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25 septembre 2025
UNE ÉMISSION DE LIKA SIDIBÉ
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EN CASAMANCE, LES FRUSTRATIONS SE SONT AGGRAVÉES
EXCLUSIF SENEPLUS - L'Etat prétexte de l'insécurité pour refuser les investissements nécessaires dans la région. Le contexte global est celui du pourrissement. La rhétorique guerrière, une voie sans issue - AU FOND DES CHOSES AVEC LAMINE DINGASS DIEDHIOU
Les causes profondes de la rébellion en Casamance se sont accrues, selon Lamine Dingass Diédhiou qui analyse le regain de tension notée dans le sud du pays depuis quelques semaines. Pour le Professeur, chercheur en sociologie au Collège de Limoilou au Québec, l’Etat doit engager de véritables négociations avec le MFDC, basées sur la confiance, la responsabilité et le respect, malgré la difficulté de cette entreprise due notamment à l’absence d’interlocuteurs directs au sein la rébellion. L'invité de Lika Sidibé s’interroge aussi sur l’efficacité de la pléthore d’organisations et /ou collectifs impliquée dans la recherche de solution en Casamance.
L'émission Au fond des choses avec Lamine Dingass Diédhiou.
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L'AFFAIRE GEORGE FLOYD N'EST PAS UNIQUEMENT AMÉRICAINE
Peut-on s'inspirer de cette histoire pour nourrir la réflexion d'autres pays comme la France dans leur combat contre le racisme ? La parole au philosophe Souleymane Bachir Diagne, directeur de l'Institut des Etudes Africaines à Columbia University
La mort de George Floyd aux Etats-Unis a déclenché une mobilisation internationale. Peut-on s'inspirer de cette histoire américaine pour nourrir la réflexion d'autres pays comme la France dans leur combat contre le racisme ? La parole au philosophe Souleymane Bachir Diagne, directeur de l'Institut des Etudes Africaines à Columbia University à New York.
Par Maurice Ndéné WARORE
UNE DECOLONISATION INACHEVEE OU UNE DECOLONISATION IMPOSSIBLE ?
La parution des premiers tomes de l’Histoire générale du Sénégal avait suscité des réactions de la part de l’opinion publique et de quelques familles.
La parution des premiers tomes de l’Histoire générale du Sénégal avait suscité des réactions de la part de l’opinion publique et de quelques familles. Et nous avions saisi cette occasion pour publier dans la presse une série d’articles ayant pour thème principal : «Comment écrire et enseigner notre histoire ?».
A partir de ce thème, nous avons développé trois assertions qui se présentent comme suit :
Notre histoire est mal connue, car étant confrontée à un problème de sources ;
La manière dont elle est enseignée est frustrante, parce que partiale et partielle ;
Notre histoire est gagnée par la peur de l’écrire selon les exigences de «l’Histoire science».
C’est sans doute très osé de notre part de parler d’assertion quand il est question de l’Histoire africaine ou tout simplement de l’Histoire tout court. L’utilisation de ce mot se justifie par une profonde conviction : notre histoire est complexe et il serait dangereux de vouloir l’écrire au nom de «l’histoire science».
Cette assertion s’explique par une longue pratique des classes où, dans nos préparations et dans les cours que nous donnions, nous décelions les faiblesses de notre Histoire.
Dans une de nos contributions que le quotidien national avait intitulé L’Histoire coloniale est aussi la nôtre1, nous intervenions sur le débat qu’avait suscité la présence du monument de Demba et Dupont qui trônait face à la présidence de la République.
Ce monument, on est allé le «cacher» vers le cimetière de Bel-Air. S’y trouve-t-il encore ? (Voir plus loin). Et voilà que la question ressurgit à travers les monuments et l’appellation de nos rues, de nos avenues et de nos grand ’places mythiques.
Et un article sur la question a été titré : Saint-Louis, une décolonisation inachevée. Nous inspirant de cet article et d’autres parlant de Rufisque et de Gorée, nous avons intitulé notre contribution ainsi : Une décolonisation inachevée ou une décolonisation impossible ? Une forte affirmation basée sur une analyse approfondie de ces trois assertions. Seule la première a été publiée dans un quotidien de la place, courant l’année 2019. Les deux autres dorment encore dans beaucoup de rédactions de la place. La présente contribution est tirée de la deuxième Assertion qui traite de deux thèmes : l’impérialisme et les résistances. Et à la lumière de l’analyse de ces deux thèmes, nous avions conclu ainsi : «Un débat sur la colonisation est incontournable.» Nous ne pensions pas si bien dire. Et voilà que le débat se pose. Ce qui nous amène à tenter, une fois de plus, de publier cet article.
Un débat sur la colonisation est incontournable
Le projet Hgs doit donner une grande place à la colonisation. Oui notre pays, comme toutes les autres anciennes colonies, a son histoire marquée à jamais par cette forme d’impérialisme. La colonisation doit être étudiée dans tous ses aspects.
En traitant de la colonisation, il ne s’agira pas seulement de se limiter à ses aspects les plus vils, les plus pervers, les plus inhumains. Cela donnerait à notre histoire une connotation rancunière. Notre Histoire ne saurait s’encombrer de positions réactives.
En tout cas, l’Histoire coloniale est aussi la nôtre. Ne laissons pas à d’autres la responsabilité de nous l’écrire. Ecrivons-là dans toute sa dimension historique ! Nous livrons ici des éléments d’appréciation du fait colonial ou de faits coloniaux. Une vraie provocation qui ne manquera pas de faire tilt.
La colonisation vue par des paysans du Saalum
Notre accession à l’indépendance a longtemps été un sujet de débats dans le monde paysan des années soixante. En effet, jeunes collégiens, nous assistions à des débats houleux entre notables et jeunes fonctionnaires du nouvel Etat (instituteurs pour la plupart), dans les grand ’places, sous «l’arbre des vérités»2. Nos aînés, jeunes cadres du nouvel Etat, saluaient l’avènement de l’indépendance et fustigeaient le système colonial et parlaient du bel avenir qui s’offrait à nous. Et très souvent, la réaction des notables, déjà nostalgiques de «leur toubab, de leur naar3» était toujours la même.
Suivons-les : «Vous, les instruits, ignorez le fond des choses. Quand les toubabs étaient là, nous n’avions jamais faim durant la période de soudure (août- septembre). A l’approche de l’hivernage, nos ‘’toubab’’ nous donnaient du mil, du riz et de l’argent pour nous permettre de passer un bon hivernage. Nos familles mangeaient à leur faim et nous avions de l’argent de poche pour nos petites dépenses. Si cela ne dépendait que de nous, les ‘’toubabs’’ reviendraient. Avec l’indépendance, c’est la fin de ces privilèges. Vous êtes des égoïstes, car vous ne pensez qu’à vous. Vous ne sentez pas la mauvaise situation que vivent les paysans, car vous avez vos salaires.»
Devinez que les réponses se résumaient à rappeler aux notables les formes d’exploitation qu’il y avait derrière ces «privilèges». Dialogue de sourds, car pour ces paysans l’indépendance était une mauvaise chose pour eux. Débat sans fin, car mal posé. Nos instituteurs ne parlaient pas dans leur argumentaire des nouvelles structures mises en place pour prendre en main les paysans. Les Centres régionaux d’assistance au développement (Crad), l’Office de commercialisation agricole du Sénégal (Ocas)4. Ils ne parlaient pas de la Circulaire n°35 de Mamadou Dia relative au système autogestionnaire qu’il envisageait dans le monde paysan. En un mot, nos aînés, bien qu’instruits, ignoraient le rôle qui était attendu d’eux. La question de la colonisation et de l’indépendance devait donc être débattue autrement. Elle appelait de la part des «intellectuels» une autre démarche, une bonne clarification des politiques post coloniales. Et René Dumont avait averti. L’autre exemple est tiré d’un livre de lecture écrit par l’inspecteur André Prosper Davesne5. Dans cette histoire, il s’agit d’un commandant de cercle, en tournée, qui relate les propos d’un éleveur dont il admirait l’immensité du troupeau, suivons :
La colonisation vue par un éleveur
«…Commandant, je vais vous dire une chose. Vous parlez de mon troupeau avec admiration. Nous sommes là sur une colline qui surplombe la plaine d’où je peux admirer mon immense troupeau, en train de paître tranquillement, en toute sécurité. Je ne crains plus les voleurs et autres envahisseurs qui sévissaient dans le temps. Et tout ça, grâce à vous qui nous avez amené la paix, la sécurité. Merci commandant…» Propos rapportés par un acteur de la colonisation, bien qu’instituteur, éducateur. Inventée ou non, cette histoire révèle un autre aspect de la colonisation. Ces deux exemples ne sont qu’un aspect des multiples facettes de la colonisation. Et aujourd’hui, il est question de monuments, de rues et d’avenues. Ces deux aspects de la colonisation nous amènent à revenir sur un article que nous avions publié dans un quotidien de la place durant les années 80.
Dans cet article, nous disions que «l’histoire coloniale est aussi la nôtre». C’était en réponse à un article qui fustigeait la présence de la stèle Demba et Dupont6 dans la cour de l’ancien ministère de la Modernisation de l’Etat, en face de la Présidence. Dans le même article, nous donnions notre avis sur la débaptisation de beaucoup de rues et d’avenues de Dakar. Thiers (Assane Ndoye), Maginot (Lamine Guèye) William Ponty (Georges Pompidou) etc. Oui, l’histoire coloniale est aussi la nôtre, donc nombre de ses différents aspects doivent être connus et conserver autant que possible, car témoins de faits historiques. Les gouverneurs William Ponty, Roume, Boisson, Faidherbe, pour ne citer que ceux-là, n’appartiennent pas seulement au Sénégal, mais à l’Aof donc actuellement aux pays de la Ceao ou de l’Umoa. Ils appartiennent à l’Histoire de l’Afrique, pas seulement à celle de la France. La conservation de leurs noms au niveau de nos rues et avenues ne saurait constituer une honte, ni une nostalgie de la colonisation.
C’est des sources de connaissance de notre histoire coloniale. Mais dans cette conservation, il faudra faire un tri. Tous les colons n’ont pas le même mérite ou les mêmes mérites. Joost Van Vollenhoven est de loin incomparable à Faidherbe. Dakar, que beaucoup d’anciennes colonies nous envient, est aussi un élément de cette Histoire. Devrions-nous changer le nom de cette ville parce qu’il nous rappelle l’Aof ? Cette ville restera éternellement la preuve et le témoin du rôle que le Sénégal a joué dans la colonisation. Rôle loin d’être triste ou honteux, car nous prévalant aujourd’hui une aura diplomatique, économique, politique, culturelle et intellectuelle à nulle autre pareille. Et Saint-Louis ? Faut-il changer le nom ? Et Richard Toll ? Déjà le fait de changer l’appellation de nos régions, en les résumant à leurs capitales respectives, avait heurté plus d’un. Qui se réclame aujourd’hui, Saloum Saloum, Sine Sine, Ndiambour Ndiambour, Cadior Cadior ?
