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19 juin 2025
Par Magaye GAYE
REGARD CRITIQUE SUR LE PROJET DE BUDGET 2023
Dans la forme, l’analyse révèle, contrairement aux règles classiques de présentation des budgets, une comparaison des acquis entre la période d’avant 2012 et la période de 2012 à 2022 (magistère du Président Macky Sall).
Le projet de budget est arrêté à la somme de 6441 milliards prévue d’être bouclée à hauteur de 4096 milliards de F Cfa sous forme de ressources internes (64%) et 2345 de F Cfa en endettement (36%).
Dans la forme, l’analyse révèle, contrairement aux règles classiques de présentation des budgets, une comparaison des acquis entre la période d’avant 2012 et la période de 2012 à 2022 (magistère du Président Macky Sall). Avec en appui une liste des réalisations opérées. Sous cet angle, de nombreux observateurs peuvent prêter au budget une connotation politique à quelques encablures de l’échéance présidentielle de 2024.
Prévisions de recettes trop optimistes
Dans le fond, les prévisions de recettes me semblent surestimées puisque justifiées par un taux de croissance hypothétique de l’ordre de 10% en 2023 soit le double des perspectives de croissance révisées par les organismes de Bretton Woods (4,8% en 2022).
Pour ce qui est des recettes internes, leur montant total prévu s’établit à 4096,4 milliards de F Cfa contre 3647,8 milliards F Cfa pour l’année 2022, soit une augmentation de 448,6 milliards justifiée essentiellement par les effets de la Stratégie des recettes à moyen terme.
Ce taux référentiel de croissance de 10% sur lequel se fonde le budget nous semble surévalué pour plusieurs raisons.
Les lois de règlement sur lesquelles auraient dû se baser les décideurs pour fignoler leur analyse budgétaire ne sont pas à jour. La dernière qui a été votée par l’Assemblée nationale remonte à l’exercice 2017.
A ce premier facteur, s’ajoutent les menaces que fait peser un contexte international, sous régional et national plein d’incertitude : inflation galopante, hausse du dollar par rapport à l’euro, niveau élevé des prix du pétrole, taux d’intérêts internes au système bancaire de l’Uemoa relativement élevés ;
Un autre paramètre ne jouant pas en faveur d’une expansion budgétaire se trouve dans le fait que nos principaux partenaires commerciaux sont en difficulté. La contrainte extérieure des pays de l’Uemoa est telle que leurs partenaires traditionnels comme la Chine et l’Europe (66 % des exportations et 77,1 % des importations en 2018 selon la Bceao), qui font face à de sérieux ralentissements de leur croissance économique, ne pourront sans doute pas maintenir les mêmes niveaux d’échanges.
Si on ajoute aux paramètres cités ci-avant, une situation sécuritaire préoccupante dans notre environnement immédiat, l’incertitude d’un facteur pluviométrique sur lequel le Sénégal reste dépendant plus de soixante ans après son indépendance, une économie complètement extravertie, la contrainte monétaire que fait peser le Franc Cfa, sans oublier le caractère dérisoire des maigres retombées des hydrocarbures en 2023, 33,7 milliards environ, on se rend compte que la prévision de croissance de 10% est loin d’être pertinente.
Revenant sur les taux de croissance annoncés depuis 2000, souvent supérieurs au taux de croît démographique, force est de constater qu’ils n’arrivent toujours pas à faire reculer de manière drastique la pauvreté. Il est grand temps de s’interroger sur (i) la fiabilité des taux de croissance annoncés, (ii) la pertinence et la vigueur des facteurs économiques qui les sous-tendent, (iii) leur caractère extraverti, vu l’importante présence d’acteurs internationaux sur notre échiquier économique, (iv) les mécanismes de répartition de cette croissance afin de voir s’ils n’exacerbent pas les inégalités.
Toutes ces raisons évoquées plus haut interpellent évidemment sur la sincérité même du budget.
Mesures d’économies faibles
En tant qu’économiste averti par rapport aux difficultés de toutes sortes qui assaillent notre pays, je m’attendais à un début de rupture dans la façon de manager notre budget. Ce moment actuel doit être une ère d’introspection et de réforme pour tout Etat sérieux, soucieux de réduire sa dépendance et sa vulnérabilité par rapport au reste du monde.
A l’inverse, il est noté que les dépenses d’acquisition des biens et services et transferts courants vont augmenter de 267 milliards de F Cfa, soit une hausse de 18,9% par rapport à la Loi de finances rectificative de 2022. Un programme ad hoc «zéro corruption» avec des prix de référence et une meilleure gestion des procédures de passation des marchés par entente directe aurait pu être mis en place.
Un endettement inquiétant
L’endettement au titre de 2023 est estimé à un montant de 2345 milliards de F Cfa et concerne principalement l’amortissement en capital lié à l’encours de la dette actuelle pour un montant de 1 269,6 milliards de F Cfa et le financement du déficit budgétaire pour un montant 1045,3 de F Cfa.
Une stratégie d’endettement basée sur le recours au marché pour refinancer les échéances arrivées à maturité n’est jamais une bonne chose. Ce type de reprofilage peut cacher des difficultés potentielles de remboursement. Et cela pourrait à la longue inquiéter les prêteurs. Les intérêts de la dette vont passer de 350 milliards F Cfa en 2022 à 424,32 milliards de F Cfa en 2023, soit plus de 10% des recettes internes.
Il est à rappeler que l’encours de la dette était de 39,9% du Pib en fin 2011. Il s’établit à 73% en 2022 soit un bond de plus de 23 points. C’est beaucoup.
Avec le montant d’emprunt projeté en 2023 de 2345 milliards, le document de la loi des finances ne semble pas indiquer, sauf erreur ou omission de ma part, quel sera le vrai ratio d’endettement du Sénégal en 2023 ; cette information gagnerait à être capitalisée dans le projet de budget afin de mieux justifier le niveau de l’endettement complémentaire à contracter.
Des priorités de dépenses essentiellement sociales
Une grosse partie du budget devrait permettre de soutenir le pouvoir d’achat, ce qui est une bonne chose vu le contexte actuel. Le gouvernement apparemment n’a pas écouté les conseils du Fmi et c’est à saluer. Cependant, sur 450 milliards de subventions prévues en 2023, 350 devraient concerner l’énergie. Seuls 100 milliards sont prévus pour les ménages contre 157 milliards en 2022. L’Etat devrait reconsidérer cette baisse en dépit des mesures attendues dans le cadre de la concertation sur la vie chère. Les prix pourraient rebondir et le panier de la ménagère devrait être protégé quoique cela puisse coûter.
Sur un autre plan, le gouvernement a fait le choix de revaloriser significativement la rémunération de l’ensemble de ses agents, en 2022, pour un coût global de 120 milliards de F Cfa, mais aussi de poursuivre ses opérations de cash transfert en faveur des ménages les plus défavorisés. Seulement, l’explication avancée pour justifier de telles redistributions de revenus, à savoir relancer la machine économique, est discutable. En effet, le Sénégal a une économie extravertie avec une très faible production nationale. Dans un tel contexte, il est à craindre que ces augmentations de revenus annoncées ne creusent notre balance commerciale et notre balance des paiements sans incidence significative sur l’emploi. Bien entendu, cette augmentation de revenus va exacerber les tensions inflationnistes.
Mieux cibler les investissements
Dans le projet de loi de finances pour l’année 2023, les dépenses d’investissement vont baisser de 165,6 milliards de F Cfa par rapport à 2022, passant de 1753,8 milliards à 1588,2 milliards de F Cfa.
Cette baisse est justifiée, selon le gouvernement, par une volonté de l’Etat de laisser maintenant la place au secteur privé pour investir. C’est un mauvais prétexte dans la mesure où ce secteur privé n’est pas encore suffisamment fort pour prendre en main cet important levier de tout développement économique que constitue l’investissement.
S’agissant de l’enveloppe prévue, elle devrait en priorité aller vers le secteur primaire, l’hydraulique, la santé, les projets fortement utilisateurs de main d’œuvre. Le gouvernement devrait songer à observer une pause infrastructurelle dans des projets de construction, d’érection de stades, d’autoroutes interurbaines, etc.
