Quelques mois après la réélection du président pour un second mandat, le pays vit une période de vive tension. A la contestation populaire et aux protestations de l’opposition, le pouvoir a pris l’option dure : l’arrestation des voix dissidentes
Lundi 29 juillet, aux premières heures de la journée, le journaliste et activiste politique Adama Gaye lance sur son profil Facebook, une alerte. La police est chez lui, annonce-il. Il sera aussitôt conduit à la Division des investigations criminelles (DIC) pour interrogatoire. Et 24 heures plus tard, il sera déféré au parquet pour «offense au chef de l’Etat et diffusion de propos contraires aux bonnes mœurs». Son dossier est encore entre les mains de la justice au moment où ces lignes sont écrites.
Journaliste talentueux et teigneux à la fois, fin connaisseur de la géopolitique mondiale et des questions africaines, il n’a pas sa langue dans sa poche. Sur le secteur du pétrole et du gaz, il a été avant son interpellation une des voix les plus fortes pour réclamer transparence et bonne gestion. Ayant flirté avec la politique à la faveur de la présidentielle de février 2019, où on l’a vu s’afficher dans les rangs de l’opposition, ses diatribes contre le régime, visant souvent directement le président Macky Sall, font le régal des opposants.
Au fil des jours et des mois, ces attaques essentiellement publiées sur sa page Facebook, sont devenues de plus en plus acerbes. Mais son style et son langage, parfois crus, dérangent y compris au sein de ceux qui s’opposent au président Sall.
Sur les réseaux sociaux et dans les émissions interactives des radios, ils sont nombreux les citoyens qui manifestent leur désaccord par rapport au style de M. Gaye, dont ils jugent le ton virulent et irrespectueux envers l’institution que représente le président Macky Sall.
Y compris parmi ceux qui soutiennent le journaliste, ce ton qui dépasse la seule irrévérence dérange. C’est la brèche dans laquelle s’engouffrera le procureur de la république pour lancer la DIC à ses trousses.
C’est aussi la DIC qui trouvera dans les propos de l’activiste Guy Marius Sagna de quoi l’inculper et l’envoyer en prison, en attendant son procès. Ce panafricaniste, anti-régime, anticolonialiste, aux positions radicales et aux méthodes parfois contestées croupit en prison depuis.
Bouillant et omniprésent activiste Guy Marius Sagna est un des leaders de «Frapp-France Dégage », un mouvement citoyen qui se donne comme mission de combattre «l’impérialisme français» au Sénégal.
Arrêté le 16 juillet 2019, il aura fallu trois jours pour que la justice annonce enfin, et à la surprise générale, le motif de sa détention : «fausse alerte au terrorisme ».
«Guy Marius Sagna est un activiste et un leader dynamique de la société civile qui gêne beaucoup. On cherche par tous les moyens à le faire taire», dénoncera son avocat Me Aly Kane. Il est reproché à l’activiste un communiqué de son organisation intitulé : «la France prépare un attentat terroriste au Sénégal ».
Dans ce texte, on peut lire ceci : «La France commence par des exercices de simulations de lutte anti-terroriste pour préparer psychologiquement les populations à vivre avec l’idée de la menace terroriste, puis avec le terrorisme lui-même».
Pour ses avocats pas question d’accepter le chef d’inculpation car leur client a nié être l’auteur de ce texte qui ne porte d’ailleurs pas sa signature mais celle de son organisation.
Quand le régime se braque !
Pour le gouvernement, confronté à une contestation naissante sur la gestion des nouvelles ressources pétrolières et gazières, en plus d’un espace politique crispé depuis la présidentielle, pas question de la jouer molle.
Réagissant à l’interpellation de M. Gaye, le ministre de la Justice Me Malick Sall a défendu l’arrestation en soulignant que : «l’Etat ne permettra plus à quiconque, quel que soit son statut, (de) fouler aux pieds par ses paroles ou par ses actes l’autorité, les fondamentaux de la République, de fouler aux pieds les institutions…»
Les défenseurs des droits de l’Homme et de la liberté d’expression récusent quant à eux les arguments du pouvoir. A leurs yeux, aussi bien pour le cas de Guy Marius Sagna que pour celui de M. Gaye, ces arrestations constituent rien de plus qu’une atteinte à la liberté d’expression.
«Au Sénégal, en 2019, une personne peut encore être arrêtée et jeter en prison pour diffusion d’écritures contraires aux bonnes mœurs. En réalité tout prétexte est bon pour réduire au silence ceux qui critiquent le régime de Macky Sall», écrit Seydi Gassama, le secrétaire général d’Amnesty Sénégal sur sa page Twitter.
Dans un communiqué posté sur sa page Facebook, l’organisation de défense des droits de l’Homme, Article 19 Afrique de l’Ouest, a qualifié l’arrestation de M. Gaye de « coup dur » pour la «liberté d’expression au Sénégal».
Contrairement à la tolérance zéro décrétée par le ministre de la Justice, le fondateur du Think Tank AfricaJom Center, Alioune Tine, estime que ce n’est par la puissance qu’il faut régler ce genre de problème.
«Quand vous avez un régime présidentiel très fort…le président de la république doit faire preuve de tolérance, il doit avoir le dos large», a-t-il déclaré dans un entretien avec la RFM (radio privée).
AfricaJom Center s’intéresse à cette question et a organisé plusieurs débats centrés sur les réformes démocratiques notamment sur la nécessité de limiter les pouvoirs « exorbitants » du président de la république, au Sénégal.
Les arrestations d’Adama Gaye et de Guy Marius Sagna qui polarisent l’opinion publique, loin d’être des premières, sont en réalité de nouvelles affaires où la liberté d’expression se heurte à des concepts juridiques qualifiés de flous, notamment le «délit d’offense au chef de l’Etat» ou encore «le délit d’outrage au chef de l’Etat ».
En réalité, pour le régime en place, comme pour ces prédécesseurs, il s’agit d’une continuité, vu le nombre de cas similaires qu’a connu le pays.
Liberté d’expression et de presse en danger ?
En mai 2017, l’outrage au chef de l’Etat a été invoqué comme motif de l’arrestation de quatre personnes dont la journaliste Oulèye Mané, qui a passé trois mois en prison avant de bénéficier d’une liberté provisoire. Elle avait partagé via le réseau WhatsApp une caricature du président Macky Sall.
Opposant et membre de l’ex-parti au pouvoir, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), Bara Gaye a été maintenu en détention entre mai et décembre 2013, pour offense au chef de l’Etat.
Des simples citoyens aux activistes, des journalistes aux opposants politiques, la toute puissance de l’institution présidentielle ne rate personne lorsqu’elle se sent égratignée.
