PEUT-ON COMPARER LE SAHEL ET LA SOMALIE ?
En Somalie comme dans le Sahel central, le vide laissé par des États fragiles permet à toute une série d’acteurs non étatiques d’occuper un espace non contrôlé. Des leçons sont à tirer des similitudes comme des différences entre les deux zones

La Somalie n’a commencé que récemment à établir un véritable État, depuis la chute de Syad Barré en 1990. En revanche, l’État central existe au Sahel, mais semble avoir abandonné ses responsabilités dans les zones éloignées de la capitale ou marginalisées – comme le nord du Mali ou la région de Diffa au sud-est du Niger, grande comme la Tunisie.
Au Sahel comme en Somalie, de vastes superficies se trouvent sous la coupe des groupes islamistes armés. Malgré les défaites qui leur ont été infligées par la force africaine de l’Amisom, les shebabs contrôlent environ le tiers de la Somalie, dont la capitale, qui n’est pas sécurisée. Ils taxent chaque marchandise qui entre dans le port de Mogadiscio, suivant le même système de prédation mafieuse qui prévaut au Sahel avec les activités de contrebande, de trafic de migrants, d’otages, de drogue, d’armes, etc.
« Les crises se superposent, à la fois politiques et sécuritaires », estime Bakary Sambe, fondateur et directeur du think tank sénégalais Timbuktu Institute. Leur comparaison bute cependant sur le fait que « le conflit soit régional au Sahel avec un continuum socio-culturel transfrontalier alors qu’en Somalie, la crise s’arrête aux frontières, malgré les attentats perpétrés par les shebabs au Kenya ».
Le clan et l’ethnie comme lignes de fracture
Autre différence de taille entre les deux situations : la Somalie s’est dotée en 2012 d’une Constitution fédérale qui reste provisoire, mais fait autorité. « Elle met en avant un pouvoir décentralisé, explique Richard Danziger, ancien directeur de l’Organisation internationale des migrations (OIM) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, aujourd’hui directeur de l’OIM en Somalie. Les budgets sont censés être aussi décentralisés, un bon outil pour aider à contrer l’extrémisme, dans la mesure où les collectivités locales sont plus proches des communautés. Le grand défi, en Somalie, reste l’organisation de la société en clans, une logique qui supplante tout ».
Au Sahel, les lignes de fracture sont à la fois politiques et ethniques. « Le continuum linguistique fort autour du pastoralisme masque la question peule, selon Bakary Sambe. Les griefs de certains pans de la population nourrissent des frustrations qui ont vu une part de la jeunesse peule rejoindre l’État islamique au Grand Sahara. »
Par ailleurs, l’une des erreurs faites au Sahel ne s’est pas produite en Somalie : au nord du Burkina, par exemple, l’établissement de milices locales a été encouragé et financé par le pouvoir. « Cette décision, risquée et potentiellement contre-productive, donne accès à des armes, ouvre la voie à des abus et des massacres », analyse Richard Danziger.