LE SENEGAL DEVIENT MEMBRE DE «L’OPEP DU GAZ»
Le Sénégal intègre ce mardi, comme un pays observateur, le Gas Exporting Countries Forum (Gecf). Le pays de la Teranga est le 20ème membre de l’organisation qui réunit les principaux exportateurs de gaz du monde.
Le Sénégal intègre ce mardi, comme un pays observateur, le Gas Exporting Countries Forum (Gecf). Le pays de la Teranga est le 20ème membre de l’organisation qui réunit les principaux exportateurs de gaz du monde. Cette adhésion du Sénégal coïncide avec la tenue de la 24ème conférence ministérielle du Gecf au Caire.
Le Sénégal s’intéresse depuis un moment à cette organisation regroupant les exportateurs du gaz. La ministre Aïssatou Sophie Gladima avait pris part à la 22e conférence interministérielle du GECF.
L’évènement organisé du 9 au 12 novembre 2020 à Alger avait permis à Dakar de manifester son intérêt pour la production et la gestion des ressources pétrolières.
Actuellement, huit pays africains dont l’Algérie, la Libye, l’Égypte, la Guinée équatoriale et le Nigeria sont déjà membres ce cercle.
Le Gecf, appelé aussi « l’Opep du gaz » pèse 72% des réserves mondiales de gaz naturel, 43% de la production et 55 % des exportations par gazoduc.
LAMINE DIALLO VEUT UNE ENQUETE PARLEMENTAIRE
Une commission d’enquête parlementaire pour savoir le montant exact investi dans la rénovation du building Mamadou Dia. C’est ce que demande Mamadou Lamine Diallo du groupe parlementaire Liberté, démocratie et changement.
Une commission d’enquête parlementaire pour savoir le montant exact investi dans la rénovation du building Mamadou Dia. C’est ce que demande Mamadou Lamine Diallo du groupe parlementaire Liberté, démocratie et changement. Ce projet, lancé en 2013, avait prévu 17 milliards de francs Cfa de budget mais, au final, ce sont 39 milliards au moins qui y ont été engloutis.
Mamadou Lamine Diallo, le député Wallu, a déposé hier une demande de mise en place d’une commission d’enquête sur la rénovation du building administratif Mamadou Dia. C’est le parlementaire lui-même qui en a fait l’annonce. «J’ai déposé, ce jour, comme annoncé durant la campagne électorale à Sokone, une demande de mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur la rénovation du building administratif Pdt Mamadou Dia. Pour l’honneur de notre histoire politique et du Président Dia, la lumière doit être faite sur cette rénovation, puits sans fond de dizaines de milliards», a informé Mamadou Lamine Diallo.
Le building administratif Mamadou Dia a entamé sa rénovation en 2013. «Au départ, le gouvernement du Sénégal avait annoncé un montant de 17 milliards, mais aujourd’hui, plusieurs sources parlent de plus de 50 milliards de francs Cfa. En outre, vous n’ignorez pas qu’un incendie a ravagé le building le 26 août 2021, qui était alors occupé par plusieurs ministères de la République. Ce qui est extrêmement grave», a rappelé le parlementaire. Pour le leader du mouvement Tekki, «il importe dès lors, compte tenu des masses financières en jeu, du caractère stratégique et symbolique, que la lumière soit faite sur l’attribution du marché et l’exécution des travaux. Il nous semble important de procéder à l’enquête pour déterminer les conséquences financières, économiques et juridiques de cette rénovation».
Si la requête du député est acceptée, souligne le document, la composition de la commission d’enquête devra être ainsi : 5 membres de Benno bokk yaakaar, 2 de Yewwi askan wi, 2 membres de Liberté, démocratie et changement et un député non-inscrit.
Faut-il le rappeler, le budget investi dans la rénovation du building Mamadou Dia a fait l’objet d’une polémique. C’est Mamadou Lamine Diallo, qui a été le premier à monter au créneau pour affirmer que l’enveloppe avoisine les 40 milliards de francs Cfa alors que le projet avait tablé sur 15 milliards de francs Cfa. Le site spécialisé dans la vérification des faits, Africa chek, affirme que 39 milliards ont été injectés dans ledit projet.
Au mois d’août 2021, le 10ème étage du bâtiment avait pris feu. Le site Dakaractu avait expliqué : «Attributaire d’un marché opaque, l’entreprise «Dooke» n’avait pas d’assurance, les dégâts sur cinq niveaux sont estimés à plusieurs milliards.»
SONKO REPRÉSENTE UN DANGER POUR LA DÉMOCRATIE
Hamidou Anne, essayiste, chroniqueur et auteur de “Panser l’Afrique qui vient” perçoit une menace pour l’avenir du Sénégal à travers l’ascension et les idées du leader de Pastef - ENTRETIEN
Alors que le leader de PASTEF est en plein Nemeku Tour, Seneweb poursuit sa série d’entretiens pour décrypter le phénomène Sonko. Après Siré Sy, c’est au tour de Hamidou Anne, essayiste et chroniqueur de se pencher sur le cas du Maire de Ziguinchor. L’auteur de “Panser l’Afrique qui vient” perçoit l’ascension et les idées de Sonko comme une menace pour l’avenir du Sénégal. Entretien.
Pour débuter cette série, nous avons donné la parole à Siré Sy qui pense que Sonko, en résumé, est l’héritier des Majmouth Diop, Dansokho, Bathily. Un épigone de la famille de la gauche sénégalaise. Vous vous revendiquez de gauche. Percevez-vous Sonko comme un membre de votre famille politique ?
Je ne le classe pas comme un homme de gauche et lui-même ne s’en réclame pas. Déjà je me méfie d’un homme qui se revendique de Cheikh Anta Diop et de Mamadou Dia avec la même verve. Ces deux figures de la politique sénégalaise, même si elles ont à un moment donné cheminé ensemble pour des raisons tactiques face à Senghor, avaient des visions antagoniques. En témoignent, les querelles idéologiques de leurs héritiers respectifs qui prennent soin, contrairement à d'autres, de ne pas dévoyer leurs héritages.
En réalité, même les proches de M. Sonko ne savent pas ce qu’il est. Le chargé de la communication de son parti, dans une récente interview, le qualifie de libéral et Madièye Mbodj, nouveau vice-président de Pastef, considère dans une touchante insistance que M. Sonko incarne la gauche au Sénégal. L'homme renvoie à une forme d’opportunisme politique propre aux populistes. Il me fait penser aux dirigeants des partis attrape-tout de l’Après Seconde guerre mondiale. La gauche pense le monde dans une perspective émancipatrice. Elle est née de la haine de la tyrannie et prétend mettre en place un triptyque autour de l’égalité, la justice sociale et la liberté. Elle fait le serment de protéger les faibles contre les forts et de rééquilibrer les rapports sociaux autour du progrès social et de l’émancipation de ceux qu’on appelait hier les masses et qui sont désormais pour moi les dominés et les victimes de différentes formes de vulnérabilisation. Le PAI né en 1957 et ses excroissances ensuite, comme le PIT et la LD, ont mené un combat important autour de la souveraineté, la décolonisation, le panafricanisme et le soutien aux plus précaires dans la société. Ils ont surtout mené un combat pour le renforcement de la démocratie et ont obtenu des acquis face à Senghor et Abdou Diouf qui ont permis l’alternance historique de 2000.
Il y a eu un courant émancipateur fort dont les ramifications étaient insoupçonnées même au cœur de l’appareil d’État. Cette histoire de la gauche sénégalaise est belle et riche d’enseignements pour les nouvelles générations. Elle est écrite sous le prisme de la pensée pour le progrès.
M. Sonko ne semble pas aimer le progrès. C’est un individu sans idées qui ne fait pas montre jusqu’ici d’un outillage intellectuel capable de produire une pensée politique dépouillée de la violence. Son logiciel primaire est le populisme autoritaire générateur d’un clivage stérile qui prône le dégagisme, le repli sur soi, l’outrance et la haine de l’autre. Il s’agit de l’incarnation d’un nationalisme éculé incapable de penser dans la complexité et la hauteur. Des politiciens comme lui sont incapables de regarder notre pays comme un élément d’un ensemble plus large qu’est l’humanité et de proposer une esthétique de la rencontre chère à des penseurs comme Bachir Diagne ou Glissant. Or on ne peut pas être de gauche si on est contre l’internationalisme, si on ne pense pas les conditions sociales des hommes et des femmes comme universelles avec des sujets communs liés aux désordres du capitalisme, à l’économie financiarisée, aux inégalités de classe et de genre et aux défis climatiques. Ces sujets touchent tout le monde et les classes populaires en sont les principales victimes. Une pensée et une action de gauche doivent être conformes à l’universalisme du genre humain.
