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24 mai 2025
DE LA VANITÉ DU POUVOIR
Vieux Savané revenait en 2022 sur ce 17 décembre 1962, jour où Mamadou Dia se retrouvait brutalement arrêté sur ordre de Senghor. Son récit permet de mesurer, 60 ans après, l'ampleur du gâchis d'une amitié sacrifiée sur l'autel des ambitions personnelles
Soixante ans après les faits, le journaliste Vieux Savané revenait en 2022 sur l'une des crises majeures de l'histoire politique sénégalaise. Le 17 décembre 1962, Mamadou Dia, président du Conseil de gouvernement, était arrêté dans sa résidence de la Médina par des parachutistes. Cette arrestation, ordonnée par son ami de longue date Léopold Sédar Senghor, aboutissait à sa condamnation à perpétuité pour une prétendue tentative de coup d'État. Dans son analyse publiée dans Sud Quotidien, Vieux Savané explore les conséquences durables de cette rupture entre deux figures majeures de l'indépendance sénégalaise.
Voilà 60 ans, jour pour jour, que feu Mamadou Dia, président du Conseil de gouvernement du Sénégal, avait été mis aux arrêts par Léopold Sédar Senghor. C’était le 17 décembre 1962, par une fin d’après-midi, à 18h 27mns, en pleine Médina, dans la résidence officielle de l’homme d’État, actuelle Maison de la Culture Douta Seck, encerclée dès 16 h par des éléments des forces parachutistes.
Accusé par son ami et compagnon, Léopold Sédar Senghor, d’avoir voulu fomenter un coup d’État, il sera jugé par un tribunal spécial et condamné à perpétuité.
Avec quatre de ses proches ministres : Valdiodio Ndiaye, ministre des Finances, Ibrahima Sarr, ministre du Développement, Joseph Mbaye, ministre des Transports et Télécommunications, et Alioune Tall, ministre délégué à la Présidence du Conseil, Mamadou Dia sera ensuite embastillé à Kédougou.
Le décor était en ces temps-là, celui d’une ville improbable, complètement coupée du monde en plus de se retrouver sous le poids d’une chaleur assommante qui pouvait dépasser les 40° à l’ombre. Et pourtant, lorsque lui étaient parvenues des rumeurs d’une rupture avec son camarade de parti, ses oreilles, imbibées de fidélité et de confiance à l’endroit de Senghor, obstruées par un bouchon de cérumen, ne voulaient rien entendre.
Par tempérament et par loyauté, le Président du Conseil s’était refusé à toute forme de suspicion. Au final, à cette tentative de coup d’Etat qui lui était prêtée, il a soutenu mordicus qu’il s’agissait d’ « un coup monté», faisant ainsi observer le ridicule de la situation, puisque disait-il : « On fait un coup d’Etat pour prendre le pouvoir, moi j’avais tous les pouvoirs ».
Signataire de l’acte d’indépendance, président du Conseil de gouvernement de la République du Sénégal, Vice-Président de l’éphémère Fédération du Mali , c’est Mamadou Dia qui détenait en effet tous les pouvoirs. Evoquant ses relations avec une lucidité dénuée de toute rancune observera-t-il : « C’est le fétichisme de l’amitié qui me perdra ».
Destabilisation
Et quelle amitié ! Tous deux originaires de la région de Thiès, Senghor qui a vu le jour en 1906 à Joal, et Mamadou Dia, en 1910 à Khombole, vont travailler en bonne entente pour l’obtention de l’indépendance du Sénégal survenue en 1960. Leurs relations se distendront cependant à l’épreuve du pouvoir.
Que d’insinuations pour mettre Mamadou Dia à mal avec les familles maraboutiques, notamment le khalife général des mourides, Falilou Mbacké, Seydou Nourou Tall, guide religieux, à qui l’on a fait croire que ce dernier voulait leur destitution et qu’ils figuraient sur la liste des personnes à mettre en état d’arrestation.
En direction des officiers de l’armée de confession catholique, tels Jean Alfred Diallo, Faustin Pereira, l’épouvantail d’une menace de guerre confessionnelle était agité. Une propagande insidieuse distillée de manière subtile avait ainsi dépeint Mamadou Dia comme un homme autoritaire doublé d’un rigoriste intransigeant.
Image aux antipodes de ce qu’il était vraiment car, bien que nourri à la lecture du Coran, il était ami de feu Mgr Hyacinthe Thiandoum, Abbé Jacques Seck. De même, il entretenait une forte complicité intellectuelle avec le Père Lebret, Roland Colin, sans compter qu’il avait demandé et obtenu une audience avec le Pape Jean XXIII. C’est dire combien l’homme était éloigné de toutes ces descriptions caricaturales. N’empêche ! Il demeure que l’on arrive encore difficilement à se détacher de cet incroyable sentiment de gâchis que le Cardinal Hyacinthe Thiandoum avait si bien campé en 1996, dans les colonnes du quotidien « Le Soleil » consacré au 90e anniversaire du Président Léopold Sédar Senghor.
Ainsi avait-il confié : « J’ai profondément regretté et une multitude de Sénégalais comme moi, la grave crise politique survenue dans le pays en décembre 1962 (..). Au vu du travail accompli, l’éclatement de cette équipe a été considéré au Sénégal et à l’extérieur comme une catastrophe ou un coup de maître des puissances du mal ».
Regrets
Des années plus tard, dans le journal, « La Dépêche Diplomatique », Mamadou Dia regrettait avec une pointe de déception empreinte de nostalgie, ce qui lui apparaissait comme un terrible gâchis. Aussi avait-il relevé : « C’est très dommage tout ça encore une fois, très dommage pour notre amitié parce que moi, je garde encore une certaine affection, de la tendresse pour lui. Et c’est ça qui est extraordinaire. Je n’arrive pas à en faire un ennemi mais par contre, à voir ce qui se passe, ce que le Sénégal est devenu après, à la suite des évènements de 1962, rien que pour des questions de pouvoir personnel, régner de manière personnelle sur le Sénégal, pour en arriver là et toutes les conséquences que cela a eu sur le plan de l’évolution de notre pays après que nous étions si bien partis ».
Mamadou Dia de poursuivre : « Nous étions un exemple qui aurait pu éviter à l’Afrique tout ce qui est arrivé aujourd’hui, nos nouvelles indépendances. Tout ça aurait pu être évité s’il n’y avait pas eu cet acte de folie et d’égoïsme de sa part en décembre 1962, ça, c’est évidemment quelque chose que je ne peux pas oublier, je ne peux pas pardonner ».
Pour sa part, le président Senghor déclarait : « Bien sûr, je le regrette, vous savez il y a 17 ans que je suis ami avec Mamadou Dia. C’est moi qui l’ai découvert et qui l’ai poussé à franchir les étapes de la carrière politique , l’une après l’autre. Je le regrette mais le régime de l’exécutif bicéphale, nous avons fait l’expérience, c’est impossible. Que se passe -t-il autour du Président du Conseil et du Président de la République ? Des clans rivaux se forment auprès du Président du Conseil et du Président de la République qui cherchent à les dresser l’un contre l’autre et vous en voyez les conséquences ».
« Le prix de la liberté »
Ses douze années d’embastillement, dans des conditions éprouvantes n’auront pas émoussé la combativité de Mamadou Dia. Il sera resté d’une fidélité têtue à ses convictions, à sa volonté de voir le Sénégal sortir de l’ornière.
A travers son ouvrage « Le prix de la liberté », parviennent en écho les conditions difficiles vécues à Kédougou, loin des siens, coupé de tout, jeté dans une contrée hostile. Quand sa famille l’y retrouvait, une fois tous les six mois, après un long et éprouvant voyage, se voyant infligé la dégradante humiliation d’une intimité sous tutelle, obligé qu’il était, de converser avec les siens, en présence de ses geôliers. Livres et journaux soumis à la censure préalable du ministre de l’Intérieur. Il n’avait pas non plus la latitude d’écouter la radio de son choix, sinon les informations que crachotait la seule chaîne nationale et qui lui provenaient de l’appareil branché depuis le poste de garde. Comme si tout cela ne suffisait pas, il raconte avoir vu ses geôliers anticiper, entre le mur de sa chambre et le mur extérieur, le creusement de la tombe qu’il lui promettait. Puisant dans sa foi, sa conviction, ses ressources morales, il résistera ainsi à l’entreprise de destruction psychologique.
