LE JAMBADONG OU CARNAVAL A LA CASAMANÇAISE
Cahier Vacances s’intéresse aujourd’hui au Jambadong, une manifestation populaire à plusieurs inconnus.

En cette période de vacances, le Jambadong est la chose du monde la mieux partagée sur l’ensemble de l’espace casamançais et au-delà, avec les localités où vivent de fortes communautés mandingues comme Mbour, Tambacounda, Parcelles Assainies, Keur Massar (malgré les inondations) …
Le Jambadong est une terminologie mandingue qui pourrait être rendue mot à mot, en français, par « danse avec des feuilles » ou, plus exactement, « danse des feuilles ». En d’autres termes, les feuilles en constituent une sorte d’identité remarquable. Mais, il serait caricatural et surtout réducteur de le ravaler de manière stricte à de triviales feuilles ou branchettes d’arbre ; le Jambadong recèle bien plus de secrets. Si vous n’y avez jamais assisté, considérez que c’est une sorte de carnaval coloré où les participants masqués ou déguisés font une longue procession traversant de bout en bout le village - ou la ville, ou ralliant un village à un autre ou une ville à une autre - accompagnée de tam-tams, de chants et de danses à l’aide de feuilles ou branchettes d’arbre que les danseurs agitent sous forme de victoire dans une liesse généralisée. Autrement dit, c’est un type de procession colorée et rythmique où tous les déguisements sont permis. Dans la démarche procédurale de l’initiation il est admis que les populations viennent trouver les circoncis au lieu de lavage et les raccompagner jusqu’à l’orée du Bois Sacré avec un Jambadong.
Toutefois, il n’est pas strictement réservé à l’initiation car, c’est, aussi et surtout, le moment rythmique et folâtre qui inaugure et ferme toutes les festivités en Casamance, en général, et en milieu mandingue, en particulier. Il est donc au début et à la fin de toutes les manifestations. Ce qui est tout de même remarquable, c’est que le Jambadong constitue la partie profane de tous les rituels même ceux sacrés dans le monde mandingue, voire de la Casamance. Le Jambadong fait donc partie du protocole initiatique. Par son côté purement profane de la phase d’initiation, il assure une certaine osmose entre tous les éléments de la stratification sociale : riches, pauvres, vieillards, enfants, sages, initiés, kouyang mansa (maitre du Bois sacré), lambés, kintangos (ces mots équivalent à selbés ou surveillants de circoncis), jeunes et mêmes les femmes - qui sont pourtant bannies de tout ce qui tourne autour du Bois Sacré et du Kankourang – peuvent se côtoyer dans une ivresse collective sans commune mesure.
Cette folie généralisée n’épargne personne, pas même les Kankourangs qui se doivent de contenir au mieux leur côté féroce et punisseur, au moins pour un moment : le moment de l’ivresse collective. C’est seulement au Jambadong qu’on a la chance inespérée de côtoyer le Kankourang et de l’apprécier dans toute sa splendeur avec son apparence énigmatique.
La phase très dynamique de l’initiation qui élimine toutes les barrières sociétales
C’est le moment du Jambadong qui crée l’occasion (faisant le larron) de voir un sage, un père de famille ou une mère esquisser des pas de danse devant ses enfants, un guide religieux chanter, un notable se pavaner avec des habits de fou, un riche avec des haillons. C’est dire que c’est la phase très dynamique de l’initiation ou de la vie en communauté qui élimine toutes les barrières sociétales et met en veilleuse les normes sociales. Tous les âges y sont représentés.
Enfants, jeunes adultes, vieux…, disons toute la société, dans toute sa diversité, est prise par la fièvre du Jambadong qui est aussi un moment de nivellement sociétal. Mais au-delà de l’aspect purement populaire et festif, il se présente comme un fait social déterminant. C’est le moment d’une sorte de dérèglement social généralisé. Ce dérèglement permet tant soit peu aux populations de s’adonner à des pratiques interdites ou de jouer au travesti.
Sous ce rapport, par l’artifice du carnaval, on trouve une facétie pour limiter au maximum les dégâts que peuvent causer les nombreuses règles sociales et autres restrictions. Quelle que soit l’utilité de ces normes, elles peuvent, en retour, comprimer les hommes. Dès lors, il est donc clair que, par la magie du Jambadong, on réussit à faire sauter le verrou des interdits et de la normalité pour faire voler en éclats les restrictions et autres commodités pour ainsi dire, laisser exploser les talents et autres aptitudes enfouis dans les profondeurs abyssales de la conscience du peuple. Ce qui fait que c’est l’occasion de porter les habits de ses fantasmes les plus fous.
Ainsi donc, par la pyrotechnie des déguisements, la femme peut jouer au chef de famille, le pauvre peut jouer au riche, le paysan au militaire, le maçon au journaliste… Au demeurant, le Jambadong est un moment pendant lequel les normes sociales sont en suspens et les rôles sociaux sont inversés ou renversés. Ce qui fait que le Jambadong peut évacuer le sentiment de vivre dans une prison à ciel ouvert avec ces pléthores d’interdits, de limitations et de prescriptions, dans la mesure où il permet de braver les interdits. Un sujet social peut aussi en profiter pour noyer le trop de stress accumulé depuis le dernier carnaval. On pourra alors en déduire sans risque de se tromper que le génie mandingue l’a certainement inventé pour jouer un rôle d’exutoire aux différents problèmes de la vie en société.
Par Ibrahima Diakhaté Makama
Philosophe, écrivain, scénariste