Dans certaines de vos publications, vous le classez dans le registre des populistes identitaires. Pourquoi ?
M. Sonko est le produit de son époque, celui d’un effondrement de l’école, de la formation d’un esprit critique, et de l’idéal politique adossé à un journalisme de bas étage. Il incarne avec un certain talent ce temps d’abaissement que nous traversons. Il n’est pas un sujet politique intéressant. Il n’a pas lu grand-chose et fait preuve à chaque prise de parole d’une inculture sidérante. Son niveau de langue et de réflexion se reflète dans ses livres et ses discours qui rappellent assez bien le caractère ordinaire de l’homme qui n’incarne aucune hauteur de vue sur des sujets techniques, intellectuels et politiques hormis la petite artisanerie fiscale qu’il maîtrise. C’est un homme vulgaire à la différence de l’intellectuel en politique qu’ont incarné Senghor, Cheikh Anta, Abdoulaye Ly, Assane Seck ou Amadou Mahtar Mbow. La personne de M. Sonko est banale, c’est un hâbleur compulsif, mais il incarne en revanche quelque chose d'intéressant, à certains égards, qui accroche les foules et le propulse en bonne place dans la vie politique nationale.
Il représente un populisme démagogique qui s’est emparé de l’époque et voue aux gémonies les élites accusées d’être corrompues et malhonnêtes. La mesure, la rigueur et le débat de fond ne l'intéressent pas. La pensée structurée et la convocation de la raison au détriment des affects deviennent suspectes. Internet arrive aussi comme un formidable outil de manipulation et de désinformation dont le contrôle permet de prendre possession des esprits, notamment chez les plus jeunes. L’obscénité et le mensonge sont devenus des armes destructrices dont se servent une catégorie d’hommes politiques pour arriver à leurs fins. M. Sonko a appris à l’école de Trump, Bolsonaro, Orban. N’ayant pas lu les grands penseurs panafricanistes ni le reste de la pensée postcoloniale ou décoloniale, il s’en limite à des diatribes racialistes, anti-impérialistes et souverainistes, notamment sur le Franc CFA, les hydrocarbures sans grand sérieux. Ainsi il flirte avec la notion d’identité, la religion, le complotisme et les bas instincts réductionnistes pour bricoler un programme politique qui séduit dans un moment où je le rappelle la complexité est délaissée et considérée comme démodée. Par exemple, quand il appelle à la mobilisation 200 000 personnes pour aller déloger le chef de l'État, ça rappelle l’univers funeste de Trump qui demande à ses partisans nourris au complotisme, aux mensonges et à la haine d’envahir le Capitole. On a vu la suite.
Les théories fascisantes de M. Sonko sont illustrées par l’attitude de désacralisation permanente des institutions républicaines. Nous avons observé le caractère chaotique de l’installation du nouveau parlement. Nous avons vu des députés de Pastef et leurs alliés faire le mariole au sein de l’hémicycle, saccager les bancs, jeter des bouteilles d’eau, arracher les micros et s’en glorifier ensuite. Le chaos ne peut constituer un projet politique, il ne change pas la vie des gens, or les Sénégalais veulent de meilleures conditions de vie. Leur attitude relevait du vacarme puéril et insupportable et par surcroît, elle était honteuse pour notre pays.
Dans une tribune publiée le 27 juin 2022, des personnalités telles que Landing Savané, notamment, alertaient sur “la vague dévastatrice que nous promettent les groupes fascisants de l’opposition radicale”. Sonko était clairement visé. Diabolisation ou réelle menace pour la nature démocratique du Sénégal ?
Je pense que M. Sonko n’est pas un démocrate et par conséquent il représente un danger pour la démocratie, la république et la survie de la nation comme bloc homogène solide. Je rappelle ses propos sur la haine supposée du chef de l’État vis-à-vis de nos concitoyens en Casamance. Ce propos aurait dû le disqualifier définitivement pour aspirer à la charge de président de la République et par conséquent garant de l’unité nationale. Permettez-moi de revenir sur des choses factuelles. Il a appelé à attaquer les sièges de médias qui donnaient des résultats qui ne lui étaient pas favorables et à fusiller nos anciens présidents. Il a incité ses partisans au pillage de domiciles de responsables publics. Il a menacé ouvertement des magistrats et des généraux et accusé l’armée de complot politicien. Il a appelé à déloger un président élu avant le terme de son mandat. Il est pour la peine de mort. Instrumentalisant une série de meurtres d'enfants, il a appelé à torturer des suspects bénéficiant de la présomption d’innocence afin je le cite « qu'ils balancent leurs commanditaires ».
Je suis d’accord avec les auteurs de la tribune sur la menace fascisante mais je ne soutiens pas leur démarche car elle n’est ni sincère ni honnête. Il s’agit d’une tribune politicienne dont la motivation n’est en rien de lutter contre les idées fascistes qui ont pénétré le corps social sénégalais. En jetant un œil sur les signataires, on voit toute la panoplie de gens qui ont sabordé l’héritage et les combats de la gauche. Ils portent une responsabilité dans l’émergence de M. Sonko comme force motrice de l’opposition. Le populisme prospère sur les renoncements des démocrates, la mauvaise gestion et l’aridité de la pensée libératrice dans la société. Quelle pensée doctrinale ces gens ont-ils proposé depuis vingt-ans ? Quel horizon émancipateur suggèrent-ils face aux parades quotidiennes du mouvement conservateur et des hordes de M. Sonko favorables à une restriction des libertés et à la mort de la liberté ? La gauche ne pense plus. Elle est soit anesthésiée par le confort du pouvoir soit par la tentation de la revanche aux côtés de M. Sonko. Regardez l’état de mouvements historiques comme le PS, le PIT, RTA/S. Le Parti socialiste a été un formidable outil de production de la pensée avec son école de formation, ses clubs, ses groupes de réflexion et ses débats internes riches. Qu’est-il devenu ? Un mouvement de lutte pour de petits privilèges arrimé à l’APR ? La LD depuis son congrès de 2008 durant lequel elle a abandonné ses référentiels marxistes pour devenir un ersatz de parti démocrate américain, sombre et va inexorablement disparaître.
Et de l’autre côté, c’est encore pire. M. Sonko a trouvé en des hommes politiques qui le dépassent et le surpassent un formidable marchepied pour les écraser et les utiliser dans son ascension. Ces derniers, dans leur face-à-face avec Macky Sall, sont prêts à soutenir ce qu’ils savent être le pire pour notre pays. Nous observons un renoncement des élites qui laisse croire que ceux qui s’agitent sont les meilleurs d’entre nous. Ceci appelle à un sursaut pour réinvestir le mot patriote que partout les populistes subtilisent aux démocrates. Il nous faut inventer des alternatives et un imaginaire nouveau issus des entrailles du génie du peuple sénégalais.
Regardez le RND et Yoonu Askan Wi qui ont fondu dans Pastef et soutiennent ouvertement un leader au projet dangereux. Ils ont liquidé la gauche. En disparaissant dans cette nouvelle organisation, ils ont accepté de perdre la lutte finale et sabordent un héritage vieux de plus d’un siècle. Ils insufflent à leurs jeunes l’esprit de la défaite et font preuve d’opportunisme pour accompagner un mouvement ascendant qu’ils pensent capables de les mener au pouvoir. L’histoire jugera ces gens et son verdict pour eux sera implacable.
Au lieu de ranimer la figure de peuple, de penser le politique dans une dimension agonistique comme le suggère la politiste Chantal Mouffe et d’arrimer les préoccupations économiques et sociales aux défis sociétaux, ils en sont réduits à des logiques infantilisantes qui nourrissent nos adversaires et renforcent leur centralité.
Les formations politiques ont la responsabilité d’être des creusets de savoir, de culture et d’espérance pour ceux qui aspirent à servir leur pays à travers l’action politique. Ils doivent aussi propulser de nouvelles représentations qui produisent un horizon d’où découle la promesse républicaine de transformer la vie des citoyens.