Se réclamer Casamançais est aujourd’hui très chargé. Notre histoire est souvent bafouée de manière inconsciente, au nom d’idéaux qui, au fond, n’en sont pas. Le maire de Gorée a bien campé le débat et nous nous permettons de le citer : «…C’est comme si on nous disait puisqu’on veut effacer l’image de la violence sur George Floyd, démolissez la Maison des esclaves. Il faut savoir raison garder, ne pas faire dans l’émotivité qui nous est toujours attribuée par les autres civilisations, notamment les Européens, les Occidentaux, et analyser lucidement ce qu’il faut faire. C’est un patrimoine, il se conserve avec ses plus et ses moins, c’est-à-dire avec ses choses positives et celles choses négatives.
Et c’est en cela que la conservation du patrimoine historique et culturel nécessite des fois d’y réfléchir par deux fois avant d’effacer ses traces…» Ne pas s’efforcer d’analyser certains faits historiques dans leur contexte pour en tirer des conclusions objectives rendrait l’écriture et l’enseignement de notre Histoire orientés, subjectifs, en un mot partiaux et partiels. Le débat est ouvert.
Maurice Ndéné WARORE
Commandeur de l’Ordre National du Lion
Retraité de l’Education Nationale Ancien IA Tba/Zig et Kaolack.
Professeur d’H-G
1 Voir les archive du Soleil année 1983, Article de Maurice Ndéné WARORE, Prof au Prytanée militaire de Saint-Louis.
2 Dans nos écrits nous évitons de dire « arbre à palabres » pour parler du lieu où les paysans se retrouvent souvent. Ce lieu est propre à chaque village, à chaque quartier est toujours ombragé grâce à un grand arbre feuillu, souvent centenaire. C’est le « Pinc » en wolf ou le « nqeel » en serer. En serer on dit « ndigil na reeta no nqeel » (seul la vérité prévaut à la place publique).
3 Au Sénégal chaque paysan avait un colon ou un libano-syrien à qui il vendait ses arachides et dans la boutique de qui il faisait ses achats. C’était une manie de s’approprier ainsi le colon ou le Libanais. Même aujourd’hui l’on a tendance à dire «souma serer bi, souma diola bi, souma toucouleur bi».
4 Ces structures avaient leur origine dans les Sociétés Indigènes de Prévoyance (SIP) devenues Sociétés de Prévoyance (SP) puis Société Mutuelle de Développement Rural (SMDR). En 1967 l’OCAS et les CRAD vont fusionner en ONCAD puis SONAR.
5 L’inspecteur André P. D’Avesnes fut d’abord instituteur en Afrique (Mali, Congo Brazzaville). Il est l’auteur de beaucoup de livres de lecture de la période coloniale (la Collection Mamadou et Bineta, la Famille Diawara, les Lectures Vivantes etc. Les anciens normaliens de Mbour connaissent bien les méthodes de Célestin Freinet dont il est le pionnier (l’école « Frénétique » comme disaient ses pourfendeurs).
6 Cette stèle a été déplacée (« cachée ? ») bien loin, dans la zone industrielle, en face des cimetières de Bel-Air. Nous pensons qu’elle doit encore y être
par Abdoulaye Wade
À PAPE MALICK SY, MON JEUNE FRÈRE
Il était un guide religieux ouvert, un grand patriote, et un intellectuel de haut niveau. Homme de conviction, doublé d’une humilité rare, je témoigne et atteste de son amour pour l’islam, la paix, la cohésion nationale, le Sénégal et l’Afrique
C’est avec une grande tristesse que j’ai appris le rappel à Dieu de mon petit frère Pape Malick Sy, porte-parole de la famille de Serigne El Hadj Maodo Malick Sy.
Pape Malick était un guide religieux ouvert, un grand patriote, et un intellectuel de haut niveau.
Homme de conviction, doublé d’une humilité rare, je témoigne et atteste de son amour pour l’islam, la paix, la cohésion nationale, le Sénégal et l’Afrique, et son encouragement permanent du dialogue islamo-chrétien que je prônais.
Je l’ai toujours considéré comme mon petit frère et il me le rendait bien.
Parce que nous défendions la même cause nous nous sommes retrouvés ensemble en prison, dans deux chambres contiguës. Pour nous rencontrer, il suffisait de frapper deux coups sur le mur.
Pape Malick est un homme courageux qui supportait l’enfermement avec dignité.
Il dirigeait nos prières. Un jour que nous faisions une prière surérogatoire, il eut la délicatesse de me demander de diriger parce que j’étais l’aîné. Tout en appréciant beaucoup la délicatesse du geste, je déclinai car, pour moi, c’est le sang de Maodo qui devait présider.
Maintenant qu’il est parti rejoindre son illustre père Serigne Ababacar Sy, élu de Dieu, et Oualiou axan, je demande aux membres de sa famille de nous considérer, Karim et moi, comme des leurs, nous tenir au courant de tous problèmes et nous faire partager leurs joies et leurs peines.
Toutes mes sincères condoléances au Kalif Général des Tidjanes, Serigne Babacar Sy Mansour, à mon petit frère Mansour Sy Jamil qui m’avait jadis beaucoup aidé, notamment à traduire en arabe le Plan OMEGA et le NEPAD, à tous les frères et sœurs du défunt, à ses oncles, tantes, cousins et cousines, plus généralement à tous les Tidjanes, à toutes les Sénégalaises et tous les Sénégalais, ainsi qu’à toute la Oumah islamique, en priant Allah, le Tout Puissant et le Miséricordieux, de lui accorder son pardon et l’accueillir en son Saint Paradis.
Que la terre de Tivaouane lui soit légère.
«LA MEILLEURE GESTION DE LA PANDEMIE, C’EST NATURELLEMENT LE CONFINEMENT TOTAL»
Le porte-parole de l’Alliance des forces de progrès (Afp) souligne que l’espoir et le progrès portés par l’Appel du 16 juin sont toujours d’actualité, 21 ans après. Dr Malick Diop garde également l’espoir dans la gestion du Covid-19 qui, selon lui, est jusque-là «très correcte» parce que le président Macky Sall a eu le sens de «l’anticipation». Si le pharmacien est convaincu que «la meilleure gestion d’une pandémie c’est naturellement le confinement total», il souligne cependant que le modèle économique et social du Sénégal ne le permet pas. Dans cet entretien, l’ancien maire de Fann-Point E évoque aussi le «contentieux» entre Palla Samb et Barthélemy Dias sur le littoral.
L’Alliance des forces de progrès a célébré ses 21 ans il y a quelques jours. Que reste-t-il de cet appel du 16 juin 1999 ?
L’Afp vient de fêter ses 21 ans suite à l’Appel du 16 juin par le président Moustapha Niasse. C’était un appel à toute la société sénégalaise, particulièrement les jeunes, la frange la plus dynamique et qui porte le plus d’espoir pour une population. Mais c’était aussi un appel en direction des femmes qui sont la sève nourricière d’un Peuple avec cette particularité de gérer nos foyers et d’être des actrices de développement. Un appel aussi à l’engagement citoyen et à toutes les forces vives de la Nation pour que le Sénégal puisse retrouver son lustre d’antan et aller vers l’émergence dans des secteurs comme la santé, l’éducation, les infrastructures et de façon générale, les différents agrégats économiques. Ce qui est fondamental, c’est que l’Appel du 16 juin du président Moustapha Niasse résonne comme un bon livre à la disposition de toutes les générations qui se succèdent. Ceux qui venaient de naître en 1999 ont aujourd’hui 21 ans, ceux qui avaient 20 ans en ont 40. Et ce sont les tranches actives du développement du pays. Et ceux qui avaient dépassé la cinquantaine sont aujourd’hui les sages du pays et sont en train, chacun de son côté, de donner des conseils aux plus jeunes pour que ceux qui se sentent concernés par cet Appel puissent mieux s’impliquer dans le développement du Sénégal. Et c’était dans un contexte où il y avait une perte réelle des valeurs qu’il fallait restaurer. Il faut souligner aussi que des cadres du pays, comme nous autres qui n’étions pas des politiques, se sont engagés pour le développement du pays à grâce à cet Appel.
Que peut-on dire de cet espoir et de l’idéal de progrès qui sous-tendaient cet appel ?
L’espoir est toujours là encore plus important, parce que l’idéal progressiste a aujourd’hui cette particularité de s’adosser sur la social-démocratie avec la solidarité qui constitue le bréviaire de ce que nous faisons. Aujourd’hui, chacun est engagé autour des éléments structurels de cet appel d’un parti politique, l’Alliance des forces de progrès. Ceux qui y étaient sont davantage impliqués, parce que l’espoir continue.
Au-delà de votre casquette politique, vous êtes aussi un acteur de la santé. Que pensez-vous de la gestion du Covid-19 par l’Etat ?
La gestion du Covid-19 par l’Etat est très correcte et intéressante, même si naturellement, toute gestion peut être critiquée. Il n’existe dans aucun pays au monde une gestion parfaite. Le Sénégal a choisi une stratégie d’anticipation et d’adaptation qui est très intéressante dans la gestion d’une pandémie. Quelque part, c’est une chance pour le Sénégal, et l’Afrique en général, d’avoir reçu le virus après d’autres continents que sont l’Asie, l’Europe, l’Amérique. Nous avons eu le temps de prendre connaissance du danger du virus et des méthodes de gestion de la crise par d’autres pays. Le Président Macky Sall a eu le sens de l’anticipation en mettant en place très rapidement un comité constitué de spécialistes et professionnels de la santé et d’autres matières pour prendre les décisions qu’il faut et quand il le faut. Ce sont des propositions collégiales, mais bien évidemment à la fin, c’est le chef de l’Etat qui décide de la direction à prendre. Et sur ce plan, il est important de savoir que le Président Macky Sall a, dès le premier cas confirmé, réuni le Comité national de gestion et décidé de fermer les frontières. Une mesure importante puisqu’en ce moment, tous les cas étaient importés. Ensuite, il y a eu l’Etat d’urgence, avec des mesures très fortes qui ont permis à un moment donné de pouvoir circonscrire la pathologie. Le troisième élément extrêmement important et qui constitue une particularité sénégalaise – même si nous ne sommes pas les seuls – c’est d’avoir décidé d’hospitaliser tous les patients qui ont été diagnostiqués positifs au Covid-19. Cela a permis de rationaliser le protocole thérapeutique, celui du Professeur Seydi, à savoir l’hydroxychloroquine et l’azithromycine. Ce traitement donne d’excellents résultats avec un taux de guérison qui tourne aujourd’hui autour de 67%, donc très positif. Et bien sûr, tout est fait pour éviter les effets secondaires. Donc, la partie purement gestion des malades se fait vraiment de très belle manière. Cependant, ce qui reste, c’est l’engagement citoyen afin de stopper cette transmission communautaire. L’Etat ne peut que donner les moyens nécessaires pour informer et sensibiliser sur les mesures de prévention, mais il appartient aussi à chaque citoyen de prendre ses responsabilités. Nul ne peut aujourd’hui se permettre de nier l’existence de cette pathologie qui, en plus d’être contagieuse et mortelle, a paralysé notre économie. A nous de prendre en mains notre destin en respectant les mesures barrières, mais surtout en évitant au maximum certains événements sans grande utilité. Et je suis convaincu que si nous continuons à mettre en application ces recommandations, nous pourrons gagner ce combat contre le Covid-19.