En juillet 2015, les journalistes Alioune Badara Fall, Mamadou Seck du quotidien privé l’Observateur et Mamadou Wane du quotidien privé l’Enquête ont été accusés de «divulgation de secret d’Etat» et attraits devant les enquêteurs suite à la publication d’articles sur l’intention du président sénégalais d’envoyer des soldats au Yémen.
En novembre 2018, Lead Afrique francophone, une antenne de l’Ong EndaTiers monde (basé à Dakar) s’est vue momentanément retirer son agrément pour «participation à des opérations de financement irrégulières».
Selon les explications alors avancées par le directeur de Lead Afrique, Moussa Mbaye Gueye, il s’agissait au fond de faire payer à son organisation ses «relations privilégiées» avec le mouvement citoyen Y’en a marre.
Sur le qui-vive la communauté web, accompagnée d’organisations de défense des droits de l’Homme a tenu le 31 août 2018 à Dakar une rencontre publique pour avertir l’opinion sur de probables restrictions concernant l’usage des réseaux sociaux. Une menace d’autant plus sérieuse que le nouveau Code des Communications électroniquesle laisse entendre en son article 27.
Toutefois, l’usage incessant et parfois abusif du délit d’offense ou d’outrage au chef de l’Etat, n’est pas l’apanage du pouvoir actuel. Tous les régimes précédents, dont certains se retrouvent aujourd’hui dans l’opposition et le dénoncent, en ont aussi usé, et parfois abusé.
Consacré par l’article 80 du code pénal sénégalais, l’offense au chef de l’Etat reste une notion plus que contestée. C’est un «fourre-tout. Et de mon point de vue, le profil et le standard démocratiques du Sénégal ne doivent pas permettre des dispositions de ce genre, qui donnent au procureur la possibilité d’arrêter des citoyens comme cela», déclarait Moustapha Diakhaté (député et membre de l’Alliance pour la République, le parti de Macky Sall), cité par Pressafrik.
Outre la nature controversée de cette disposition juridique, les défenseurs d’Adama Gaye soulignent aussi le caractère inéquitable de la justice sénégalaise. Sur les réseaux sociaux, les internautes se plaisent à rappeler des propos injurieux tenus par des proches du parti au pouvoir qui ne sont point inquiétés.
Certains citent aisément les noms de «personnalités» proches du président qui ont eu à sortir des insanités, bien en deçà de la décence, mais qui bénéficient d’une totale impunité.
Ici, comme dans l’affaire Khalifa Sall, du nom de l’ex-maire de Dakar emprisonné depuis le 07 mars 2017, il est encore reproché à la justice de faire, face à la même faute, du «deux poids, deux mesures».
"JE ME REPOSE"
En convalescence à Paris, Mahammad Boun Abdallah Dionne a donné de ses nouvelles à L’Observateur
C’est l’un des hommes les plus épiés du Sénégal. Tout un pays s’est lancé à «ses trousses» depuis qu’il s’est effacé de la scène politique, au courant du mois de mai 2019. Dans la presse, une battue «médiatique» est organisée pour retrouver cette haute personnalité, dont la «disparition brutale» de l’espace public charrie encore un long fleuve de commentaires, les uns plus fous que les autres. Et devant le verrouillage presque parfait de l’Etat et de sa famille sur son état de santé qui a été au cœur des préoccupations des Sénégalais, les élucubrations les plus osées ont été faites sur son cas.
La dernière «nouvelle» reçue de lui, avait déjà plongé le Sénégal dans une profonde tristesse. C’était dans la nuit du 19 au 20 juillet 2019. La toile s’enflamme. Les photos de Mahammad Boun Abdallah Dionne ornent les profils dans les réseaux sociaux. L’inscription «Rip» (Repose en paix) renseigne sur le message qui est délivré. L’ancien Premier ministre du Sénégal est donné pour mort. Une «rumeur» qui finit par se dégonfler. C’est son frère, le député Cheikh Diop Dionne, qui monte au créneau pour rétablir la vérité : «Mahammad se porte bien.»
Une information confirmée par l’entretien téléphonique que L’Observateur a eu, hier mercredi, avec le Secrétaire général de la Présidence de la République. La voix aigue de l’ancien Premier ministre n’a pas changé. Avec un ton rassurant et jovial, il donne de ses premières nouvelles : «Je vais très bien. Alhamdoulilah (Dieu merci). Je me repose.»
L’ancien chef du gouvernement interné à l’hôpital américain de Neuilly, à Paris, est en convalescence depuis des jours. Il reprend des forces dans un luxueux palace parisien (nous avons pris l’option de ne pas donner le nom : Ndlr) situé dans le 8e arrondissement de Paris, sur une des artères bordant le «triangle d’or», dans le quartier des Champs-Élysées. Ses journées sont partagées entre relaxation, petite somme, lecture et prières. Hier, il a passé une bonne partie de l’après-midi avec deux invités et frères de parti, l’Alliance pour la République (Apr).
Le ministre-directeur cabinet politique du chef de l’Etat, Mahmoud Saleh et le député, vice-président de l’Assemblée nationale, Abdou Mbow, ont tenu compagnie à leur «frère». Sirotant, avec ses hôtes, le thé et autres boissons dans le salon cossu de la suite de l’hôtel, Mahammad Boun Abdallah Dionne a été très relax dans son Jean surmonté par une chemise et un léger spencer bleu.
Comme pour prendre ses hôtes à témoins, l’ancien Premier ministre a tenu, au cours de la conversation de quelques minutes, à remercier ses proches et amis qui ont formulé des prières pour son rétablissement. Il a même annoncé son retour au Sénégal dans les prochains jours, «pressé» qu’il est de reprendre le travail auprès de son «patron», comme il surnomme le Président Macky Sall.
Le bruit autour de l’état de santé de Mahammad Boun Abdallah Dionne a été amplifié par mille et une interprétations. Dans certains cercles, l’on a tenté de lier sa maladie au «choc» duquel il ne se serait pas remis après la suppression du poste de Premier ministre. D’autres, par contre, ont exploré les pistes mystiques pour aller à la recherche des causes réelles de la dégradation subite de l’état de santé du Secrétaire général de la Présidence de la République. Aujourd’hui, le mal est éloigné et l’homme en a appris.
AU BÉNIN, LE RÉGIME DE TALON SE DURCIT
La grande majorité des opposants au président vivent désormais en exil, déjà condamnés en leur absence ou craignant des mesures judiciaires à leur encontre s'ils reviennent au pays
L'opposant béninois Lionel Zinsou, arrivé second à la dernière élection présidentielle, a été condamné vendredi à Cotonou à cinq ans inéligibilité et six mois d'emprisonnement avec sursis pour usage de faux documents, dans un contexte de durcissement du régime du président Patrice Talon.