Sonko semble avoir des chances raisonnables de devenir président. Qu’est-ce qui explique l’adhésion du public à son discours ?
Son arc de sympathie voire de soutien va d’un intellectuel comme Boubacar Boris Diop à un islamiste conspirationniste comme Cheikh Oumar Diagne en passant par des amuseurs publics, des cadres, des journalistes, des universitaires, des étudiants, des intellectuels précaires et des sans-emplois. Regardez la galaxie de ses soutiens : on y trouve tout et toutes les catégories sociales et cela dit quelque chose de son discours et de notre époque qui font peur. L’avènement de M. Sonko est le symptôme d’une asthénie démocratique qu’il faut interroger si nous ne voulons pas basculer dans le précipice. M. Sonko s’est érigé comme le réceptacle des colères et des haines vis-à-vis de Macky Sall. Il est aussi le visage d’une révolution conservatrice qu’incarnent des mouvements islamo-conservateurs, des opposants irréductibles à la laïcité qui s’arriment à des syndicats, des fonctionnaires précaires, des conspirationnistes et des nouveaux activistes issus pour certains du mouvement hip hop dont le propre est de ne s’ériger aucune limite. Ce alliage curieux fait de sans diplômés ignorés des radars étatiques et de ceux que mon ami le sociologue Gaël Brustier appelle les « intellectuels insérés » est le visage d’un pays où on ne pense plus et où les appareils politiques ont renoncé à propulser une vision à long terme et un imaginaire de transformation sociale.
Je pense depuis la fin de l’année 2018 que M. Sonko a de réelles chances de devenir un jour président. Il le souhaite et depuis son élection comme député en 2017, il s’est attelé à la recherche de deux choses : l’argent et un appareil. Il a les deux et s’affranchit de toutes les limites de la décence, ne s’embarrasse ni de la vérité ni de la démocratie interne pour arriver à ses fins. Il est devenu mouride par intérêt et s’éloigne publiquement de son substrat wahhabite. Il est obnubilé par le pouvoir en vérité et rêve, lui aussi, d’arriver au contrôle du butin national. Regardez même les symboles de son ascension : gros bolides, des dizaines d’hommes de main, etc. Je me souviens d’une image qui m’avait interpelé. Des femmes de son parti étaient venues le soutenir lors des événements de février/mars 2021, il s’était assis dans un grand fauteuil et trônait sur ces femmes toutes assises par terre, voilées, têtes basses. On aurait dit la cour d’un marabout qui règne sur ses disciples.
Son discours parle aux gens parce qu’il est simple et dépouillé de toute complexité. Il accuse à tout va les dirigeants de tous les maux, ment, diffame et propose des choses irréalisables qu’aucun journaliste ou intellectuel sérieux ne questionne car son armée de harceleurs sur internet a imposé une tyrannie dont la majorité refuse de s’affranchir. Il indexe la France, invente des choses et flatte les instincts populaires. Comme Trump ou Bolsonaro. Ces deux personnages n’étaient évidemment pas qualifiés pour diriger un pays. Pourtant des millions de gens ont voté pour eux. L’émergence de M. Sonko est aussi à mettre au crédit de ceux qui nous gouvernent, de certains de leurs choix erratiques et de l’incapacité à articuler une gouvernance qui change le narratif et à prendre en charge la question cruciale de la bataille culturelle qui comme le disait Gramsci est de loin supérieure au combat électoral. Les infrastructures, le retour de la croissance sont des choses positives mais que le peuple oublie le lendemain de leur réalisation. Gouverner, c’est l’art de formuler un rêve collectif, c’est produire du commun et inaugurer de nouveaux horizons de succès. C’est ainsi qu’on ancre un pays dans l’histoire et qu’on fait face aux populistes dont le rêve est le chaos.
Il ne faut pas non plus oublier la crise multiforme dans laquelle nous nous situons. Plus récemment la pandémie, la guerre en Ukraine, l’insécurité dans le Sahel, l’inflation sont des défis majeurs pour ceux qui gouvernent. Ils fournissent des efforts mais le temps de la gouvernance est décalé du temps de l’opinion qui notamment avec les réseaux sociaux veut tout et tout de suite. Cette crise appelle à un renouvellement des pratiques et des formes politiques pour faire barrage aux populistes. Mais peut-être qu’il est trop tard.
Pour finir, une petite pierre dans votre jardin : n’êtes-vous pas devenu conservateur au point peut-être de rater le projet “révolutionnaire et souverainiste” de Sonko ?
Penser pour un intellectuel, c’est se mettre en danger, c’est arriver à oublier son idiosyncrasie. J’ai des amis et camarades avec qui j’écrivais et publiais des textes, avec qui je nourrissais de formuler une offre résolument progressiste et donc de gauche qui sont partis chez M. Sonko ou en tout cas qui ont une vraie sympathie pour son action. Je vois partout ces soutiens, qui sont souvent des gens aux propos extrêmes, réfractaires à la moindre critique ; à l’université, dans la rue, durant mes déplacements à l’étranger. Le nombre d’insultes et de menaces que je reçois quand je parle de lui, etc. Tout ceci évidemment m’interroge.
Mais la politique publicitaire, la brutalité des pratiques, la violence discursive, l’injure permanente, le soutien à des putschistes, la sympathie à des régimes autoritaires, le positionnement douteux sur la crise casamançaise, l’absence de références liées aux arts et la culture dans le propos, le mensonge permanent sont autant de raisons qui ne peuvent que m’éloigner de l’homme. Un homme de gauche ne peut pas tenir les propos qu’il tient. Un humaniste tout court ne peut être constamment dans la convocation de la rhétorique de la guerre civile. Où sont les concepts de paix, d’amour, de bonheur, de tolérance, de culture dans le référentiel de M. Sonko ? Il n’est pas non plus dans la colère qui elle a un soubassement politique. Sonko, c’est le bruit et le jacassement vide de sens permanent.
Mais je remarque une chose très intéressante : pour aller chez M. Sonko, le sas est souvent la France avec qui nous avons un rapport irrationnel. Le rejet de ce pays est souvent le point d’ancrage des divers soutiens de M. Sonko et fait perdre la lucidité à beaucoup, notamment chez les vieux militants de gauche. En ce sens, Pastef est le parti le plus colonialiste de notre champ politique. Car on n’y pense jamais en toute indépendance, la France est toujours une béquille pour ces gens qui s’en servent pour attirer des foules et pour masquer une indigence théorique manifeste. Ils sont obnubilés par un pays qui dans la géopolitique stagne et se fait dépasser par d’autres puissances. Or je pense qu’il faut articuler une pensée et une pratique en lien avec le décentrement, la rencontre des ailleurs, la créolité et promouvoir un universel qui rompt avec le face-à-face permanent avec la France. Il faut apaiser la relation en élargissant la focale, en faisant preuve ni d’indifférence ni de soumission. Le monde est si vaste, les potentialités infinies, pourquoi l’Afrique francophone devrait-elle se donner comme injonction de limiter son champ de vision à la France ?
Mais pour en revenir spécifiquement à votre question, je pense que M. Sonko est souverainiste mais il a un souverainisme conservateur, d’extrême-droite comme un Zemmour, une Meloni des tropiques, un souverainisme étroit qui n’articule pas une pensée de la souveraineté populaire mais qui est un repli sur soi. Mais il n’est pas révolutionnaire. Celle-ci est une fibre dont l’âme est le renversement d’un ordre injuste pour faire advenir un printemps progressiste porteur de justice et d’égalité. M. Sonko, au contraire, ne se soucie des pauvres que pour des visées électoralistes. Regardez comment lui et ses partisans traitent une jeune femme pauvre avec qui il a un contentieux judiciaire. Et ceci m’interpelle particulièrement car je viens d’un milieu populaire. Le sort des précaires me préoccupe et il est le fil rouge de ma pensée et de mon travail. M. Sonko ne souhaite aux pauvres que la mort dans un temps court et dans un temps long. Dans un temps court car il s’agit de sa propension à appeler les jeunes de familles pauvres à constituer un bouclier humain pour le protéger, lui face à ses problèmes judiciaires et sa carrière politique. Il y a eu 14 jeunes tués en 2021 et d’autres cette année, et les autorités compétentes semblent s'être résolues à ce qu'il n’y ait aucun procès. Leurs familles ont perdu des enfants et aucun responsable ne sera jugé. Dans le temps long, le projet démagogique et populiste qu’il propose va être fatal à des milliers de gens car ses décisions puériles une fois au pouvoir vont priver des millions de Sénégalais de manger à leur faim, de s’éduquer et de se soigner.
