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23 juin 2025
CES MESURES DE MACKY SALL SANS LENDEMAIN
Parquet financier, amnistie, loi sur l’accès à l’information... Le président de la République ne cesse d’annoncer des mesures dans plusieurs domaines mais celles-ci tardent à prendre forme
Au Sénégal, la matérialisation des propositions pose encore problème. Le Président de la République ne cesse d’annoncer des mesures dans plusieurs domaines mais celles-ci tardent à prendre forme. On peut citer le projet de mise en place d’un parquet financier dans le cadre de la lutte contre la délinquance économique et financière, l’amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote. Qui plus est, le projet de loi sur l’accès à l’information entrepris par le Sénégal depuis quelques années visant, entre autres, à « renforcer la gouvernance et la transparence tout en garantissant à tous les citoyens et citoyennes l'accès à l'information détenue par les entités publiques », est toujours dans le circuit, selon les autorités. Ces décisions d’autant plus parfois saluées par les populations, sont souvent des effets d’annonce.
Parquet financier : La réforme qui tarde encore
Face à la presse le 31 décembre 2020, après son discours annuel du nouvel An, le Président de la République, Macky Sall, avait annoncé la création d’un parquet financier. Ce, dans le cadre de la lutte contre la délinquance économique et financière. « Le parquet financier fait partie des réformes que nous voulons mettre en place. Beaucoup ont critiqué la CREI comme n’ayant pas une instance d’appel mais de cassation. Mais avec l’évolution des droits de l’homme, il faut un changement. Tout ce qui va concerner les détournements de deniers publics, ce parquet va s’en charger. J’avais donné instruction pour que le ministre de la Justice travaille sur ça », avait déclaré Macky Sall. Le parquet financier devrait donc permettre de gérer les dossiers d’accusation de détournements de deniers publics. En phase avec cette proposition du Chef de l’Etat, le Forum civil avait publié une contribution dans laquelle il avait formulé des recommandations qui s‘articulent autour de quatre axes pour le projet de création du parquet financier. Il s’agissait des « modalités de sélection et de révocation des membres du PNF », « ses compétences territoriale et matérielle », « la procédure applicable », et la « relation entre ce parquet financier avec les juges en charge de l’instruction et du jugement ». Cependant, trois ans après, la promesse du Chef de l’Etat tarde encore à se concrétiser malgré que des faits de détournements de deniers publics ne cessent d’être rapportés au public par les corps de contrôle. Et dernièrement, c’est le rapport de la Cour des comptes qui a épinglé la gestion des fonds Force Covid mobilisés dans le cadre de la lutte contre cette pandémie. La Cour réclame l’ouverture d’une information judiciaire contre au moins dix responsables. « Dans le même esprit de bonne gouvernance des affaires publiques, l’exploitation du rapport de la Cour des comptes sur la gestion financière de la pandémie de Covid-19 suivra son cours conformément aux dispositions légales et règlementaires en la matière », avait rassuré le chef de l’Etat lors de son discours à la Nation le 31 décembre dernier. Dans le même ordre d’idées, le procureur avait annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire » dans cette affaire. Toutefois, la machine judiciaire semble encore être à la traîne. D’aucuns même soupçonnent une forme d’impunité. Quoi qu’il en soit, le Sénégal attend toujours de disposer d’une nouvelle arme judiciaire qu’est le futur parquet financier pour lutter contre la « délinquance en col blanc ».
AMINISTIE DE KARIM WADE ET KHALIFA SALL : Une annonce perdue dans les dédales du palais
Après la formation de son nouveau gouvernement, le président de la République Macky Sall avait également demandé au ministre de la Justice Ismaila Madior Fall d'« examiner les possibilités et le schéma adéquat d'amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote ». L’information contenue dans le document du Conseil des ministres du 29 septembre 2022, visait l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall et Karim Wade, fils de l’ancien président du Sénégal, tous les deux condamnés par la justice dans le cadre d’une affaire financière et sortis avant le terme de leur peine après avoir été graciés par le chef de l’Etat. Les deux hommes précités qui nient toujours les faits qui leur sont reprochés, continuent de subir les conséquences d’une privation de leurs droits civiques. Ils n’ont pas pu être candidats à l’élection présidentielle de 2019.
En effet, l’annonce du projet d’amnistie a suscité de nombreuses réactions de la part de l’opposition, des observateurs de la scène politique et même du camp du pouvoir. Des proches de Karim Wade disent préférer une révision du procès plutôt que d’une mesure d’amnistie. Pour certains observateurs, dans la volonté de décrispation de l’espace politique avec la réintégration de Khalifa Sall et Karim Wade dans le jeu politique pour les prochaines échéances électorales, se cachent plusieurs enjeux inavoués.
