ABC, LE MAGNIFIQUE SECOND
EXCLUSIF SENEPLUS - Son intelligence, sa culture crépitaient de mille feux, ne laissant que des miettes à ses compagnons de parti. Le champ politique était un milieu où son tempérament de franchise ne pouvait éclore. C’est comme cela qu’il fût terrassé

J’ai connu des seconds magnifiques. Tenez Merlene Ottey, la coureuse jamaïcaine de 200 mètres, celle qui arrivait invariablement derrière Marie-José Pérec, la championne française. Marlène, comme nous l’appelions familièrement, attirait tous les regards avec sa médaille d’argent. Marie-Joe, bardée de son or clinquant, était désespérément triste et semblait seule sur le podium. Cette image était juste incroyable : une première triste et une seconde joyeuse. Quelqu’un qui n’aurait pas suivi la course, et prendrait le train en marche en ce moment là, penserait que Marlène a remporté la course, tant elle illuminait le monde de par sa grâce, de par son sourire. Marlène était magnifique. Tout le monde l’aimait.
Pourtant, bien souvent le second est malheureux, plus malheureux en tout cas que le troisième. La raison en est que le troisième sait que la première place ne lui était pas accessible et donc, il est content d’être là sur le podium, tandis que le deuxième est souvent frustré d’avoir raté la première place. Il lui a souvent manqué un chouia pour être devant. Mais avec Marlène, tout est différent.
Il y avait en elle une telle acceptation de la seconde place, parce qu’au préalable elle avait donné le meilleur d’elle même. Qu’est-ce qu’elle était belle dans l’effort Marlène Ottey.
J’ai connu d’autres seconds qui se sont rebellés un temps avant de rentrer dans le rang. Tenez, ce fut le cas de Valery Bottas le pilote de Formule 1 de Mercedes. Il avait compris, non sans avoir lutté pendant quelques saisons qu’il n’égalerait jamais Sir Lewis Hamilton le septuple champion du monde de Formule 1. Quand Sir Lewis brillait au firmament tel le Roi-Soleil, Bottas palissait telle une lune perdant de son éclat quand le soleil apparaissait. Comme Léopold Ier* qui voulait gagner sa victoire contre la mort, Bottas n’a pas été le plus fort. On pourra toutefois l’affubler du titre de second récalcitrant, tant sa résistance fut méritoire.
J’ai connu d’autres qui n’ont pas voulu de seconds, ayant peur d’affronter des Merlene Ottey. Qu’ont-ils fait ? Ils ont parfois créé des directoires pour ne pas avoir de second ou tout simplement supprimé le poste de second. Dans un cas comme dans l‘autre, la situation a engendré de facto une foule de prétendants aspirant à être des seconds.
En supprimant le poste de Premier ministre, perçu comme son second, le président Macky Sall contentait tout le monde. Il rebattait les cartes et créait ainsi une forte émulation dans son camp où, chacun se bousculait pour une place de second. Incidemment il en tirait profit lui même. Il n’avait plus à pâtir de la présence d’un second qui pourrait se révéler être un magnifique second et qui l’éclipserait. Ne l’avait-il pas dit d’ailleurs inconsciemment ? « Si je dis que je ne suis pas candidat, ils (entendez mes collaborateurs) ne travailleront pas (entendez ils travailleront pour eux-mêmes) » et dans ce cas le risque de marginaliser le président deviendrait important. Comme Marlène, ils risqueraient d’être l’argent qui surpasse l’or. Le président n’aimerait pas un tel podium.
Tenez, ABC fut un second magnifique, l’argent qui surpassait l’or, celui qui éclipsait ceux qui étaient autour de lui, de par sa prestance, de par sa façon d’être. Son intelligence, sa culture crépitaient de mille feux, ne laissant que des miettes à ses compagnons de parti. Était-il quelque part, on ne voyait que lui, on n’écoutait que lui. ABC détonait dans ce milieu politique. C’était un milieu où son tempérament profond d’humaniste et de franchise ne pouvait éclore. C’était, pour paraphraser le poète Henri Michaux, un intellectuel qui avait été jeté dans l’arène politique et qui n’a pas essayé pas de lutter, mais de comprendre l’arène. C’est comme cela qu’il fut terrassé. Il avait, fait rare sous notre République, conservé cette liberté fondamentale, celle de tenir tête à tout ce qui contredisait ses convictions fondamentales. Voilà un homme de loi qui avait compris que l’éthique était au-dessus des lois sur le long terme. Oui les lois vont et viennent, l’éthique demeure...Ce fut sa force. Cela lui valu des amitiés de tous bords. Dans son rôle de médiateur, il avait bien compris que si parfois il était obligé de se taire, - il le fit rarement - il n’était pas obligé de dire « oui » à tout, en atteste sa position sans équivoque sur le troisième mandat qu’il avait balayé d’un revers de la main. Il dit avec gravité et fermeté que le président n’avait pas droit à un troisième mandat. Rien ne lui arriva contrairement à d’autres qui s’y étaient déjà essayés. Ceux-là furent défenestrés sans autre forme de procès. Rien de tel ne lui arriva parce que tout lui était déjà arrivé et parce que surtout, on lui reconnaissait cette liberté d’esprit. Encalminé dans un poste de médiateur, privé de tout moyen comme il eût à le dire lui-même, il exerça avec brio sa liberté, agissant sans entraves et construisant le commun quand il le pouvait.
Avec lui, assurément, le syndrome Merlene Ottey guettait le président Sall. De leur vieille amitié, tant vantée en ce jour de sa disparition que dire ? Elle avait disparu quand le président de l’APR est devenu le président de la République. Chateaubriand avait définitivement raison : « L’amitié disparaît quand celui qui est aimé tombe dans le malheur, ou quand celui qui aime devient puissant ». Et n’est pas puissant celui que l’on croit. Oui, ABC était de la trempe des magnifiques seconds.
Dr Tidiane Sow est Coach en Communication politique