Par Hamidou ANNE
LES LIEUX MEURENT, LES HOMMES AUSSI
Le Djembé était un poste d’observation du Dakar grouillant et changeant, des marchands ambulants déambulant dehors, aux banquiers pressés nombreux à cet endroit au cœur du Plateau.
Ce midi-là j’avais refait le monde avec mon ami Racine. Après avoir commenté l’actualité politique marquée par le résultat historique des Législatives, nous avons décidé d’aller manger au Djembé, qui sert le meilleur mafé de la capitale. Surprise et effroi : le restaurant avait été rasé. Comme ça, sans prévenir les habitués. Des gravats avaient pris possession des lieux et peut-être surgirait de ces décombres un immeuble neuf à l’architecture neutre comme c’est la mode dans les capitales africaines, où on fait si peu cas de l’esthétique et de l’histoire.
Qu’il a été triste de voir le Djembé disparaître et ensevelir les souvenirs d’une époque et des multiples conversations, ambitions et projets imaginés dans ce lieu dont la chaleur séduisait les mêmes gens qui, à force de fréquenter l’endroit, avaient fini par se reconnaître, s’apprécier et se dire timidement bonjour dans les artères de la ville.
Le Djembé était un poste d’observation du Dakar grouillant et changeant, des marchands ambulants déambulant dehors, aux banquiers pressés nombreux à cet endroit au cœur du Plateau. L’endroit n’était pas un repaire de politiciens ambitieux et d’intrigants qui chuchotent de machiavéliques plans à l’abri des oreilles indiscrètes. Ils n’y avaient pas importé leurs mauvais goûts et leurs mœurs peu commodes.
Le Djembé ne sera plus et c’est bien triste. J’y avais mes habitudes comme j’avais mes habitudes au Jane Café sur la rue Saint-Maur à Paris. Le café y était peu cher, l’ambiance familiale et le décor sobre et chaleureux. On pouvait y lire et écrire sans craindre les regards inquisiteurs des propriétaires : une famille d’origine algérienne sympathique. La maman gentille, Karima, explosive, et Mehdi taquin. Le café est mon refuge matinal comme celui de tous ceux qui ne sont pas du matin, mais tentent tout de même de se forcer à faire des choses utiles à l’aube quand la nuit enlève son voile protecteur sur les hommes. Au Jane Café, l’internet marchait bien et j’y prenais chaque matin les nouvelles du pays et y lisais le journal de la vie délivrer les bonnes nouvelles du jour.
La semaine dernière j’étais à l’étranger, et j’ai découvert que cet endroit aussi avait fermé. Il n’avait pas résisté aux deux années de pandémie et avait dû céder aux injonctions comptables et aux prêteurs sans cœur. Le capitalisme est une immense forêt darwinienne où la règle est de tuer ou de mourir. Le temps qui passe et permet les ajustements n’est plus de rigueur. Le business est cruel. Dans ce bar, j’aimais écouter les gens ordinaires, peu épargnés par la vie, dire leur quotidien peu gai, rêver de vacances qu’ils ne prendront pas, avoir des plans et des ambitions pour leurs enfants et finir leur breuvage froid par un retour sur la réalité de la vie : le travail, le sacrifice de la santé, la distance avec les proches, et la mort.
Le Comptoir est un autre de mes lieux. Il est mort aussi. J’y suis allé la dernière fois avec J. Nous y avons beaucoup parlé. Nous avons recousu les fils du temps, imaginé des scenarii, inventé des voyages, des pays et des mondes et fomenté des complots positifs sur l’autel de la fraternité humaine. Ce fil incassable qui lie les gens malgré la distance et le temps qui se faufile. J. n’est plus. Elle est morte. Je ne sais pas de quoi. Je ne demande jamais, par pudeur et par héritage et par éducation. Un tweet. Une mauvaise nouvelle. Une tragédie. Silence. La pandémie a été un moment affreux pour l’amitié et la tendresse amoureuse. Nous avons perdu des êtres chers et apprenons encore à apprivoiser le manque et à taire la douleur. La mort est la seule vérité. Selon le Coran, elle fut avant la vie et sera après elle. Entre les deux, nous tentons de marcher sur les deux jambes en inventant et en créant des manières possibles d’habiter la terre. J’ai une tendresse pour les cafés et leur poésie. J’y écris. J’y lis. J’y rêve et j’y pense les ailleurs que je ne visiterai jamais. Ils sont sans doute un des derniers endroits où la vie s’insère et apporte son rythme lent.
Nous avons chacun un café favori, un endroit cher, une grotte dans laquelle on disparaît à l’abri du monde pour reconfigurer un univers, reconstituer des pièces du puzzle de la vie. Je pense au Logone en face de la cité Claudel durant les années étudiantes, au Sombrero, curieux restaurant mexicain dans le cœur du Plateau. Tous les deux sont des reliques dans mon hôtel de l’insomnie. Mes lieux sont miens ; ils ont des noms que je garde jalousement, des odeurs et des émotions, des fantômes et des espérances. Ces endroits ne sont hélas pas éternels.
Ils naissent, poussent et meurent. Les lieux meurent. Les hommes aussi.
LES AFRICAINS EXORCISENT LEURS DEMONS SECURITAIRES A DAKAR
Terrorisme, coups d'états répétitifs dans le sahel, crises économiques…toutes ces problématiques ont fait l’objet d’intenses discussions hier lors de la cérémonie officielle de la huitième édition du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique
Terrorisme, coups d'états répétitifs dans le sahel, crises économiques…toutes ces problématiques ont fait l’objet d’intenses discussions hier lors de la cérémonie officielle de la huitième édition du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique. Le président Macky Sall et ses hôtes ainsi que les experts et spécialistes en sécurité ont fait le tour de ces questions.
Tous les décideurs africains sont manifestement d'accord avec le savant Cheikh Anta Diop : la sécurité précède le développement. L'ouverture du Forum de Dakar sur la Sécurité et la Paix a été une occasion hier pour les décideurs africains de passer en revue toutes les problématiques sécuritaires qui assaillent le continent à commencer par le Sahel où le fléau du terrorisme vient se greffer aux coups d'Etats répétitifs dans l'Ouest du continent. Pour le Président Macky Sall et non moins président en exercice de l'UA, qui animait un panel, l'Afrique est à la croisée des chemins. «Mais sur les causes, il y a ces changements inconstitutionnels qui peuvent être des coups d'Etats militaires mais aussi des changements provoqués de l'intérieur. Et tout cela constitue des facteurs sur lesquels on doit travailler pour assurer la stabilité des pays qui est le gage pour une sécurité de l'Afrique», a déclaré le Président Sall avant d’indiquer que la sécurité est devenue un intrant important pour le développement de l’Afrique.
«L'AFRIQUE NE DOIT PAS ETRE LE BERCEAU QUI VA ACCUEILLIR ET ENTRETENIR LE TERRORISME INTERNATIONAL»
Devant plusieurs participants venus de divers pays pour prendre part à ce Forum devenu visibement incontournable dans la recherche de paix dans le Sahel, le Président Macky Sall est monté au créneau souligner que l'Afrique ne doit pas être le ventre mou du djihadisme. «L'Afrique ne doit pas être le berceau qui va accueillir et entretenir le terrorisme international», clame-t-il. Très en verve, il a attiré l'attention de ses hôtes sur le fait que le continent doit refuser de servir de relais aux ingérences étrangères. «Ce qui participe à fragiliser les États africains et à rendre inefficaces les actions des institutions régionales», s'insurge-t-il avant de prôner : «Il faut apaiser les espaces politiques nationaux par la promotion du dialogue et de la concertation». Abondant dans le même sens, Mignane Diouf du Forum Social Mondial estime que ce Forum se tient dans un contexte très tendu dans la sous-région de l’Afrique. «Au Burkina Faso, il y a eu un deuxième coup d'Etat, le Mali est dans les mêmes travers mais aussi on continue à voir des jeunes africains prendre la route du Sahel, dont certains les mouvements liés au terrorisme ; d'autres prennent la route de la mer», affirme l’altermondialiste.