En tout état de cause, la loi d’amnistie envisagée par le président de la République dans le but de rétablir les droits de vote de Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall est perdue dans les dédales du palais depuis lors. Le projet de loi qui devrait aboutir à une reconfiguration du champ politique au Sénégal, connait un retard à moins d’un an de la prochaine présidentielle fixée au dimanche 25 février 2024 alors que les déclarations de candidatures se multiplient du côté de l’opposition. Bien qu’il ne soit pas encore éligible, Khalifa Sall a engagé la conquête du pouvoir pour 2024. Il a d’ailleurs déroulé une tournée « Mottali Yéené » au Sénégal et dans la diaspora en perspective de l’élection présidentielle. Quant à Karim Wade, il est toujours exilé au Qatar.
Accès à l'nformation : Le projet de loi toujours dans le circuit, selon les autorités
La Constitution du Sénégal consacre l’accès à l’information pour les citoyens. Notre pays a également signé et adopté beaucoup de conventions et d’aspects législatifs qui obligent ce droit. Cependant, le Sénégal ne dispose toujours pas de loi spécifique qui garantit l’accès à l’information. Des organisations de la société civile qui travaillent sur la question, se battent encore pour l’adoption de la loi sur l’accès à l’information. Ce qui ne favorise pas la transparence dans la gestion des affaires publiques.
Toutefois, plusieurs textes permettent d’accéder aux informations mais ce n’est toujours pas le cas. Il s’agit par exemple de la « loi 2013 sur le Code général des Collectivités territoriales qui en son article 6 donne la possibilité de demander l’information aux élus locaux », « le décret du 29 septembre 2014 qui régit les modalités de préparation de passation et d’exécution des marchés publics », « la loi de 2014 sur la déclaration de patrimoine ».
L’absence de loi sur l’accès à l’information plombe également le travail des journalistes. Dans le cadre de la collecte de l’information, ils sont parfois bloqués à cause de l’inaccessibilité ou le verrouillage des sources au Sénégal. Ils sont aussi exposés à la menace de poursuites judiciaires pour «diffusion de fausses nouvelles», «recel de documents». En effet, au-delà de permettre au Sénégal de se conformer à sa Constitution, mais aussi aux instruments régionaux et internationaux, cette loi permettra à tout Sénégalais de saisir toute Administration pour obtenir des informations relatives à la gestion des affaires de la cité. Réclamée par les acteurs depuis plusieurs années, le projet de loi est toujours dans le circuit selon les autorités. L’effectivité d’une telle loi bute sur un manque de volonté politique avérée pour faire évoluer les choses.
Par Jean-Pierre Cassarino
CE QUI SE CACHE DERRIERE LES PROPOS ANTI-IMMIGRES DU PRESIDENT TUNISIEN
Moina Spooner, de The Conversation Africa, a demandé à Jean-Pierre Cassarino, expert en migration internationale dans la région du Maghreb et de l'Afrique, d'expliquer la migration vers la Tunisie et ce qui pourrait se cacher derrière les commentaires
Le président tunisien Kais Saied a récemment appelé à des mesures urgentes contre l'immigration illégale de ressortissants d'Afrique subsaharienne. Il a déclaré qu'ils étaient source de “violence, de criminalité et d'actes inacceptables”. Ses commentaires ont été condamnés par la communauté internationale et par la Banque mondiale qui a suspendu ses négociations au sujet de son engagement futur avec la Tunisie. Ils ont également donné lieu à des manifestations de grande ampleur en Tunisie, tandis que des centaines de migrants ont fui le pays.
Moina Spooner, de The Conversation Africa, a demandé à Jean-Pierre Cassarino, expert en migration internationale dans la région du Maghreb et de l'Afrique, d'expliquer la migration vers la Tunisie et ce qui pourrait se cacher derrière les commentaires du président.
QUELLE EST L'HISTOIRE DE LA MIGRATION SUBSAHARIENNE EN TUNISIE? COMBIEN Y A-T-IL DE MIGRANTS DANS CE PAYS?
Les migrants subsahariens en Tunisie viennent principalement d'Afrique de l'Ouest. Les immigrés en Tunisie représentent 0,5 % de la population nationale. Officiellement, les migrants réguliers d'Afrique sub-saharienne représentent environ 21 000 personnes sur une population immigrée totale d'environ 58 000 personnes selon une étude récente. Ces chiffres de base sont importants. Ils montrent que les immigrés représentent un très petit nombre d'étrangers par rapport à la population nationale. Il existe différents types de migrants subsahariens. De nombreux étudiants d'Afrique de l'Ouest viennent en Tunisie parce qu'ils ont obtenu une bourse ou parce qu'ils souhaitent poursuivre leur formation dans les universités tunisiennes. Il existe plusieurs accords universitaires bilatéraux entre la Tunisie et différents pays d'Afrique de l'Ouest. D'autres migrants viennent en Tunisie pour travailler ou parce qu'ils sont de passage vers l'Europe. Cependant, pour ces derniers, il n'existe pas de données statistiques précises car ils sont en situation irrégulière. Pour donner une idée, en 2021, au moins 23 328 migrants irréguliers ont été interceptés par les autorités tunisiennes alors qu'ils tentaient de se rendre en Europe.
