MULTIPLE PHOTOSGORÉE, QUAND L’OPPRIMÉ DEVIENT OPPRESSEUR
Amnésie ou schizophrénie, les bateaux qui arrachaient hommes, femmes et enfants deviennent des pirogues qui jettent en haute mer les déchets de visiteurs venus jouir de l’île
Niché au large de Dakar, Gorée est une romance. Ses bâtiments aux couleurs ocres sont magnifiés par le soleil qui met en éclat ce énième bijou de la nature que le Sénégal a hérité par décret divin. Symbole de la souffrance et de l’indignité infligée à l’Homme, Gorée se mure dans un silence que seuls les témoins de tragédies connaissent le secret.
Jadis point de départ d’un peuple meurtri, aujourd’hui Gorée se veut le symbole de l’unification de la diaspora à l’image de ses pairs de la côte ouest-africaine que sont Ouidah au Bénin ou le Cap Coast au Ghana.
Jusqu’à nos jours, Gorée a toujours mal. Des maux provenant de l’Homme mais dirigés cette fois contre la nature.
Amnésie ou schizophrénie, les bateaux qui arrachaient hommes, femmes et enfants deviennent des pirogues qui jettent en haute mer les déchets de visiteurs venus jouir de l’île sans semble-t-il, garder en tête le devoir de respect du sanctuaire martyr.
La migration de force vers d’autres horizons dont les déportés les plus récalcitrants étaient jetés en mer a produit des vagues de migrants tentant désespérément de quitter cette Afrique mis à genoux.
Les profondeurs marines utilisées comme poubelles, nous les retournerons en pleine figure et devant la face du monde puisque que Gorée est placée patrimoine de l’humanité. Tels des boulets aux pieds, nous nettoierons après avoir sali, nous subirons les impacts économiques, sanitaires et nous serons les opprimés d’hier devenus les oppresseurs de la nature.
Plus de 200 ans après l’abolition de l’esclavage, la souffrance des boulets aux pieds est symbolisée par un autre boulet, le ballon au pied. La personne choisie pour la destinée de l’île est plus obnubilée par un quatrième mandat dans les instances du ballon rond que par le devenir de Gorée qui n’est plus que l’image d’elle-même.
La renaissance africaine que nous évoquons tant nous enjoint à nous souvenir du passé pour aborder l’avenir. La nature témoin du passé est garante de notre futur et ne saurait tomber dans notre indifférence.
Comme les vagues et leurs flows de vas et-viens, tout acte posé par l’homme reviendra à lui. Toute négligence faite envers la nature, tout déchet jeté en mer, toute légèreté face aux besoins de recyclage, de gestion, de rénovation et d’entretien reviendront aux Hommes, nous enfermant dans une fragilité incompatible avec le développement.
Mamadou Sakho est militant écologiste.