«LE SENEGAL NE DOIT PAS DORMIR SUR SES LAURIERS SUR LE PLAN SECURITAIRE»
Selon Mignane Diouf, il est devenu nécessaire et urgent de voir comment bâtir un contexte de stabilité. ''Nous sommes dans un contexte marqué par les dynamiques d'insécurité, de mouvements de population, de coups d'États à répétition alors que nous avons pensé qu'il nous faut des Etats démocratiques, de régimes civils mais qui conduisent des schémas de développement durable'', déclare M. Diouf qui pense que les causes endogènes et exogènes doivent être analysées si l'Afrique veut des états africains stables. Soulignant dans la foulée que si ces pays ignorentles aspects de la bonne gouvernance, ils ouvrentla porte à toutes les formes de vices d'instabilité, des querelles et des mouvements inutiles ; et cela aboutit à des coups d'États, facilitant la voie à nos ennemis d'entrer facilement dans nos territoires et de créer le chaos. Tout en louant en outre la vieille démocratie panafricaine du Sénégal, il note toutefois que le Sénégal ne doit pas dormir sur ses lauriers. «À un moment, le Burkina Faso était stable et actuellement, il est dans le chaos. Donc le Sénégal doit travailler à consolider la paix etla sécurité et refuser d'ouvrir des brèches à certains groupes et réseaux pour entrer dans le pays», prévient cette même éminence de la société sénégalaise et africaine, non sans affirmer que le Sénégal n'est pas totalement à l'abri de ces problèmes liés au terrorisme. Le ministre saoudien des Affaires étrangères qui a rehaussé cet événement de sa présence a invité les pays africains à compter sur eux-mêmes. «Il faut autonomiser les nations africaines», prône le diplomate. Pour sa part, le président du Cap-Verttrouve que cette situation d'insécurité n'est pas une fatalité et que l'Afrique peut compter sur elle-même. Pour la secrétaire au développement de la France, son pays reste engagé pour la lutte contre le terrorisme aux côtés des Africains. «Aujourd'hui, nous ne voulons pas d'une politique de substitution, sinon nous risquons d'être comptables de nos échecs», dit-elle.
PLUS DE 700 AVOCATS VENANT DE 80 PAYS ATTENDUS A DAKAR
Après Madrid l’année dernière, la capitale sénégalaise va abriter, du 26 au 30 octobre prochain, le 66ème congrès de l’union internationale des avocats (Uia).
Après Madrid l’année dernière, la capitale sénégalaise va abriter, du 26 au 30 octobre prochain, le 66ème congrès de l’union internationale des avocats (Uia). Cette rencontre de haute facture réunira plus de 700 avocats venus de plus de 80 pays autour de diverses questions telles que la gouvernance des ressources minières et énergétiques, l’efficacité et la pertinence des systèmes judiciaires et les violences sexuelles.
Pour la première fois dans l’histoire de l’Afrique subsaharienne, le Sénégal va abriter la 66ème édition du congrès de l’Union Internationale des avocats (Uia). Devenu incontournable, ce rendez-vous annuel réunira plus de 700 avocats venus d’horizons divers pour discuter sur de multiples sujets touchant l’Afrique et le monde de manière générale. Deux grandes thématiques sont retenues pour cette édition. Il s’agit de la gouvernance des ressources minières et énergétiques en Afrique et au-delà, et de l’efficacité et de la pertinence des systèmes judiciaires.
Les participants vont réfléchir à travers des commissions mises en place sur la manière de négocier les contrats extractifs afin d’éviter les pièges. En effet, la négociation des contrats d’investissements dans le secteur minier et énergétique est, souvent pour l’Etat d’accueil, un exercice difficile, voire périlleux parfois. Et en tant que gardien des intérêts de la population, L’Etat doit veiller au respect des principes de gouvernance tout en prenant en considération les intérêts souvent divergents des investisseurs. C’est dans ce cadre que des experts du panel traiteront de ce sous thème en se fondant sur leurs expériences diverses et variées en matière de négociation. L’objectif étant de déceler les pièges contractuels afin de proposer des solutions destinées à les éviter. Sur ce point, l’accent sera mis sur les politiques du contenu local, sur les défis et opportunités pour le pays d’accueil de l’investissement étranger. En effet, le 21ème siècle a vu un développement significatif des politiques ou lois de contenu local adoptées par les pays producteurs de matières premières, en général, et des ressources extractives en particulier. C’est le cas des pays comme le Brésil, l’Indonésie, le Nigeria, l’Angola, le Ghana, le Sénégal etc. L’objectif est notamment la valorisation des produits extractifs miniers et énergétiques, la promotion de l’emploi direct, le développement d’autres secteurs au-delà du secteur extractif, le renforcement des capacités des entreprises nationales afin qu’elles puissent intervenir sur toute la chaîne de valeur.
Pour ce qui est du deuxième point à savoir l’efficacité de nos systèmes judiciaires, il s’agira de réfléchir sur les différents moyens de répondre aux besoins des justiciables. En réalité, pour que la justice rendue ait du sens pour les justiciables, il faut que les juridictions statuent sur leurs litiges dans les délais raisonnables. Ce qui implique également que les décisions de justice ne fassent pas l’objet de recours systématiques. La justice ainsi rendue doit surtout être de qualité et apporter, autant que faire se peut, satisfaction à la partie lésée.
Des panels seront organisés sur l’efficacité de la justice axée sur des délais raisonnables, la pertinence de la justice axée sur des preuves, les qualités des décisions, la publicité, axées sur la jurisprudence, l’exécution des décisions de justice entre autres. En outre, une session spéciale sur les violences dans les zones de conflit sera animée par le docteur Denis Mukwege, gynécologue congolais.
HERVÉ CHEMOULI, PRÉSIDENT EN EXERCICE DE L’UIA : «L'efficacité judiciaire joue un rôle obligatoire dans le développement de nos démocraties»
«Nous avons choisi la destination de Dakar, parce que nous pensons qu'il faut qu'il y ait une présence en Afrique subsaharienne. Aussi, on a une représentation assez importante de confrères du Sénégal qui sont très actifs. C’est comme ça que nous l’avons choisi parce que c'était un peu "une injustice" de ne pas l'avoir organisé plutôt. Comme l'ont dit récemment les journaux français, l'Afrique est un continent d'avenir. C'est donc important de pouvoir discuter avec nos confrères africains sur des sujets qui sont intéressants et qui se posent maintenant, notamment sur les ressources énergétiques. Nous souhaitons donner une version assez complète et étendue du problème énergétique, de toutes les ressources énergétiques. Les thèmes sont collés à l’actualité. Il est intéressant d'avoir une vision qui soit non plus une vision européenne mais une vision par rapport au continent africain lui-même sur la manière de gérer ses ressources énergétiques. Mais aussi de réfléchir sur les coopérations qui vont se mettre en place ainsi que la gestion du problème de l'environnement, parce que lorsqu'on parle d'énergie propre aujourd'hui, il faut savoir que nous restons quand-même assez dépendants de tout ce qui est l'utilisation du pétrole et de ses dérivés. Alors on essaie de voir si on peut transférer ces économies, dans le cadre du développement durable de ces énergies alternatives. On voit par exemple que le continent africain a un ensoleillement plus important que partout ailleurs.
Et pour le comprendre, on a fait appel aux meilleurs professeurs pour que nousmêmes avocats puissions avoir une vision qui soit, non pas une vision politique, mais une vision scientifique. On s'aperçoit que normalement, il n'existe pas de pouvoir judiciaire. On a un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif, donc le Président, les Assemblées. Mais les juges ne sont pas là pour pouvoir aujourd'hui organiser en fait la marche d'une société démocratique. Ces juges, par l'importance qu'ils ont pris, par la façon dont se traduit maintenant l'efficacité judiciaire, jouent un rôle obligatoire dans le développement de nos démocraties. Par exemple pour la France, le débat sur des Présidentielles a été arbitré par des juges au moment où il y a eu "l'affaire Fillon". Donc est-ce qu'il est normal que le judiciaire puisse intervenir dans le cadre de ces processus démocratiques?»