Au vu de la montée en flèche des cas et des décès, doit-on passer à un «reconfinement» comme le suggèrent des spécialistes ?
Je suis toujours du même avis technique que la meilleure gestion d’une pandémie, c’est naturellement le confinement total. D’abord, il y a la partie gestion de la pathologie avec les équipes du Professeur Seydi qui s’occupent du diagnostic, de l’hospitalisation, de la mise en place du traitement. Ensuite, il y a la partie purement communautaire. L’idéal aurait été que chacun reste chez soi et, le cas échéant, on allait limiter le nombre de malades. Cependant, il faut admettre que le confinement total est impossible dans un pays à économie informelle très importante. Beaucoup sont obligés d’aller travailler tous les jours pour nourrir leur famille. Bref, le modèle économique et celui social ne le permettent pas. Donc à défaut de cet idéal du confinement, il faut mettre en place un système qui permette aux Sénégalais de respecter les gestes barrières. Mais chacun a également la responsabilité de se soucier de sa santé et de celle de ses proches.
La communication gouvernementale sur la crise sanitaire a-t-elle porté ses fruits au vu de l’évolution de la pandémie ?
Je pense qu’on ne peut pas communiquer au-delà de ce qui se fait actuellement ? D’abord tous les jours, les autorités mettent des informations à la disposition des citoyens à travers les points du jour du ministère de la Santé. Cela fait partie de la communication. Les Sénégalais savent très bien ce qui se passe avec cette maladie. L’autre élément, ce sont les informations à la base et sous ce rapport, le Sneips (Service national de l’éducation et de l’information pour la santé) fait un travail important de sensibilisation sur les mesures de prévention. Le plus important, c’est qu’il y ait plus de conscience pour vaincre cette pandémie.
Que répondez-vous à Barthélemy Dias qui accuse votre régime d’avoir bradé le littoral ?
La personne que vous avez citée ne s’est pas adressée à moi directement. Donc je n’ai pas à répondre personnellement. Par contre, sur le sujet relatif au littoral, il est important que les gens sachent que le domaine public maritime est inaliénable et appartient à tout le monde. Bien entendu, l’idéal c’est qu’il puisse être aménagé à des fins d’utilité publique. Il convient de rappeler tout de même que la spoliation du littoral a démarré avec le régime d’alors (Ndlr : le Pds) qui avait mis à la disposition de certains privés des baux. Ce qui était inacceptable et anormal. Aujourd’hui, la plupart des contentieux dont on parle datent de la période 2000 à 2012 et je fais partie de ceux qui ont combattu ces pratiques. Nous étions encore sous l’Acte 2 de la décentralisation où les autorisations de construire venaient de la ville de Dakar. En tant que maire de Fann-Point E-Amitié de 2009 à 2014, je n’ai donné aucune autorisation de construire à aucun Sénégalais. C’est avec l’Acte 3 de la décentralisation que les communes ont eu ces prérogatives de délivrer des autorisations de construire sur le domaine public maritime. Mais le sujet de discorde aujourd’hui, c’est entre l’actuel maire de Fann-Point E-Amitié, Palla Samb, qui a donné l’autorisation de construire à un certain Djibril Diallo et le maire de Mermoz-Sacré Cœur (Ndlr : Barthélemy Dias). C’est un contentieux entre ces deux maires qui se disputent la zone. Dans tous les cas, ce qui est quand même fondamental, c’est la décision majeure du président de la République de permettre, en cas de blocage, au représentant de l’Etat de délivrer une autorisation de construire. Il y a aussi que le ministre de l’Urbanisme et de l’habitat, Abdou Karim Fofana, qui a annoncé le retrait des différents baux dans la zone du littoral au niveau des Mamelles. Ce qui est important, c’est que les Sénégalais puissent utiliser la façade maritime qui appartient à tout le monde.
CEDEAO, LE CALENDRIER DE REPRISE DU TRANSPORT AÉRIEN
Les ministres proposent «une ouverture des aéroports domestiques et la levée des restrictions relatives au transport terrestre au sein des Etats membres de la Cedeao en fin juin 2020».
Le Comité ministériel de coordination des transports et du commerce de la Cedeao a tenu des réunions les 12 et 16 juin 2020, par vidéo-conférence, afin de discuter et de convenir d’une réponse régionale bien coordonnée pour «l’ouverture de corridors de transport et de commerce transfrontaliers pour la circulation immédiate de fournitures et d’équipements médicaux humanitaires, de biens essentiels et de personnes dans la lutte contre la pandémie dans la région, et l’ouverture progressive et coordonnée des frontières terrestres, aériennes et maritimes en vue d’accompagner le processus de relance des activités économiques transfrontalières».
Discuter et convenir d’une réponse régionale bien coordonnée pour l’ouverture de corridors de transport et de commerce transfrontaliers pour la circulation immédiate de fournitures et d’équipements médicaux humanitaires, de biens essentiels et de personnes dans la lutte contre la pandémie dans la région, et l’ouverture progressive et coordonnée des frontières terrestres, aériennes et maritimes en vue d’accompagner le processus de relance des activités économiques transfrontalières : Tels sont les objectifs des réunions du Comité ministériel de coordination des transports et du commerce de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) tenues les 12 et 16 juin 2020 par vidéo-conférence.
Après délibérations, les ministres ont suggéré «l’ouverture progressive et coordonnée des frontières terrestres des Etats membres de la Communauté et des aéroports qui devra être faite sur la base de données sanitaires et lignes directrices proposées pour l’harmonisation et la facilitation du commerce et du transport transfrontaliers dans la région de la Cedeao dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19 et d’une ouverture coordonnée et progressive des frontières aériennes, terrestres et maritimes, la nécessité de relancer les économies des pays membres de la Cedeao». Pour ce qui concerne les frontières terrestres et aériennes, les ministres proposent «une ouverture des aéroports domestiques et la levée des restrictions relatives au transport terrestre au sein des Etats membres de la Cedeao en fin juin 2020».
Ouverture progressive
S’agissant des frontières terrestres, aériennes et maritimes entre les Etats membres de la Cedeao, le Comité ministériel demande de les ouvrir dans la première quinzaine du mois de juillet 2020, en vue de permettre la libre circulation des biens et des personnes sur la base d’une application stricte des lignes directrices proposées pour l’harmonisation et la facilitation du commerce et du transport transfrontaliers dans la région de la Cedeao. Comme autre recommandation, les membres du Comité prônent «une ouverture des frontières aériennes et terrestres aux autres pays ne présentant pas de niveau très élevé de taux de contamination du Covid-19 à compter de la deuxième quinzaine de juillet 2020, 31 juillet 2020 au plus tard. Cette ouverture sera fonction de l’évolution de la pandémie au sein des pays membres de la Cedeao et des autres pays, et fera l’objet d’une évaluation périodique».
Entre les Etats membres, le Comité ministériel recommande aussi un «partage des informations dans un esprit de solidarité, d’autonomie collective et de coopération interétatique par des consultations bilatérales et multilatérales, en se fournissant des informations précises et opportunes sur les mesures d’ouverture».
Pour les ministres de la Cedeao, «ces informations doivent être fournies aux acteurs du secteur privé tels que les compagnies maritimes, celles aériennes, les transporteurs et les commerçants transfrontaliers, les médias et la société civile». Ils sont par ailleurs pour «une forte collaboration aux frontières entre les administrations chargées des frontières pour la mise en place d’un dispositif de contrôle des voyageurs concernant le Covid-19», mais également «un mécanisme efficace de coordination pour suivre la mise en œuvre des lignes directrices aux niveaux national et régional. A cette fin, les structures et les comités existants, étatiques ou régionaux chargés de veiller à la bonne application les protocoles de libre circulation sur les corridors et aux frontières communautaires ainsi que la facilitation du commerce régional, doivent s’impliquer pour la mise en œuvre effective des présentes lignes directrices…».
Le Comité ministériel de coordination des transports, de la logistique et du commerce a adopté ces recommandations et demandé au président du Comité ministériel ad hoc et au président de la Commission de la Cedeao de les soumettre à Muhammadu Buhari, président de la République fédérale du Nigeria, en vue de leur présentation ultérieure à la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao.
par Seydou Ka
DU RACISME DANS LES SCIENCES SOCIALES
Un vif débat oppose partisans et opposants du déboulonnage de la statue de Faidherbe à Saint-Louis. Il faut se réjouir de cette mobilisation. Mais dans ce débat, on a peu parlé des ressorts même de ce racisme anti-noir
La question du racisme anti-noir est revenue au-devant de l’actualité à la suite de l’assassinat, le 25 mai dernier, de George Floyd, aux États-Unis. Pour dénoncer le racisme « systémique » contre les Noirs, des manifestants ont même déboulonné des statues de grandes personnalités dont les noms sont associés au racisme. De vénérables institutions comme la Banque d’Angleterre et l’Église anglicane se sont livrées à une repentance publique pour leur rôle dans la traite négrière. Au Sénégal, un vif débat oppose partisans et opposants du déboulonnage de la statue de Faidherbe à Saint-Louis. Il faut se réjouir de cette mobilisation. Mais, dans ce débat, on a peu parlé des ressorts même de ce racisme anti-noir. En effet, c’est dans la production des savoirs, notamment dans les sciences sociales, que ce racisme a trouvé ses fondements les plus solides. Des disciplines comme la philosophie ou l’ethnologie (rebaptisée anthropologie) ont été largement mobilisées pour introduire, dans les esprits, une vision inégalitaire des hommes et, par conséquent, justifier le racisme et l’entreprise coloniale.
Dans les premières années du XXe siècle, le philosophe Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939) entreprend de faire de l’ethnologie – laquelle est ipso facto une éthique qui interdit le racisme ou le mépris culturel, selon Senghor – la science du tout autre, de ce qui « nous » (entendons l’Europe) est totalement étranger. Sous son influence, l’ethnologie qui, au commencement de la discipline, a fait de la curiosité pour l’altérité son objet, devant ainsi mener à une sorte de sagesse ethnologique, en vient à remettre en cause « l’unité et l’identité de l’esprit humain ». En introduisant un « dualisme cognitif », en traçant une frontière quasi infranchissable entre la mentalité des sociétés primitives et la « nôtre » (européenne), Lévy-Bruhl posait ainsi les bases de la négation de l’Autre (Noir), remettant ainsi en cause l’unité de l’esprit et finalement du genre humain.
