LES LIBERTÉS SOUS PRESSION À UN AN DE LA PRÉSIDENTIELLE
Beyna Guèye, militant de la société civile, dit avoir passé deux mois en prison en réclamant la libération d'un journaliste. Le jour où il en est sorti, un autre reporter a été écroué pour "fausses nouvelles", avant la garde à vue de Hadjibou Soumaré
Beyna Guèye, militant de la société civile sénégalaise, dit avoir passé deux mois en prison en réclamant la libération d'un journaliste. Le jour où il en est sorti cette semaine, un autre reporter a été écroué pour "fausses nouvelles", avant la garde à vue jeudi 9 mars d'un ex-Premier ministre, Cheikh Hadjibou Soumaré.
C'est une coïncidence. Elle conforte cependant le propos des opposants au président Macky Sall et des défenseurs des droits. Ils dénoncent un recul des libertés accéléré à l'approche de la présidentielle de février 2024, avec redoublement des arrestations, interdiction des manifestations, mesures coercitives contre la presse et instrumentalisation de la justice.
Le gouvernement réfute toute régression et invoque une juste application de la loi dans un pays qui est volontiers présenté comme un Etat de droit. Alentour en Afrique de l'Ouest, la démocratie souffre et les militaires gouvernent sans partage au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso.
Beyna Guèye, 24 ans, dit à l'AFP avoir été arrêté en janvier puis condamné avec deux co-prévenus à deux mois de prison "pour un slogan appelant à libérer un journaliste".
Lui et deux autres membres d'un mouvement citoyen dirigé par le rappeur Abdou Karim Guèye, célébrité critique du pouvoir, venaient de participer à une rencontre entre le Premier ministre Amadou Bâ et des représentants de la société civile réclamant la lumière sur l'utilisation des fonds contre le Covid-19, relate-t-il.
Ils ont été interpellés quand, à leur sortie, ils ont scandé : "Libérez Pape Alé Niang".
Pape Alé Niang, patron du site d'informations Dakar Matin, est lui aussi connu comme un détracteur de la présidence. Il a été incarcéré en novembre.
Les autorités lui reprochent d'avoir diffusé des messages de sécurité confidentiels et de "fausses nouvelles" en lien avec la mise en cause de l'opposant Ousmane Sonko dans une affaire de viols présumés. Il ensuite a été relâché en janvier et placé sous un contrôle judiciaire rigoureux.
Les défenseurs des droits ne se sont pas privés de rappeler à Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, ses paroles de 2015 dans une interview : "Vous ne verrez jamais, pendant ma gouvernance au Sénégal, un journaliste mis en prison pour un délit de presse".
Mardi 7 mars pourtant, un autre journaliste, Pape Ndiaye, de la télévision Walf TV, a été inculpé à son tour et écroué après avoir mis en cause l'indépendance de la justice dans le dossier Sonko.
L'affaire Sonko et l'hypothèque qu'elle fait peser sur sa candidature à la présidentielle sont sources de tensions depuis deux ans. Outre les préoccupations socio-économiques, il y a aussi le doute que le président Sall entretient sur son intention de passer outre ou non des objections constitutionnelles et de briguer un troisième mandat.
La mise en cause d'Ousmane Sonko, personnage rétif dont le discours contre les élites est populaire chez les jeunes, a contribué en 2021 à plusieurs jours d'émeutes mortelles, moment charnière de la vie politique nationale.
Par ailleurs, l'ancien Premier ministre sénégalais Cheikh Adjibou Soumaré a été placé jeudi en garde à vue à Dakar par la police, a déclaré à la presse son avocat Mame Adama Guèye.
Cheikh Adjibou Soumaré avait demandé au président Sall s'il avait participé au financement présumé d'une figure politique française pour un montant de 12 millions d'euros, l'interpellant dans une lettre publiée le week-end dernier, sans citer le nom de la destinataire présumée de cet argent.
Le gouvernement sénégalais a, dans un communiqué mardi, démenti tout "don financier" en faveur de la responsable du Rassemblement national Marine Le Pen, reçue le 18 janvier par le président Macky Sall à Dakar.
"On note une détérioration des droits humains depuis plus de deux ans au Sénégal à travers plusieurs violations de la liberté d'expression, de réunion pacifique, de mouvement et de la presse", affirme à l'AFP Ousmane Diallo, chercheur au bureau régional d'Amnesty à Dakar.
Il déplore de nombreuses arrestations dont "la plupart sont des proches de l'opposition et des critiques du gouvernement".
Le Sénégal, 73e sur 180 au dernier classement établi par Reporters sans frontières, a perdu 24 places par rapport à 2021.
L'opposition accuse le pouvoir de se servir de la justice. Elle l'accuse d'interdire presque systématiquement ses manifestations, comme en février un rassemblement autour de M. Sonko à Mbacké (centre-ouest). Des dizaines de personnes ont été arrêtées après des heurts, des scènes de saccage et de pillage.
Interrogé par l'AFP, le ministère de la Justice a répondu par écrit que les interdictions de manifestation avaient toujours des "motifs valables", qu'il s'agisse de prévenir des troubles ou de protéger les personnes et les biens.
Condamné pour des émojis
Seules 136 demandes d'autorisation de manifester sur 4.633 ont été refusées en 2022, soit environ 3%, dit le ministère.
Le Sénégal "reste une terre des droits de l'Homme" où le pouvoir "protège les libertés publiques" et "garantit (leur) exercice", a-t-il dit.
Un opposant actif sur les réseaux sociaux, Outhmane Diagne, dit avoir passé cinq mois en détention après avoir partagé sur Facebook une publication de Unes de journaux détournées aux dépens du pouvoir et y avoir ajouté des émojis souriants.
"Je suis le seul homme dans l'histoire condamné pour avoir partagé des émojis", ironise M. Diagne, sous contrôle judiciaire depuis janvier.
BANDE DESSINEE, DES ENFANTS INITIES AU MANGA
La gare de Dakar, à l’initiative de l’Ambassadeur du Japon au Sénégal, a accueilli un atelier d’initiation au manga, samedi 4 et dimanche 5 mars. Plusieurs enfants ont pris part à quatre sessions durant les deux jours.
La gare de Dakar, à l’initiative de l’Ambassadeur du Japon au Sénégal, a accueilli un atelier d’initiation au manga, samedi 4 et dimanche 5 mars. Plusieurs enfants ont pris part à quatre sessions durant les deux jours.
