AU CAMEROUN, ON EST À LA FIN DU RÈGNE DE PAUL BIYA
Chanteur engagé, Blick Bassy porte un regard hautement singulier sur la situation politique de son pays d’origine, autant que sur les relations entre la France et l’Afrique

Dans son dernier album paru en 2019, il évoquait, de sa voix douce et rauque, la figure tutélaire de Ruben Um Nyobè, leader indépendantiste camerounais assassiné par l’armée française, le 13 septembre 1985. Trois ans après cet opus unanimement salué par la critique, Blick Bassy travaille à l’enregistrement d’une nouveauté à paraître au début de l’année 2023.
Avant cela, l’artiste-musicien créateur du label OtanticA sera au musée du Quai Branly, en juin prochain, pour un spectacle de danse – en marge de l’exposition La route des chefferies bamiléké –, dans lequel cet anticonformiste accorde une place majeure aux artistes féminines. Un geste militant de plus pour celui qui a choisi de chanter en bassa pour sensibiliser à la préservation des langues africaines.
Jamais en retard d’un combat, le guitariste-arrangeur a entrepris de produire de jeunes talents issus du continent. Blick Bassy a également créé la plateforme Wanda-Full pour leur permettre de se repérer dans l’industrie du disque : présenter leur travail, trouver des financements, percevoir leurs droits d’auteur… Un geste de partage pour celui qui s’est notamment fait connaître du grand public occidental après le choix de sa chanson « Kiki » par la marque Apple pour promouvoir la sortie de l’iPhone 6, et qui dit son aversion pour toutes les formes de discrimination.
Jeune Afrique : Vous résidez dans un petit village de 200 habitants près de Saint-Émilion, dans le sud-ouest de la France. Que vous inspire la campagne présidentielle hexagonale ?
Blick Bassy : Nous vivons dans des sociétés où le capitalisme se nourrit de la bêtise humaine. Ceux qui détiennent le pouvoir et souhaitent le conserver se sentent obligés d’attiser la haine des uns envers les autres, et ils trouvent des pions pour cela. Ces derniers se laissent manipuler, convaincus que leurs éventuels déboires viennent forcément de l’autre.
À leurs yeux, le problème n’est ni le capitalisme ni ceux qui dirigent le pays, mais le bouc émissaire qu’on leur a désigné. Quand j’observe le climat qui prévaut en France, j’ai l’impression qu’on pourrait assez vite glisser vers les pires et les plus regrettables atrocités qu’ait connues le pays. À trop tirer sur la corde, on finira par allumer des guerres entre communautés d’une même nation.
À qui pensez-vous quand vous parlez de « ceux qui détiennent le pouvoir et souhaitent le conserver », sachant qu’Éric Zemmour – qui délivre les discours les plus haineux – ne le détient pas, le pouvoir ?
Zemmour est une création de Bolloré, puissant homme d’affaires propriétaire d’entreprises de médias – même si les chaînes de service public ont, elles aussi, contribué à façonner son image. Près de 90 % de l’audiovisuel français répète en boucle les pensées de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Conséquence : certains sondages indiquent que 61 % des Français se disent inquiets du grand remplacement. Évidemment, si les chaînes de télévision se mettaient à seriner à longueur de journée que le chat est un animal dangereux, en six mois, la majorité de ceux qui en ont s’en débarrasserait.
Hitler avait le soutien de la population quand il a décidé d’éliminer les juifs. Au regard des discours haineux régulièrement véhiculés par les polémistes, il est normal que le racisme et l’islamophobie se banalisent. Les termes antiraciste, droit-de-l’hommiste ou wokiste sont devenus des insultes. C’est effrayant.
Selon vous, le pouvoir actuel et les partis traditionnels, eux aussi, se nourrissent de ces discours…
Ils y ont intérêt. Pour remporter les élections, ils agitent un chiffon rouge et se posent en seuls remparts contre les « méchants » qui arrivent. Par pure tactique politicienne, ils laissent infuser la haine.