Cet essentialisme, c’est-à-dire une différenciation essentielle entre race noire et race blanche – différence fixée une fois pour toutes – on le comprend aisément avait pour but de « matérialiser » l’homme et de le priver de toute espérance, soit par la volonté de démentir le récit mosaïque en alléguant « une diversité primitive des races humaines », soit, enfin, par le souci de défendre la domination coloniale en prétextant l’absence supposée des facultés morales du Nègres, pour se faire un titre de plus pour le traiter impunément comme les bêtes de somme.
Cependant, on aurait tort de n’incriminer que les sciences sociales uniquement, même si celles-ci sont plus poreuses à l’idéologie. Les idées les plus étranges peuvent parfois loger au cœur d’un discours scientifique. Si les théoriciens racistes des sciences sociales jouent avec des concepts, ceux sous-couvert de la science jouent, pourrait-on dire, avec le bistouri. À ses débuts, la biologie a été mobilisée pour les mêmes fins. À titre de comparaison, le naturaliste français Georges Cuvier (1747-1810) – pour la petite histoire, c’est lui qui disséqua Saartjie Baartman, la fameuse « Vénus Hottentote – et le philosophe allemand Hegel ont développé les mêmes idées racistes sur les Noirs, l’un sous-couvert de la science, l’autre de la philosophie. Leur objectif était le même : rabaisser le Noir au rang de sous-animal.
Au cours de l’histoire, plusieurs thèses, les unes plus saugrenues que les autres, ont été véhiculées, sous le couvert de la science, sur la race noire : l’un « pense que la couleur des Nègres est due à la couleur foncée du cerveau », alors que les anatomistes contemporains « trouvent la même couleur dans les cerveaux des Nègres et ceux des Blancs » ; l’autre croit que la « bile des Nègres est d’une couleur plus foncée que celle des Européens » ; tel autre encore fait de « la membrane réticulaire » l’explication de la couleur noire. Toutes ces absurdités ont été balayées par les progrès scientifiques. Certaines positions sont plus difficiles à tenir dans les sciences exactes !
Pour les sciences sociales, l’aggiornamento a été beaucoup plus lent. Au-delà des dérapages personnels ou corporatifs, il y a des points communs entre les formulations extrémistes du racisme et la doxa des sciences sociales. Il suffit de voir la virulence de certains milieux intellectuels français à l’égard des postcolonial studies. Même si un travail de déconstruction est aujourd’hui largement effectué par des chercheurs africains et d’ailleurs. Plus étonnant encore, est l’attitude de certains intellectuels africains à l’égard de ces grands noms de la pensée accusés de racisme. Ainsi, avant que le philosophe sénégalais Djibril Samb ne s’attaque frontalement à Hegel dans le tome 3 de « L’heur de philosopher la nuit et le jour » (L’Harmattan Sénégal, 2019), la plupart de ses collègues africains se sont montrés « archirévérencieux, et même obséquieux », envers l’icône de la philosophie allemande qui, pourtant, a eu l’outrecuidance d’exprimer le plus absolu irrespect envers les Noirs. Ils restent tellement tétanisés par l’immense prestige de ces figures de la pensée qu’ils préfèrent les laver à grande eau du péché du racisme. Une attitude étrange qui, sans doute, mérite aussi l’attention des déboulonneurs de statues.
À SAINT-LOUIS, LE CHANGEMENT DES NOMS DES RUES VA SE POURSUIVRE
Le maire de la ville, Mansour Faye, a promis de rebaptiser d’autres rues et édifices de la cité, un travail qui sera fait, selon lui, par une commission mise en place à cet effet
Le maire de Saint-Louis (nord), Mansour Faye, a promis de rebaptiser d’autres rues et édifices de la ville, un travail qui sera fait, selon lui, par une commission mise en place à cet effet.
Depuis bien des décennies, la commune de Saint-Louis rebaptise ses rues et édifices, et ‘’cette démarche sera poursuivie en toute objectivité par une commission mise en place pour cela’’, a-t-il promis, dimanche.
M. Faye prenait part à une cérémonie de réception d’un don de poubelles offertes par le Comité national olympique et sportif sénégalais.
Il a parlé du débat sur la destruction de monuments et symboles du colonialisme dans plusieurs pays, à la suite de la mort de George Floyd, un Africain-Américain mort asphyxié, lors d’une arrestation, le 25 mai, à Minneapolis, aux Etats-Unis.
A Saint-Louis, où la mort de George Floyd est largement commentée, et le débat sur la destruction des symboles de la colonisation très vif, Mansour Faye a dit souhaiter que ‘’la raison l’emporte sur l’émotion, chaque fois que l’histoire nous interpelle’’.
Il a évoqué, à propos de Saint-Louis, un ‘’héritage colonial (…) fruit d’une histoire lointaine, religieuse, politique et culturelle’’.
M. Faye a également décrit Saint-Louis, qui fut capitale de l’Afrique-Occidentale française, durant la période coloniale, comme une ville ‘’aux mille visages, chargée d’histoire et de souvenirs, résolument tournée vers un avenir plein de promesses, porteuse de progrès et de modernité’’.
Par Abdoulaye BATHILY
FAIDHERBE ET LA CONQUÊTE FRANÇAISE DU SÉNÉGAL
La vie de Faidherbe, jusqu’à sa nomination comme gouverneur du Sénégal en 1854, présente moins d’intérêt pour l’historien que son œuvre coloniale - LE TEXTE IINTÉGRAL
LE ROLE DE L’ŒUVRE ETHNO-HISTORIQUE DE FAIDHERBE DANS LA CONQUETE FRANÇAISE DU SENEGAL
Sud Quotidien propose à ses lecteurs une contribution du Professeur Abdoulaye Bathily, publiée en mai 1974, lors d’un colloque organisé par l’Université de Paris 7 Jussieu. Ce texte, parmi d’autres, figure dans la collection «Le Mal de voir». Dans cette première partie, il est passé en revue, le rôle que Faidherbe (ainsi que d’autres «coloniaux»), a joué en sa qualité de gouverneur de la colonie du Sénégal, dans la mise en place de la politique de la Métropole, en publiant et éditant ou collaborant à des revues. L’objectif poursuivi était la connaissance de la “société” et du “milieu indigène”, connaissance sans laquelle ne pouvait se réaliser l’œuvre de domination des peuples et qui constitue la base de tout système colonial. Dans notre édition de demain mercredi 24 juin, nous publierons, dans un deuxième jet, la mise en application de la politique de la France, par le Gouverneur Louis Faidherbe, dans la colonie du Sénégal. Un troisième et dernier jet vous sera proposé jeudi pour boucler cette contribution majeure, sous la signature du Professeur Abdoulaye Bathily, historien, homme politique, ancien ministre d’état de la République du Sénégal.
La vie de Faidherbe, jusqu’à sa nomination comme gouverneur du Sénégal en 1854, présente moins d’intérêt pour l’historien que son œuvre coloniale.
Résumons les étapes de cette carrière. Louis Léon César Faidherbe naquit en 1818 au sein d’une famille modeste de Lille. Après des études peu brillantes à l’Ecole Polytechnique, il débuta sa carrière comme médiocre officier du Génie. Un premier bref séjour en Algérie, suscita en lui le goût du service colonial. Il demanda et obtint sa mutation à la Guadeloupe où il débarqua le 26 mars 1848. La révolution venait alors de triompher en France et la IIème République était proclamée.
Au même moment le soulèvement des esclaves balayait les Antilles, Faidherbe, ayant manifesté ses convictions républicaines et sa sympathie pour les esclaves insurgés se vit rapatrié par ses supérieurs au bout de deux ans de séjour. Peu après, il fut affecté de nouveau en Algérie comme constructeur du Génie et prit part à plusieurs campagnes de répression contre le gouvernement de résistance kabyle. Ce second séjour algérien exerça une influence décisive sur Faidherbe. Mis au contact de la société musulmane, il en étudia les institutions et s’initia aux méthodes de conquêtes coloniales qui étaient particulièrement brutales dans cette colonie de peuplement.
Récompensé de la Croix de la Légion d’Honneur, il obtenait d’être affecté au Sénégal où il arrivait le 6 novembre 1652, en qualité de sous directeur du Génie. Ses fonctions l’amenaient à faire le tour des possessions françaises en Afrique de l’Ouest, construisant, restaurant des forces ou participant à des campagnes militaires.
Ainsi, il visitait Bakel et Senudebu, postes les plus avancés des Français dans le Haut Fleuve et point de départ de la pénétration vers le Niger et le Futa Jalon. Il construisit le fort de Podor, pièce maîtresse du commerce de la gomme et centre politique du Futa Tooro. Il érigea le Fort de Daabu, important emplacement commercial de la Côte d’Ivoire. En 1853, il se trouvait aux côtés du gouverneur Baudin dans l’expédition contre Grand Bassam et participa aux négociations avec les souverains de la Basse Côte. En mai 1854, il se fait distinguer à la bataille de Jalmat (Dialmath) qui mettait aux prises les Français et les populations du Dimar (Futa Tooro), hostiles à l’érection du fort de Podor. Ses activités attirent sur lui les attentions des milieux d’affaires de la colonie et du grand commerce colonial de Bordeaux et Marseille.
Sous la suggestion de ces derniers, le gouverneur Protet qui venait alors d’être rappelé, intervint auprès .du ministre de la Marine, Ducos, pour la nomination de Faidherbe à la tête de la colonie. Mais comme le préposé, qui n’était que capitaine du Génie, ne pouvait, selon les règlements en vigueur occuper de si hautes charges, il fut demandé au ministre de la Guerre, le maréchal Vaillant, de relever son grade. En novembre 1854, avec l’approbation de Napoléon III, Faidherbe était nommé en même temps, chef de Bataillon et gouverneur du Sénégal. Il exerça le commandement suprême de la colonie jusqu’en décembre 1861. Nommé lieutenant-colonel, puis colonel, il rentra en congé en France et reprit son poste en juillet 1863 avec le grade de général de Brigade. Il ne quitta définitivement le Sénégal qu’en juillet 1865. Lors de la guerre franco prussienne de 1870 1871, ce vétéran des expéditions coloniales se fit distinguer dans les combats du Nord. A la chute du second Empire, il fut élu sénateur puis membre de l’Institut et président de la Société de Géographie de Paris. Il n’en continua pas moins de suivre de près l’évolution des affaires coloniales dont il fut un des plus ardents avocats sous la IIIème République et cela jusqu’à sa mort en 1889. Il mit sa vaste expérience à la disposition d’officiers comme Gallieni, Borgnis Desbordes, Archinard, etc. qui poursuivirent l’œuvre de conquête coloniale.