Droit et devoir
En tout état de cause, alors que Senghor voulait que Mamadou Dia renonçât à toute vie politique en cas d’élargissement de prison, ce dernier, raconte Roland Colin son ancien directeur de cabinet, lui aurait répondu alors qu’il l’avait retrouvé dans l’insoutenable, brûlante et étouffante solitude de sa prison de Kédougou : « La politique pour moi n’est pas un droit mais un devoir. On renonce à un droit mais pas à un devoir ». Une belle leçon d’engagement surtout en ces moments troubles ou pour beaucoup la politique est vécue comme le moyen le plus sûr et le plus rapide de s’enrichir, « tekki » comme l’on dit trivialement. Pour Dia, et fidèle en cela au révérend Père Lebret : « Le développement consiste pour une population au passage d’une phase moins humaine à une phase plus humaine ».
A travers les images fixées par le magnétoscope du sociologue Babacar Sall qui l’a filmé à l’occasion d’une de leurs nombreuses rencontres, où on le découvre sans fioritures, tel qu’en lui-même, pris sur le vif, son épouse, Oulimata Ba, témoignait par ces mots sur son « époux et ami », affirmant qu’il « n’était pas homme d’argent ». Déçu par le tournant de la première alternance politique, il n’avait de cesse de dénoncer la tentation du pouvoir personnel et absolu qu’il voyait poindre à travers les révisions unilatérales de la constitution. En tout état de cause, le compagnonnage et la complémentarité des deux hommes qui auraient pu faire croire à des lendemains qui chantent n’ont pas tenu. Ils seront malmenés et défaits par les intrigues courtisanes, la vanité du pouvoir et cette insatiable volonté de puissance qui balaie de son chemin toute forte personnalité. Ce qui rend encore plus pertinent cet appel de Mamadou Dia à l’entame de sa prise de fonction.
Ainsi avait-il prévenu : « Nous ne devons pas confondre la dignité de la fonction avec le luxe et le gaspillage inadmissible ». Une mise en garde qui tarde encore à être entendue. 62 ans après l’indépendance. Habité par une espérance, cet homme dont le regard restait toujours happé par le possible, avait véritablement le Sénégal au cœur. Le redécouvrir, le célébrer en cette période où notre histoire politique donne l’impression de vaciller et de ne pas vouloir avancer résolument dans un dessein transcendant, malmenée qu’elle est par les calculs sordides, les basses manœuvres, les violences, le non-respect des institutions, Ce qui rend d’une brûlante actualité la vigilance démocratique, républicaine, laïque dont Mamadou Dia, qui a quitté la scène du monde le 25 janvier 2009, a fait montre jusqu’à son dernier souffle.
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Enjeu complexe
Le franc CFA, monnaie commune à plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale, fait l'objet de critiques depuis plusieurs décennies. Ces débats se sont intensifiés ces dernières années, reflétant une volonté de réévaluer leur lien ...
Le franc CFA, monnaie commune à plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale, fait l'objet de critiques récurrentes depuis plusieurs décennies. Ces débats se sont intensifiés ces dernières années, reflétant une volonté croissante de certains États africains de réévaluer leur lien avec la France et de renforcer leur souveraineté monétaire.
L’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, comme de nombreux autres écrivains pondent les ouvrages d’éveil de conscience sur le sujet. Invité de l’émission Le Point diffusée sur la télévision nationale RTS, l’écrivain sénégalais a passé au peigne fin la thématique de cet héritage colonial, les critiques et les perspectives d’un abandon.
Par Moussa PAYE
MAMADOU DIA, VOTRE SOCIALISME N'EST PAS LE NOTRE
Si Mamadou Dia promène sa plume sur le gâchis de son grand dessein, Magatte Lo, pragmatique, circonscrit son livre autour des événements de 1962.
La parution du livre de Magatte Lo, « L'heure du choix», puis celui de Mamadou DIA Mémoires d'un Militant du Tiers-Monde, a déplacé un certain moment le débat politique vers le passé. Un passé qui pèse encore sur le vécu quotidien : les conditions de notre accession à l'indépendance, les circonstances de l'éclatement de la Fédération du Mali et la crise de décembre 1962.
Si Mamadou Dia promène sa plume sur le gâchis de son grand dessein, Magatte Lo, pragmatique, circonscrit son livre autour des événements de 1962. Le décor et les acteurs qu'il évoque, lui en tête, tendent vers un objectif capital à ses yeux : la chute d'un Mamadou Dia devenu encombrant.
Il va la provoquer par un volontarisme suicidaire qu'il met au compte du « Ngor et du Djom » et qu'il propose en exemple à travers ses enfants, à toute la postérité.
Somme toute, Magatte Lo n'a pas tort de pavoiser. Il a gagné son combat, celui des nouveaux maîtres comme Frantz Fanon appelait cette bourgeoisie naissante que d'aucuns baptiseront « bourgeoisie bureaucratico-politique ». Sa montée est symbolisée parla hardiesse d'un Alioune Sène et d'un Daouda Sow, mitraillette au poing assurant la garde de l'homme du choix pendant la nuit du dénouement. Et par le même Magatte Lo et ses amis de la dissidence face aux forces de l'ordre, quand l’ordre s'appelait encore Mamadou Dia
Pour Magatte Lo et l'aile modérée du parti au pouvoir, l'indépendance était un moyen de recevoir en or et honneurs les dividendes d'une lutte politique équivoque.
Alors ni Modibo Keita, l'intransigeant révolutionnaire, ni Mamadou Dia de par trop radical ne s'inscrivaient dans la perspective de l'étape historique immédiate que les stratèges de la décolonisation douce avait planifiée et décidée. Ils devaient disparaître de la scène comme les Um Nyobe, les Bakary Djibo et les Lumumba.
Après avoir accepté le compromis du « Oui » au référendum pour préserver la Fédération du Mali, Mamadou Dia neutralisera le Soudanais pour le profit politique d'un Senghor passablement réticent et pour la perte de la première Union africaine dont les allures militantes inquiétaient déjà la France.
Ces deux volte-face entameront son crédit de « Militant du Tiers-Monde ». De la première il tentera de se justifier dans son livre : « j’avais même en tant que secrétaire général de l'UPS fait un rapport dans le sens négatif » (page 90-91). Il se justifie mal puisqu'il consacrait la rupture avec l'aile gauche du parti, ce qu'il reconnaît en écrivant à la page 94 : « Abdoulaye Ly et ses amis se sont détachés, ont démissionné pour constituer le PRA - Sénégal... »
Il n'est pas jusqu'à son directeur de Cabinet de l'époque pour soutenir une fronde aussi méritoire que salutaire mais que Mamadou Dia perçoit comme une infamie sanctionnée par la disgrâce d'un éloignement politique: « Jean Collin, mon directeur de cabinet, qui était pour le vote négatif a voté contrairement à la décision du parti. Il sera amené à quitter ce poste pour celui de délégué à Rufisque ».
GAUCHISTES
Dès lors, pourquoi Mamadou Dia s'étonnera-t-il que la gauche de son parti et l'extrême gauche qu'il avait contrainte à la clandestinité, lui tourne le dos sans rémission ? Lui-même ne s'est jamais reconnu en elles, aux heures de sa splendeur. Quand l'extrême gauche et la gauche de son parti se sont retrouvés porteuses de pancartes sur la Place Protêt, actuelle Place de l'Indépendance, pour huer De Gaulle mais ovationner son proche compagnon Valdiodio Ndiaye. Mamadou Dia les récusera par un communiqué commun avec Léopold Senghor, de Paris. Dans ses mémoires, il persiste et signe: « Les manifestations il faut le dire, ont été organisées par des gauchistes ».
Au soir du 17 décembre 1962, les gauchistes, regarderont choir comme un fruit trop mûr, l'homme qui, pour eux n'était que le bras séculier du doux poète. Car Mamadou Dia sera toujours tétanisé face à « Léopold». Ne le dit-t-il pas lui-même: « encore une fois, si j'ai été perdant, dans cette affaire de 1962, c'est que tout simplement je suis demeuré sourd à toute information qui tendait à mettre en cause ma confiance en Senghor (page 147).