LE FMI RAISONNE DE MANIERE STATIQUE
En prélude à la conférence sur la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique qui s’ouvre aujourd’hui, Dr Ndongo Samba Sylla est revenu pour «L’As» sur la manière dont les institutions de Bretton Woods traitent avec les pays en développement
En prélude à la conférence sur la souveraineté économique et monétaire de l’afrique qui s’ouvre aujourd’hui, l’économiste Ndongo Samba Sylla est revenu pour «L’As» sur la manière dont les institutions de Bretton Woods traitent avec les pays en développement. A l’en croire, le mal réside dans le fait que le Fonds monétaire international (Fmi) raisonne de manière statique.
«Faire face à la crise socio-écologique : l’actualité de la déconnexion et la question des réparations globales». Tel est le thème de la conférence sur la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique qui s’ouvre aujourd’hui. L’occasion a été saisie pour l’économiste, par ailleurs responsable de la recherche et des programmes au bureau d’Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxembourg à Dakar, Ndongo Samba Sylla, pour se pencher sur les limites des politiques des institutions de Bretton Woods. «L’un des problèmes que nous avons avec le Fmi, c’est qu’il raisonne de manière statique. Ce qui l’intéresse, ce sont les équilibres financiers, les équilibres comptables. Or, quand onest dans une perspective de développement, il faut dépasser cette approche réductrice», soutient Monsieur Sylla.
A l’en croire, dans un contexte de crise mondiale avec une inflation importante, il n’est pas rationnel d’un point de vue social de demander le retrait des subventions pour certains produits de première nécessité, même si cela peut l’être d’un point de vue comptable. Pour lui, il y a d’autres manières de gérer les tensions que d’opérer des coupes budgétaires inconsidérées.
Poursuivant, Dr Ndongo Samba Sylla estime que le rôle des institutions de Bretton Woods devrait être de permettre aux pays de dépenser sans que cela puisse avoir des incidences en termes de dépréciation des taux de change ou d’augmentation des importations à des niveaux difficiles à gérer. Et cette conférence sur la souveraineté économique et monétaire permettra, dit-il, de voir qu’il y a d’autres moyens de gérer ces crises. «Nous verrons également qu’il existe des possibilités que les pays du Sud peuvent se mettre en œuvre entre eux pour promouvoir des formes de coopérations mutuellement avantageuses», souligne-t-il.
Le responsable de la recherche et des programmes au bureau d’Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxembourg à Dakar s’est également épanché sur la question de la souveraineté monétaire qui, selon lui, est très mal comprise. «Le débat sur des questions comme le franc CFA n’a toujours pas permis de montrer tous les tenants et aboutissants de la question. Un pays qui est souverain sur le plan monétaire est un pays qui n’émet pas de dettes en monnaie étrangère. La question qu’il faut se poser est pourquoi nos gouvernements émettent des dettes en monnaie étrangère», s’interroge-t-il.
«Le système financier domestique n’est pas mis à profit pour developper les capacités productives domestiques»
Selon Ndongo Samba Sylla, l’une des raisons historiques de cette dette odieuse, c’est que les gouvernements payent des dettes contractées par les administrations coloniales antérieures et que cela continue à avoir des impacts sur leurs trajectoires économiques. L’autre explication, ajoute-t-il, c’est une sorte de dépendance technologique etfinancière. Aussi, précise-t-il, le système financier domestique n’est pas mis à profit pour développer les capacités productives domestiques. Par exemple, soutient-il, dans les pays CFA, il n’y a pas de système bancaire pour développer l’agriculture. «Si vous voulez financez votre agriculture, soit vous avez des devises de l’étranger soit vous émettez des dettes en monnaie étrangère.Cela veutdire que si onorganisemieux nos systèmes financiers domestiques, on pourrait se passer d’une partie de cette dette. Si on arrivait à mieux gérer nos ressources naturelles, les contrats avec les multinationales, on pourrait se passer de la dette», déclare Dr Ndongo Samba Sylla.
Ce qu’on ne dit pas généralement, rappelle-t-il dans la foulée, c’est que l’Afrique souffre beaucoup plus des transferts de profits et de dividendes que du service de la dette. «C’est ce trou créé par le rapatriement de profits et de dividendes qui justifie que les Etats émettent des dettes en monnaie étrangère. Si on arrivait à fermer ce trou, nos Etats pourraient être moins endettés, avec plus de marge de manœuvre pour faire ce qu’ils ont envie de faire. Et tout ça a trait à la question de la souveraineté économique et monétaire. Economique parce qu’il faut avoir un contrôle sur les ressources ; monétaire parce que si vous n’avez pas un contrôle sur le système monétaire, vous n’avez pas de contrôle sur ce que vous produisez, ce que vous consommez et ce que vous échangez », affirme-t-il.
A l’en croire toujours, il est bien possible de remédier à cette dépendance alimentaire.En effet,Dr Ndongo Samba Sylla estime que les Africains ont des déficits vivriers alors que la majorité de la population est dans le secteur agricole. «Les populations ont des terres, le savoir et la main d’œuvre. Le système bancaire devrait être paramétré pour financer les financements domestiques. Mais tout cela n’est pas fait parce qu’on continue de privilégier le libreéchange avec des pays qui ont des surplus agricoles comme l’UE ou les Etats-Unis. Il faut revenir sur ce systèmepour réduire la dépendance alimentaire. Quant à la dépendance technologique, elle peut être sensiblement diminuée. Il faut juste une bonne planification économique », conclut-il.
ENTRE RESPONSABILITE DU FERMIER ET MENACES DES AGRO-INDUSTRIELS
Dans le rapport de synthèse de la Chambre des Entreprises publiques de la Cour des comptes en sa séance du 27 avril 2021, il a été fait un large focus sur l’approvisionnement en eau potable en milieu urbain et en milieu rural
Dans le rapport de synthèse de la Chambre des Entreprises publiques de la Cour des comptes en sa séance du 27 avril 2021, il a été fait un large focus sur l’approvisionnement en eau potable en milieu urbain et en milieu rural. La juridiction révèle que cette altération de la qualité du liquide précieux est de la responsabilité du fermier et dans une moindre mesure du concessionnaire mais également des agro-industriels.
«La fourniture d’une eau potable est à la charge du fermier, sous le contrôle du concessionnaire garant du respect des normes requises.» Selon la Cour des comptes, l’article 30.3 du contrat d’affermage liant la Sones à Sen’Eau stipule que le fermier doit vérifier la qualité de l’eau distribuée et se conformer aux recommandations de l’OMS, sous réserve des dérogations accordées au titre de l’alinéa 30.2. « Ce point prévoit que des dérogations peuvent être proposées par le fermier au concessionnaire en fonction des conditions particulières de captage, des possibilités de traitement et de l’état de certains réseaux pouvant conduire à une contamination par la nappe phréatique de l’eau transitée par le réseau», lit-on dans le rapport de la Chambre des Entreprises Publiques de laCourdes comptes. Le document ajoute que l’alinéa 3 du point 30.3 prévoit que la responsabilité du fermier en raison de la mauvaise qualité de l’eau est subordonnée au renouvellement par lui ou le concessionnaire, la Sones, des canalisations en mauvais état se trouvant dans la nappe phréatique dans les limites de ses engagements contractuels en matière de renouvellement. «Ces ouvrages se trouvant dans la nappe phréatique sont précisément des ouvrages de captage. Cette disposition doit être revue dans la mesure où le captage de l’eau se fait sur une ressource brute destinée au traitement à des fins de potabilisation dont le fermier estlui-même responsable », indique le rapport.
Certes, note-t-on toujours, le fermier a l’obligation de renouveler le réseau de transport et de distribution, mais les dispositions contractuelles ne posent pas de façon explicite sa responsabilité en cas d’altération de la qualité du réseau liée à sa défectuosité. D’après la Cour, les autorités de la Sones et celles de la tutelle technique déclarent qu’une «proposition de reformulation de l'alinéa 3 du point 30.3 peut être faite pour établir de façon plus explicite la responsabilité du Fermier en cas d'altération de la qualité de l'eau, liée au mauvais état du réseau du fait du fermier ». Elles ajoutent que cette proposition de reformulation sera discutée dans le cadre d’un premier avenant qui devrait intégrer bien d'autres observations sur le contrat d'Affermage. Par conséquent, la Cour demande au ministre de l’Eau et de l’Assainissement, de concert avec le Directeur général de la Sones, d’examiner les voies et moyens en vue de modifier les dispositions de l’article 30.2 et 30.3 du contrat d’affermage liant la Sones à Sen’Eau relatif à la responsabilité du fermier.