À l’exception de quelques touristes, l’entrée de la Gare de Dakar est presque vide, ce dimanche 5 mars. Rien de surprenant : il n’y a pas beaucoup de raisons d’être à la gare un dimanche d’après-midi. Curieusement, à l’intérieur, une foule se dirige vers les escalators. Elle ne s’arrête pas pour acheter des billets au kiosque et continue au deuxième étage avant de disparaitre dans une salle de conférence.
À travers la vitre, on distingue deux hommes habillés en couleur orange, les cheveux blonds et hérissés. Naruto, le personnage principal de la célèbre série « Naruto de Masashi Kishimoto, incarné par l’Ambassadeur du Japon au Sénégal, Izawa, est assis à côté d’un groupe d’enfants et d’adolescents. Ces derniers se rassemblent autour d’une table ronde, au centre de la salle de conférence. Un projecteur reflète l’image sur le mur de derrière afin de permettre à toute l’assistance de voir de plus près. Au centre de la foule, Yoo Sookyung a soigneusement dessiné une ligne de concentration pour montrer un garçon en train de frapper au bas de la page. Une ambiance de calme règne dans la salle. Les enfants continuent de regarder attentivement. Après avoir terminé la ligne, la professeure s’adresse aux enfants : « Dans notre prochaine vignette, on a un garçon qui court. Maintenant, est-ce qu’il court vite ? » Tous les enfants se mettent à hocher la tête. « Alors, on inclut les lignes derrière lui pour montrer sa vitesse », poursuit la professeure.
Yoo Sookyung est un membre de faculté à l’Université Kyoto Seika International Manga Research Center. À l’invitation de l’Ambassadeur Izawa, elle est arrivée à Dakar pour mener quatre ateliers de manga pendant deux jours. Depuis les années quatre-vingt-dix, le manga a commencé à être popularisé au Sénégal et dans toute l’Afrique de l’Ouest. Amy Diack, une illustratrice sénégalaise de vingt-quatre ans, soutient que « chaque enfant sénégalais a grandi avec les grands trois : Naruto, One Piece et Dragon Ball ».
Stéréotypes
Cependant, ajoute-t-elle, quand elle grandissait, « l’accès au manga était limité et c’était difficile de trouver ». Cela a changé à partir de 2009. De plus en plus, il est devenu possible de trouver du manga aux librairies de tout le pays. Ce changement a été encouragé par les logiciels de streaming, comme Crunchyroll -une plateforme née aux États-Unis. Dans la salle de conférence, un autre illustrateur des bandes dessinées supervise les enfants. Son nom : Seydina Issa Sow. Il se réjouit également de voir que tant de gens soient intéressés de participer aux séances. « Toutes les bandes dessinées qui sont ici viennent des pays extérieurs comme le Japon et la France. Du coup, les maisons d’édition à Dakar sont un peu hésitantes à accompagner les auteurs locaux des bandes dessinées », souligne M. Sow. Cet illustrateur a trouvé le succès avec sa série la plus récente, « Cayor », mais pour commencer, il a été forcé de faire de l’autoédition. De son côté, Amy Diack relève un autre problème lié à la scène : « Dans ces séries, on ne voit pas beaucoup de personnages africains et les auteurs les dépeignent toujours de manière stéréotypée ». Et d’ajouter :« Ils pensent que l’Afrique est un grand pays ; que les Africains habitent toujours dans la jungle et qu’on n’a pas beaucoup de ressources ». Sa dernière bande dessinée, « The Diatta Twins », évoque les traditions sénégalaises ainsi que les éléments culturels spécifiques. À la fin de l’atelier, les enfants ont pris le temps de remercier Naruto et Madame Sookyung. « Avant d’arriver à Dakar, je ne croyais pas qu’il y avait une raison pour que le Japon et le Sénégal partagent la même culture populaire », souligne l’Ambassadeur. Selon lui, « pourtant, le manga présente certaines valeurs aux enfants », parmi lesquelles « la camaraderie, la compassion, le respect de la famille ». Des valeurs qui, à ses yeux, « jouent un rôle important dans la culture japonaise » et qui sont également appréciées par les Sénégalais.
L’APR ACCUSE SONKO ET COMPAGNIE DE PLANIFIER UNE GUERRE CIVILE
La serie de manifestations annoncées par la coalition Yewwi Askan Wi les 14, 15 et 16 mars prochains n’a pas laissé indifférent le parti présidentiel, l’Alliance pour la République (Apr) qui accuse Sonko et les siens de rendre le pays ''ingouvernable''.
La serie de manifestations annoncées par la coalition Yewwi Askan Wi les 14, 15 et 16 mars prochains n’a pas laissé indifférent le parti présidentiel, l’Alliance pour la République (Apr). En effet, dans dans communiqué, son Secrétariat exécutif national (Sen), a pointé du doigt Ousmane Sonko et ses camarades de l’opposition de vouloir rendre le pays ingouvernable.
« Lancer un défi à l’État de droit, appeler à violer la loi et semer le trouble à travers tout le pays les 14 et 15 mars 2023, en prélude à un procès judiciaire prévu le 16 mars, après l’indécent et honteux « gatsa gatsa » élevé au rang d’offre politique et de programme de campagne, c’est persister dans leur volonté de rendre notre pays ingouvernable, d’attaquer sa stabilité pour créer, au travers d’émeutes organisées, de guérillas coordonnées, d’une insurrection générale planifiée pouvant mener à une guerre civile », ont-ils notamment écrit. Et d’ajouter que « l’éthique de responsabilité recommande à chacun d’entre nous et à tous nos compatriotes, de savoir raison garder afin de préserver le Sénégal notre plus précieux bijou de famille ».
Prenant l’opinion nationale et internationale à témoin, l’Apr dit dénoncer « avec force ce projet dangereux et inutile, gros de tous les risques et lance un appel solennel au respect de la loi et des règlements ainsi qu’à la consolidation de la stabilité et de la paix ».
Car, d’après les membres du parti du Président Macky Sall, « aujourd’hui que le MFDC a annoncé sa décision saluée par tous, de déposer les armes dans les trois prochains mois, mettant ainsi fin à l’un des plus vieux conflits en Afrique, les apôtres de la violence et de l’émeute regardent ailleurs ; tout simplement parce qu’un homme victime de ses propres turpitudes refuse en toute lâcheté d’en assumer les conséquences ».
Aussi, relève ledit communiqué, « par le fanatisme, le sectarisme, la terreur, l’insulte, les menaces et la violence comme mode de défense, ils cherchent à disloquer notre tissu social et notre nation, souiller notre République et ses institutions et balafrer notre démocratie et ses valeurs ».