Difficile équation pour ceux-là qui seraient tentés de suivre Mamadou Dia : comment être contre Senghor pour Mamadou Dia qui est pour Senghor ? Chacun résoudra ce dilemme selon sa personnalité pendant les heures où l'habileté de Magatte Lo sera d'arracher Mamadou Dia du cœur de Senghor et où Valdiodio Ndiaye ne réussira qu'à rendre plus tragique, plus cornélien l'amour de Dia pour Senghor. Il en restera pour Magatte Lo des traces d'amertume sur les pastiches d'un Senghor indécis et calculateur sinon ambigu, dans son livre. Et pour Valdiodio Ndiaye, une défection de dernière minute qui après la défaite, la prison, les souffrances et les invectives, le verra mourir sous les couleurs de l'adversaire d'antan. Il reste que l'anti-impérialisme, le nationalisme et un certain attrait pour le socialisme, étaient du camp de Mamadou Dia. Ce n'était donc pas attitude innocente ni gratuite que d'évoquer comme le fit Magatte Lo devant un chef religieux, l'appoint des troupes françaises, sur le front de mer, au coup de force contre Mamadou Dia.
Pour les besoins de la cause, l'affrontement Senghor-Dia prendra l'allure d'une opposition du croissant à la croix. Surtout quand le chef d'Etat-major, Amadou Fall, musulman pro-diaiste sera évincé au profit de Jean Alfred Diallo, chrétien favorable à Senghor, et quand un autre chrétien, le capitaine Preira sera chargé de l'arrestation de Mamadou Dia et son quarteron de fidèles.
Dans son livre, Mamadou Dia donne à sa défaite une signification politique internationale. « En divers endroits en Europe et dans les milieux capitalistes, on a sablé le champagne. Le socialisme venait de perdre une bataille sous les coups pernicieux d'ennemis internes et externes ». ( page 156).
Et puis, les années passent, douze années de dure réclusion jusqu'à ce jour du 28 mars 1974 où Mamadou Dia recouvre la liberté. Il voudra - ô surprise - remercier Senghor et l'assurer de sa disponibilité et celle de ses amis pourle devenir d'une nation qu'il chérissait - à sa manière - par-dessus tout. Celui-ci fixe rendez-vous à son domicile. Mamadou Dia raconte : « je suis arrivé chez lui à 21 Heures. Il m’a reçu en manifestant d'abord un peu de gêne. Je le sentais. Alors pour détendre tout de suite le climat, je lui ai dit : Mon cher ami, embrassons-nous »
Ç'aurait pu être une belle fin, si les histoires vraies pouvaient avoir une fin. Mais celle-ci a continué passant sur les silences de Senghor aux avances de Dia : « Si tu as besoin de moi, je suis à ta disposition pour discuter… ». On reste encore sur sa faim quant à l’attitude de Dia, à la longue attente de Cheikh Anta Diop qui voulait constituer le Rassemblement national démocratique avec lui.
Avec le recul et l'âge, Mamadou Dia se défend de toute amertume ou rancune. Il continue son combat titanesque. Que de désillusions et de malentendus auraient pu être évités si, à l'occasion de leurs innombrables tête-à-tête, Léopold Senghor l'avait pris à part pour lui dire ce que lui placarda la rédaction du journal de l'AOF, proche de Lamine Gueye, en refusant de publier son article : « Mamadou DIA, votre socialisme n'est pas le nôtre».
Par Moussa PAYE
IN Sud Magazine N°3-Octobre 1986
LA LEVÉE DE L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE DE FARBA NGOM AU MENU DE LA PRESSE DU WEEK-END
la procédure ayant permis à l’Assemblée nationale d’autoriser le parquet financier à mener des poursuites judiciaires contre ce député du groupe Takku Wallu Sénégal.
Les quotidiens commentent, pour leur édition de ce week-end, la procédure ayant permis à l’Assemblée nationale d’autoriser le parquet financier à mener des poursuites judiciaires contre ce député du groupe Takku Wallu Sénégal.
‘’Le député Farba Ngom est désormais disponible pour la justice’’, observe Le Soleil, précisant que 130 des 165 députés ont voté pour la levée de son immunité parlementaire.
Trois parlementaires ont voté contre la procédure et autant se sont abstenus de voter.
‘’La balle est dans le camp du procureur du parquet financier’’, ajoute Le Soleil, expliquant qu’il revient à ce dernier de préparer un réquisitoire introductif, un document par lequel il saisira le juge d’instruction du Pool judiciaire financier, lorsqu’il aura reçu la notification du vote des parlementaires.
On remarque, en lisant le journal L’info, que la présidente du groupe Takku Wallu Sénégal, Aïssata Tall Sall, a fait usage de son talent oratoire pour s’exprimer comme savent le faire les avocats dont elle fait partie. ‘’Si le ministère de la Condamnation est glorieux, le ministère de la Justice est encore plus glorieux’’, a-t-elle argué en dénonçant la levée de l’immunité de son collègue.
‘’Mamadou Dia laisse l’image d’un homme politiquement intègre’’
‘’Nous ne sommes pas dans une situation juridictionnelle. Nous respectons les droits de [Farba] Ngom. Nous respectons sa dignité et son honneur’’, s’est défendu Abdoulaye Tall, un membre du groupe Pastef – qui détient la majorité des sièges de la chambre parlementaire -, avocat lui aussi.
Libération note que ‘’le député-maire d’Agnam (dans la région de Matam) est le premier parlementaire de la 15e législature à perdre son immunité parlementaire’’.
‘’Les juges sont désormais libres d’auditionner le député. Me Aïssata Tall Sall dénonce une précipitation dans le traitement du dossier, Pastef botte en touche. Des manifestations éclatent à Agnam après le vote de l’hémicycle’’, note le journal EnQuête.
L’As rappelle que le parquet a demandé la levée de l’immunité parlementaire de M. Ngom parce que son nom a été associé aux infractions évoquées, dans un rapport de la Cellule nationale de traitement des infractions financières, une institution dédiée à la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Estimant que la procédure menée contre leur collègue relève d’une ‘’forfaiture’’, les députés du groupe Takku Wallu Sénégal ont boycotté le vote à la demande d’un des leurs, Abdou Mbow. ‘’D’un commun accord, ces députés […] se sont levés comme un seul homme pour quitter la salle’’, rapporte-t-il.
L’immunité de Farba Ngom a été levée au terme d’une procédure rythmée de ‘’vives polémiques, qui a tenu le pays en haleine pendant des jours’’, fait remarquer L’Observateur, précisant que les faits de blanchiment de capitaux dont est accusé le député portent sur 125 milliards de francs CFA.
‘’Tendance vestimentaire’’
Sud Quotidien consacre un dossier à Mamadou Dia, le premier à avoir dirigé le gouvernement du Sénégal, décédé il y a seize ans.
‘’Aujourd’hui, Mamadou Dia laisse l’image d’un homme politiquement intègre […] Il laisse en héritage une vision audacieuse d’un pays souverain et démocratique’’, lit-on dans le journal.
Il publie de nouveau une interview qu’avait accordée cette figure politique sénégalaise à Sud Magazine en 1986. ‘’Je ne veux appartenir à aucune structure de pouvoir’’, soutenait Mamadou Dia.
Le Soleil planche sur la ‘’tendance vestimentaire’’ dont seraient à l’origine le président de la République et le Premier ministre.
‘’En optant pour des tenues […] Made in Sénégal, le président de la République [et le] Premier ministre […] insufflent une nouvelle vision de l’élégance et valorisent l’artisanat local’’, observe le journal.
Cette tendance vestimentaire ‘’fait des créateurs sénégalais des acteurs centraux du renouveau culturel et économique du pays’’, commente Le Soleil.
WalfQuotidien publie des ‘’chiffres de l’horreur’’, concernant les avortements clandestins. ‘’Plus de 30.000 cas recensés chaque année’’ au Sénégal, lit-on sur la une du journal, selon lequel 11 % des personnes placées en détention dans les prisons sénégalaises le sont pour des faits d’avortement clandestin.