Lionel Zinsou, ancien Premier ministre qui vit en France, a été condamné "à cinq ans d’inéligibilité pour toutes les élections à venir en République du Bénin, à six mois d’emprisonnement assorti de sursis", a déclaré une source du tribunal de Cotonou qui l'a jugé.
Il est accusé d'avoir masqué ses dépassements de compte de la campagne électorale de 2016 en utilisant de "fausses attestations ou un certificat falsifié", note cette source.
Le procès contre Lionel Zinsou, grand rival de l'actuel président Talon, a démarré il y a environ deux mois, mais lui-même n'a pas assisté aux audiences.
L'opposant était déjà visé par une plainte liée au remboursement d'une dette de 15 milliards de francs CFA (23 millions d'euros) contractée durant la campagne auprès de la société Ebomaf, qui a depuis décroché plusieurs gros contrats avec l'Etat béninois.
Le procès n'a pas vu le jour mais des sources proches de M. Zinsou ont confié qu'il ne s'était pas rendu au mariage de sa fille en novembre dernier et qu'il évitait de revenir au Bénin par crainte d'être arrêté.
De nombreux observateurs locaux et internationaux dénoncent régulièrement un tournant autoritaire du président Talon, élu en avril 2016, dans un pays réputé pour être un exemple de démocratie en Afrique de l'Ouest.
La grande majorité des opposants à M. Talon vivent désormais en exil, déjà condamnés en leur absence ou craignant des mesures judiciaires à leur encontre s'ils reviennent au Bénin.
- "Recherchés" par la justice -
Condamné à 20 ans de prison pour trafic de drogue, Sébastien Ajavon, président du patronat béninois et richissime homme d'affaires qui vit également en France, a été condamné à 20 ans de prison dans une sombre affaire de trafic de cocaïne, jugée en quelques jours à peine par une Cour spéciale après qu'un premier tribunal l'eut acquitté.
Sébastien Ajavon était arrivé troisième à la présidentielle de 2016 et avait fait alliance avec Patrice Talon pour lui faire remporter l'élection contre Lionel Zinsou.
Fin juin, l'ancien président Thomas Boni Yayi, qui avait violemment condamné les élections législatives tenues en avril dernier et auxquelles l'opposition n'a pas pu présenter de listes, a été forcé à l'exil dans une destination inconnue après deux mois de siège des forces de l'ordre autour de son domicile.
Des manifestations ont éclaté début mai et mi-juin dans des bastions de l'opposition et ont été réprimées dans le sang, faisant une dizaine de morts par balle.
Fin juillet, le ministre de la Justice a signé un décret interdisant de délivrer tout document administratif (carte d'identité, passeport, quitus fiscal,...) aux personnes actuellement sous le coup d'une procédure judiciaire et qui ne se présentent pas aux convocations policières.
Une liste de plusieurs centaines de personnes dites "recherchées" a été publiée sur le site du ministère de la Justice, avec la mention de leur crime ou délit supposé.Parmi elles figurent plusieurs figures politiques, dont deux anciens ministres, des anciens députés ou l'ancien maire de Cotonou, accusés de se soustraire à la justice du pays.
Pour Vincent Foly, éditorialiste et rédacteur en chef de La Nouvelle Tribune, ce décret est une nouvelle manifestation de la "main-mise" de Patrice Talon sur le pays."Il prend des décisions qui, l'air de rien, visent les opposants", analyse le commentateur politique dans une interview avec l'AFP.
Cette stratégie et ce durcissement sont d'autant plus surprenants que Patrice Talon avait plaidé pour une réforme de la Constitution pour instituer un mandat présidentiel unique.Mais désormais "cela ne fait plus l'ombre d'un doute" que le chef de l'Etat souhaite se représenter en 2021, assène M. Foly.
"Il s'est rendu compte que cinq ans, ça ne suffit pas."
par Damien Glez
"JÉSUS" REVIENT ET REPART
Le Christ effectue-t-il une tournée en Afrique de l'Est ? Entre vraie-fausse escroquerie et crédulité spontanée, un buzz messianique agite le net...
Jeune Afrique |
Damien Glez |
Publication 02/08/2019
Tunique immaculée, modestes sandales, teint rosé et longs cheveux châtains : l’homme a tout de l’imagerie généralement associée au prophète ultime des chrétiens. Depuis quelques jours, c’est en Afrique que ce présumé Jésus pose sur des parkings, dédicace dans des salons, arpente des studios de télévision et apparaît devant des foules aussi enthousiastes que torrentueuses. Le buzz fait rage et le web s’agite, une partie de la toile attribuant même à cette réincarnation virale le don d’ubiquité.
En réalité, l’affaire relève tout autant de la scénographie que de l’autosuggestion. Certes, l’homme est invité, dans les lieux de cultes, par ce type d’évangélistes qui a démontré, ces derniers mois, son goût pour les mises en scène ambiguës. Mais la présence du simili-Christ n’est pas présentée formellement comme le retour annoncé du « fils de Dieu ».
Sur l’affiche de la « Kiserian mega interdenominational crusade », qui s’est déroulée au Kenya du 26 au 28 juillet, il est bien indiqué que la star du moment est l’Américain Michael Job, acteur du film « The Life of Jesus ». Il n’y aurait donc pas escroquerie, même si les pasteurs savent à quel point l’incrédulité de masses populaires désœuvrées et mal informées alimente leurs affaires.
Transparent sur ces pages Facebook, Michael Job se présente comme un comédien américain qui pratique l’incarnation sincère et pastorale comme d’autres interprètent le crucifié dans de ferventes reconstitutions sud-américaines de chemins de croix. Originaire de New York et résident d’Orlando, l’évangéliste acteur est le président du groupe « Jesus Loves You Evangelistic Ministries » et travaille dans un parc à thèmes rendant hommage à la religion. Crime de kitsch-majesté tout au plus…
Aux naïfs, rappelons que le Jésus du début du premier millénaire aurait certainement rechigné à faire des selfies avec des militaires bardés de kalachnikovs. De même, originaire de Palestine, il n’avait certainement pas les yeux bleus que l’iconographie occidentale lui attribua avant de re-exporter les religions chrétiennes vers les pays du Sud.
"ATLANTIQUE" ET L’HISTOIRE DU MASSACRE DE "THIAROYE 44"
La réalisatrice franco-sénégalaise, Mati Diop, affirme avoir choisi le cadre de Thiaroye pour son film Atlantique pour des raisons esthétiques, mais surtout historiques avec notamment le massacre de tirailleurs sénégalais le 1er décembre 1944
La réalisatrice franco-sénégalaise, Mati Diop, affirme avoir choisi le cadre de Thiaroye, un quartier de la banlieue dakaroise, pour son film Atlantique pour des raisons esthétiques, mais surtout historiques avec notamment le massacre de tirailleurs sénégalais le 1er décembre 1944.
