FUTUR DES INONDÉS ET INONDÉS DU FUTUR
La corruption des services étatiques préposés à l’autorisation de lotissement et au contrôle des normes urbanistiques, les errements successifs dans les investissements réalisés sont des facteurs de la multiplication des inondations ces dernières années

Dakar et sa périphérie, mais également les principaux centres urbains du pays arrivent à un stade où ils payent de manière très couteuse la mauvaise gouvernance de nos espaces urbains depuis une cinquantaine d'années. Il y a évidemment les invariants : configuration de presqu'ile aux faibles altitudes, succession de cuvettes et d'anciens cours d'eau asséchés ; il y a également l'imperméabilisation des sols, l'affleurement des nappes phréatiques, la récurrence des pluies exceptionnelles, etc
Mais, depuis les années 70, nous n’avons que très rarement réussi à planifier l’urbanisation et à maintenir une rigueur dans la mise en œuvre de plans d’occupation des sols quand ils existent. Le laisser aller (peut être la générosité?), le népotisme et la corruption des services étatiques préposés à l’autorisation de lotissement et de construire, et au contrôle des normes urbanistiques minimales, les erreurs techniques et les errements successifs dans les investissements réalisés sont parmi les facteurs de la multiplication des inondations un peu partout ces dernières années. La surcharge démographique de Dakar n’a pas trouvé de réponse organisée et rigoureuse et a rendu les populations et leurs habitats vulnérables au changement climatique : dans les quartiers périphériques, cette forte démographie se traduit par des densités pouvant aller jusqu’à 50 000 habitants au Km2.
Les inondés d’hier voient leur situation s’améliorer progressivement tandis que les inondés d’aujourd’hui souffrent le martyr. A Grand Yoff où nous avons grandi, canalisations, pompes de refoulement, aménagement de ce qui reste de l’ancienne de captage ont permis d’atténuer la douleur et l’angoisse de l’inondation.
A la fin de chaque pluie, on y attendait avec crainte de savoir le niveau d’eau qui allait nous envahir et si nous passerions une journée tranquille. Cuisiner et manger sur une table plantée dans l’eau, construire un barrage en quelques minutes avec du ciment rapide, faire passerl’eau chez les voisins (rires) faisaient partie de notre quotidien. Dans l’ensemble, les progrès dans l’aménagement des zones inondées vont de l’ouest vers l’est de la presqu’ile.
Urbanisme de rattrapage et de correction !!!! Jusqu’à quand ? Sans doute pour longtemps encore. Les inondés d’aujourd’hui sous traitement du PROGEP et du Programme décennal feront face pendant quelques années à la dégradation de leur habitat et de leur milieu de vie, de leur santé, de leurs faibles activités économiques. D’après une enquête du PNUD publiée en février 2021, 42% vivaient déjà dans des habitats dégradés tandis que 80% d’entre eux avaient un revenu inférieur à 100000 F mensuel.
Les inondés d’aujourd’hui resteront donc pour la plupart marqués à vie alors que leurs conditions de vie étaient déjà très précaires. Les investissements d’aujourd’hui en valent donc la peine. En mon sens, ils sont encore largement en deçà des besoins et des enjeux. Les chiffres annoncés pour le programme décennal n’ont pas été atteints et les objectifs encore loin d’être atteints. Un autre programme décennal sera nécessaire pour non seulement achever les chantiers commencés mais également pour en lancer d’autres dans une démarche de dépassement des programmes sans continuité. Mais il faut surtout changer de paradigme dans la gestion des inondations. On ne peut pas poursuivre cette démarche de correction des fautes et manques de planification tout en prenant pas des décisions fortes pour les nouveaux lotissements en cours ou à venir sur les fronts d’urbanisation des villes sénégalaises. Tout le monde s’accorde là dessus mais on attend encore la rupture nécessaire.
Les inondés du futur commencent déjà à s’installer en mettant en avant l’urgence de l’accès au logement. Les coopératives d’habitat et les promoteurs immobiliers sont peu regardants par rapport aux aménagements et infrastructures de gestion des eaux pluviales et évitent soigneusement de s’engager sur l’assainissement des trames viaires quand elles existent. Un consensus malheureux et paradoxale au détriment de l’assainissement jugé trop cher pour le promoteur, le bénéficiaire et l’Etat. ET on remet toujours au lendemain.
Ainsi dans les pôles urbains de Diamniadio, du Lac Rose et de Daga Kholpa, autour de Bambilor, Sangalcam, Niakoul Rap, Tivaouane Peul, etc s’inventent actuellement les futures inondations. Plus largement, dans le triangle Dakar, Thiès, Mbour, on expérimente la ruée désorganisée et le partage du gâteau foncier tandis que les différents services étatiques continuent leur ballet individuel, chacun s’occupant jalousement de ses prérogatives et de ses juteuses affaires. Les autorités décentralisées si mal dotées en outils d’aide à la décision (plans de contingence présentant risques et solutions, plans locaux d’assainissement et drainage, etc.), et en compétences techniques doivent également enfin prendre leur part dans la prévention et la gestion des inondations.
Les transferts de compétence sur la planification, l’aménagement du territoire, l’assainissement, l’environnement et la gestion des ressources naturelles, les domaines les y obligent. Touba ou les prochains inondés du Magal : pendant au moins 5 éditions, le Magal se déroulera durant l’hivernage, dans une ville qui connait des problèmes d’inondation depuis quelques années. Ici, on a priviligié les lotissements massifs (120 000 parcelles dans les années 90) pour attirer et satisfaire la demande en parcelles des millions de Mourides qui ont répondu à l’appel au peuplement. Cette démarche anticipatrice n’a pas été accompagnée par des investissements dans le domaine de l’assainissement.
L’urbanisme de rattrapage gagne également Touba devenue la deuxième plus grande agglomération du Sénégal. Le défi de l’assainissement s’ajoute aux nombreux autres chantiers que la communauté Mouride est en train de réaliser dans sa capitale. La particularité dans cette cité, c’est la capacité de mobilisation légendaire des Toubiens pour vaincre les difficultés à côté des efforts de l’Etat. Touba Ca Kanam et les autres dahiras sont déjà largement à l’œuvre dans ce domaine.
La Mairie de Touba doit faire beaucoup plus et plus efficacement. L’Etat quant à lui doit éviter de créer un effet domino dans les solutions techniques qu’il met en œuvre en déplaçant les problèmes d’une zone à l’autre au sein de la ville. La préparation des prochains Magal doit constituer une opportunité pour une mobilisation générale autour de l’assainissement et la gestion des inondations. Un Plan directeur d’assainissement et de gestion des inondations qui couvre l’ensemble de l’agglomération et de ses zones d’extension, devenant la référence unique pour tous les intervenants doit être établi s’il n’existe pas encore. *
Géographe, ENDA TIERSMONDE