A ce titre, les « Apristes » considèrent qu' »incontestablement, ces forces avides de sang d’innocents citoyens inutilement versé situent leurs actions dans une logique de défiance, d’affrontement avec les forces de défense et de de sécurité et d’insurrection pour installer le chaos ».
par Mamadou Abdoulaye Sow
ATTEINTE AU PRINCIPE DU DROIT DE LA PROPRIÉTÉ
En l’absence d’une loi autorisant la baisse des loyers des locaux à usage d'habitation non donnés en bail suivant la méthode de la surface corrigée, la légalité du décret n° 2023-382 du 24 février 2023 se pose
La baisse du montant de tout loyer, par voie règlementaire, est une atteinte à un « principe fondamental » du droit de propriété garanti par la Constitution
Le gouvernement a estimé que la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée est intervenue dans le domaine règlementaire. En application de l’article 76 de la Constitution, il a saisi le Conseil constitutionnel aux fins de déclarer que les dispositions de la loi précitée ont un caractère réglementaire et peuvent être modifiées par décret.
On s’étonne que le même pouvoir politique qui a fait figurer dans cette loi des dispositions de nature réglementaire qu’il a fait adopter par le législateur vienne dire neuf ans après la promulgation de la loi que l’Assemblée nationale a empiété sur ses prérogatives. C’est curieux que ni le rédacteur du projet de loi, ni aucun membre du gouvernement ni aucun député ne se soient rendu compte que les articles premier et 2 de la loi de 2014 relèvent du domaine réglementaire. Pour autant, rien n’empêchait le gouvernement de demander l’abrogation des normes de la loi de nature réglementaire et de reprendre les dispositions abrogées dans un décret, sans avoir à recourir à la procédure de l'article 76 de la Constitution.
Le Conseil a rendu ses conclusions dans sa décision n° 2/C/23 du 1er février 2023. A l’appui de ses conclusions, il considère que « le législateur, par la loi portant Code des obligations civiles et commerciales en son article 572, alinéa 2 a prévu que les modalités de fixation des montants des loyers sont déterminées par décret… » (Considérant 7). Au final, il a jugé que « les dispositions des articles premier et 2 de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 ont un caractère règlementaire ». En revanche, pour le troisième et dernier article de la loi, il n’a pas fourni des éléments sur son sort, se contentant d’indiquer que « les dispositions de l’article 3 de la même loi relèvent du domaine législatif ». On aurait souhaité qu’il déclare que les dispositions de l’article 3 ne sont plus en vigueur.
La disposition de l’article 572 du Code des obligations civiles et commerciales (COCC) mérite d’être explicitée. Cet article est ainsi écrit [1]:« Que le bail soit à durée déterminée ou à durée indéterminée, le montant du loyer est fixé par rapport à l’évaluation faite de la valeur de l’immeuble.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ».
Il pose le principe que le prix des loyers à usage d’habitation est règlementé et renvoie à un décret d’application qui a pour objet de définir les règles de calcul des montants des loyers à usage d’habitation. Pour le dire autrement, le décret d’application de l’article 572 indique comment, en fait, le prix des loyers doit être calculé [2]. Le même article renvoie implicitement à un décret qui précise les modalités d’évaluation de la valeur de l’immeuble. C’est en ce sens qu’ont été édictés depuis plus de quarante ans un décret fixant les modalités d’évaluation de la valeur de l’immeuble et un décret relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation.
La décision de délégaliser la loi du 22 janvier 2014 semble discutable du fait que la loi en question est la base légale de la baisse des loyers de 2014.
Il y a un amalgame entre la définition des règles de calcul du prix des loyers qui relève du pouvoir règlementaire et la baisse des montants des loyers qui relève des principes fondamentaux du régime de la propriété que l'article 67 de la Constitution réserve au domaine de la loi.
Les modalités de calcul du loyer des locaux à usage d’habitation au sens de l’article 568 du COCC relèvent du domaine réglementaire
Dans la situation actuelle, nous avons deux décrets (le décret n° 77-527 du 23 juin 1977 et le décret n° 2023-382 du 24 février 2023) dont la nature juridique se présente en des termes bien différents.
Le décret n° 77-527 du 23 juin 1977 est un règlement d’application de l’article 572 du COCC [3]
Sur le fondement des anciens articles 572, 575 et 578 du COCC, avait été pris le décret n°76-696 du 9 juillet 1976 relatif au montant du loyer des immeubles donnés en bail pour une durée indéterminée. À la suite des nouveaux articles 572 et 572-1 qui posent le principe que tous les loyers d’habitation sont désormais à prix réglementé, le décret n° 77-527 du 23 juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation est venu étendre aux baux à durée déterminée les dispositions du décret du 9 juillet 1976 évoqué ci-dessus. De nos jours, c’est donc le décret n° 77-527 du 23 juin 1977, modifié par les décrets n° 81-609 du 17 juin 1981 et n° 2014-143 du 5 février 2014 [4], qui fixe les règles de calcul des loyers des locaux énumérés à l’article 568 du COCC.
Le principe est la liberté de fixation des loyers par les parties au contrat de louage. L’article 7 du décret pose la règle selon laquelle « le montant du loyer est arrêté d’un commun accord entre le bailleur et le locataire »[5]. Toutefois, cette liberté est encadrée par la loi pour protéger le locataire. C’est en ce sens que fut adoptée la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d’habitation. Elle est également encadrée par le décret d’application prévu par l’article 572 du COCC.
Un taux « plafond » est fixé par le décret de 1977 [6]. Pour tous les contrats de louage portant sur des locaux à usage d’habitation régis par le COCC, l’article 7 du décret a plafonné les taux à appliquer à la valeur réelle de l’immeuble. Trois taux à ne pas dépasser sont actuellement en vigueur en fonction du type d’immeuble [7]:
Le taux de 10% qui s’applique aux catégories 4, 5, 6 et 7 des maisons individuelles et des catégories D, E, F et G des immeubles collectifs ;
Le taux de 12% réservé à la deuxième et troisième catégorie des maisons individuelles et aux catégories B et C des immeubles collectifs ;
Le taux de 13, 44 % pour la première catégorie des maisons individuelles et la catégorie A des immeubles collectifs.
La révision de la valeur locative d’un bail en cours n’est possible qu’au bout de trois ans. L’article 13 prévoit que « la valeur locative ne peut être révisée qu’à l’expiration d’une période de trois ans … ».