"(…) J’ai choisi Thiaroye pour plusieurs raisons à la fois esthétiques mais surtout historiques, celles du massacre des tirailleurs sénégalais de Thiaroye 44", a dit la cinéaste lors d’une conférence de presse tenue au complexe cinématographique Sembène Ousmane du Magic Land à Dakar.
Mati Diop a voulu que son film soit ancré dans l’un de ces quartiers où "il y a eu énormément" de départs en mer pour l’Europe, notamment à Thiaroye, Ngor, Yarakh, Yoff.
"C’était presque un choix éthique et cela ne pouvait que se passer ici, une histoire de revenants qui réclamaient leur dû, cela ne pouvait être qu’à Thiaroye", a-t-elle précisé devant ses acteurs et ses producteurs français (Les films du bal) et sénégalais (Cinékap).
Le film "Atlantique", de plus d’une heure, raconte l’histoire d’un groupe de garçons et de filles. Les premiers, des ouvriers du bâtiment, frustrés après trois mois de travail acharné sans salaire, décident d’émigrer vers l’Espagne à travers l’Atlantique.
Les filles pour leur part décident de rester au pays pour se battre et exister malgré les pesanteurs sociales. Mais elles demeuraient hantées par les souvenirs de leurs amants partis.
Entre fiction et fantastique, "Atlantiques" se veut aussi une critique sociale des tares d’une société sénégalaise gangrenée par l’argent, le pouvoir, le prestige, l’injustice, la corruption, le mariage forcé, entre autres.
L’Histoire de Thiaroye 44 est celle des tirailleurs africains désignés sous le nom "Tirailleurs Sénégalais" et qui au retour de la guerre réclamaient leur pécule. Des gendarmes français renforcés de troupes coloniales tirent sur les manifestants au camp militaire de transit de Thiaroye.
Le cinéaste Ousmane Sembène a réalisé en 1988, sur ce massacre de 1944, un film intitulé "Camp de Thiaroye".
Une série de projections est prévue pour "Atlantique" à l’Université Cheikh Anta Diop, Thiaroye, Pikine, Médina, Yoff et Parcelles Assainies. La sortie en salle est prévue samedi.
par Mamoudou Ibra Kane
AUDIO
WADE-SONKO, BÉDIÉ-GBAGBO, NOUVEAU FEUILLETON POLITIQUE
Difficile d'imaginer que Wade accepte de sacrifier son fils qui nourrit l'ambition de succéder à Macky dans 4 ans - Sonko-Karim sous le mentorat de Wade-père, le nouveau feuilleton au tour d'un fauteuil
e-media |
Mamoudou Ibra Kane |
Publication 02/08/2019
Wade-Sonko, au Sénégal, Bédié-Gbagbo, en Côte d’Ivoire, Mamoudou Ibra Kane analyse les jeux d’alliances politiques improbables, pour la succession d’un côté de Macky Sall en 2024 et d’un autre, celle d’Ado en 2020.
L'HUMEUR DU DOYEN, PAR ALYMANA BATHILY
CASSE TOI POV’CON !
EXCLUSIF SENEPLUS - En démocratie, l'insulte et la diffamtion doivent être punies par des lois ordinaires, les mêmes auxquelles tous les citoyens ont recours - Pas de lois spécifiques pour le président de la République
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 02/08/2019
Casse-toi pov’con, disait la pancarte brandie par cet homme au nez du président français Nicolas Sarkozy. C’était en 2008.
L’homme retournait à Nicolas Sarkozy la phrase triviale que celui-ci avait lancé quelques mois plus tôt à un homme qui refusant de lui serrer la main lui avait balancé : « Ah non, touche-moi pas ! Tu me salis ! »
Celui qui avait retourné sa phrase au président français fut interpellé par la police et poursuivi devant le tribunal, condamné pour « offense à chef de l’Etat » en vertu des articles 23 et 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Notez que « l’offenseur » n’a quand même pas été « cueilli chez lui » par une DIC, entendu pendant des heures et écroué aussitôt dans une sinistre prison. Non ! Il a été seulement « interpellé » puis poursuivi devant le tribunal. Et il n’est condamné qu’à une amende de …30 Euros…avec sursis. Il introduit un pourvoi en cassation pourtant ! Qui est rejetée.
Mais la Cour Européenne des droits de l’homme intervient. Elle condamne la France : « le recours à une sanction pénale était disproportionné pour une critique de nature politique ». Le Parlement français prend note et adapte la législation française en matière de justice au droit européen. Le délit d’offense au chef de l’Etat est abrogé le 15 mai 2013.
L’offense à chef de l’Etat est remplacé il est vrai par les délits de diffamation et d’injure. Pour lesquels une amende pouvant atteindre 45.000 euros peut être infligée. On pourrait penser que la peine s’est alourdie.
« Dans les faits, il est peu probable que vous écopiez d’une amende dépassant quelques centaines d’euros. Les dédommagements qui pourraient vous être demandés ne devraient pas non plus excéder 100 ou 200 euros", indique cet avocat cité par la revue Planète.
En fait dans les démocraties, on ne condamne plus, on ne poursuit même plus pour injure ou diffamation contre le chef de l’Etat encore moins pour « offense au chef de l’Etat ».
Ainsi, quand un stagiaire du Congrès, a insulté le président Donald Trump devant les caméras de télévision, en lui criant en face "Monsieur le président, allez-vous faire foutre ! (Mr President fuck off)" que croyez-vous qu’il s’est passé ? L’insulteur a reçu une mise à pied de son employeur d’une semaine ! Mais il y a pire concernant Donald Trump ! Il ne se passe pas de mois sans que n’apparaisse dans la presse des allégations sur sa vie sexuelle, avec souvent photos et des vidéos à l’appui.
Le président des Etats-Unis d’Amérique n’y répond jamais que par un communiqué de presse ou un tweet pour démentir catégoriquement. Ce n’est pas qu’en démocratie, l’insulte et la diffamation sont admises. C’est qu’elles doivent être punies par des lois ordinaires, les mêmes auxquelles tous les citoyens ont recours. Pas de lois spécifiques pour le président de la République.
D’abord précisément parce que le président de la République n’est pas au-dessus des lois comme le souverain en monarchie. Ensuite comme l’Assemblée Nationale française l’indique dans l’exposé des motifs de la loi du 13 mai 2013 "Si le président de la République mérite évidemment le respect de ses concitoyens, une telle disposition dérogatoire au droit commun n'apparaît plus justifiée dans une démocratie moderne". Et aussi surtout parce que cela menacerait les fondements de la démocratie que sont la liberté d’expression et la liberté de presse.