A noter qu'un migrant d'Afrique subsaharienne peut arriver avec un statut régulier et devenir irrégulier. L'irrégularité est loin d'être un choix en Tunisie. Il y a beaucoup de paperasse et de bureaucratie qui allongent la procédure visant l'octroi d'un statut régulier en Tunisie. Les procédures sont si lourdes que les migrants - tels que les étudiants - se retrouvent dans un vide juridique lorsqu'ils doivent prolonger leur séjour.
QUELLE EST LA POLITIQUE ACTUELLE DU PAYS A L'EGARD DES MIGRANTS ?
Soyons clairs et concis : elle est sélectivement discriminatoire. La Tunisie est assez ouverte avec les immigrants européens et très restrictive avec les citoyens non européens. En définitive, l'approche de la Tunisie en matière de migration et de droits des migrants oscille entre la nécessité de se conformer aux normes internationales et celle de maximiser les avantages de ses citoyens vivant à l'étranger - tels que les envois de fonds ou le transfert des compétences acquises à l'étranger. Cela signifie qu'elle doit s'efforcer de maintenir ses politiques migratoires assez ouvertes. En même temps, elle veut agir comme un acteur crédible dans la lutte contre la migration irrégulière dans ses rapports avec l'UE et ses États membres. Cela signifie que la Tunisie doit montrer qu'elle peut coopérer avec l'UE et ses Etats membres tout en contrôlant ses propres frontières.
LES COMMENTAIRES DU PRESIDENT S'EXPLIQUENT-ILS PAR DES FACTEURS SOCIAUX ET POLITIQUES ?
Une loi contre le racisme a été adoptée en Tunisie en 2018. Il s'agit d'une étape importante dans la défense des droits des Tunisiens qui s'identifient comme noirs, ainsi que des migrants du pays. C'est assez sidérant d'entendre un dirigeant politique faire publiquement de telles déclarations. En ce qui concerne les tensions sociales, la migration a été utilisée dans de nombreux pays comme un moyen de discipliner l'opinion publique tout en désignant les étrangers comme boucs émissaires. C'est le cas en Afrique du Sud, où les migrants ont été désignés comme boucs émissaires face à la montée des inégalités et du chômage. Un autre exemple est celui des États-Unis, où les ralentissements du cycle économique ont conduit à blâmer les migrants latinos. Les dénominateurs communs sont la hausse du chômage national (en particulier le chômage des jeunes), les déficits publics, la crise de l'État-providence et de l'économie et, enfin et surtout, les tensions sociales. C'est également le cas en Tunisie. Le lien entre les conditions des travailleurs migrants et les droits des travailleurs autochtones est bien documenté par les chercheurs dans toutes les disciplines. La Tunisie se comporte comme beaucoup d'autres pays confrontés à des défis sociaux, politiques et économiques. L'opinion publique a besoin de positions radicales, indépendamment de leur capacité à répondre au malaise d'une société. Notre histoire récente regorge d'exemples, y compris les pires que l'on puisse imaginer. Il est beaucoup plus facile de refuser de regarder la réalité en face. C'est une sorte de fuite en avant. Faire croire à l'opinion publique que limiter les droits des étrangers protégera en quelque sorte les citoyens contre la réduction de leurs propres droits sociaux et économiques est une stratégie politique classique utilisée par de nombreux dirigeants. Bien sûr, il y a des variations d'un pays à l'autre. L'économie tunisienne est en crise : les finances de l'État sont au bord de la faillite et il y a des pénuries de biens essentiels. Le président Saied s'est également emparé de plus de pouvoir et a récemment mené une répression massive contre les critiques qui l'accusent d'essayer d'instaurer une nouvelle dictature dans le pays. Il est clair que la rhétorique anti-immigrés en Tunisie est profondément problématique, mais elle n'est pas exceptionnelle. Elle n'est pas spécifique à la Tunisie. Cela dit, cette même rhétorique est paradoxale car la Tunisie est principalement un pays d'émigration avec une large diaspora vivant dans différents pays. Les Tunisiens sont confrontés à des discours discriminatoires et nationalistes similaires à l'étranger. Je me demande comment un pays peut protéger de manière crédible ses propres citoyens vivant à l'étranger contre la discrimination et le racisme alors que des faits similaires se produisent de manière flagrante chez lui. En attendant, je crains que des dispositions plus restrictives ne soient adoptées dans un avenir proche. Lorsque je parle de fuite en avant, je veux dire qu'il est plus facile pour un gouvernement (et une partie de ses électeurs) de rejeter la responsabilité sur les autres que d'accepter la réalité.
Jean-Pierre Cassarino
Visiting professor, College of Europe THECONVERSATION.COM