Le décret n° 2023-382 du 24 février 2023n’est pas un décret d’application de l’article 572 du COCC
Si l’on se limite au Considérant 7 de la décision constitutionnelle, le décret à édicter devrait être un règlement d’exécution de l’article 572 de la loi portant COCC (un tel texte a un caractère permanent) alors la requête du Gouvernement porte sur un décret qui procède de l’article 76 alinéa 2 de la Constitution c’est à dire qui porte sur des matières non réservées au législateur Or, pour ce règlement dit « autonome » pris en application de l’article 76 de la Constitution, « le principe est qu’il ne doit pas exister de lois [8]» c’est à dire le pouvoir règlementaire est exercé sans une base législative[9]. Dans notre cas d’espèce, on doit être en présence de dispositions décrétales non rattachables à l’application de l’article 572 du COCC.
Seulement voilà, le COCC ne distingue pas les locaux à usage d’habitation pour lesquels le loyer est fixé librement et ceux pour lesquels le loyer est fixé par référence à la méthode de la surface corrigée. De notre point de vue, toute location à usage d’habitation au sens de l’article 568 du COCC devrait être soumise aux dispositions d’ordre public du COCC (cf. article 569) et il ne devrait pas en être autrement pour les loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée.
Pour le reste, le décret de 2023 appelle les commentaires suivants :
Les dispositions de la loi étant remplacées, on peut se demander s’il y a lieu « d’abroger et de remplacer ». « L’abrogation résulte de plein droit du remplacement de la disposition ancienne par la disposition nouvelle qui en prend la place [10]». Étant destiné à remplacer les deux articles de la loi de 2014 en ne laissant exister que le troisième article, le texte du décret du 24 février 2023 devrait, à notre sens, être présenté comme autonome et abroger la loi de 2014.
Le second alinéa de l’article premier introduit des dispositions nouvelles sur les conditions d’accès à la location (elles n’existaient pas dans la loi de 2014) qui méritent d’être mises en harmonie avec le dernier alinéa de l’article 7 du décret de 1977[11].
D’après le second alinéa de l’article 2, « (le décret de 2023) ne s’applique pas aux bailleurs qui continuent d’observer les baisses édictées par la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014… ». Les dispositions des articles 1er et 2 de cette loi étant abrogées et remplacées par de nouvelles dispositions d’ordre règlementaire, quel est le texte qui sert de fondement juridique des taux de 29%, 14% et 4% que ces bailleurs vont continuer d’appliquer à la place des nouveaux taux de 15 %, 10% et 5% entrés en vigueur à compter du 1er mars 2023.
Enfin, la question est posée de savoir quelle est la portée de la disposition non délégalisée de la loi de 2014[12]. La question interpelle les très éminents juristes de notre pays.
Si l’on admet que les baux des loyers non calculés suivant la surface corrigée ne sont pas soumis au COCC (ce que semble confirmer l’alinéa premier de l’article 2 du nouveau décret de 2023 [13]), du moins en matière de fixation des montants des loyers, la baisse des loyers de ces baux ne peut être autorisée par voie règlementaire sans une base légale.
La baisse de tout loyer concerne les principes fondamentaux du régime de la propriété que l'article 67 de la Constitution réserve au domaine de la loi
Une question est posée : quelle est la signification de la dernière phrase de l’exposé des motifs de loi de 2014 : « La présente loi est donc un référent de baisse, qui s'applique aux locaux à usage d'habitation qui n'ont pas été donnés en bail suivant la méthode de la surface corrigée. » ?
Nous répondrons clairement que « le référent de baisse » veut dire le fondement légal ou juridique de la baisse[14].
En définitive, la baisse des loyers en 2014 a pour base légale la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014.
Le montant de tout loyer arrêté d’un commun accord entre le bailleur et le locataire ne peut être baissé, par voie décrétale, sans porter atteinte à un « principe fondamental » du droit de propriété d’où l’exigence d’une loi.
Conclusion
En l’absence d’une loi autorisant la baisse des loyers des locaux à usage d'habitation non donnés en bail suivant la méthode de la surface corrigée, la légalité du décret n° 2023-382 du 24 février 2023 se pose [15].
Il est souhaitable de prévoir que les projets de décrets pris en application du deuxième alinéa de l’article 76 de la Constitution soient soumis à l’avis de la Cour suprême.
Mamadou Abdoulaye sow est Inspecteur principal du Trésor à la retraite.
[1] À l’origine, il y avait l’article 572-1 issu de la loi n° 77-61 du 26 mai 1977 prescrivant l’obligation pour les parties de calculer à la surface corrigée le montant du loyer de tout local à usage d’habitation. La rédaction actuelle est issue de la loi n° 84-12 du 4 janvier 1984.
[2] Cf exposé des motifs de la loi n° 77-62 du 26 mai 1977 relative à la fixation, à titre transitoire, du montant du loyer des locaux à usage d’habitation.
[3] Il y a lieu d’ajouter le décret n° 81-683 du 7 juillet 1981 fixant les éléments de calcul du loyer des locaux à usage d’habitation date de 1981, modifié par le décret n° 2014-144 du 5 février 2014 ainsi que le décret n° 85-053 du 15 janvier 1985 fixant le mode de calcul des frais d’évaluation des locaux à usage d’habitation.
[4] Auparavant, il y avait le décret n° 76-696 du 9 juillet 1976 relatif au montant du loyer des immeubles donnés en bail pour une durée indéterminée.
Le décret n° 81-609 du 17 juin 1981 est venu abroger et remplacer les articles 6, 7 alinéa 2 et 12. L’article 6 prévoit que la fixation des éléments de calcul du prix des loyers par décret et non plus par simple arrêté du ministre chargé des prix (article 6). Au terme de ce décret de 1981, la valeur plafond était pour l’année était de 14% de la valeur réelle de l’immeuble.
Le décret n° 2014-143 du 5 février 2014 modifie l’article 7 alinéa 2 du décret du 23 juin 1977.
[5] L’article 42 du COCC définit la liberté de contracter comme la liberté « de contracter ou de ne pas contracter, d'adopter toute espèce de clauses de modalités, les parties ne peuvent cependant porter atteinte par conventions particulières à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ».
[6] En 1977, un taux normal de 12 pour cent de la valeur réelle de l’immeuble avait été fixé ; taux pouvant être porté à 18 pour cent pour les immeubles de très grand luxe.
[8] René Chapus, « Droit administratif général », Tome 1, 15ème édition, Montchrestien 2001, p. 660.
[9] Conseil d’État France, 8 février 1985, Association des centres E. Leclerc.
[10] cf. Cours « Introduction à la rédaction d’actes administratifs »
[11] Cet alinéa énonce que “le montant du cautionnement et des loyers à verser d’avance à titre de garantie ne peut excéder une somme correspondant à deux mois de loyers”.
[12] Il ne reste que l’article 3 ainsi libellé : « Toute violation de la présente loi expose son auteur aux sanctions prévues par la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d'habitation ».