Quelqu’un m’a rétorqué en réponse à un précédent article sur ce même sujet : « Nous sommes des musulmans et notre société a des valeurs qui n’admettent pas qu’on insulte un ainé ou un supérieur hiérarchique »
A cela, je répondrais : « Fort bien, cher monsieur (c’est d’un homme qu’il s’agit), si cette société et ses valeurs vous conviennent ! Mon propos s’insère dans une critique de la société actuelle et se veut une contribution à l’avènement d’une société véritablement démocratique et plus développée économiquement, techniquement et culturellement.
On ne peut pas à la fois vouloir le développement dans la démocratie et vivre selon les valeurs et préceptes du 12eme siècle.
Retrouvez chaque semaine sur SenePlus, le billet de notre éditorialiste, Alymana Bathily
PAR l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
REVANCHISME D’ÉTAT
EXCLUSIF SENEPLUS - La répression carcérale est contre-productive pour gagner le respect des citoyens - Pourquoi dans un pays dit démocratique, le président souffrirait-il d’être raillé, caricaturé voire insulté ?
Serigne Saliou Guèye de SenePlus |
Publication 02/08/2019
Le journaliste Adama Gaye, titulaire d’un Master en Gestion internationale de pétrole et gaz de l’Institut des hautes études internationales de Genève, d’un certificat en pétrole, gaz et énergies renouvelables de l’institut international de droit de Washington, membre de l’association internationale des négociateurs de pétrole et gaz, qui a été cueilli dans sa résidence le lundi 29 juillet dernier par les limiers de la Division des Investigations criminelles, a été finalement inculpé et placé sous mandat de dépôt pour offense au chef de l’Etat et atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat. Il devient le deuxième activiste après Guy Marius Sagna à être envoyé à Rebeuss pour des motifs qui sont flous. Dans la réalité, rien dans les écrits d’Adama Gaye n’offense l’institution présidentielle et ne trouble la sécurité intérieure de l’Etat. Rien dans ses écrits n’est constitué de manœuvres internes qui ont pour but de déstabiliser l'organisation sociopolitique de l'Etat et porter atteinte à l'intégrité du territoire. Et rien dans ses écrits ne dissémine des nouvelles mensongères susceptibles de nuire aux autorités publiques ou à la cohésion nationale. On évoque ces motifs dans le seul but de rabattre le caquet à une grande gueule qui cause beaucoup d’insomnie au pouvoir en place. Et cela au bonheur du chef de l’Etat revanchiste, de ses courtisans et de ces journalistes-juges qui, le lundi 29, dès potron-minet, ont annoncé l’arrestation de l’ancien journaliste de Jeune Afrique et prononcé la sentence carcérale et pécuniaire afférente.
Ainsi comme l’avait vu juste le juriste Seybani Sougou dans sa dernière contribution « folie du régime », le doyen des juges n’a pas retenu le délit de « diffusion par écrit de propos jugés contraires aux bonnes mœurs » puisque cette notion dont la qualification juridique est floue, est extrêmement difficile à prouver dans le cas d’Adama Gaye ». Par conséquent, « l’invocation de l’article 256 du code pénal pour tenter de justifier du point de vue juridique l’interpellation d’Adama Gaye est un motif fallacieux et constitue un scandale absolu. L’invocation de l’article 256 concernant Adama Gaye est un argument juridique pour le moins léger, qui ne peut prospérer devant aucun tribunal sérieux », ajouta le juriste Sougou avant de prédire : « Le pouvoir connaissant parfaitement les failles liées au recours à l’article 256 du code pénal, il ne serait pas étonnant que de nouvelles infractions soient créées et notifiées à Adama Gaye pour assurer coûte que coûte son incarcération ».
Malick Sall, un piètre ministre de la Justice-juge
Mais cette incarcération était déjà prononcée par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux Malick Sall qui, lors d’un forum organisé par la Cour suprême ce 30 juillet 2019 sur le dialogue entre juges et juridictions de fonds, a scellé le sort du journaliste Adama Gaye. « Dans cette affaire, dite d’Adama Gaye, j’assume toute ma responsabilité. Je ne peux, personnellement, en tant que Garde des Sceaux, voir un individu, par ses écrits, ses déclarations, passer son temps à insulter celui qui incarne l’institution la plus sérieuse, la plus en vue de notre Etat : le président de la République. J’assume toute ma responsabilité. La Justice ne permettra et n’autorisera quiconque, quel que soit son statut, de fouler au pied les fondamentaux de la République, de fouler aux pieds les institutions. Des institutions faibles, des institutions banalisées ouvrent la voie à la déstabilisation. » Telle est la sentence débitée par le patron de la chancellerie dans l’affaire Adama Gaye. Ce n’est même pas la peine d’essayer de décrypter le message latent de cette déclaration tellement il appert que le délit d’offense au chef de l’Etat est clairement établi dans ses propos accusatoires.
Par conséquent, il a fallu 24 h pour que se réalise ce que tout le monde savait déjà après cette sortie malencontreuse du piètre ministre de la Justice qui viole la présomption d’innocence du journaliste, expert en ressources pétrolières et gazières. Où est Babacar Bâ, cette grande gueule du Forum du justiciable qui s’était fendu d’un communiqué où il demandait pitoyablement aux Sénégalais de respecter la présomption d’innocence du frangin d’Aliou Sall éclaboussé par l’enquête de BBC sur le scandale du pétrole et du gaz ? Au lieu cette fois d’exiger le respect de la présomption d’innocence aux journalistes-procureurs qui avaient fait leur jugement avant inculpation du doyen des Juges, voilà que le néophyte soi-disant militant des droits de l’homme déclare outrageants les propos d’Adama Gaye au nom d’une pseudo-protection de l’institution présidentielle.
Quand Ismaïla Madior Fall quittait le ministère, les Sénégalais dans leur grande majorité se délectaient de voir le tailleur haute couture du président (THCP) faire ses baluchons. Tellement ils pensaient que le nouveau Garde des Sceaux ne pourrait jamais avoir une posture pire que le TCHP. Mais que nenni ! Malick Sall ne semble pas comprendre le véritable rôle d’un ministre de la Justice. Il doit être à équidistance des chapelles et hommes politiques même s’il est reconnu qu’il est militant du parti présidentiel. Mais depuis qu’il est à la tête du département de la Justice, aux bourdes succèdent maintenant les déclarations comminatoires.