CONTRIBUTION DE FAIDHERBE ET DE SON RÉGIME À NOS CONNAISSANCES SUR LE SENEGAL ANCIEN
Avant l’époque faidherbienne, une pléiade d’hommes de marchands, d’explorateurs et de gouverneurs ont laissé sur le Sénégal une riche documentation dont les éléments les plus anciens remontent à la seconde moitié du XVIIème siècle. Mais ce fut sous le régime de Faidherbe que fut entrepris un travail d’enquête systématique sur l’histoire, l’ethnologie et le milieu physique des pays qui constituent le Sénégal actuel. Dès son avènement, le gouverneur fonda deux périodiques: L’Annuaire du Sénégal et Dépendances (A.S.D.) et le Moniteur du Sénégal et Dépendances (M.S.D.). L’Annuaire et le Moniteur étaient destinés à la publication des actes officiels et à la relation des évènements à caractère économique, politique et social survenus dans la colonie.
Mais ils ouvrirent leurs colonnes à des essais de monographie d’histoire etc. entrepris par Faidherbe lui même et ses collaborateurs. Par ailleurs, le gouverneur collaborait à diverses publications métropolitaines s’intéressant aux explorations et aux affaires coloniales, en général, comme les bulletins de la Société de Géographie de Paris, de la Société de Géographie commerciale de Bordeaux et de Marseille, la Revue maritime et coloniale, Tour du Monde, etc..
Ainsi, Faidherbe est l’auteur de travaux dont les plus importants sont :
- Populations noires des bassins du Sénégal et du Haut Niger ;
- Notices sur la Colonie du Sénégal ;
- Ouolofs Noms et tribus ;
- Vocabulaire d’environ 1500 mots français avec leurs correspondants en ouolof de Saint-Louis, en Poular (Toucouleur) du Fouta en Soninke, (Sarakhole) de Bakel ;
- Chapitre de Géographie sur le Nord-ouest de l’Afrique à l’usage des écoles de Sénégambie ;
- Notices sur les Sérères ;
- Annales sénégalaises de 1854 à 1885 suivies des traités passés avec les indigènes.
Mais, le Sénégal: la France dans l’Afrique Occidentale, est son œuvre principale.
Cet ouvrage écrit pour la défense du projet de chemin de fer Kayes Bamako, retrace les étapes de la présence française, de la pénétration mercantile du XVIIème siècle à la conquête militaire. Faidherbe y défend avec passion la cause coloniale et présente une vue particulièrement optimiste sur l’avenir économique du Soudan occidental.
A l’instar de Faidherbe, ses subordonnés publient des enquêtes ordonnées par le Gouverneur et firent ainsi paraître tout ou partie de leurs rapports de mission.
Ainsi Pinet Laprade, son adjoint et successeur immédiat, est l’auteur de:
- Origine des Sérères ;
- Notices sur les Sérères, ibid et A.S.O. 1865.
Le Capitaine Louis Alexandre Flize, directeur des Affaires indigènes puis des Affaires politiques nous laissa de remarquables notices sur différents royaumes sénégalais :
- Le Boundu
Le Oualo ;
- Le Gadiaga.
Mage et Quintin, envoyés en mission auprès d’El Haj Umar en 1863 et retenus prisonniers durant deux ans à Segou par le Sultan Ahmadu (fils et successeur du Marabout), consignèrent dans leur ouvrage Voyage au Soudan occidental, un témoignage de première main qui demeure une référence essentielle sur l’Empire Toucouleur.
Aux travaux publiés il faut ajouter d’autres plus nombreux et souvent plus riches qui sont conservés aux archives publiques ou privées de France et au Sénégal. Malgré le caractère inégal de ces documents, la somme d’information qu’ils représentent fait du régime de Faidherbe, le véritable fondateur de l’école africaniste française.
En tant que documents du passé renseignant aussi bien sur leurs auteurs que sur les sujets traités, ces travaux possèdent une valeur intrinsèque dont l’intérêt scientifique est considérable. Cependant ils souffrent d’un double défaut qui provient des conditions même de leur production. En effet, les recherches entreprises durant la période faidherbienne avaient un but fondamentalement fonctionnel. L’objectif poursuivi était la connaissance de la “société” et du “milieu indigène”, connaissance sans laquelle ne pouvait se réaliser l’œuvre de domestication des peuples et qui constitue la base de tout système colonial.
Mus par de telles préoccupations, ces auteurs se sont souvent complus à peindre les sociétés africaines sous les traits les plus défavorables. Les sentiments de sympathie qui transparaissent çà et là sont l’exception d’une règle générale fondée sur les préjugés et des falsifications de la réalité.
Ainsi Faidherbe, chef de file écrivant dans un curieux mélange de rousseauisme et de gobinisme: “ enfin pour en venir au contraste le plus frappant peut-être: au nord du Sahara, l’homme blanc, actif et industrieux, tenace, qui lutte contre la nature et en modifie souvent les lois, au sud du Sahara, l’homme noir, qui dans son apathie, se soumet à elle en esclave et envers qui, les peuples civilisés ont été bien coupables, l’homme noir, naturellement bon, d’une intelligence comparable à celle des races blanches, mais qui, manquant de caractère. c’est à dire de force de volonté et de persévérance sera toujours à la merci des races mieux douées que lui sous ce rapport avec lesquelles il se trouvera en contact”. Parleurs écrits, Faidherbe et ses collègues ont contribué à répandre chez les peuples d’Europe, les préjugés racistes à l’égard des Africains.
Par ignorance, inadéquation de l’approche méthodologique ou/et parti pris délibéré, ils ont été incapables de saisir les mécanismes d’évolution des sociétés étudiées. Plus grave, ils n’ont pu situer et évaluer objectivement les effets de leurs propres actions et plus généralement l’influence du mode de production capitaliste sur les formations sociales pré capitalistes sénégalaises. Cependant, si, par leur contenu, ces études ont souvent desservi la cause des Africains, elles ont permis à Faidherbe et à ses collègues d’élaborer une politique efficiente de conquête dont nous allons examiner quelques aspects essentiels.
DIMENSIONS ET NATURE DE LA POLITIQUE DE CONQUETE FAIDHERBIENNE
Dans son ensemble, l’historiographie coloniale a tendance à magnifier Faidherbe et son œuvre. Un manuel qui a façonné la conscience historique de générations d’écoliers de l’ex A.O.F. juge l’ancien gouverneur comme suit : “Faidherbe était un homme honnête et droit. Il aimait protéger les faibles et les pauvres, châtier les oppresseurs. Il lutta de toutes ses forces contre l’esclavage. Partisan de l’égalité des races, il voulait hâter l’évolution des peuples noirs “ Plus récemment les discours de certains membres de la classe dirigeante du Sénégal et des travaux plus ou moins scientifiques allant des brochures de tourisme à la publicité journalistique, présentent Faidherbe comme le fondateur de l’unité de la nation sénégalaise. L’examen critique de l’œuvre de conquête faidherbienne nous permettra de juger de la valeur de telles assertions.
SITUATION DU SÉNÉGAL À L’AVÈNEMENT DE FAIDHERBE
Au moment où Faidherbe prenait en main la direction de la colonie, les affaires de la bourgeoisie coloniale traversaient une période difficile. Les difficultés provenaient d’un contexte général de révolution économique et de vicissitudes politiques qui secouaient les sociétés sénégalaises et les établissements coloniaux.
Au plan économique : Depuis le XVIIème siècle, le Sénégal et son arrière-pays (Haut Sénégal et Niger) étaient considérés comme le principal marché de la gomme et un réservoir destiné à fournir annuellement un millier d’esclaves pour les plantations des Antilles. La baisse sensible du trafic des esclaves et sa suppression légale jointe aux aléas de la production et de la vente de la gomme posèrent au commerce français du Sénégal un grave problème de reconversion. Sous l’égide des gouverneurs Schmaltz (1816 1820) et Baron Roger (1822 27) furent tentées dans diverses régions du pays et en particulier dans le delta du Fleuve (royaume du Walo) des entreprises de colonisation agricoles. Mais elles échouèrent lamentablement.
Parallèlement, une compagnie à privilège, la Compagnie de Galam, formée sur le modèle des compagnies commerciales de l’Ancien Régime fut reconstituée par une poignée de gros négociants saint-louisiens. Elle opéra de 1825 à 1848 dans le Haut Fleuve et en Casamance et se consacra essentiellement au commerce de l’or, de l’ivoire, du mil, de la gomme et d’autres produits du cru. Si la compagnie réalisa des taux de profit de l’ordre de 60 à 100% et plus par an, elle ne réussit pas à élargir le champ de ses activités commerciales vers le Soudan nigérien et échoua dans le rôle d’expansion politique que sa charte lui assignait.
Aux lendemains du triomphe du capitalisme libéral accompli par la Révolution de 1848, la Compagnie fut dissoute sous la pression des traitants libres. Mais la liberté du commerce entraina une anarchie dans les échanges qui ruina les affaires les plus vulnérables. Sur le plan politique: La colonisation agricole et le commerce des esclaves accentuèrent les conflits sociaux dans les Etats du Fleuve, également en proie à une crise de réadaptation par suite du déclin de l’économie esclavagiste. Les interventions répétées de l’administration en faveur du commerce soulevèrent une double opposition : celle des marchands traditionnels, victimes de la concurrence des négociants européens et celle des peuples soumis à l’oppression administrative et aux exactions des aristocraties locales. Ces dernières soucieuses d’assurer des revenus à leur appareil étatique par les taxes sur le commerce européen et les “coutumes”, adoptaient une attitude tantôt de collaboration tantôt de résistance contre les Français. L’Islam fut le stimulant idéologique de la résistance anti française. Presque partout on vit les paysans se regrouper autour des marabouts pour opérer une tentative de restructuration plus large de la société au détriment des ceddo (classe politico guerrière) et du système colonial.
Ainsi les mouvements de Diile au Waalo, d’El Haj Umar dans la moyenne et haute vallée et Ma Ba Jaaxu dans le Rip faisaient courir un sérieux péril aux intérêts de la France et de ses alliés. L’instabilité chronique du gouvernement de la colonie par suite de la valse des gouverneurs dont le séjour ne dépasse presque jamais deux années consécutives rendait la crise d’autant plus grave. Plusieurs rapports rédigés par des négociants ou des militaires avaient pourtant attiré l’attention du ministre de la Marine sur la nécessité de prolonger le séjour des gouverneurs, et surtout sur l’adoption d’une politique de fermeté à l’égard des mouvements de résistance. Dès 1843, le gouverneur Bouet Willaumez, appuyé par le ministre et le directeur des Affaires Extérieures avait énoncé les principes de la nouvelle stratégie de conquête.
En 1847, un négociant de Saint Louis, M. Héricé les reprit et les développa dans un mémoire présenté au ministre de la Marine et des Colonies Dans son rapport en date du 2 janvier 1854, le , gouverneur Protet les formulait sans ambiguïté : “Nous sommes les souverains du fleuve Nous devons nous affranchir au plus tôt de tout ce qui peut avoir l’apparence d’un tribut prélevé sur le gouvernement ou d’une exaction au commerce. C’est dans cet esprit que devaient être conçus taus les nouveaux traités que nous pouvons avoir à passer avec les chefs des tribus riveraines”.