MAMADOU DIA À CŒUR OUVERT
Nous avons rencontré le président Dia pour discuter de vive voix avec cet homme fier et altier, prisonnier de ses certitudes axiologiques et éthiques, de toutes les questions évoquées avec un style si poignant dans son ouvrage
Interview conduite par Babacar TOURE, Ibrahima FALL, Boubacar Boris DIOP |
Publication 25/01/2025
L’actualité politique sénégalaise a été marquée ces derniers temps par la publication des mémoires de MM. Maguette Lo, ancien ministre et de Mamadou Dia, ancien président du Conseil. La publication de ces deux livres a suscité plusieurs réactions de la part des acteurs des douloureux événements de 1962. Suivant une certaine logique de légitimation ou de justification, beaucoup de personnalités ayant jadis joué un rôle de premier plan sur l’échiquier politique sont intervenus dans le débat pour faire part à l’opinion de leur propre lecture des événements.
Au centre du débat, le président Dia affirme être quitte avec sa conscience après avoir, selon lui, rétabli la véracité des faits. Son livre en tout cas constitue un document d’une rare densité intellectuelle dont les analystes politiques ne manqueront pas de tirer les conséquences.
Nous avons rencontré le président Dia pour discuter de vive voix avec cet homme fier et altier, prisonnier de ses certitudes axiologiques et éthiques, de toutes les questions évoquées avec un style si poignant dans son ouvrage. Nous avons abordé avec ce patriote intransigeant, nourrissant un véritable culte de l’amitié, toutes les questions susceptibles de vous intéresser. Très disponible malgré son âge avancé, le président Dia a évoqué pour nous, le contexte de publication de ses mémoires, les événements de décembre 1962, ses rapports avec ses anciens camarades de l’UPS et de l’opposition d’alors, l’échec de la Fédération du Mali, sa conception de l’Unité africaine, le sens de son actuel combat dans l’opposition sénégalaise, etc. Nous vous livrons le fruit de cette réflexion recueillie à chaud. Et spontanément.
Sud Magazine : Pourquoi des mémoires maintenant seulement ?
Mamadou Dia : Je n’avais pas l’intention d’écrire. C’est à la suite de l’interview de Rolland Collin et sous la pression des amis que j’ai finalement décidé d’écrire. Et puis, il y a eu toute cette controverse alimentée par mes adversaires, alors qu’il y a eu amnistie et ils ont continué à déformer l’Histoire.
Hier c’était Magatte Lo, aujourd’hui c’est vous qui publiez vos mémoires. Cette coïncidence est-elle le fruit du hasard ?
Beaucoup de gens pensent que ce n’est pas un simple hasard et avancent l’hypothèse de la parade car, la sortie de mon livre était annoncée depuis 3 ans.
Pour entrer dans le vif du débat, y a-t-il eu en 1962 de votre part tentative de coup d’Etat ?
Je vous renvoie à mon livre. On ne prend pas le pouvoir quand on a tous les pouvoirs. Le bon sens l’exclut. Il y a des gens qui ont comploté contre le Parti et se sont emparés de l’appareil du Parti alors que j’étais prêt à céder le pouvoir à Senghor.
Comment expliquez-vous l’absence de réaction du parti en votre faveur alors que vous réclamiez le respect de la primauté du parti sur l’Etat ?
Vous savez l’appareil gouvernemental est déterminant dans le jeu du pouvoir en Afrique.
Finalement la politique a eu raison de votre amitié avec Senghor, et vous avez perdu le pouvoir et l’ami
Un homme politique véritable doit faire la part des choses. J’ai le fétichisme de l’amitié. C’est un tort, une insuffisance en politique. Je fais mon autocritique. Cependant, même la politique ne doit pas exclure l’éthique qui est au-dessus de tout. Si vous excluez l’éthique de la politique, il n’y a plus rien du tout. C’est valable en politique comme en religion.
On peut penser qu’après toutes ces années d’isolement, c’est l’amertume, les ressentiments, l’esprit revanchard, qui vous font parler
Je n’ai pas de ressentiments ni d’amertume. Si j’ai pu paraître tranchant dans mon livre, c’est que ce sont les faits que j’évoque qui sont durs, dramatiques. Je devais la vérité à l’opinion. Personnellement, je me considère comme un homme chanceux. Dans cette affaire, c’est le pays qui a perdu.
Vous vous êtes attiré l’inimitié [de] collectivités ... à cause de vos méthodes qualifiées d’autoritaires
Je suis un homme d’autorité mais je suis un démocrate. Il y a des secteurs que ma politique heurtait aussi bien dans leurs privilèges que dans leur conservatisme. Par exemple, la promotion d’un islam éclairé, rénové, ne plaisait pas à tout le monde, la politique coopérative, les champs collectifs tout cela n’était pas du goût de certains.
Pour une certaine opinion, le président Dia, c’était la rigueur et l’assainissement des mœurs bien sûr, mais également une certaine rudesse.
Oui, oui, c’est vrai.
Et ça ne vous a pas toujours gagné les faveurs de l’opinion ...
Oui, sûrement mais moi je pensais qu’il fallait faire simplement ce qu’on avait à faire. Il fallait faire son devoir et je me souciais très peu vraiment de propagande, parce que tout ça c’est de la propagande. Moi je pense qu’on a des tâches à faire, on les fait en toute conscience. Je me suis efforcé tout simplement de mener à bien les tâches qui m’étaient dévolues en toute conscience, sans me soucier vraiment de ce qu’on pouvait en penser.
(…) Dans un passage de votre livre vous dites que quand vous avez été arrêté. Senghor ne voulait pas de procès, il avait des mouvements d’âme, mais que c’est Lamine Guèye et Fofana qui ont insisté ...
Je crois à ça aussi. Je l’ai dit dans le livre. Je crois que Lamine Guèye m’en voulait personnellement parce qu’il me considérait comme celui qui l’a vraiment abattu. Je crois que c’est ça le fond du problème. Lamine Guèye a toujours considéré que s’il n’y avait que lui et Senghor, il n’en aurait fait qu’une bouchée.
Est-ce que ce n’étaient pas des divergences d’ordre idéologique puisqu’il était le principal animateur de la section sénégalaise de la SFIO ?
Non ! Il n’y a pas que ça, parce que Lamine Guèye n’était pas un idéologue. Il avait des principes démocratiques et je l’ai dit : c’était un Républicain et il allait le prouver par son œuvre législative. Il était un grand juriste et je l’ai dit. Il avait une certaine générosité sur le plan politique mais à côté de ça, il était très personnel, Lamine Guèye. C’est lui qui devait régner par don. Il admettait difficilement que des jeunes soient venus le bousculer. Et le jeune loup, ce jeune loup qui a beaucoup contribué à l’époque à abattre Lamine Guèye, c’était moi.
(…) Quels étaient vos rapports avec Abdou Diouf, puisque c’est vous qui l’aviez également nommé gouverneur à l’époque ?
Oui, vous savez qu’Abdou Diouf à l’époque, sa tante, Toutane Basse, était la première militante de St-Louis. Il a été élevé par elle. Cette dernière avait pour moi de l’amitié en plus des relations entre camarades de parti. Il y a également des rapports personnels. Quand elle venait à Dakar, elle descendait chez moi, mais pas toujours puisqu’elle avait des parents ici à Dakar. Donc Toutane Basse avait beaucoup insisté auprès de moi (Abdou Diouf venait de terminer ses études à Paris), elle voulait que je fasse tout pour le faire revenir au pays. Comme je considère toujours mes amitiés, alors j’ai tenu quand même à honorer ce vœu de mon amie Toutane Basse.