Dans l’effervescence du scandale de Pétrotim, le Garde des Sceaux a blanchi le frangin de Macky Sall éclaboussé par l’enquête de BBC en déclarant « qu’un musulman comme Aliou Sall, revenant de la Mecque pour la Oumra, puisse se fourrer dans ces histoires de corruption…» Sa première sortie à l’Assemblée nationale avait révélé son manque d’épaisseur intellectuelle. Ainsi lors de l’examen du projet de loi portant suppression du poste de Premier ministre, au moment où on l’attendait pour développer un argumentaire solide et convaincre les sceptiques et rétifs sur l’opportunité et la nécessité de la suppression du poste primo-ministériel, le ministre de la Justice lança avec morgue aux députés opposants : «Les victimes du 24 février qui n’ont pas encore digéré leur amertume, je ne peux que leur dire « massa »». Dès lors, les Sénégalais estomaqués par cette réponse digne d’un lymphatique Farba Ngom se firent une religion sur la capacité d’un tel ministre à donner une stature au département qu’il dirige.
Il est indéniable que le patron de la chancellerie est le protecteur de l’État de droit qui utilise la violence légitime pour sanctionner les fautifs qui s’affranchissent des règles collectives. Mais il ne doit pas être ce héron maquignonné en loup qui s’infiltre dans la bergerie judiciaire pour faire de la justice un instrument du pouvoir qui influence et pèse sur les décisions de justice des magistrats. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Dans les républiques bananières comme la nôtre, la justice est le bras séculier dont se sert le pouvoir central pour imposer arbitrairement son autorité. Et des articles liberticides comme l’article 80 de notre code pénal sont utilisés comme une épée de Damoclès pour abattre tout adversaire ou faire taire tout activiste qui importune le pouvoir en place. Ce qui détonne avec la liberté d’expression, ciment de toute démocratie. Le combat pour la liberté d’expression est un combat de principe qui ne change pas selon les visages. C’est pourquoi, nous dénonçons l’arrestation arbitraire dont sont victimes Guy Marius Sagna et Adama Gaye.
Tous ces politiques télécommandés, tous militants de la société civile duplices, tous ces journalistes stipendiés (et j’insiste) qui tirent à boulets rouges sur Adama Gaye n’ont jamais remis en question les idées qu’il développe sur le pétrole. Alors ils laissent la proie pour l’ombre. On en veut au journaliste expert en ressources pétro-gazières parce qu’il refuse la courbette et l’allégeance devant le prince ; on lui en veut parce qu’il n’hésite pas un tantinet à bloquer sur la toile un ami virtuel de facebook avec qui il ne partage pas la même position. Depuis 2012, Adama Gaye utilise la même insolence pour pilonner le régime de Macky. Puisque la loi, c’est la loi, pourquoi attendre sept ans après pour l’inculper sur la base des mêmes motifs et l’incarcérer ? Il faut avoir le courage de dire qu’Adama Gaye est victime du revanchisme médiatique et étatique.
Parlant d’insolence, le journaliste (même si Madiambal Diagne lui nie un tel titre) est un petit Poucet devant le colosse Moustapha Cissé Lô, maitre es-insulte. Aujourd’hui le président Sall devait stoïquement supporter toutes les attaques sur sa personne quelle que soit le degré de virulence puisque sous le régime de Wade, c’est lui qui finançait un journal dont la spécialité était de déverser quotidiennement des torrents d’insultes sur Idrissa Seck. Aujourd’hui, cet insulteur fieffé est recyclé par Macky dans un conseil d’administration où il se la coule douce.
L’article 80 liberticide, l’épée de Damoclès
Au Sénégal, l’article 80, transcende et survit à tous les régimes même si ses animateurs, une fois dans l’opposition, ont donné des gages solides pour le supprimer une fois arrivés aux responsabilités. Etant un fourre-tout, chaque président, par l’entremise de ses procureurs ou juges, peut l’utiliser arbitrairement à sa guise pour casser ses opposants. Dans cette optique, l’avocat Demba Ciré Bathily parle de cet article 80 comme une porte ouverte à l’arbitraire : « Ce maintien de l’article 80 a pour conséquence de laisser libre cours à l’arbitraire. Ce qui est reproché à l’article 80, c’est de ne pas être conforme aux principes de la légalité des peines et des délits parce que le contenu des infractions doit être dessiné pour qu’on puisse savoir ce qui est prévu par la loi. Mais, l’article 80 dit seulement des autres manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves, à enfreindre les lois du pays… Donc, la notion d’acte n’est pas défini encore moins celle de manœuvre. Cela veut dire que c’est le procureur ou le juge qui donne un contenu à cet article ». Ce qui veut dire que dans ce pays, tous les démocrates épris de liberté d’expression sont en sursis.
Il est inconcevable qu’un tel article attentatoire à la liberté d’expression qui est une survivance de la loi française du 29 juillet 1881 et qui a été biffé du code pénal français en 2013, figure encore dans nos textes législatifs. Le délit d'offense au chef de l'État, au vu de l’évolution démocratique, est une disposition révolue, anachronique, anticonstitutionnelle donc anti-démocratique. Nous ne vivons plus l’antiquité et le Moyen-Age où le crime de lèse-majesté, ancêtre du délit d’offense au chef de l’Etat, était durement réprimé par sa Majesté impériale. L’utilisation de la répression carcérale est littéralement contre-productive et est loin d’être le moyen le plus adéquat pour gagner le respect des citoyens.
Certes on peut déceler plusieurs outrances dans le verbe d’Adama mais rien d’outrageant qui vaut de passer une seule nuit en prison. La force de l'insulte ne réside pas dans son rôle locutoire. Elle transcende sa dimension illocutoire pour être appréhendée dans sa fonction perlocutoire. Elle ne tient pas tant dans le texte scatologique choisi que dans l'intention ou le contexte d’émission. Les chanteurs de Keur Gui en l’occurrence Thiaat et Kilifeu ont traité Macky de « saï-saï ». Mais le contexte pré-électoral sensible les a sauvés d’une inculpation et certaine d’un visa pour la MAC.
Mais pourquoi dans un pays qui se dit démocratique, le président souffrirait-il d’être raillé, caricaturé voire insulté ? Indubitablement les pontifes moralistes et la bien-pensance médiatique qui pullulent sur la webosphère me rétorqueront que l’insolence jure avec nos valeurs morales, religieuses et culturelles. Mais le Sénégal n’est pas une terre d’exception ou un havre d’anges où la liberté d’expression doit être méticuleusement contrôlée comme à l’époque médiévale. On se croit un peuple élu de Dieu, plus religieux, plus pudique plus attaché aux valeurs morales alors que nous sommes comme les autres nations avec nos tares, nos vices, nos défauts abyssaux et nos incomplétudes.
