ALPHA, LE PAUVRE

Pauvre Alpha ! Un réveil brutal, un visage bouffi et une allure titubante, le voilà qui s’affale sans finesse sur un canapé, la tête soutenue par une main plus qu’encombrante au milieu d’une forêt de treillis, sans doute non moins encombrants. Cette brusque incursion de militaires dans le réduit présidentiel à Conakry sonne le glas d’un régime hors norme à la tête duquel trônait un homme hors du temps, très vite maîtrisé et mis au dehors. Il n’a même pas pu goûter au café fumant…
Ce dimanche fut fatal à Alpha Condé qui, surpris et ébaubi, ne réalise toujours pas ce qui lui est arrivé. En s’engouffrant dans une rudimentaire fourgonnette, il peut tout au moins s’apercevoir que le confort s’éloigne pour une destination inconnue du grand public incrédule devant le flot d’images avilissantes viralisées par les réseaux sociaux.
Le coup, d’Etat ou d’éclat des forces spéciales, inaugure une nouvelle ère de prise de pouvoir sans effusion de sang mais rondement menée avec comme supports les plateformes digitales dont le flux d’information à un rythme saccadé neutralise toute velléité de résistance. Presque un coup d’Etat en direct. La radio d’Etat n’est plus le « butin » dont la prise administrait la preuve tangible d’un renversement effectif de pouvoir. Quelle déroute !
Quelle descente aux enfers pour Alpha, le pauvre ! Etourdi. Quelle humiliation ! Tout çà pour çà ? Les cris stridents de la foule massée le long de la procession témoignent de l’aveuglement d’un homme enivré par sa puissance au point de se couper d’un peuple dont il n’épousait plus l’esprit. La messe est dite. Condé a perdu le pouvoir qu’il a cherché à conserver, coûte que coûte. Vaille que vaille. A tout prix. Il ne devrait s’en prendre qu’à lui-même dès lors qu’il n’a associé personne à ses projets funestes refusant d’écouter ses amis, ses camarades, ses compagnons d’infortunes.
A vue d’œil il changeait de ligne d’action, se montrait arrogant, autoritaire, surtout sourd aux alertes que lui lancent des amis accrochés à un mince espoir de le ramener à la raison. Alpha Condé était devenu déraisonnable. Il n’était plus normal. D’ailleurs, l’a-t-il été un jour ? Ce qui reste constant c’est sa boulimie de pouvoir, sa propension à tout centraliser, à tout contrôler même les biscuits et les arômes, les tickets d’essence et les parcs automobiles, les tablettes aux étudiants.
Ironie du sort, il avait retiré des ordinateurs portables offerts à des étudiants qui le houspillaient devant une assistance étonnée au cours d’une cérémonie où il faisait étalage de ses services de grand dirigeant de la FEANF au temps de la Coloniale... Ce sont ces mêmes outils digitaux justement qui ont filmé en direct sa chute, le montrant dans une posture dégradante tournée en dérision et mimée par des milliers de jeunes à travers les réseaux sociaux en Guinée. Le pouvoir absolu rend fou absolument.
Condé l’a appris à ses dépens au grand étonnement de l’opposition africaine héritière d’une culture de combats menés dans des contextes abracadabrants. Beaucoup ont payé de leur personne cet engagement. Lui, Alpha Condé, 26 ans de diète et 8 mois de prison dans les geôles du pouvoir dictatorial de Lansana Conté légitimaient sa lutte pour une Guinée libre et démocratique, souveraine et juste, équilibrée et forte, ouverte et tolérante. Partout en Afrique il était accueilli en héros voire en héraut d’un continent en quête d’émancipation. Il a déçu dès son accession au pouvoir suprême.
Après les épisodes électoraux, il s’est cru inaccessible. Dans les faits, il l’a été, s’enfermant -ou si l’on préfère- s’emmurant dans une forteresse. Fatigué d’écouter ou d’entendre ses amis qui ne le reconnaissaient plus. Il a fermé les portes à son ami de la FEANF, en l’occurrence l’ancien président du Niger Mahamadou Issoufou, figure de la lutte pour l’indépendance.
Chez beaucoup d’observateurs, Condé incarne de façon aboutie le délabrement idéologique d’une gauche introuvable en Afrique. Hélas. Et pourtant ils nous ont fait croire au grand soir. Mais ça n’était qu’arguties et petits calculs d’épiciers politiques en mal d’assises sociales ou de standing. D’aucuns attestent que sa pensée devenait fugace. En un mot, il se découvrait. Et commençait à étonner ses proches qui le déifiaient déjà.