C’est ainsi donc que d’abord, je me suis arrangé pour le faire figurer parmi la délégation du Sénégal aux Nations-Unies. J’ai été moi-même aux Nations Unies pour représenter le Sénégal et ça a été l’occasion pour moi d’amener Abdou Diouf avec moi. J’étais ministre de la Défense du Sénégal et également président du Conseil. Je me souviens donc que j’ai nommé Abdou Diouf comme secrétaire général de la Défense, à mes côtés. Puis quelques mois après, c’était la réforme territoriale, il y avait la création de postes de gouverneur de région et c’est en ce moment-là que je l’ai proposé comme gouverneur de la région du Sine-Saloum. J’ai trouvé, d’ailleurs, qu’il avait également un bon dossier. Il n’y avait pas seulement des relations personnelles qui ont joué, il y avait également ses mérites personnels, parce que s’il n’y avait pas eu ses mérites personnels, je ne me serais pas permis de lui confier un poste aussi important. C’était aussi l’époque où je me disais qu’il fallait préparer la relève. J’allais ainsi même mettre un peu partout dans tous les postes importants des Sénégalais, même s’ils n’avaient pas encore l’expérience. Senghor n’était pas de cet avis-là. Mais je pense que c’est en se jetant à l’eau que l’on apprend à nager. En tout cas qu’ils se jettent à l’eau me disais-je ! C’est donc dans ces conditions-là que j’ai nommé Abdou Diouf. Il y en avait d’autres comme Habib Thiam et Babacar Ba, comme mon directeur de cabinet. Donc Abdou Diouf a été nommé comme gouverneur. Là aussi, je me heurtais à l’argument de l’inexpérience et de la non-appartenance au parti. Alors là, j’ai parlementé avec eux pour les convaincre d’entrer au parti, ce qu’ils ont fait d’ailleurs.
Quel rôle a joué, lors des événements de 62, Abdou Diouf en tant que gouverneur ?
Mais il a fait comme tous les autres gouverneurs, aussi je n’ai pas compris. On a voulu faire un sort spécial à Abdou Diouf. La vérité c’est que tous les gouverneurs de l’époque me soutenaient et quand on leur demandait d’envoyer des messages de soutien à Senghor, ils étaient tous réticents. Ily avait Amadou Arona Sy à Ziguinchor. Valentin était alors à Thiès. Abdou Diouf a résisté quelques temps. Je dis le seul qui a résisté jusqu’au bout, c’est Amadou Arona Sy, mais ça on ne le dit pas. On dit qu’Abdou Diouf a été le seul, ce n’est pas vrai, c’est une façon de déformer l’histoire.
Est-ce qu’effectivement il a envoyé la motion de soutien à Senghor parce qu’il y a une controverse jusqu’à présent ?
Ça je ne sais pas. C’est des détails, ça je l’ignore. Ce que je sais c’est que tous les gouverneurs de région étaient réticents d’abord. Je dis qu’après, le seul qui ne se soit pas enrôlé, c’est Amadou Arona Sy
Vous vouliez à l’époque que la génération de Abdou Diouf prenne la relève, aujourd’hui la relève est assurée par Abdou Diouf, est-ce que vous regrettez votre option de départ puisque vous vous opposez à lui aujourd’hui ...
Certainement je l’ai dit, mais j’étais de bonne foi, je ne le regrette pas et je pensais qu’il fallait mettre les gens devant leurs responsabilités. Pas seulement d’ailleurs assurer une relève sur le plan politique, mais aussi une relève sur le plan administratif. Je crois que ça aussi, c’est important. Il fallait que ce soit des Sénégalais. Senghor lui n’avait pas confiance aux Sénégalais. Il me disait : « Dia attention, on n’est pas prêt, il faut se préparer vous savez ». II faut que les gens se jettent à l’eau. Je crois que c’est une idée qu’il faut défendre. Il faut la relève et aujourd’hui encore je défends la politique de la relève. Mais relève avec qui ? C’est ça le problème.
(…) Il y a peut-être une question qui concerne vos mémoires parce que nous avons eu beaucoup d’échos et les gens disent que vous êtes trop tendre avec Senghor, même à la limite, câlin.
Oui, mais je pense que je n’arrive pas à faire preuve de hargne à l’égard de Senghor, pas plus d’ailleurs que je dois le faire à l’égard de qui que ce soit, à plus forte raison à l’égard de Senghor. Je considère qu’il y a des liens anciens. J’ai raconté comment j’ai connu Senghor, comment nous avons ensemble milité, nous nous sommes battus ensemble, même si par la suite, il y a eu ce qu’on peut appeler trahison de sa part. Ces choses-là, on ne peut, du jour au lendemain, les gommer. Moi, je suis un homme avec ma nature, ma sensibilité. Bon, je pense que je peux avoir porté un jugement politique sur cela, mais ça ne peut pas altérer ma sensibilité personnelle. Je l’ai dit d’ailleurs, il a exercé sur moi un certain charme. Je crois d’ailleurs que tous ceux qui ont rencontré Senghor reconnaissent que le personnage est séduisant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a eu aussi à posséder tous ses compagnons, tous ses amis. Je ne suis pas le seul à avoir subi le charme du personnage. Oui, et j’ai parlé du fétichisme de l’amitié, c’est moi qui suis ainsi fait. Malgré tout, il y a des choses que je respecte.
Et puis, il faut dire que politiquement, j’ai eu raison. Ayant eu raison vraiment, et je crois avoir raison, ai-je besoin de piétiner ce personnage ? Je crois que c’est inutile.
Vous avez tu beaucoup de choses sur Senghor qui auraient pu être plus graves
J’ai dit ce que je devais dire sur le plan politique, aux gens, à mes compatriotes. Ce que je sais sur le plan personnel, ça c’est autre chose. Je n’ai pas à dire ce que je sais. Non seulement de Senghor mais aussi des autres. Il y a des choses que je devrais porter à la connaissance de l’opinion, c’est ce que je me suis efforcé de faire sans donner l’impression que je nourris une haine quelconque à l’égard de Senghor. Je n’ai pas de haine et c’est même dommage que Senghor n’ait pas tout à fait compris cela parce que je pense que s’il avait compris, il aurait même, pendant qu’il était encore au pouvoir, pu essayer de faire encore quelque chose. Et je l’aurais aidé certainement dans la mesure où vraiment, il aurait fait son autocritique, ce qu’il n’a jamais fait. Je crois qu’il n’a pas compris
(…) Senghor, depuis qu’il a quitté le pouvoir vous êtes-vous rencontrés?
Non je l’ai vu deux fois quand il était encore au pouvoir, c’était au lendemain de ma libération quand je suis allé le saluer et le remercier de nous avoir remis en liberté sans conditions, sans que nous le demandions. Je suis allé le revoir une deuxième fois quand j’ai créé l’Internationale africaine des Forces pour le Développement, pour lui soumettre le projet, lui en exposer les mensurations. Je crois que ce sont les deux fois que j’ai rencontré Senghor. Depuis, on ne s’est pas vus. Quand il a perdu son fils, je lui ai envoyé une lettre de condoléances dont il semblait être très touché d’ailleurs parce qu’il m’a répondu en des termes touchants. Pour moi, vraiment, les rapports humains c’est autre chose que les rapports politiques. Quand deux ans après, à mon tour j’ai perdu mon fils, il m’a adressé une lettre de condoléances. Mais depuis, nous ne nous sommes pas vus.
Vous étiez prêt à renouer avec Senghor à votre sortie de prison ? Vous avez dit que vous l’aviez invité à la discussion politique mais qu’il a refusé. S’il avait accepté y aurait-il eu une possibilité d’un nouveau départ ?
J’aurais discuté avec lui. Je ne sais pas s’il y aurait eu une possibilité, ça moi, je n’en sais rien. En tout cas je pensais qu’au lendemain de notre libération, étant donné la situation du pays, de son échec manifeste, il pouvait comprendre qu’il y avait là une planche de salut que je lui tendais. Je pensais à discuter de la façon de reprendre les choses mais pas pour partager le pouvoir, créer pour moi une vice-présidence et ce n’est pas le problème pour moi. S’il était d’accord sur un programme de redressement national, un programme de rénovation nationale, en ce moment-là, j’aurais certainement aidé à la réalisation de ce programme sans prendre d’ailleurs une responsabilité active dans un gouvernement quelconque. Mais j’étais prêt en ce moment-là, mais, malheureusement, il n’a pas accepté.
(…) Vos rapports avec le patronat de l’époque surtout étranger ?
Ils étaient contre la politique de socialisation. Cependant je distingue entre les intérêts privés et le gouvernement français.
Comment vouliez-vous la Fédération à l’époque ? Quels étaient les instruments de cette Fédération ? Comment devaient-ils se mettre à l’œuvre concrètement ?