[13] Cette disposition énonce que le décret s’applique aux baux à usage d’habitation régis par le Code des obligations civiles et commerciales en cours à compter de son entrée en vigueur.
[14] Le législateur de 2014 aurait dû renvoyer à un décret qui précise les modalités d’application notamment les critères de fixation des taux de baisse.
[15] Malgré le fait que la décision du juge constitutionnel a autorité de chose jugée.
par Souleymane Nasser Niane
PLAIDOYER POUR RÉFORMER L’ÉTAT ET MODERNISER L’ADMINISTRATION PUBLIQUE
Le président de la République qui nomme à tous les emplois civils et militaires est un anachronisme. La politisation massive de notre administration est contreproductive et explique les contreperformances dans plusieurs secteurs
Le Sénégal devrait se porter mieux si on interroge le bilan des deux mandats du président Macky Sall au-delà du prisme des réalisations physiques et autres infrastructures édifiées qui peuvent rivaliser, voir surclasser le bilan du président Abdoulaye Wade.
Mais l’enjeu c’est de restaurer la confiance et surtout l’espoir par des reformes qui vont changer véritablement le cours des choses avec l’avènement d’une nouvelle citoyenneté.
La croissance de notre économie a été entre 2014 et 2018 en hausse continue en s’établissant à plus de 6% par an. Nos ressources budgétaires ont connu une hausse moyenne de 10% ces quatre (4) dernières années passant de 4215 milliards en 2020 à 4589 milliards en 2021, à 5002 milliards en 2022 et sont projetées à plus de 6400 milliards en 2023.
La manne financière gazière et pétrolière va impacter notre trésorerie dès cette année 2023 (bien que faiblement d’environ 52 milliards) et plus substantiellement (de plus de 700 milliards) à partir de 2024.
Le contexte Covid a révélé une certaine résilience de notre économie même si nous avons sans doute manqué de saisir certaines opportunités qui auraient pu changer certains de nos choix en matière d’investissements et ancrer mieux notre économie vers des options plus innovantes avec l’utilisation de technologies plus adaptées basées sur le génie sénégalais.
Mais le contexte Covid, avec sans doute les effets de la guerre (Russie-Ukraine), a également révélé nos faiblesses et la vulnérabilité de notre économie, qui peine à se transformer.
Entendons-nous bien, chaque régime qui s’installera va vouloir exhiber ses réalisations physiques, ses différents édifices, ses monuments pour témoigner de son passage, mais la postérité retiendra souvent et surtout des référents immatériels qui amènent à construire un Sénégal nouveau avec un « Nouvel Homme » habité par des valeurs, préparé à la responsabilité, à l’innovation et au changement fondamental. Un président bâtisseur se trouvera toujours mais nous avons, aujourd’hui plus que jamais, besoin d’un président réformateur pour conduire les changements nécessaires. Celui qui pourra restaurer la confiance des citoyens et surtout les espoirs perdus en engageant les reformes qui s’imposeront au lendemain de la présidentielle de 2024.
Ces reformes pourraient articuler autour des axes ci-après :
La Réforme de l’Etat et dans l’Etat
Il nous faut mettre l’imagination au Pouvoir et oser titiller des espaces utopiques. C’est le chemin emprunté par tous les pays qui se sont développés et qui ont accepté de sortir des sentiers battus. La plupart des tendances lourdes qui plombent notre émergence sont héritées soit de la colonisation ou alors des différents acteurs politiques qui ont rencontré des difficultés à se réinventer et à définir un commun vouloir de vivre ensemble, consensuel (Constitution et vision à long terme) ancré dans des valeurs largement partagées pour s’inscrire dans la durée. Depuis 1992, nous sommes véritablement à la recherche d’une Constitution forte. Notre administration qui avait déjà besoin d’être reformée, connait en particulier depuis une vingtaine d’année, des perturbations qui appellent une nécessaire restauration des normes et une modernisation des outils et instruments de gestion.
Moderniser l’administration et refonder la Fonction publique
Beaucoup d’observateurs ont été, comme moi, surpris au lendemain de la présidentielle de 2019, par la suppression de la Primature. Il faut dire que le présidentialisme exacerbé a encore du mal à cohabiter avec une Primature véritablement installée dans la totalité de sa dignité, dans la plénitude de ses attributions et de ses moyens. Il suffit de lire le dernier communiqué du Conseil du Ministre (08 mars 2023) pour s’en convaincre. Il faut rappeler que la Primature n’est pas chargée du suivi de la coordination de l’activité gouvernementale mais bien de la coordination de l’action gouvernementale sans laquelle, assurer l’efficacité du fonctionnement de toute notre administration s’avère impossible. La modernisation de notre administration en est tributaire puisque c’est dans l’exercice de cette coordination que les dysfonctionnements sont identifiés et que des mesures idoines de redressement sont prises. Nous avons travaillé pendant des années à transformer le Secrétariat du Conseil des Ministres au Sénégal et dans la plupart des pays de la sous-région , en Secrétariat Général du Gouvernement, pour traduire au-delà du changement de concept, l’introduction d’un paradigme réformateur qui dote la Primature d’une véritable administration de missions chargée de l’appuyer dans la définition des instruments, outils de gestion et autres approches lui permettant d’assurer une coordination efficace de l’activité gouvernementale et d’améliorer, en la modernisant, l’efficacité du fonctionnement des services de l’état et de l’administration.
La primature, pour l’impulsion des politiques publiques, est forcément dépositaire du Leadership transformationnel qui permet la conduite des changements attendus. Le mode opératoire d’intervention, pour s’assurer de l’efficacité de la coordination de l’activité gouvernementale repose sur la triangulaire (le Premier ministre, son Directeur de Cabinet et le SGG qui se retrouvent quotidiennement en séances de travail élargies deux à trois fois par semaine au SGPR. Ce dispositif permet d’arrêter l’agenda du Conseil des Ministres et de fluidifier la passerelle entre la primature et la présidence d’une part et, d’autre part, entre ces entités et les différents ministères. Cette triangulaire permet également de circonscrire plus rigoureusement l’agenda et l’ordre du jour des réunions du Conseil des ministres, du Conseil de Cabinet, des Conseils présidentiels, des Conseils interministériel et des Séminaires gouvernementaux).
Pour procéder à la modernisation de l’administration publique, nous devons engager un audit stratégique et organisationnel des ministères, des agences et services pour obtenir l’optimum dans la rationalisation des structures, des emplois et des effectifs. Ce préalable permet de reconstruire toute l’architecture de notre administration et de dresser notre nomenclature des emplois avec les caractéristiques qui s’imposent (emplois permanents, emplois temporaires, etc…). Il permet également de dresser la nomenclature des structures pour lesquelles les dirigeants sont sélectionnés selon un processus compétitif.