II. FAIDHERBE ET LA MISE EN APPLICATION DE LA DIPLOMATIE DE LA CANNONIERE
L’œuvre militaire :
Servi par des qualités indéniables : esprit d’initiative, ténacité jointe à un dévouement inlassable aux intérêts français, Fai- dherbe prenant appui sur les plans de colonisation de ses prédécesseurs s’attacha à renforcer l’influence de la France au Sénégal. En cela, il réussit même à imposer ses vues aux ministres du Second Empire, régime qui accueillait favorablement les succès extérieurs mais manquait d’une doctrine cohérente pour les préserver. Convaincu que seule la conquête militaire en assurant “la paix et la tranquillité” pouvait créer les conditions favorables à l’exploitation économique, il dirigea personnellement une série de campagnes dévastatrices, inspirées de son expérience algérienne. Proconsul d’un empire autoritaire selon l’expression de Richard Molard, Faidherbe était de surcroit doué d’un caractère abominable et d’un sens de l’autorité qui confinait au vice.
Dès 1855, il fit restaurer les forts de Bakel et Médine dont il fit un dépôt d’armes et de munitions. Il maintint en permanence sur le fleuve une flotille de chalands et d’avisos, destinée à ravitailler et à renforcer au besoin les troupes de terre.
En 1857, il officialisa par arrêté la création du célèbre bataillon des Tirailleurs Sénégalais dont les premières tentatives remontent au gouvernement de Blanchot de Verly (1787-1807). A l’origine, les tirailleurs étaient recrutés parmi les esclaves qui étaient obligés de racheter leur liberté par un service obligatoire de quatorze ans. Mais ce système, basé sur la contrainte ne produisait que des résultats médiocres.
Faidherbe l’abolit au profit de l’engagement volontaire et décida même d’offrir aux tirailleurs engagés un salaire, des possibilités de promotion et des récompenses selon le mérite. En utilisant pleinement la recette de l’intéressement matériel et de l’intoxication idéologique dans ces sociétés où les aspirations au prestige social tenaient une place importante dans le système de valeurs, Faidherbe réussit à faire du Bataillon des Tirailleurs, un corps d’élite qui pallia l’insuffisance et l’inefficience des troupes européennes. Avec des forces accrues quantitativement et qualitativement, il lança une série d’offensives qui font encore chanter les troubadours de l’épopée coloniale.
Les Maures et Bracknas de la rive droite étaient défaits et le Waalo annexé. El Haj Umar qui avait subi des échecs au siège de Médine (1857), à Gemu (Guemou 1859) se replia sur le Niger. Obéissant aux vœux du commerce, le Gouverneur entreprit une violente campagne de représailles contre les partisans du marabout. Faidherbe ordonna la mise à feu systématique des villages accusés à tort ou à raison d’avoir saisi des biens appartenant à des traitants: “Si le pillage est commis par les habitants d ’ un village , tout le pays auquel appartient ce village en est responsable et doit s’attendre à toute espèce de représailles de notre part, tant qu’on ne nous aura pas accordé la réparation que nous avons demandée”.
La réparation était presque toujours disproportionnée par rapport au dommage causé. Elle s’ajoutait aux lourdes contributions de guerre que les chefs devaient payer avec les ressources des habitants. Dans le haut Fleuve les chefs de colonnes se livrèrent à la saisie des récoltes et des troupeaux des habitants dont la plupart avaient déserté les villages. Le commandant Pipy, commandant de garnison de Bakel, se déclarait “ content d’effacer les villages de la carte “. Au Salum, le traité de 1861, passé entre Samba Laobé et Pinet-Laprade, agissant au nom de Faidherbe, stipulait en son article 3: “Le roi du Saloum s’engage à livrer à Dakar 500 bœufs au gouvernement français, à titre de contribution de guerre.
L’œuvre diplomatique:
Homme politique habile, Faidherbe savait que seule, la soumission des peuples par la violence ne pouvait fonder un pouvoir durable. Aussi déploya-t-il parallèlement aux expéditions armées, une intense activité diplomatique destinée à faire coopérer les aristocraties dirigeantes à son œuvre de conquête. Sa diplomatie s’orienta dans trois directions principales:
- 1- Une politique de traités.
- 2- Une tactique de division des classes dirigeantes et des Etats.
- 3- Une politique d’assimilation culturelle.
A peine les opérations de représailles étaient-elles terminées que Faidherbe mandait auprès des souverains autochtones lorsqu’il ne pouvait le faire lui-même, les commandants de poste ou de simples officiers parmi ceux-là même qui avaient dirigé les massacres pour signer des traités entre la France et les Etats. Le contenu et la forme de ces différents traités variaient peu. Les clauses stipulaient invariablement des cessions de territoires à la France, la liberté du commerce pour les marchands français “ à l’exclusion de ceux de toute autre nation” et la réaffirmation des bonnes dispositions de la France à accorder son “amitié “ et sa “protection bienveillante “ aux chefs qui les mériteraient par leur conduite.
Cependant, ces traités n’étaient aux yeux de Faidherbe qu’une couverture légale pour justifier l’annexion des territoires conquis. Pour les souverains également, ils ne représentaient qu’un “chiffon de papier” que le rapport des forces du moment leur imposait de signer. Le système d’appropriation collective de la terre en usage dans les sociétés sénégalaises ne pouvait permettre à aucun individu, fût-il roi, d’exproprier la communauté d’une parcelle du territoire collectif au profit d’un tiers. Faidherbe qui avait appris cela par ses enquêtes ethnographiques n’en tint pas compte portant.
En outre, la duplicité des plénipotentiaires français au cours des négociations ajoutait au discrédit dans lequel ces conventions étaient tenues. Rédigés en français, les traités ne recevaient généralement qu’une version approximative en arabe et une traduction verbale en langue locale. De la sorte, une confusion volontaire est entretenue qui permettait à chacun des signataires de lui donner l’interprétation voulue.
De plus, Faidherbe profita de sa position de force pour dénoncer u n i l a t é r a l e m e n t les clauses qui lui paraissaient contraignantes. Il supprima les coutumes payées aux Etats par les traitants et interdit aux chefs de lever des droits traditionnels sur les caravanes traversant leur territoire sauf accord de l’autorité française. Ce faisant, il affaiblit considérablement les bases économiques de l’aristocratie traditionnelle et la rendit encore plus dépendante de la colonisation. Ensuite pour prévenir toute coalition anti-française, il procéda au démembrement d’entités politiques jusqu’alors unies. Les provinces conquises furent les unes après les autres placées sous autorité administrative et subdivisées en cercles et cantons.
En 1857, la province de Goye fut désintégrée et sa portion du Kammera (Haut Gala.m) déclarée territoire français. Les provinces du N’Jambur, Mbawar, Andal et Sanyoxor furent détachées du Kajoor (Kayor) et annexées aux possessions françaises en 1863. Une série de traités signés entre 1858 et 1863, décidèrent de la séparation du Dîmar, du Toro et du Damga d’avec le Fouta.
Par ailleurs Faidherbe joua les souverains les uns contre les autres. En même temps qu’il signait un traité d’amitié avec Ma Ba Jaaxu et l’invitait à lutter contre Lat Joor, prétendant au trône du Kajoor, il fournissait les armes au Buur-Sin, Kumba N’Doffen qu’il encourageait discrètement à résister aux pressions du marabout du Rip. Plus fréquemment que ses prédécesseurs, il intervint dans les conflits dynastiques pour imposer les candidats de son choix. Bubakar Saada, rejeté par la population du Bundu et isolé dans son propre clan pour son régime oppressif et ouvertement collaborateur fut reconnu comme seul Almami par l’administration. Une expédition fut conduite dans la vallée de la Falemmé par le capitaine Brosselard de Corbigny qui écrivait à ce sujet dans son rapport au Gouverneur (janvier 1856): “Le Bundu tremble, tous les villages viennent me faire soumission et promettent fidélité à Boubakar Saada, mais je ne veux finir la guerre que lorsque Boubakar sera réellement chef, aussi, suis je en train de détruire le pays de Marsas composé de neuf villages; tous les jours, j’envoie les Maures ou les Bambaras le piller et quand je jugerai le moment opportun de donner un grand coup, je formerai une colonne solide qui marchera gaiement au butin” .
Dans la vallée du Fleuve tous les chefs partisans d’EI Haj Umar furent obligés de céder leur pouvoir à des rivaux favorables à l’administration. Au Kajoor, Faidherbe fit déposer le Dame! Makodu et le remplaça par l’incapable Majojo (Madiodio). L’article 7 du traité du 4 décembre 1863 stipule: “ Tant que le roi du Cayor remplira fidèlement ses engagements, le gouvernement français lui promet son appui contre ses sujets qui se révolteraient et contre ses ennemis extérieurs. A cet effet, il va être immédiatement construit un fort occupé par une garnison française à Nguiguis, capitale du pays”.
Chassé par deux fois du Kajoor par une révolte populaire, Majojo fut rétabli par les troupes françaises au détriment de Lat Joor. Pourtant les intrigues diplomatiques et l’usage de la force brutale ne produiront pas les résultats que Faidherbe en attendait. Ses ingérences n’avaient fait qu’accentuer les frustrations et les humiliations des peuples et des classes dirigeantes elles-mêmes
La politique d’assimilation culturelle était destinée à faire accepter par l’élite autochtone, l’ordre colonial et ses valeurs. Elle s’adressait aux jeunes princes des différents royaumes et aux métis de la colonie. En 1856, Faidherbe fonde l’Ecole des Otages plus tard baptisée Ecole des fils de chef et des interprètes. De sa création à 1889, l’école avait reçu 103 élèves qui y étudièrent pour une période plus ou moins longue. Selon Faidherbe, six de ses élèves étaient devenus « anti-français” . Cependant 56 avaient “tiré profit de leurs études” et rendirent de remarquables services à la colonie. Parmi eux 1 1 étaient devenus chefs indigènes, 9 interprètes et les 2 autres officiers indigènes. D’autres encore se firent maîtres auxiliaires, employés de bureau dans l’administration et le commerce . L’enseignement de l’école était basé sur l’apprentissage des notions d’arithmétique et de technique pratique
Soit par anticléricalisme, soit par tactique politique ou les deux à la fois, Faidherbe qui était par ailleurs franc-maçon, se méfiait des écoles missionnaires. Afin de ne pas susciter l’opposition des familles musulmanes, il veilla personnellement à ce que fut préservé le caractère laïc du cursus de l’Ecole des Otages. Pour lui, l’Islam représentait une “ demi civilisation” , dont les préceptes étaient plus facilement accessibles à “l’esprit simple des noirs du Sénénégal” .Sa politique pro-musulmane résultait non d’une sympathie particulière pour cette religion mais d’une nécessité pratique. Il n’hésite pas, par exemple, à utiliser marabout pro-français Bou El Mogdad qu’il envoya en Mauritanie et en Afrique du Nord pour une mission destinée à lutter contre l’influence spirituelle d’El Haj Umar. Quoi qu’il en soit l’objectif visé par l’école était d’éduquer les futurs chefs dans un esprit favorable à la France. L’idéologie tenait donc une place de choix, elle était inculquée aux enfants sous les formes les plus insidieuses. Le Gouverneur donnait l’exemple aux enseignants. Tous les dimanches matin il avait l’habitude de faire venir les élèves dans son palais pour les féliciter et leur offrir des cadeaux. Les plus doués étaient envoyés en France pour un séjour plus ou moins long. Dans l’ensemble, l’Ecole des Otages a contribué, par le grand nombre d’auxiliaires qu’elle a produits, à jouer un rôle important dans la conquête.