Vous reprenez les statuts de la Fédération du Mali. A l’époque il y a eu d’abord le Congrès du PFA, son document qui avait défini les structures de la fédération, -sa politique sur tous les plans : intérieur, économique et financier, les projets, et sur le plan constitutionnel ainsi que sur celui de la diplomatie. C’est pourquoi, je crois que vous avez intérêt à aller aux sources, il y a quand même dans ce livre des indications où je donne des précisions. Il y a la Fédération du Mali, sa Constitution. Donc il y avait vraiment tous les instruments de la Fédération. J’ai expliqué aussi dans « Nations africaines et Solidarité mondiale », dans la postface, (si vous ne l’avez pas lu je vous l’indique).
La Fédération du Mali donc a échoué alors que vous vous aviez de réelles convergences avec Modibo Keïta ?
Ah oui !
Vous avez également joué un rôle déterminant dans l’éclatement ?
Oui, c’est vrai parce que là aussi je pense que Modibo Keïta n’a pas joué le jeu. Il ne suffit pas d’avancer qu’on est d’accord pour telle fédération, s’il faut utiliser la fédération pour dominer un Etat, un territoire, un peuple. Ça on ne peut pas être d’accord et, manifestement, c’était la démarche de nos partenaires du Soudan. Ce qu’ils voulaient, c’était exercer une sorte d’hégémonie sur le Sénégal. C’était clair. Et le débat d’ailleurs qu’on a eu avec eux, Senghor qui l’avait présidé, l’a montré, indiquait qu’ils intervenaient dans les affaires intérieures du Sénégal. Nos correspondances étaient violées ainsi que celles de nos camarades syndicalistes. Des responsables syndicalistes, Abdoulaye Ba, a fait état comme responsable syndical des correspondances qui ont été violées par le ministre de l’Information du Mali.
Comment voyez-vous l’évolution probable des relations arabo-africaines et quelle solution préconiseriez-vous?
Je pense qu’il faudrait reprendre tout ça. Peut-être même qu’il faudrait une conférence et cette conférence devra être préparée. Bien sûr, de temps en temps, ils tiennent des conférences, ils appellent ça des conférences islamiques, des pays islamiques et sous le manteau de l’Islam. Là il faudrait vraiment démystifier parce que si on fait ces choses-là en disant que c’est sous le couvert de l’Islam, le résultat n’est pas valable parce qu’il y a des chefs d’Etat non musulmans. Tandis que si on disait qu’il y a une solidarité qui doit exister entre les pays arabes et les pays africains en tant que pays anciennement dominés et qui continuent d’ailleurs de l’être, sur cette base là, on peut tenir des conférences et on verra comment maintenant réaliser cette coopération. Cette coopération doit d’abord être économique. Quand je dis économique, il ne s’agit pas seulement d’aide mais de projets concrets de développement. Surtout sur le plan économique, financier, sur le plan des échanges : il y a des tas de choses qu’on aurait dû faire et qu’on n’a pas faites. Quand on se réunit sous le couvert de l’Islam, on est en train d’escamoter les problèmes vrais de la solidarité entre les pays arabes et nos pays.
Vous pensez donc que les conférences organisées sous le couvert islamique, ont pu être un facteur qui a peut-être marginalisé les Etats qui ont reconnu Israël ?
C’est évident. Ces problèmes sont des problèmes politiques concrets. Il y a l’Islam, d’ailleurs on ne peut pas l’exclure de cela. Je pense que l’Islam avait même sa place au sein de ces conférences-là, mais si on fait uniquement sous le couvert de l’Islam, je dis que c’est même restreindre la portée de cette conférence-là. Ça c’est mon avis et je le dis en tant que musulman.
Donc vous serez pour une suppression de l’organisation de la conférence islamique ?
Non ! S’ils préfèrent la conférence islamique, qu’ils la maintiennent. Je dis ce qui est encore plus important, c’est quelque chose qui déborde, qui dépasse cette conférence islamique. Cette conférence islamique est une conférence politique mais dans le sens vulgaire du terme politique. C’est une conférence politicienne, une conférence de politiciens. Voilà ce que je pense moi de ça qui n’a rien à voir avec l’Islam. Qu’est-ce qu’on a fait pour l’Islam ? Il n’y a pas de projet concret, il n’y en a pas. Alors on se sert tout simplement du drapeau de l’Islam. Moi je dis que ce n’est pas honnête. Je n’exclus pas que les pays musulmans discutent entre eux de l’Islam mais il faut dépasser cela et cesser surtout d’exploiter l’Islam à des fins politiciennes.
Mais peut-être que ça nous amène à un problème plus national ...
Est-ce qu’il est normal qu’un pays comme le nôtre, que notre gouvernement qui se dit laïc puisse présider une conférence islamique, vous trouverez cela normal ? Voilà des contradictions.
Que pensez-vous de la résurgence de l’Islam au Sénégal. Il y a des gens qui prônent carrément une société musulmane islamique régie par la Charia et donc la fin de la laïcité ?
Nous pensons d’ailleurs que l’avenir est aux institutions musulmanes dans des pays comme le nôtre. Mais nous pensons qu’il faut préparer cela et que l’exigence c’est d’abord de former les Musulmans. Mais nous pensons que dans l’état actuel des choses, la création au Sénégal, d’une République islamique, ce serait vraiment un désastre. Parce que les gens n’ont pas d’éducation islamique. Ce serait les féodaux qui prendraient le pouvoir. En tout cas nous insistons surtout sur l’éducation islamique, la formation d’abord.
Et quel est votre point de vue sur la laïcité ?
Oui c’est çà, je dis que ce n’est pas sincère. La laïcité du Sénégal est une laïcité hypocrite. Le chef de l’Etat du Sénégal est vice-président de la Conférence islamique. Alors où est la laïcité. D’un autre côté également quand on parle du président de la République, il se rend régulièrement dans certaines métropoles islamiques pour prendre des instructions. Tout le monde le sait. Où est la laïcité ! Mais ily a un phénomène important et grave qu’il faut signaler qui aussi représente un dangerréel pour la religion et qui explique également cette émergence de ce qu’on appelle aujourd’hui l’intégrisme musulman. Il y a une sorte de provocation de la minorité religieuse soutenue par le pouvoir. Tout le monde parle par exemple de distribution de secours internationaux. Celui de la Croix Rouge « catholique », ça aussi ce sont des choses qui posent ce problème-là. Là aussi, la majorité musulmane se sent frustrée.
Quelle serait la place de la minorité catholique dans un Etat islamique?
Vous savez que l’Islam reconnaît ses droits à cette religion surtout dans la constitution de Médine. Là, non plus, les gens qui parlent d’intégrisme, n’ont pas étudié les institutions musulmanes. Depuis la constitution de Médine, l’Islam accorde une place aux minorités religieuses. Les Juifs, en particulier, qui étaient les principaux ennemis de l’Islam ont des droits reconnus dans la constitution de Médine et ce sont les Juifs qui, dans le premier Etat islamique, jouaient sur le plan économique et en particulier sur le plan bancaire, le rôle le plus important. S’il y a une religion de tolérance c’est l’Islam.
Mais est-ce que vous ne pensez pas que l’existence de l’Islam confrérique au Sénégal soit un frein?
Ah ! Je crois que dans un sens ça n’aurait pas dû l’être, malheureusement ça l’est. D’abord, ça divise les Musulmans alors que les confréries n’étaient pas faites pour ça au départ. Mais en fait, c’est devenu maintenant un handicap parce que c’est une source de division quand on arrive maintenant à ne plus pouvoir se mettre d’accord sur une date pour le Carême, pour la rupture du Carême, pour la Tabaski, qu’on ne puisse plus se mettre d’accord pour le premier jour de l’année musulmane, la Tamkharit. Je pense là, il y a conflit.
(…) Comment s’analyse la léthargie de l’opposition au Sénégal ?
Il y a des gens qui créent des partis pour affaiblir l’opposition véritable. Ceux-là servent le pouvoir. L’opposition se manifeste par des attitudes et non pas seulement par des discours et des proclamations. Nous avons toujours cette idée de conférence nationale des forces populaires pour le changement qui réunirait les forces vives de la Nation organisées ou non au sein de l’opposition. Evidemment le pouvoir et ses satellites ne sont pas partie prenante dans ce processus, car, ils font partie du problème mais pas de la solution. Nous avons enregistré des réactions positives. Cependant, il y a des partis qui ne sont pas très indépendants, et il y a aussi qu’il faut transcender les problèmes de préséance pour ne prendre en compte que l’intérêt national
De plus en plus, on parle des responsabilités de l’opposition sur la situation actuelle. On dit que l’opposition aussi a trahi. On a entendu même Majhmout Diop le dire.