En période de crise et face à la raréfaction des opportunités en matière d’insertion sociale et professionnelle, il s’agit, encore plus que par le passé, d’élargir les bases de l’équité et de l’égalité des chances en permettant à tous les fils et filles de notre pays de se reconnaitre dans la Nation.
Les audits stratégiques et organisationnels permettent de mieux préciser les adéquations entre les structures et les emplois d’une part et, d’autre part, entre les postes et les profils et d’établir les besoins de recrutements. Ils permettent également de définir une meilleure gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, d’assurer un meilleur contrôle des effectifs et de la masse salariale (recensements, sorties temporaires /définitives, situations irrégulières des agents) et de promouvoir le E. administration (schéma directeur, informatique et automatisation des procédures et autres formalités administratives).
En outre, le cadre juridique de la Fonction Publique (loi 61-33 du 15Juin 1961 portant statut général des fonctionnaires et le décret n°74-347du 12 Avril 1974 fixant le régime spécial applicable aux agents non fonctionnaires de l’Etat) est devenu obsolète. Il correspondait à une Fonction Publique qui regroupait entre 3000 jusqu’ à 10000 agents au lendemain des Indépendances pour les besoins d’une administration qui avait vocation à soutenir des ambitions tirées de la période coloniale. Cette administration constituée de cadres et de corps de carrières, a permis d’absorber pour l’essentiel des Sortants de nos écoles nationales de formation et de pérenniser des missions étrangères à nos ambitions. L’administration qui en découle n’est donc pas suffisamment préparée à soutenir les exigences attendues en termes de performances et de résultats.
Il nous faut par conséquent refonder notre Fonction publique par la promotion d’un nouveau droit de la Fonction Publique qui instaure une Fonction publique d’emplois en lieu et place de la Fonction publique de carrières. Il faudra, par conséquent, élargir les bases de la contractualisation et instaurer un nouveau système de rémunération (basée sur la gestion axée sur les résultats, les performances, la productivité des agents au travail et un nouveau système d’évaluation). Il s’agit là d’une révolution qui va totalement bouleverser la physionomie actuelle de notre administration. En effet la Fonction publique d’emplois va cohabiter dans un premier temps et se substituer progressivement à la Fonction publique des carrières, entrainant une plus grande équité et plus de souplesse dans le recrutement des diplômés venant de divers horizons et instaurer une nouvelle architecture dans la rémunération des agents. Cette rémunération comprendrait une partie fixe (solde globale et indemnités de fonction) et une partie variable (indemnités basées sur les performances et le mérite). L’accès à la Fonction publique se fera certes sur titre mais également au mérite sur une large palette. L’accès à des emplois préalablement déterminés par la nomenclature des emplois (agences et directions et autres) se fera selon un processus compétitif transparent.
Le président de la République qui nomme à tous les emplois civils et militaires est un anachronisme. La politisation massive de notre administration est contreproductive et explique largement les contreperformances constatées au niveau de plusieurs secteurs (les retards de chantiers, les dysfonctionnements administratifs, le pilotage à vue etc…). La démultiplication des syndicats entraine également une certaine faiblesse dans la conduite du changement notamment dans les secteurs vitaux de l’Education et de la Santé, en même temps qu’une baisse insuffisamment évaluée de la productivité au travail des agents concernés. Cette politisation de l’administration n’est pas étrangère aux crises sociales récurrentes dans ces deux (2) secteurs vitaux que sont l’Education et la Santé. La promotion du dialogue social est un facteur de modernité si elle participe à renforcer les acteurs qui se préoccuperaient davantage de la préservation de l’outil et du cadre de travail, du service public et de l’intérêt général. Cette année, en injectant plus de 120 milliards d’augmentation au niveau de la masse salariale, le gouvernement a sans doute raté, une belle occasion d’obtenir en contrepartie, l’instauration du nouveau système de rémunération et un pacte social avec les syndicats.
Etat unitaire décentralisé
La décentralisation tellement vantée depuis des lustres au Sénégal s’est jusqu’ici illustrée par le biais des communes avec divers statuts qui vont cohabiter (à partir de 1972) avec les communautés rurales. La communalisation intégrale n’atteindra pas le paradigme à partir duquel les ruptures nécessaires provoqueraient suffisamment d’autonomie et de responsabilisation des acteurs sur des ressorts géographiques dument identifiés pour prendre leur destin en main tout en renforçant l’Etat central.
Entre 1985 et 1988 (en plein ajustement structurel) une réflexion féconde a été conduite pour donner naissance à l’élaboration des Plans Régionaux de Développement Intègre ( PRDI), échelon intermédiaire entre les Plans Locaux de Développement (communes et communauté rurales) et la planification du niveau central (Programmation triennale glissante et la Prospective Sénégal Horizon 2015).Les PRDI, en plus de conforter l’échelon régional comme le niveau le plus pertinent pour l’appui à la décentralisation, avaient réussi dans une démarche combinée de concilier nos impératifs en matière de planification économique et d’aménagement du territoire (équité territoriale). Les décisions adoptées en Février 1988 ont permis au président de la République d’annoncer en 1992 l’avènement de la régionalisation. Celle-ci a vu le jour en 1996 sous une forme largement dévoyée. Il s’y ajoute que la Casamance depuis 1982 a constitué une sorte de pesanteur dans les choix tendant à opérer une véritable décentralisation au moyen de la régionalisation. Le contexte né du Programme d’ajustement (1984), du Plan d’Urgence (1993), de la dévaluation du Franc CFA (1994) et la raréfaction des ressources budgétaires n’ont pas permis d’instaurer une véritable régionalisation et de promouvoir des changements ambitieux en 1996.
Le moment semble venu d’instaurer au Sénégal une véritable régionalisation qui transcende les limites de la départementalisation actuelle et qui anticipe sur l’acte 3 de la décentralisation.
Plusieurs facteurs militent en faveur de la régionalisation, notamment la dotation en facteurs naturels (vocations et potentialités régionales différenciées, l’émergence d’un capital humain de haut niveau et des ressources financières en augmentation avec l’exploitation du gaz et du pétrole).
Il faudra dégager un consensus fort pour déterminer les régions à promouvoir au Sénégal sur la base de considérations à la fois géographique et économique (la Casamance, le Fleuve, les Niayes, etc.). Il faut rappeler qu’au lendemain des Indépendances, le Sénégal était organisé à partir de sept (7) régions selon une certaine rationalité. L’exécutif Régional sera compétent pour promouvoir le développement économique et social de la région.