Pour ce qui est de la qualité de l’eau perfectible en milieu rural, il est établi que le rapport de contrôle de la Soges, prestataire en charge de la zone de Tambacounda en 2020, fait état de l’absence d’exploitation d’unité de chloration dans certains sites tels que Kouthiaba, Malem Niani, Koussanar F1, Koussanar F2, Kaba, Bidiankoto, Missirah, Maka, Ndogo Babacar, Massembé et Bamba Thialene. Si l’installation des systèmes de chloration prévue dans les contrats de performance a été effective, souligne-t-on, leur opérationnalité n’est pas assurée. Selon les autorités de l’Ofor et de la tutelle technique, l’installation des unités de chloration a démarré dans le programme en cours dans les zones centre et sud. Ainsi, la Cour demande au Directeur général de l’Ofor de rendre opérationnelles les unités de potabilisation et les systèmes de chloration sur l’ensemble des périmètres sous délégation.
MENACES SUR LA QUALITE DES EAUX BRUTES
En ce qui concerne par ailleurs la qualité des eaux brutes, la Cour des comptes souligne que le périmètre du Lac de Guiers, principale source d’approvisionnement en eau de Dakar et des autres centres urbains, est menacé par une intensification des activités pratiquées aux alentours de la zone lacustre. Elle ajoute que les activités qui polluent la qualité de ces eaux sont d’origine agro-industrielle, animale et domestique. «Ces sources de pollution sont encore prégnantes dans les autres eaux intérieures. L’intensification des activités agricoles dans la zone a engendré une détérioration de la qualité des eaux en raison des rejets d’engrais et de pesticides», relève la Cour des Comptes qui pointe du doigt la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) etles petits producteurs qui déversent directement leurs eaux de drainage dans les axes hydrauliques du Lac de Guiers et du canal de la Taouey. «Certes, l’Olac, après analyse des rejets de pesticides, a conclu à un caractère résiduel des polluants, mais cela n’exclut pas la nécessité de mettre en place un dispositif de suivi permanent des rejets ou de minoration des risques de pollution par les petits producteurs», indique la Cour des Comptes.
LA COUR DES COMPTES DECELE DES INCOHERENCES
Beaucoup d’incohérences sont notées dans la gestion de l’approvisionnement en eau potable (Aep) au Sénégal. C’est ce qui ressort du rapport de synthèse sur l’Eau et l’Assainissement de la Cour des Comptes réalisé en 2021
Dans son rapport de synthèse sur l’Eau et l’assainissement, réalisé en 2021, la Cour des Comptes a noté des incohérences dans la gestion de l’approvisionnement en eau potable (Aep) au Sénégal. Des chevauchements entre directions centrales et entités autonomes ont été également signalés.
Beaucoup d’incohérences sont notées dans la gestion de l’approvisionnement en eau potable (Aep) au Sénégal. C’est ce qui ressort du rapport de synthèse sur l’Eau et l’Assainissement de la Cour des Comptes réalisé en 2021. «La configuration actuelle du secteur, qui aura pris plus d’une vingtaine d’années, est le résultat d’un processus de spécialisation des différentes entités créées. Celles-ci coexistent dans leur secteur avec des directions au niveau du ministère en charge de la tutelle technique. C’est ainsi qu’il faut relever la coexistence, dans le domaine de l’approvisionnement en eau potable (Aep), de la Direction de l’Hydraulique, de la Sones, et de l’Ofor. Il en est de même de l’Onas et la Direction de l’Assainissement ainsi que, dans le domaine de la gestion des ressources en eau, entre la Direction de la Gestion et de la Planification desRessources en Eau (Dgpre) et l’Office des Lacs et Cours d’Eau (Olac).
Par ailleurs, des incohérences subsistent dans la séparation entre hydraulique urbaine et hydraulique rurale», renseigne le document. D’après le rapport, l’approvisionnement en eau potable est assuré dans le volet urbain et assuré par un fermier chargé de l’exploitation des infrastructures de production, de transport et de distribution dans les zones urbaines et périurbaines.
Mais, d’après la Cour des Comptes, cette délimitation peut être assez problématique dans la mesure où le domaine périurbain ne connait pas de limite communément admise. «La définition du périmètre affermé dans le cadre du contrat d’affermage liant la Sones et la Sen’Eau confirme que ce domaine périurbain intègre des centres urbains et des zones rurales. L’examen de l’annexe 1 du contrat Sones-Sen’Eau permet de se rendre compte du caractère élastique du domaine périurbain. Il en est ainsi de localités qui ne sont aux abords d’aucune zone urbaine. Par exemple, dans la région de Louga, l’arrondissement de Sakal, qui n’a pas les caractéristiques d’une zone urbaine ou périurbaine, comprend des localités comme Affé Diop, Darou Niang, Khelcom Peulh, Nder Santhie prises en charge par l’hydraulique urbaine.
En outre, le périmètre affermé à l’ancien fermier a connu des extensions et retraits de localités. Ces options surviennent selon une logique économique, notamment la rentabilité de la zone à intégrer mais également la proximité d’un réseau de transport ou de distribution plus ou moins performant et polarisé par l’implantation d’un forage», d’après le document. D’après la même source, « il en est ainsi du retrait de la ville de Ourossogui au profit de celle de Matam».
Par ailleurs, précise-telle, «certaines zones, comme Tassette, sont dans le périmètre de l’Ofor alors que la Sones y développe un projet de construction de sept forages pour renforcer son dispositif de distribution d’eau pour les populations de Dakar». «De même, il est constaté une extension du périmètre aux îles du Saloum et à quelques localités comme Tattaguine et Diouroup qui, aujourd’hui, sont dans le périmètre de l’hydraulique urbaine. En outre, le maintien de la ville de Touba dans la zone de l’Ofor reste symptomatique des incohérences notées dans la partition entre hydraulique urbaine et hydraulique rurale. La localité de Touba est aujourd’hui devenue, en termes de population et d’importance économique, la deuxième ville du Sénégal après Dakar. Son urbanisation est beaucoup plus poussée que celle d’autres localités», ajoute le rapport.
DES CHEVAUCHEMENTS ENTRE DIRECTIONS CENTRALES ET ENTITES AUTONOMES
La Cour des Comptes a également fait état de chevauchements entre directions centrales et entités autonomes. «Ces chevauchements ont surtout concerné les attributions entre, d’une part, l’Olac et la Direction de la Gestion et de la Planification des Ressources en Eau (Dgpre) et d’autre part, entre l’Onas et la Direction de l’Assainissement.
Dans le premier cas, la gestion intégrée des ressources en eau a connu une étape cruciale avec la création de l’Office des Lacs et Cours d’eau du Sénégal (Olac) par la loi n°2017-17 du 5 avril 2017, avec des compétences de gestion étendues à l’ensemble des lacs et cours d’eau intérieurs du Sénégal, à l’exception de ceux qui font l’objet de conventions internationales», explique le rapport.
Le document rappelle que «les eaux souterraines restent encore gérées par la Dgpre qui détient des prérogatives sur les eaux de surface en vertu de l’article 19 du décret n° 2018-1367 du 19 juillet 2018 portant organisation du ministère de l’Eau et de l’Assainissement». «Beaucoup d’interférences sont notées entre les deux structures. Il en est ainsi de la planification et surtout de la référence expresse à la mobilisation des ressources en eau.
De même, l’Olac est particulièrement actif dans la mise en œuvre de systèmes pour la gestion des données hydrologiques. La gestion de ces systèmes comprenant les infrastructures de mesure sur les cours d’eau, qui avait fait l’objet d’une dévolution formelle à l’Olac, ne saurait aujourd’hui, revenir à la Dgpre. Sur un autre plan, cette distinction entre les types de ressources hydriques est remise en cause dans la mesure où les eaux souterraines sont, pour la plupart, régénérées par les infiltrations des eaux de surface et surtout des eaux de ruissellement. Ceci milite pour une plus grande intégration des structures», informe le rapport.