Et vous m’avez également entendu renchérir. Oui mais étant donné ce que nous savons du pouvoir, tous les secteurs de l’opposition disent qu’il n’y a rien à faire avec ce pouvoir. Or la seule façon de faire face, je pense à ce pouvoir-là, c’est entreprendre sa liquidation dans l’intérêt national. On est d’accord. C’est ça, il faut qu’elle soit conséquente avec elle-même et là essayer de se regrouper sous la forme la plus efficace, la plus crédible. Or une coordination ce n’est pas efficace, ce n’est pas crédible. Il faut absolument que les gens acceptent de se regrouper dans une structure organique disciplinée. C’est de cette façon-là que l’opposition pourra être crédible. Il y a là des tas de gens qui attendent, qui disent : « Mais nous on veut bien ». Même au P.S., il y a aujourd’hui des secteurs importants qui sont prêts à suivre l’opposition mais pas une opposition dispersée. C’est ça la faute de l’opposition. C’est pourquoi nous insistons sur la nécessité d’un front organique.
Est-ce que vous pouvez affirmer que l’opposition a trahi dans ce cas-là ?
Ah, oui, je pense que si l’opposition continue de tergiverser surtout, dans la situation actuelle, ce serait une trahison, c’est évident. Les misères du pays sont telles qu’il faut absolument liquider ce pouvoir qui se révèle absolument inefficace, qui ne peut régler aucun problème, même le problème des semences comme des engrais, assurer une bonne rentrée des classes, la lutte antiacridienne qui dure depuis trois mois. L’alerte est venue de l’extérieur, des organisations internationales.
Mais à quoi vous attribuez la dispersion de l’opposition. Est-ce un problème de personnes, de préséance ou autre chose ?
Je crois qu’il y a eu un peu de tout ça, de tout ce que vous dites là. Je crois qu’à un moment donné, peut-être même jusqu’ici encore, ily a des problèmes de personnes. Encore que certains malgré tout, aient transcendé ces problèmes de personnes. Il y a aussi, peut-être, le fait que tous les partis ne sont pas libres de se déterminer même sur le plan des alliances. Il y a des partis qui reçoivent des mots d’ordre malheureusement, il en existe, de l’extérieur. Evidemment ils ne peuvent pas se déterminer en toute indépendance. Moi je crois que c’est là que se trouve la responsabilité de l’opposition. Il est à l’opposition de savoir qu’il est d’intérêt national, qu’elle essaie justement non pas de se saborder mais de faire front dans la cohésion. C’est ça le problème. Ce front patriotique, nous disons que c’est un front structurel, organisé, discipliné avec un seul chef.
Y a-t-il à vos yeux un danger d’intervention de l’armée sur la scène politique au Sénégal ?
Le danger pourrait exister à terme mais, il n’est pas immédiat, mais d’autres forces réactionnaires peuvent faire une incursion. Seulement, en aucun cas, l’armée ne peut être une alternative démocratique ni même efficace.
Que vous inspire la jeunesse d’aujourd’hui ?
Espoirs. Néanmoins, il semble qu’aujourd’hui, il y a beaucoup moins de jeunes militants. Il y en a qui font de la politique par clientélisme. Il y a aussi des jeunes qui essaient de dire NON. Mais d’une manière générale les jeunes sont devenus plus prudents, moins enclins aux sacrifices qu’exigent les épreuves.
Et la presse ?
Il faut regretter ce qu’elle est devenue. Il n’y a plus de vocation journalistique, il y a une sorte de démission. Indépendamment des dispositions des lois, il y a les dispositions d’esprit. La presse des partis ne fait guère mieux. Elle ne soulève pas non plus les problèmes du pays, le concret, mais reflète plutôt des idéologies et de l’intellectualisme.
Seriez-vous prêt à exercer le pouvoir à nouveau ?
Ecoutez, mes mémoires, je les considère simplement comme une mise au point. Je n’ai pas de prétentions pouvoiristes. Ceux qui me considèrent comme un rival se trompent. Je ne veux appartenir à aucune structure de pouvoir
Quelle image voudrez-vous que la postérité garde de vous ?
Oh, ça c’est m’est égal. L’image qu’elle voudra mais l’essentiel pour moi c’est de lui donner suffisamment d’informations qui lui permettent n’est-ce pas de se faire l’image la plus correcte. Ce que je souhaite tout simplement c’est qu’elle puisse choisir objectivement l’image qu’elle veut bien se faire de ma personne
LA CLAIRVOYANCE D’UN PATRIARCHE
Seize ans après sa disparition survenue le 25 janvier 2009, Mamadou Dia, président du Conseil du Sénégal indépendant, est une référence et ses idées irriguent les nouvelles générations d’hommes et de femmes politiques du pays
Par Henriette Niang KANDE |
Publication 25/01/2025
Seize ans après sa disparition survenue le 25 janvier 2009, Mamadou Dia, président du Conseil du Sénégal indépendant, est une référence et ses idées irriguent les nouvelles générations d’hommes et de femmes politiques du Sénégal. En hommage à cette figure emblématique de l’histoire politique du Sénégal, Sud Quotidien remet au goût du jour des instants de réflexion sur la trajectoire, la pensée et l’œuvre du Grand Maodo.
Dans une interview accordée à Babacar Touré, publiée dans le numéro 3 de Sud Magazine (octobre 1986) Mamadou Dia répondait à la dernière question posée : « Quelle image voudrez-vous que la postérité garde de vous » ? Réponse : « Oh, ça c'est m'est égal. L'image qu'elle voudra, mais l'essentiel pour moi, c'est de lui donner suffisamment d'informations qui lui permettent, n'est-ce pas, de se faire l'image la plus correcte. Ce que je souhaite tout simplement c'est qu'elle puisse choisir objectivement l'image qu'elle veut bien se faire de ma personne » .
Aujourd’hui, l’image que la jeune génération d'hommes politiques sénégalais a de lui, est que Mamadou Dia est une référence, pour plusieurs raisons, principalement, en lien avec ses valeurs, sa vision politique, et son rôle historique dans la construction du Sénégal indépendant. Les points qui expliquent cet attrait son un modèle d’intégrité politique, un leader visionnaire et progressiste, un engagement inébranlable en faveur du peuple et un symbole de rupture avec les pratiques politiciennes.
Pendant longtemps, l'histoire de Mamadou Dia a été reléguée au second plan. Cependant, une réhabilitation de sa mémoire a eu lieu à travers des livres, des documentaires, des témoignages et des débats politiques. Pourla jeune génération, donc, ilreprésente une figure historique marquante à (re)découvrir. Son nom évoque une trajectoire unique. Éducateur, militant, et homme d’État, il a incarné avec constance des principes inébranlables, au prix de sacrifices personnels immenses. Mamadou Dia a traversé son temps en témoin privilégié, marquant son époque par son rôle de pionnier et sa fidélité à ses idéaux. De l’école à la politique, son chemin fut tracé par un profond désir de justice sociale et d’émancipation.
Entré en politique grâce à son mentor, Léopold Sédar Senghor, dès 1948, il participe à la création du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) et contribue à son implantation à travers le pays. Il conduit le parti de victoire en victoire électorale, devenant en 1957 vice-président du Conseil de Gouvernement, sous le régime de l’autonomie interne.
Toutefois, des divergences profondes avec Senghor émergèrent à propos du référendum de 1958 sur l’indépendance. Dia, fervent partisan du « non » à toute forme d’allégeance envers la France, s’opposa à la position plus modérée de Senghor. Finalement, un compromis en faveur du « oui » fut trouvé, mais Dia resta convaincu que cette décision compromettait la souveraineté nationale.