Divers instruments serviront de supports pour le développement de la région à savoir : la Société Régionale de Développement (SRD), la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), les Fonds d’Investissements et de dotation régionale. L’impact des instruments d’intervention comme le Puma, Promovilles, PUDC, FERA et d’autres ne serait que plus significatif.
C’est le lieu de s’interroger sur la viabilité des sociétés actuelles comme la Saed, la Sodefitex, la Sodagri etc…par rapport aux objectifs qui leur ont été assignés à leur création et leur performance actuelle. La Sodefitex devait permettre au Sénégal de rivaliser avec le Mali et le Burkina en matiere de production cotonnière. Au plus haut de notre performance le Sénégal a produit 50 000Tonnes de Coton quand le Burkina arrivait à 400 000tonnes. La Sodefitex est revenue à 10 000Tonnes l’année dernière (2022). Le Benin, le Mali et le Burkina Faso surclassent désormais le Sénégal. De même pour le riz, la Saed au niveau de la vallée du Fleuve peine à atteindre les 100 000 hectares de terres aménagées depuis plus de 30 ans, et le Sénégal peine avec une production rizicole de 1 349 723 tonnes en 2020 à rivaliser désormais avec le Mali qui a atteint une production record de 3 010 027 tonnes en 2020.
Il nous faut repenser la transformation structurelle de notre économie à partir de la région et créer une certaine émulation entre les différents acteurs regionaux. Les récentes tournées économiques du président de la République (Thiès 1500 milliards et Sédhiou 400 milliards sur trois(3) donnent une idée de ce que l’Etat central pourrait octroyer comme dotation à chaque région sans préjudice de ce que chaque région, en fonction de sa spécificité, de ses ressources et des investisseurs, pourrait collecter comme revenus pour le financement de son développement.
Nous savons que des choix pertinents en matière d’investissements et une approche plus réaliste de l’occupation foncière pourraient amener les régions du Fleuve et de la Casamance à porter la production céréalière et rizicole à près de 10 millions de tonnes durant le prochain quinquennat. Le Nigeria est à 8 millions de tonnes (2020) de riz doublant quasiment sa production qui était de 4 472 520 tonnes en 2010.
Le développement des chaines de valeurs et des pôles de développement (Agropôles, Prodoc, initiatives privées) devraient accompagner la souveraineté alimentaire et favoriser l’éclosion de PME/PMI. Une centaine de milliards investis pour l’équipement (80 milliards en tracteurs) dans l’agriculture c’est probablement opportun mais à condition d’investir autant sinon plus de ressources pour la maitrise de l’eau et l’accroissement des superficies aménagées et irriguées.
La régionalisation n’est par une menace pour la consolidation de l’Etat unitaire. Il s’agira de trouver les meilleures articulations possibles entre la décentralisation et la déconcentration et établir les meilleures synergies possibles entre le Pouvoir Central, les Exécutifs régionaux et locaux.
Refonder les Institutions et la gouvernance
La gouvernance est reliée à l’ensemble des processus de gouvernement, aux institutions et pratiques en matière de prise de décision et de règlementation concernant les questions d’intérêt commun. La bonne gouvernance ajoute une dimension normative et d’évaluation au processus de gouvernement. La bonne gouvernance est liée aux processus et résultats politiques, socioéconomiques et institutionnels nécessaires pour atteindre les objectifs de développement.
Il convient de rappeler les cinq (5) piliers de la bonne gouvernance que sont : la transparence, la responsabilité, l’obligation de rendre compte de ses actes, la participation et la capacité de répondre aux besoins de la population.
A l’évidence et en considérant (pour ce qu’on en sait) les rapports de différents corps de contrôle (Cour des Comptes, IGE, Contrôle financier) et des inspections internes, on peut dire que la gouvernance reste le « talon d’Achille » des régimes qui se sont succédés ces dernières années.
La gouvernance économique et financière
Le PSE 2035 est l’expression de la vision de Macky Sall pour le développement économique et social du Sénégal. Elle a d’abord le mérite d’exister ( la vision prospective Sénégal 2015 initiée vers les années 1990 n’avait pas été suffisamment portée par les Pouvoirs Publics de l’époque) mais aussi de produire des résultats tangibles notamment en matière d’infrastructures (scolaires, sanitaires, équipements collectifs, mobilité urbaine, désenclavement, équité territoriale, eau, assainissement, électrification etc…) dans le domaine social ( bourses familiale, bourses universitaires, CMU, pensions de retraite, etc.) en particulier.
Mais le problème, quelle que soit la portée des résultats obtenus dans ces différents domaines reste que la perception du plus grand nombre de Sénégalais renvoie au fait que la mal gouvernance gangrène notre environnement social et obère largement les performances espérées.
Notre économie reste tributaire de la contrainte budgétaire, véritable tendance lourde, marquée par une masse salariale de 1273 milliards en 2023, par le montant de la dette 11 326 milliards soit 68% du PIB (service de la dette 1 693,9 milliards de FCFA) et par les défenses de transfert.
Mais c’est surtout le problème de la sincérité du budget qui continue de se poser. En effet, quand pour l’élaboration du Budget National, un Opérateur économique est capable de déterminer l’inscription d’une dépense prioritaire et que des chapitres sont reconduits, année après année, avec une légère progression à chaque fois, sans considération des amortissements et de l’opportunité cela pose le problème de la sincérité du budget en question. Il s’y ajoute que des transactions financières sont souvent menées au sein des ministères pour disposer de liquidités à des taux usuriers.
En considération de tout ceci, si notre budget 2023 est projeté à 6 415 milliards de FCFA et que le déficit est de l’ordre de (5,5%) alors celui-ci pourrait, pour le moins, être ramené à 3% (objectif recherché) sans effort supplémentaire, juste en introduisant des ajustements dans l’élaboration du budget. En outre l’action de l’Etat doit être soutenue par une vision stratégique, avec des politiques économiques qui valorisent les acteurs nationaux, notamment le secteur privé.
La gouvernance démocratique, sociale et environnementale
Les conclusions des Assises nationales s’imposent aujourd’hui comme un patrimoine. Le consensus est réellement assez fort auprès des citoyens, des universitaires et de la majorité de la classe politique. Une nouvelle définition des pouvoirs publics et des politiques publiques doit prendre appui sur les principes ainsi que sur les projets de réformes de transformation et de moralisation de la société énoncés dans le rapport des Assises Nationales.