L’extension des territoires annexés et la croissance économique posèrent à Faidherbe des problèmes de personnel administratif. Il développa en conséquence une politique de promotion en faveur des métis, qui constituaient alors le groupe social dominant à Saint-Louis et à Gorée. Selon les estimations de l’Abbé Boilat, à la veille de l’avènement de Faidherbe, la population de Saint- Louis, chef- lieu de la colonie, s’élevait à 12 336 habitants dont 177 Européens seulement. D’Anfreville de la Salle estimera le nombre des métis à 1200 en 1830 et à 1600 en 1860. Ce qui est peut-être une légère sous-estimation. La population métisse s’était accrue en raison de la multiplication de ce qu’on appelait à l’époque les “mariages à la mode du pays “. Ces mariages approuvés par l’administration, bénis par l’Eglise et célébrés selon les coutumes locales, coutumes consistaient en l’union d’un Européen et d’une femme autochtone, par un contrat qui était rompu à l’initiative de l’Européen dès qu’il était rappelé en métropole. Les enfants issus du mariage demeuraient avec la mère à la colonie et le père avait la liberté de leur verser ou non une pension alimentaire.
Faidherbe encouragea les militaires et les négociants européens qui presque tous vivaient seuls à la colonie, à prendre maîtresse dans les familles sénégalaises influentes dans le but entre autres, de renforcer les liens politiques entre la communauté expatriée et les sociétés locales. Il donna lui-même l’exemple en épousant une fille originaire du Haut Fleuve et dont il eut des enfants.
Les métis ou mulâtres, tous de confession chrétienne fréquentaient les écoles des Missions dont les programmes au contraire de ceux de l’Ecole des Otages étaient identiques aux programmes métropolitains. Beaucoup de jeunes métis furent ainsi en mesure de poursuivre leurs études dans les écoles françaises soit aux frais du gouvernement soit à l’aide du soutien financier de leurs parents. Sous le régime de Faidherbe, les métis acquirent une position-clé dans l’appareil colonial. Comme officiers, traitants ou employés, ils servirent le servirent avec zèle. L’exemple du lieutenant Paul Holle qui défendit le fort de Médine lors du siège de cette ville par El HaJ Umar en l 8S7 ou celui du sous- lieutenant d’Etat-Major Descemet qui fut tué au cours de ce même siège, sont trop célèbres pour être rappelés Tout système colonial pour assurer sa survie et une efficience selon sa propre logique, doit reposer sur une classe ou un groupe social intermédiaire produit ou façonné par le choc entre la masse colonisée et l’appareil de domination étrangère.
Conscient de cette nécessité, Faidherbe déploya des efforts pour convaincre les gros négociants e u-r o p é e n s de collaborer avec les métis. Il réussit à mettre fin aux rivalités entre ces deux groupes de la bourgeoisie coloniale qui dès lors acceptèrent de coopérer dans l’économie de traite. Les familles métisses comme celles des Valentin, Guillabert, d’Erneville, Gaspard Devès et Descemet pour ne citer que les plus influents de l’époque soutinrent la politique de conquête de Faidherbe à laquelle ils doivent leur ascension au XIXème siècle.
Dans son roman Nini mulâtresse du Sénégal, le regretté Abdoulaye Sadji nous donne une fine peinture de la psychologie du métis, produit de deux mondes antagoniques et pris dans un tissu de complexes. Dans leur tentative désespérée de s’identifier aux Européens, ils en arrivent à s’exclure de la société africaine, tout en essayant par ailleurs d’utiliser leurs relations avec cette dernière au bénéfice de leurs transactions commerciales.
Dans les années 1870 1890, lorsque les maisons commerciales françaises décidèrent d’installer des filiales dans les provinces conquises de l’intérieur, elles liquidèrent les affaires des traitants métis. Ces derniers se scindèrent en deux groupes rivaux. Le premier dirigé par les Devès, passa dans l’opposition contre les Français, alors que le second composé des Descemet, Guillabert et d’Erneville accepta de jouer le rôle d’agents des compagnies bordelaises
III. LE RÉGIME DE FAIDHERBE ET LA MISE EN VALEUR DES RESSOURCES DE LA COLONIE
Analyser le processus de la colonisation et celui de la présence française dans la colonie du Sénégal, tel était l’objectif d’une contribution du Professeur Abdoulaye Bathily présentée à l’Université de Paris 7 Jussieu, en 1974. Dans le sillage des deux dernières éditions où il a été question du rôle et de l’œuvre de Faidherbe, des stratégies militaire et diplomatique de la France métropolitaine, Sud Quotidien propose à ses lecteurs dans son édition du jour, le dernier jet de cette contribution majeure pour apporter au débat en cours et mettre en perspective par l’histoire, le rôle du gouverneur Louis Faidherbe dans cette séquence de l’histoire du Sénégal.
C’est sous le régime de Faidherbe que la reconversion économique de la colonie fut achevée. Cette reconversion est symbolisée par la création de la Banque du Sénégal dès 1855. La gomme constituait encore l’essentiel des exportations mais son déclin était rendu irréversible moins à cause de la concurrence de la gomme du Kordofan que de l’usage de plus en plus généralisée de produits de substitution par l’industrie métropolitaine. Au contraire de la gomme, l’arachide qui venait d’être haussée au rang de culture d’exportation connut une expansion considérable.
Au cours de la période faidherbienne, la production doubla (3 000 à 6 000 tonnes). Faidherbe voulut même encourager un Français, le marquis de Rays, à construire une usine de fabrication d’huile d’arachide. Mais le conseil d’administration de la colonie, dominé par les négociants et armateurs rejeta cette décision sous le prétexte que “l’exportation de l’huile serait la ruine de la colonie”. En effet, la transformation de l’arachide sur place aurait entrainé une diminution de 70 % des tonnages transportés ce qui aurait paralysé la navigation.
Pour accroître les revenus de l’administration, l’impôt per capita fut institué dans les territoires annexés. Dans le Haut-Fleuve où la culture de l’arachide était moins développée, des paysans se trouvèrent dans l’obligation d’émigrer en Gambie et au Sénégal occidental pour vendre leur force de travail comme ouvriers agricoles saisonniers (Navétane), d’autres s’engagèrent comme matelots sur la flottille fluviale et surtout la marine marchande qui se développa par suite de l’aménagement des rades de Saint-Louis Rufisque et Kaolack et de la construction du port de Dakar par Pinet-Laprade (1857). Cette émigration prit une dimension plus considérable, que l’administration décida dès les années 1860, de faire payer les impôts en espèce par les populations. Nous touchons ici, aux racines du problème de la main- d’œuvre immigrée sénégalaise en France.
Faidherbe lutta pour la suppression de l’esclavage et envoya même une lettre de démission au Ministre pour protester contre la décision d’envoyer une cargaison d’esclaves (“ engagés à temps”) aux Antilles. Cette attitude était sans doute dictée par des convictions humanitaires mais elle pouvait tout aussi bien obéir aux principes capitalistes de la “liberté du travail” dont Faidherbe avait jugé l’- efficacité par la réorganisation du système de conscription des tirailleurs comme indiqué plus haut.
La doctrine économique nouvelle était qu’en face de l’impossibilité d’une mise en valeur du Sénégal, par une colonie de peuplement européen comme en Algérie, il fallait faire développer les ressources par les habitants eux-mêmes sous la direction de l’administration. D’où la nécessité de conserver sur place une main-d’œuvre libre que l’on inciterait à la culture de l’arachide et autres produits exigés par l’économie métropolitaine. Cependant ce principe de la liberté du travailleur ne pouvait pas être pleinement appliqué dans la colonie comme en métropole. L’insuffisance des ressources de l’appareil d’Etat colonial et l’hypertrophie relative de son instrument de répression amenèrent la bureaucratie coloniale à avoir recours systématiquement aux solutions de contrainte.
Ainsi, aux lois sur l’esclavage furent substitués des textes légalisant la corvée et le travail forcé, frappant les populations des régions conquises. Les règles qui régissent le système capitaliste à la métropole sont inefficientes dans une colonie. Non seulement à cause du phénomène de dépendance économique, centre périphérie, mais surtout en raison de la nécessité vitale pour le système colonial dans son ensemble de se défendre à tout moment contre l’opposition tantôt sourde, tantôt explosive du peuple dominé. Pour ce faire le capitalisme est obligé d’enfreindre sa propre légalité par conséquent, l’économie et les superstructures juridico-institutionnelles qu’il introduit dans la colonie ne peuvent être bâties à son exacte image mais en sont la caricature. Sous ce rapport, la bourgeoisie dont le slogan était “Liberté, Egalité, Fraternité “ au temps de Faidherbe, n’hésite pas à appliquer au Sénégal des lois établissant la distinction entre “sujets” et “citoyens français”. Défense était faite aux “sujets” de quitter sans autorisation, les territoires sous protectorat où ils habitaient. Ils n’avaient pas de droits politiques dans le cadre du système colonial. Le Commandant de cercle introduit par Faidherbe devint le maitre Jacques, ayant droit de regard jusque dans les conflits privés.
RELATIONSDEFAIDHERBE AVECLABOURGEOISIE COLONIALE.
Dans leur tentative d’interprétation de l’expansion coloniale française en Afrique occidentale, certains historiens dont le plus en vue est aujourd’hui Kanya-Forstner voient dans les réalisations du régime faidherbien l’œuvre personnelle du gouverneur Celui-ci est présenté comme un individu hors-série et initiateur d’un “ impéria1isme militaire” qui, contrairement à la thèse de Lénine aurait été à l’origine de la conquête. Nous ne pouvons discuter ici de cette question théorique fondamentale qui a suscité et suscite encore des débats passionnés dont les motivations de classe sont évidentes. Faisons simplement quelques remarques pour éclairer notre sujet. Il est certain que la forte personnalité de Faidherbe, sa persévérance non moins que son intelligence politique et militaire et son profond patriotisme ont joué un rôle très important dans l’- expansion coloniale, Cependant, certains de ses prédécesseurs comme André Brüe, plusieurs fois directeur de la Compagnie du Sénégal (1697-1720) et que Berlioux qualifiait de “père de l’A.O.F”, à l’instar de Faidherbe tout comme les gouverneurs Schmaltz, baron Roger et Bouet-Willaumez avaient une vision également grandiose des intérêts de la France au Sénégal et possédaient de remarquables qualités personnelles. Que Faidherbe ait réussi dans une tâche où ils avaient échoué relève donc des données autres que celle s’attachant à leur individualité propre. Nous avons déjà mentionné que Faidherbe fut le premier à avoir gouverné sans interruption pendant une longue période (sept ans).