Premier ministre du Sénégal indépendant, Dia entreprit de profondes réformes visant à moderniser l’économie et à libérer la paysannerie de l’économie de traite. Son projet d’« économie de participation collective » reposait sur l’autogestion et l’animation rurale. Mais cette vision, jugée trop progressiste, attira des ennemis puissants, tant à l’intérieur qu’à l’étranger
En 1962, des tensions avec Senghor dégénérèrent en une crise politique majeure. Accusé de tentative de coup d’État, Dia fut condamné à une déportation perpétuelle et emprisonné à Kédougou. Pour la première fois dans l’histoire de l’Afrique post-indépendance, un affrontement éclate, dépassant le simple conflit de tempéraments, personnalités ou styles. L’incompatibilité d’humeur laisse place à un divorce ancré dans des divergences politiques profondes. Tout le reste relève de l’anecdotique, que l’Histoire ne retiendra qu’en marge, comme des détails accessoires. Aux dirigeants d’hier et d’aujourd’hui, aux générations d’Africains marginalisées par les manœuvres politiciennes et privées de leur potentiel décisif, aux alliés et adversaires du continent, le témoignage de Mamadou Dia rappelle que, dans une ère marquée par des ruptures inévitables, seules les idées ont un véritable poids
Malgré plus d’une décennie d’emprisonnement, Dia resta fidèle à ses convictions. Il qualifia cette période d ’« ermitage pieux et studieux », durant laquelle il approfondit sa réflexion sur la justice sociale et le développement participatif. Libéré en 1974, il poursuivit son combat politique, publiant plusieurs ouvrages d’analyse et de propositions.
Critique avéré des présidences de Senghor et de Diouf, il ne le fut pas moins quand Abdoulaye Wade, qu’il avait soutenu en 2000, arriva au pouvoir. Dans une de ses chroniques « L’œil du Patriarche », il dénonça les atteintes à la démocratie et appela à une opposition vigoureuse. Il fait partie des rares leaders politiques à s’être distingué par son opposition frontale lors du référendum constitutionnel du 7 janvier 2001. Ce scrutin, décrit comme un « plomb dans les ailes de l’Alternance balbutiante », l’a poussé à qualifier le projet de Constitution wadiste de « chef-d'œuvre d'hérésie [et] de nid d'artifices de bas étage ».
La suite de son combat s’intensifie après la présidentielle du 25 février 2007, marquée par ce qu’il désigne comme un « pickpocket électoral sans précédent ». Dans une déclaration solennelle, il dresse un parallèle saisissant entre les autocrates d’hier et les dirigeants de l’époque : « Naguère, on a eu la génération Bokassa, Amin Dada, Mobutu. Assiste-t-on à un remake de cette ère lugubre pour l’Afrique avec Mugabe, Conté et Wade ? »
Critiquant fermement les dérives du pouvoir de Wade, il dénonce un climat d’impunité : « Sous le Sénégal de l’alternance, on absout les crimes politiques, on tente d’assassiner les opposants et on les agresse - eux et d’autres- en toute impunité. » Il fustige également le comportement de Wade : « Lorsque le gardien de la Constitution, et donc de la légitimité républicaine, se met hors la loi de façon éhontée […] il n’y a plus de place pour l’illusion d’un formalisme juridique quelconque. »
Appelant à une riposte courageuse, il exhorte l’opposition à prendre les devants : « La riposte doit être à la mesure de la provocation. Il n’y a pas d’autre solution que l’action sur le terrain, en acceptant sans hésiter les risques possibles et imaginables. »
Il conclut sur une note déterminée, reprenant la célèbre devise du capitaine chouan : « J’avance, suivez-moi. Si je meurs, vengez-moi. Si je recule, tuez-moi !
Aujourd’hui, Mamadou Dia laisse l’image d’un homme politiquement intègre, ayant traversé les tumultes de l’histoire politique sénégalaise sans jamais trahir ses principes. Il laisse en héritage une vision audacieuse d’un pays souverain et démocratique.
Par Babacar TOURE
RUPTURES
Mamadou Dia rompt d'avec la loi du silence qui est la règle d'or en Afrique où, en général, les acteurs que la fortune politique a déserté sont happés dans une chausse-trappe aux contours de ... sarcophages. - (Sud Magazine N°3- Octobre 1986)
(Sud Magazine N°3- Octobre 1986) - L’ancien président du Conseil de la Première République du Sénégal vient de publier ses mémoires. Survenant à un moment où les convulsions provoquées par les avatars du bicéphalisme n'ont pas encore fini de secouer l'avant-scène du continent, la parution de l'ouvrage de Mamadou Dia marque à plusieurs égards une rupture.
Mamadou Dia rompt d'avec la loi du silence qui est la règle d'or en Afrique où, en général, les acteurs que la fortune politique a déserté sont happés dans une chausse-trappe aux contours de ... sarcophages.
Chez certains, c'est le désir de ne pas gêner les gouvernants du jour ou alors de ne pas être pris en f1agrant délit de ... comeback incertain et plus qu'aléatoire en cas d'échec!
Avec la sanglante partition que les ex duettistes Ahidjo-Biya du Cameroun ont inf1igée à l'Afrique, la plupart des successions ne manquent pas de donner des frissons à ceux qui cohabitent tant bien que mal, tout en ayant peur de leur propre silhouette. Au chapitre des passations en douceur, on se plaît à citer les cas Senghor-Diouf pour le Sénégal, Stevens-Momoh en Sierra Leone, Nyerere-Mwinyi en Tanzanie.
Sans doute, les cinq doigts d'une main seraient de trop pour faire le décompte.
Encore que des grincements de dents et des froncements de sourcils ne soient pas à exclure dans au moins deux des cas que nous venons de citer. Pourtant, les changements intervenus ne l'ont été qu'au niveau de certains membres du personnel politique. Pour le reste, la continuité relève du sur-mesure ! C'est sous ce rapport que le cas de Senghor-Dia revêt une signification particulière. Pas seulement pour le Sénégal et les Sénégalais
Pourla première fois dans l'histoire de l'Afrique à peine indépendante, survient un clash qui ne tient pas seulement du conf1it entre deux tempéraments, deux personnalités, deux styles. Exit l'incompatibilité d'humeur. Le divorce a bel et bien pour fondement des divergences d'orientation politique. Tout le reste, c'est de la petite histoire dont l'Histoire ne retiendra que les quelques éléments d'appoint. Aux gouvernants d'hier et à ceux d'aujourd'hui, aux générations d'Africains que le jeu politicien cherche à marginaliser, privant ainsi leurs pays de compétences décisives, aux amis et aux adversaires de l'Afrique (il en existe!) le témoignage de Mamadou Dia rappelle que dans une ère de ruptures inévitables, seules comptent les idées.
Les hommes passent. Les idées demeurent. Les idées justes. Seulement, au moment où l'avenir et le passé se déclinent sur le même mode (au présent) il devient impératif de s'essayer au jeu de la vérité. Le temps n'est ni une excuse ni un allié. Houphouët-Boigny a levé un coin de voile sur l'histoire contemporaine à travers les colonnes de Fraternité-Matin. L'ancien président de Guinée-Bissau, Luis Cabral vient de sortir ses mémoires en portugais ... Au moment où les langues se délient, il nous paraît nécessaire d'amplifier les expressions dans leur pluralité afin d'affûter les outils pouvant permettre d'agir en séparant la bonne graine de l'ivraie. En toute connaissance de cause.
Sud Quotidien, Walf Quotidien, Yoor-Yoor Bi, L'Observateur, Libération, Le Quotidien, Enquête, Vox Populi, Le Verdict News, L'As, Record, Le Soleil
LINGUÈRE, DEUX JEUNES ARRÊTÉS POUR L’AGRESSION D’UN ENSEIGNANT
Face à cet acte choquant, les syndicats d’enseignants avaient décrété deux jours de grève à l’échelle départementale pour exiger des autorités des mesures concrètes.
L’affaire de l’agression de l’enseignant Cheikh Ahmadou Bamba Souane à Barkedji connaît un tournant décisif. Deux jeunes, présumés responsables de cet acte barbare survenu dans la nuit du jeudi 16 au vendredi 17 janvier, ont été arrêtés et placés sous mandat de dépôt, a annoncé le préfet du département, Modou Thiam.
Face à cet acte choquant, les syndicats d’enseignants avaient décrété deux jours de grève à l’échelle départementale pour exiger des autorités des mesures concrètes. Leur mobilisation semble avoir porté ses fruits avec cette avancée dans l’enquête.
Les regards restent tournés vers Barkedji, où cet acte ignoble avait suscité une vague d’indignation, marquant une blessure profonde au sein de la communauté éducative.