Les pouvoirs du président de le République sont exorbitants et empêchent notre système démocratique de respirer convenablement. Au-delà de la perception que le plus grand nombre a du fonctionnement de la Justice et de la magistrature, il y a lieu de trouver des mécanismes pour limiter les pouvoirs du président et d’envisager la possibilité de le déchoir dans des circonstances bien définies. Les ministres au-delà de leur responsabilité politique qui peut entrainer (normalement) leur limogeage, doivent pouvoir être poursuivis au plan pénal (Parquet financier). Il nous faut créer des Institutions fortes et promouvoir une gouvernance démocratique équilibrée dans le strict respect des droits de l’homme. La justice sera renforcée (Cour Constitutionnelle et Parquet financier) pour gagner en autonomie et en indépendance (Saisine et poursuites, Gestion des Carrières etc.).
La démultiplication de certaines institutions ne se justifie sans doute pas mais il s’agit de construire un consensus pour qu’au-delà des Institutions qui incarnent le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, les places qui s’imposent soient accordées au Pouvoir Judiciaire et à la Presse.
Les partis politiques et les syndicats feront l’objet d’une rationalisation pour fluidifier l’expression des suffrages et améliorer le dialogue social. La gouvernance sociale permettra de refonder le système éducatif, à tous les niveaux, à l’issue d’une large concertation afin qu’il réponde à l’exigence de qualité. Il faudra de même entreprendre une évaluation exhaustive du système de Santé afin de réorganiser la pyramide sanitaire au niveau national et de repenser la hiérarchie des priorités dans l’allocation des ressources publiques.
Les autres aspects liés à la Culture, aux Sports, à l’emploi des jeunes et aux préoccupations de la Diaspora occupent une place extrêmement importante et nécessitent un traitement tout aussi important. C’est la raison pour laquelle devrait s’ouvrir pour le Sénégal, malgré les contraintes calendaires le temps d’une transition pour asseoir plus de sérénité et une certaine paix sociale entre les acteurs politiques et de la société civile. C’est d’abord et avant tout une affaire de volonté politique. Il nous faut comprendre que le dialogue politique est devenu nécessaire par ces temps relativement troublés, pour apaiser notre environnement.
Le besoin d’une transition s’impose à nous depuis la fin de la première alternance (2012) pour convenir du chemin à emprunter ensemble (nouvelle Constitution véritablement consensuelle, la vision prospective ou stratégique (à l’horizon de 25 ans à 30 ans, la gouvernance démocratique et sociale etc.). Il se trouve que nous ne pourrons pas différer ce rendez-vous indéfiniment au risque que cette transition finisse par s’imposer à nous. Elle sera soit voulue, soit subie (ce qui n’est jamais une meilleure option) et a pour le moment besoin d’une part, d’un temps aménagé (pour construire un large consensus national en 2023 le temps qui nous sépare de la prochaine présidentielle et, d’autre part, d’une période de mise en œuvre ( à l’entame du prochain quinquennat à partir de Mars 2024).Il devient dès lors impératif pour les acteurs de la Société Civile, des Assises, les universitaires et la classe politique de s’atteler à cette tache de haute portée patriotique.
Souleymane Nasser Niane est Conseiller en Organisation et en Management, Expert/ Consultant des Nations Unies.
3E MANDAT, ON PEUT CHANGER DE PAROLE SI LES CIRCONSTANCES SE PRESENTENT
Auteur d’une contribution largement partagée en 2011 sur l’inconstitutionnalité de la troisième candidature du président Abdoulaye Wade, Ismaïla Madior Fall adopte, douze ans après, une autre posture.
Auteur d’une contribution largement partagée en 2011 sur l’inconstitutionnalité de la troisième candidature du président Abdoulaye Wade, Ismaïla Madior Fall adopte, douze ans après, une autre posture. Le professeur de droit devenu Garde des sceaux défend sans ambages une troisième candidature de Macky Sall. Justifiant ses deux postures sur une même question, Ismaïla Madior Fall qui se veut « nuancé» refuse systématiquement qu’on lui parle de morale dans cette affaire juridico-politique.
« Dans la première partie de l’article que j’avais écrit en 2011, j’avais parlé de la constitutionnalité apparente de la candidature de Wade. La deuxième partie était intitulée ‘de l’inconstitutionnalité évidente de la candidature de Wade’. J’avais à l’époque des amis dans le pouvoir ils m’ont dit professeur on aime votre première partie parce que dans la première partie vous défendez la candidature de Wade. Mes amis de l’opposition me disaient : on aime votre deuxième partie parce que vous montrez que la candidature de Wade est d’une inconstitutionnalité évidente. Je suis d’accord que j’ai beaucoup plus développé sur l’inconstitutionnalité de la candidature de Wade et je maintiens cette posture intellectuelle», se rappelle-t-il.
Ceci, dit-il, pour montrer qu’il est beaucoup plus « nuancé que beaucoup d’universitaires qui interviennent actuellement ». « Pour moi un universitaire doit être nuancé et doit toujours relativiser son propos. Il doit être dialectique», a ajouté Ismaïla Madior Fall à l’attention de ses confrères universitaires. A l’époque (2011), se rappelle-t-il, beaucoup de gens avaient dit que la candidature était inconstitutionnelle. Mais, lui, ne s’était pas limité à ces simples déclarations. « J’ai ajouté un seul élément. J’avais dit : la déclaration du président de la République selon laquelle il ne peut être candidat doit être considéré comme une source de droit et peut lui être opposée ». Comme c’est le cas actuellement d’ailleurs avec le président Macky Sall qui a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne peut pas être candidat en 2024.
« Si les circonstances pour changer sa parole se présentent… »
Mais, ajoute le ministre de la justice, « le conseil constitutionnel m’a répondu dans sa décision portant proclamation de la liste des candidats (en 2012) que la parole du président de la République ne peut être considérée comme une source de droit ».
Depuis, le professeur de droit croit en la primauté du raisonnement juridique et politique dans ce cas de figure. « Je privilégie la rationalité politique qui voudrait que le président soit candidat. Je ne peux pas identifier le poids de la dimension morale dans cette question du troisième mandat. Je ne suis pas un moraliste. Je ne suis pas un spécialiste de la science morale mais un spécialiste de la science juridique. Je crois à la rationalité juridique qui est la dictée dite avec autorité de la chose jugée par le conseil constitutionnel et la rationalité politique », indique-t-il.
Interrogé sur la valeur de la parole donnée dans la vie, le ministre sert : « La parole elle est importante et il faut s’employer, autant que faire se peut, à la respecter. Et si les circonstances pour changer sa parole se présentent, on peut changer de parole et communiquer de façon appropriée sur le changement de parole. Fut-il président de la République, empereur ou roi. Ce n’est pas la fin du monde ».