Un journaliste de Baltimore Sun a crucifié récemment le président américain sans aménités « Nous voudrions dire à l’imbécile heureux de Vladimir Poutine (Ndlr : Trump) qu’il ne trompe toujours pas la majorité des Américains sur le fait qu’il ne serait qu’un tout petit peu compétent pour occuper son poste actuel. Ou qu’il possède une once d’intégrité » avant de le traiter de vermine : « Mieux vaut avoir un peu de vermine qui habite dans le quartier qu’être de la vermine ». David Simon, un ancien journaliste du Baltimore Sun renchérit : « Nous sommes une ville peuplée de bons Américains qui méritent mieux que l'imposture, le raté égocentrique et vide qu'ils ont pour Président ».«Vermine, malhonnête, imposteur, raté égocentrique et vide », ces diatribes contre Trump et qui ne désacralisent en rien l’institution présidentielle de la nation la puissante du monde, qui oserait au Sénégal les utiliser contre Macky sans tomber sous le coup du délit hérésiarque d’offense au chef de l’Etat ?
Dans l’édition de l’hebdomadaire Marianne du 7 au 13 août 2010, Jean-François Kahn, journaliste fondateur dudit magazine, avait traité à la une, le président Sarkozy de voyou de la République. Certes, il y a eu des réactions contradictoires sur l’emploi du terme « voyou » mais jamais il n’est venu à l’esprit de Sarkozy d’user de l’article afférent au délit d’offense au chef de l’Etat. Qui aurait le toupet de qualifier le président sénégalais de « voyou » sans courir le risque de séjourner à Rebeuss ?
Il n’y a que dans nos micro-Etats avec des chefs d’Etat infatués de leur personne où leur valetaille judiciaire passe tout leur temps à traquer des mots qui écorchent la soi-disant honorabilité de l’institution présidentielle au lieu de se focaliser sur les vrais scandales politiques et financiers qui assaillent la République.
Le citoyen Massamba Ndiaye, dans une de ses contributions écrit ceci : « Évoquer le motif d’offense à toute critique virulente à l'action politique du président de la République constitue une entrave grave à la liberté d'expression du citoyen. Dire une vérité même crue au chef de l’État en quoi constitue-t-elle une insulte, un outrage ? Les autorités publiques doivent apprendre à accepter les critiques à partir du moment où les citoyens décident librement de leur confier leur destin. C’est pour cela que les juges doivent prendre leur responsabilités et refuser de suivre le réquisitoire des magistrats du parquet pour condamner n’importe quel citoyen ou opposant politique pour délit d’opinion ». Malheureusement chaque fois qu’une affaire pareille atterrit chez le doyen des juges d’instruction, il s’ensuit l’inculpation et le mandat de dépôt. Mais personne ne peut plus imposer l’omerta aux citoyens quoique cela puisse leur coûter. Grand Alymana Bathily, éditorialiste à SenePlus, indigné par l’arrestation de la jeune journaliste Oulèye Mané, l’avait fait savoir sans circonlocution au président Sall dans sa publication du 10/08/2017, en ces termes : « C’est vrai qu’il y a toutes sortes de photos montages, de vidéos et de textes insultants à votre égard sur la toile. Sachez monsieur le président qu’il y en aura toujours et de plus en plus. Les condamnations à la prison et les amendes n’y feront rien. Considérez qu’il en circule 1000 fois plus encore chaque jour sur Macron, Merkel ou Trump. »
A défaut de réformer les articles liberticides qui peuplent le code pénal, nos gouvernants doivent faire fi des insultes en s’inspirant des sages conseils donnés par Sancho Panza à Don Quichotte : « Je ne mettrai en façon quelconque la main à l'épée, ni contre vilain ni contre chevalier, et que je proteste ici devant Dieu que je pardonne toutes les injures qu'on m'a faites et qu'on me fera... ».
Il est devenu de bon ton de s'attaquer aux personnes et non plus à leurs idées - Si les posts imputés à Adama Gaye par voie de presse sont exacts et qu'il en assume la paternité, il va falloir reconnaître qu'il aura péché par excès
Facebook a été lancé en 2004, soit il y a 15 ans. WhatsApp date de 2009 soit il y a 10 ans. En moins de 20 ans, ces espaces d’échanges, dits réseaux sociaux, ont connu un développement fulgurant. Ils semblent même avoir vocation à changer, de manière profonde et durable, les relations humaines, le rapport au Savoir et… aux pouvoirs ( !) Pour donner une échelle de l'amplitude des changements en cours, l'un des intervenants du cycle des « Ted's Conferences" disait déjà il y a quelques années : « WhatsApp a 4 ans, emploie 55 personnes et pèse 14 milliards de dollars. Comparativement, Peugeot, constructeur d’automobiles, a plus d'un siècle d'existence, emploie plus de 100.000 personnes et pèse… 12 milliards de dollars. » En une phrase ce conférencier souligne, à la fois la rapidité prodigieuse à laquelle les nouvelles richesses se créent, mais aussi le caractère volatile et immatériel de ces nouveaux services qui drainent les passions humaines et font la fortune de leurs promoteurs à la vitesse du son.
Nous changeons donc d’époque. De nouveaux paradigmes doivent être forgés pour faire face et…survivre. Les enjeux de la nouvelle économie, liée aux développements, encore à venir de l'intelligence artificielle et de la maîtrise du cyberespace, mériteraient un traitement approprié par nos pays qui pourraient faire des pas de géants dans des domaines qui sont à la portée de nos intelligences. Il suffirait de créer l’environnement favorable à l’éclosion des nombreux talents qui rongent leurs freins ou alors s'exportent, d'autant plus qu'il n'est plus nécessaire de se trouver physiquement là où l’on travaille ! Sujet trop vaste pour mon propos de ce jour.
Je vais m'interroger ici, actualité oblige, sur les distorsions qui se font jour sur les réseaux sociaux, et qui nous font prendre le mauvais versant de la pente du progrès. Alors que d'autres choix, plus passionnants, sont possibles.
En effet, le développement sans brides des Nouvelles Technologies de l’Information et de la communication (NTIC) a produit, notamment dans notre pays, un type de discours et de travers dont la particularité est le désir de heurter pour se faire remarquer. Depuis notamment « les lignes ennemies » titre de la chronique de Souleymane Jules Diop (SJD) devenu ministre après avoir trempé sa plume dans le fiel durant les deux mandats du président Abdoulaye Wade, il est devenu de bon ton de s'attaquer aux personnes et non plus à leurs idées ou opinions exprimées. La vie privée n’étant plus une frontière. L'émission radiophonique via internet de SJD « Degg Deugg » qui reprenait en langue nationale wolof l'essentiel de ses écrits en français, était de la même veine, avec l'avantage de démultiplier son impact. S'il faut trouver un inspirateur à la prolifération des discours incendiaires sur le web, il faut remonter au moins à ces années-là. N'est ce pas Madiambal Diagne ?