Mettant à profit sa propre expérience et celle de ses devanciers ainsi que la disposition générale des esprits en faveur de l’application des plans de colonisation dressés avant lui, il acquit une autorité considérable voire une large autonomie de décision qui manquaient à ses prédécesseurs. Mais surtout il renforça sa position par les liens solides d’amitié qu’il entretenait avec les membres les plus influents de la bourgeoisie coloniale comme le gros négociant Hilaire Maurel, cofondateur de Maurel et Prom. Maurel était signataire de la pétition rédigée par les négociants de Saint-Louis en 1854 et qui demandait la réorganisation économique de la colonie et un séjour prolongé des gouverneurs. C’est lui qui intervint auprès de son ami, le ministre de la Marine, Ducos, pour la nomination de Faidherbe, comme précédemment mentionné.
Le gouverneur entretint également de bonnes relations personnelles avec les membres du Conseil d’Administration de la colonie qui jouait pratiquement le rôle d’organe de décision politique et dont les membres les plus influents étaient les négociants et les gros traitants. Certes ces relations ne furent pas toujours sans difficultés. L’on a vu comment les négociants bloquèrent la proposition de Faidherbe pour l’installation d’huileries à la colonie. Ce sont eux encore qui, en 1860, obligèrent Faidherbe à signer le traité mettant fin aux hostilités contre El Haj Umar et délimitant les possessions respectives de la France et du conquérant toucouleur. Craignant que la poursuite de la guerre ne nuisit aux opérations commerciales, ils optèrent pour “une politique de paix et de bonne volonté fondée sur l’intérêt mutuel” , contre la volonté de conquête territoriale des militaires Mais chaque fois que les transactions semblaient menacées par des groupes locaux, le commerce n’hésita pas à avoir recours aux troupes pour défendre ce qu’il considérait comme son droit.
Répondant à l’appel des commerçants de Saint-Louis dont les affaires étaient menacées de ruine dans le Haut-Fleuve à la suite du blocus des comptoirs de la région par les partisans d’EI Haj Umar regroupés à Gemu, Faidherbe sur pied une expédition qui détruisit le village (octobre 1859) . Les conflits surgis au sein de l’appareil d’Etat colonial entre le groupe économique et le groupe politico-militaire ont été presque toujours résolus en dernière instance au bénéfice des intérêts immédiats ou lointains de la bourgeoisie coloniale. Sans rejeter complètement le rôle des motivations personnelles (désir de gloire) ou les autres déterminants psychologiques que l’on peut déceler derrière l’action d’individus comme Faidherbe et d’autres chefs militaires, les faits démontrent amplement que la colonisation a été fondamentalement l’œuvre de la bourgeoisie coloniale.
Les relations entre cette dernière et le gouvernement de la colonie ont été décrites en termes clairs par Faidherbe lui-même : “Il en est ainsi chaque fois qu’une mesure prise dans le but d’obtenir des résultats avantageux pour l’avenir, trouble momentanément sur un point les opérations commerciales. Les commerçants voient surtout leur intérêt du moment; qu’ils fassent fortune en quelques années au Sénégal pour rentrer alors en France, il n’en faut généralement pas davantage pour les contenter. Le gouvernement doit lui, se préoccuper de l’avenir de la colonie. Dans un moment où toutes les puissances de l’Europe jetaient leur dévolu sur l’Afrique, comme un nouvel et immense marché d’exploiter, il ne fallait pas que la France, qui avait l’avance sur elles toutes, dans cette partie du monde, se laissât distancer par ses rivales “.
En conclusion, rappelons ces quelques idées essentielles : confronté aux tâches de la conquête, Faidherbe trouva dans l’étude des sociétés sénégalaises, les instruments de sa politique. Utilisant tour à tour, la force brutale, la ruse politique, l’intoxication idéologique dans ses relations avec les Africains, il réussit à imposer le système colonial au bénéfice de la bourgeoisie coloniale. Les caractéristiques fondamentales du sous-développement sénégalais étaient apparues dès cette période. Aux anciennes barrières sociales, son régime en ajouta de nouvelles et approfondit les conflits au sein des peuples et des Etats. 11 est donc erroné de le présenter comme le bâtisseur de l’unité nationale sénégalaise dont le contenu social et la nature politique ne peuvent d’ailleurs être correctement définis que par rapport à la réalité de la contradiction antagonique existant entre les intérêts de la bourgeoisie coloniale (et néo-coloniale) et son allié local d’une part, et d’autre part les aspirations du peuple sénégalais à une indépendance réelle. Les masses sénégalaises, à supposer qu’elles aient besoin de héros, ne peuvent choisir en tout état de cause, Faidherbe. La conception d’un Sénégal indépendant, en dehors de la tutelle française était totalement étrangère à la vision du monde et l’idéal faidherbiens
.Que les idéologues du néocolonialisme glorifient l’œuvre de Faidherbe pour se concilier l’impérialisme, cela est conforme à leurs options de classe. Cependant, par un traitement dialectique, les militants politiques peuvent et doivent étudier l’œuvre faidherbienne comme toute autre pour contribuer à sa démystification mais surtout pour acquérir une connaissance scientifique des lois du développement social sans laquelle la théorie et la praxis révolutionnaire ne seraient comme disait Lénine que “charlatanisme".
Ce texte a été publié en 1974 dans le cadre des Cahiers Jussieu N°2 de l'Université de Paris VII à l'issu du colloque : "Orientalisme, africanisme, américanisme". Le titre original de l'article du professeur Bathily : "Aux origines de l'Africanisme : le rôle de l'oeuvre ethno-historique de Faidherbe dans la conquête française du Sénégal".
À DAKAR, LE FRONT DE MER PROGRESSIVEMENT ROGNÉ
Depuis des années, les promoteurs ont pris pour cible le rivage de carte postale de la ville, érigeant hôtels et résidences de luxe et défigurant petit à petit le paysage en se jouant d'une législation complexe et peu appliquée
Une matinée a suffi aux bulldozers pour faire tomber des pans de la colline du phare de Mamelles. Le site, d'où la vue est à couper le souffle, subit les assauts des promoteurs immobiliers, comme une bonne partie du front de mer de Dakar.
Fin mai, un homme s'est présenté avec un permis et a entrepris de terrasser au pied de la colline pour construire un hôtel, causant la stupéfaction des habitants et des élus locaux, raconte Mamadou Mignane Diouf, de l'ONG Forum social.
Pourtant, "ici, personne ne doit construire", dit-il, car la colline, surmontée d'un phare emblématique depuis 1864, est une zone verte protégée.
La capitale sénégalaise, métropole de trois millions d'habitants en rapide expansion sous la pression de l'exode rural, se sent de plus en plus à l'étroit sur sa péninsule qui s'enfonce dans l'Atlantique.
Depuis des années, les promoteurs ont pris pour cible son rivage de carte postale, érigeant hôtels et résidences de luxe et défigurant petit à petit le paysage en se jouant d'une législation complexe et peu appliquée.
Les Dakarois ordinaires se plaignent de cette privatisation du littoral, qui réduit l'accès à la mer et aux plages dans une ville manquant cruellement d'espaces de loisirs collectifs.
- Electrochoc -
La destruction d'une partie de la colline des Mamelles, bien que loin d'être un fait sans précédent, a constitué un électrochoc et soulevé de nombreuses protestations.
Avec la colline voisine, surmontée de l'imposant monument de la Renaissance africaine, bâti par la Corée du Nord, les deux monticules volcaniques d'une centaine de mètres de haut portent le nom évocateur de "Mamelles".Elles sont un élément reconnaissables entre tous du paysage, auxquels les Dakarois sont attachés.Leurs abords sont déjà largement urbanisés.
Après des protestations dans la presse et sur les réseaux sociaux, la police a interrompu le terrassement, qui laisse un trou béant au ton ocre.
"Ils ont déjà causé beaucoup de dégâts", regrette M. Diouf en parcourant un amas de gravats et en se demandant "pourquoi quelques privilégiés pensent qu'eux seuls ont droit d'accéder au littoral, de le privatiser, de le fermer et de permettre uniquement à eux et à leur famille d'y accéder au détriment des autres Sénégalais".
Le ministre de l'Urbanisme, Abdou Karim Fofana, assure à l'AFP que le gouvernement du président Macky Sall, au pouvoir depuis 2012, travaille à une nouvelle loi de protection du littoral.
Mais l'attribution sous les précédents régimes de titres de propriété et de permis de bâtir signifie que de nombreux projets immobiliers vont probablement se poursuivre, explique-t-il avec une dose de fatalisme.
"Il faut sauvegarder les parties non occupées, faire en sorte que les Sénégalais et la population dakaroise y aient accès", dit-il.
- "La loi des plus forts" -
Pays pauvre de 16 millions d'habitants, le Sénégal s'est engagé dans un programme de développement et de modernisation.La construction d'autoroutes, le développement de carrières de calcaire et la construction à tout-va de logements pèsent sur l'environnement, déjà mis à mal par le changement climatique et la déforestation sauvage.
Pour Marianne Alice Gomis, une élue dakaroise spécialiste d'urbanisme, "le problème principal vient des titres liés à la propriété foncière", le cadastre étant très lacunaire.
La majorité des constructions à Dakar sont illégales, dit-elle, en soulignant que de nombreux responsables méconnaissent les codes urbanistiques.
Mme Gomis cite en exemple un conflit qui oppose sa commune (subdivision de Dakar), Mermoz-Sacré-Coeur, au promoteur d'un projet d'appartements qui verrait le jours aux abords d'une des plus grandes plages.La commune de Mermoz affirme que le terrain litigieux se situe sur son territoire.Le promoteur détient un permis de bâtir, mais il a été délivré par une commune voisine.
Le maire de Mermoz, Barthélémy Diaz, a qualifié l'opération "d'agression flagrante sur le domaine public maritime" et estimé qu'il "s'agit d'une contribution significative de ce promoteur à l'érosion côtière"."Et c'est cela qui est inadmissible", a-t-il ajouté.
Balla Magassa, 43 ans, est propriétaire d'un petit bar sur ce qui reste de la plage des Mamelles, au pied de la colline.Déjà entouré de bâtiments, il craint d'être définitivement chassé par de nouveaux projets."C'est simplement la loi des plus forts", dit-il.