LES FRANÇAIS NE SONT PAS PRÊTS À RENOUVELER LEUR REGARD SUR L'AFRIQUE
L’écrivaine ivoirienne Tanella Boni appelle à des relations « équilibrées », débarrassées de la condescendance, du racisme et des préjugés

Romancière, philosophe, poète, professeure émérite à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan… L’ivoirienne Tanella Boni est une observatrice prolixe de la réalité de ses concitoyens.
A côté d’une production académique, elle se penche aussi sur des faits d’actualité, comme en témoigne son dernier roman, Sans parole ni poignée de main (Nimba Editions), qui revient sur le scandale des déchets toxiques qui a ébranlé la Côte d’Ivoire en 2006.
Quel est le premier contact avec la France dont vous vous souvenez ?
Tanella Boni Ce n’est pas le premier contact, car au collège au moins 90 % de mes professeurs étaient français, mais voici le premier souvenir qui me revient : je devais avoir une quinzaine d’années lorsque j’ai reçu un prix au lycée, qui m’a permis de faire mon premier voyage en France.
C’était la première fois que je prenais l’avion et je suis arrivée à Paris avec un certain nombre d’Africains venant du Sénégal, de Madagascar, du Niger, du Bénin – qui était à l’époque le Dahomey. Nous avons été accueillis par des Français, mais aussi par des moniteurs africains avec qui je n’ai pas perdu le contact depuis. Je parle de cette expérience, faite pour que les uns et les autres se rencontrent, car je pense que cela manque aujourd’hui aux jeunes. En fait, c’est en France que je me suis ouverte au reste de l’Afrique.
Dans cette Côte d’Ivoire tout juste indépendante des années 1960, quel regard portiez-vous sur ces Français toujours très présents ?
Ils étaient partout, mais je dois dire que si j’ai connu la France in situ à 15 ans, elle était déjà dans les récits de mon père lors de ma petite enfance. Il avait fait la seconde guerre mondiale, avait vécu en France, s’y était fait des amitiés, était revenu avec quelques habitudes, comme le goût du vin, et a su nous inculquer le goût de ce pays en nous laissant libres d’y faire notre propre expérience.
La Côte d’Ivoire et la France entretiennent une relation particulière. Comment la décririez-vous aujourd’hui ?
Politiquement, on a l’impression que tout va bien. Emmanuel Macron, ses ministres viennent régulièrement. C’est un pays où les Français se sentent bien malgré les violences de 2002 [après le déclenchement de la rébellion, la France s’interposa entre les deux camps plutôt que de se ranger derrière le président Laurent Gbagbo], puis de novembre 2004 [de nombreux intérêts français furent vandalisés après la destruction de l’aviation ivoirienne par l’armée française suite au bombardement de l’enclave française de Bouaké].