traité par un complice à distance et partagé dans un groupe WhatsApp dénommé ‘’Team Pékesse’’. Il s’agit de 15 candidats libres, tous provenant de Pikine et de Guédiawaye. Ils se sont inscrits au Centre académique de l’orientation scolaire et professionnelle (CAOSP) de Thiès. Ces candidats âgés entre 19 et 25 ans ont tous reconnu les faits et vont passer devant la commission de discipline conformément aux textes en vigueur, fait savoir le ministère. Il y a aussi l’image devenue virale dans les réseaux sociaux d’un étudiant qui s’était déguisé en femme pour composer à la place de sa copine.
Des faits de triche que déplorent des citoyens qui craignent qu’elles e généralisent dans le vécu de la société. « Le Sénégalais ne peut pas se départir facilement de la triche. Ce sont des pratiques devenues récurrentes. Et qui risquent de déteindre sur toute une génération. Malheureusement, ces pratiques sont visibles dans tous les segments de la société. Il n’y a pas que les élèves qui trichent. Dans la corporation de la presse, la triche y prévaut avec des émissions qui sont claquées.