Le mal est donc profond, plus ou moins lointain et, si l'on n'y prend garde, définitivement installé. D'ailleurs, les forums de plusieurs sites internet sont de véritables caniveaux où se débattent, dans la fange de leurs propos malodorants, une espèce nouvelle de prédateurs : les courageux anonymes. C'est en effet forts d'une impunité relative que cette espèce prolifère et.. prospère ( ?) Car il semblerait que certains gagnent ainsi leur pitance quotidienne. On peut se demander pourquoi, les services du ministère de la Justice n'ont jamais diligenté des enquêtes pour assainir ces bas-fonds et limiter les nuisances causées par tous ces psychopathes … Techniquement rien ne s'y oppose. On serait alors surpris de découvrir qui se cache derrière certaines adresses IP !
Cela étant dit, l’actualité récente est marquée par l'arrestation de deux « activistes » qui eux au moins s'affichent et défendent, à visage découvert, leurs opinions. On peut ne pas les partager mais nul ne pourrait leur reprocher une quelconque lâcheté. Identifiables, il devrait suffire de leur porter la réplique de face dans le cadre d'un débat public contradictoire sur la RTS chaîne de télévision et de radiodiffusion qui nous appartient à tous. Nous aurions presque tendance à l'oublier.
Pour ce qui est de Guy Marius Sagna, et depuis le temps qu'il investit l’espace public, aucun débat contradictoire ne lui aura été sérieusement opposé par ceux qui auraient des arguments pour ce faire. Il est présent dans plusieurs manifestations et paie souvent de sa personne la défense de ses idées. Si les raisons de son arrestation sont celles évoquées dans la presse, elles semblent plutôt minces. Rien de vraiment périlleux pour la République ne suinte des propos qu'on lui prête. On a vu et entendu pire dans notre pays où la liberté d’expression est constitutive de l'ADN citoyen. A moins que la fébrilité de nos autorités ne s'explique par un certain agacement de la France. Les intérêts français sont, en effet, la cible privilégiée de Guy Marius Sagna qui a une autre idée des intérêts du Sénégal et de l'Afrique. Ce qui n'est pas criminel que je sache !
Pour ce qui concerne Adama Gaye, journaliste de talent et professionnel chevronné, si les posts qui lui sont imputés par voie de presse sont exacts et qu'il en assume la paternité, il va falloir reconnaître qu'il aura péché par excès. Tant la forme que le fond, s'il en est, des posts diffusés à travers les médias en ligne ne correspondent pas à ce qu'il a incarné de meilleur jusqu’ici. Plume distinguée des belles années du Quotidien National, Le Soleil, il a mené une carrière internationale honorable jalonnée de spécialisations diverses. Ayant plusieurs fois échangé avec lui sur sa page Facebook, j’ai pu noter la virulence de certains de ses propos. Question de tempérament et colère certainement légitime. Pour autant, et si ce qui a été publié est avéré et lui était opposable, je trouve indéfendables les propos qui lui sont attribués. Il a suffisamment de ressources intellectuelles et linguistiques pour dire son fait à n’importe qui avec hauteur et discernement.
Pour cette raison, je ne signerai pas la pétition qui confond, dans une même cause, Guy Marius Sagna et Adama Gaye. Deux causes qui ne me semblent pas de même nature en l’occurrence. Les amalgamer dans la notion de « liberté d’expression » me semble hasardeux. Même si je souhaite vivement qu’ils retrouvent la liberté. Rebeuss n'est pas la place de ceux qui n'ont ni tué, ni volé, ni violé ! Il est regrettable, à cet égard, que dans notre pays les canaux de médiation soient obstrués à un point tel que les missions de bons offices qui auraient permis de désamorcer certaines crises soient devenues quasi inexistantes. Il est vrai que le président Macky Sall semble plus à l'aise dans l’adversité que dans la recherche et la construction de consensus forts et refondateurs. A de rares exceptions près d'ailleurs, la classe politique actuelle affectionne les effets de manches diurnes et les négociations nocturnes. Une manière de faire de la politique plutôt moyenâgeuse…
Au demeurant, je trouve les diligences du parquet particulièrement discriminatoires. Des personnalités de premier plan, aujourd’hui au pouvoir ou dans les bonnes grâces de celui-ci, ont tenu des propos peu amènes à l'endroit de monsieur le président de la République ou de notables de notre cité. Ces personnes, dont les propos sont encore vivaces sur YouTube ou autres archives écrites conservées par des internautes, sont disponibles et faciles d’accès. Et pourtant, certains font mine de n'avoir jamais rien entendu de tel. Cela commence à être tellement flagrant, ce deux poids et deux mesures, que le véritable danger qui pèse sur notre système démocratique est à rechercher de ce coté-la…
Revenons au potentiel énorme, en termes de création de richesses et d'emplois qu'offre à l'Afrique l’avènement de la nouvelle économie. Au lieu de nous égarer dans les méandres de vocaux sordides à partager entre oisifs aigris, inventons une vision d'avenir qui nous fasse entrer de plein pied dans une nouvelle ère de progrès. Il suffit de voir autour de soi ce que font des jeunes entrepreneurs sénégalais en développant leurs affaires par le e-commerce. Envisager le potentiel de l'irrigation assistée par ordinateur. Comprendre la simplification et la démocratisation des procédures d'une administration très hautement informatisée. Et tant de potentiels qui dorment faute d'un leadership adéquat. Je rencontre des tas de jeunes gens qui pourraient faire du Sénégal entier une start-up ! Ouvrons leur des espaces d’expression de leurs rêves. Les générations qui montent n'ont pas connu la guerre froide, ni intégré ses schèmes manichéens. Nos enfants sont aptes à conquérir le monde ! A nous de leur en donner la possibilité.
L'erreur est de croire qu'un pays peut se développer avec un plan. Un pays est entraîné par une vision. Le plan vient après. Lorsque vous voulez construire une maison et que vous allez voir un architecte, vous lui déclinez votre vision. Votre rêve. Il le décline en plans. Puis il en confie les quantifications à des ingénieurs qui les font, à leur tour, réaliser par des constructeurs. Notre pays a besoin de générer une vision, de stimuler les rêves de ses habitants. La vision doit être le fruit d'intelligences diverses et non une recette de cabinet de consultants, encore moins une ordonnance des Institutions de Bretton Woods. C'est cela que les peuples attendent de leurs élites : être tirées vers le haut. Toujours plus haut !