NAVIRE EN PERDITION
EXCLUSIF SENEPLUS - En Macky, il y a du Gorbatchev. Depuis sa réélection, il s’efforce de regagner une légitimité qu’il sait entamée. L’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme ne lui permettra pas de gagner ce qu’il a perdu

Une des caractéristiques des fins de règne et de rupture dans l’ordre établi est la fuite en avant des pouvoirs établis. En quête de la légitimité perdue, ils espèrent le salut dans la frénésie des initiatives politiques et l’activisme législatif et réglementaire. Mikhaïl Gorbatchev dernier dirigeant de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) en fût un exemple caricatural. Élu Secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) en 1985, détenteur du pouvoir suprême, il accrochera à son tableau de chasse les postes de président du Præsidium du Soviet suprême puis de président de l’URSS, largement honorifiques, au fur et à mesure que son autorité s’érodera. Ébranlé par une tentative de coup d’État perpétré par une poignée de généraux ivrognes, le pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev tombe comme un fruit mûr six ans après son arrivée au pouvoir. De même que se disloquait l’URSS.
Macky Gorbatchevitch Sall ?
En Macky Sall, il y a du Gorbatchev ! Comme le Russe, le président sénégalais a été choisi sur sa promesse de transformer un système dont il est le produit. Macky Sall proclamait qu’il mettrait « la partie avant le parti », restaurera la démocratie sénégalaise, etc. Rapidement à l’épreuve du pouvoir, le néopatrimonialisme de papa Wade a été renforcé par le fiston Macky. Il a concentré entre ses mains tous les pouvoirs et sa promesse d’un exercice gouvernemental sobre et plus démocratique n’a jamais connu un début d’exécution. Au césarisme au service de l’idéal développementaliste théorisé par Abdoulaye Wade, il a substitué un césarisme du vide, du « non pensé » ! Tel un paterfamilias, il récompense par des prébendes tous ceux qui lui sont soumis et réprime avec vigueur ceux qui critiquent l’ordre établi. Depuis sa « réélection » en février 2019, Macky Sall s’efforce de regagner une légitimité qu’il sait largement entamée. Le dernier processus électoral présidentiel a laissé un champ de ruine dans la confiance que les Sénégalais placent dans leurs institutions démocratiques. La justice s’est révélée comme le bras séculier, non de l’État, mais de la volonté de Macky Sall d’organiser un scrutin biaisé. Par des procès dignes de ceux de Moscou sous Staline, elle a organisé la mise à mort politique de personnalités comme Khalifa Ababacar Sall. Le parlement s’est illustré par l’adoption de lois électorales qui consacrent l’arbitraire. Depuis sa prestation de serment pour son second mandat en avril 2019, Macky Sall tente de reprendre l’initiative politique et de renforcer sa légitimité. Malheureusement, ses choix ne font que creuser le fossé entre lui et les citoyens. Pire, par une communication erratique et l’impression qu’il donne d’être enfermé dans une tour d’ivoire, il s’est aliéné une bonne frange de l’élite.
C’est dans ce contexte de chaos démocratique et de contestation citoyenne des institutions que l’affaire dite « Adji Sarr contre Ousmane Sonko » survînt. Une affaire privée devenue très rapidement étatique avant de se prolonger par « l’arbitrage du peuple » selon la belle formule d’un ami à travers les émeutes les plus graves du Sénégal indépendant. Sur toute l’étendue du territoire national à Dakar, dans les grandes villes et aussi dans de petites villes régionales, des foules ont manifesté pour exprimer de la colère et des revendications. Jamais, dans l’histoire récente du Sénégal, des émeutes n’ont maillé autant le territoire. En 1962, 1963, 1968 ou 1988, il ne s’est rien passé à Ndoffane, Diaobé, Bignona ou Mbour tant bien même que Dakar connut des tensions extrêmes. De même, les manifestations du 23 juin 2011 sont restées circonscrites à Dakar. Ce que Ndongo Samba Sylla a appelé les « cinq coléreuses » de mars 2021 a ébranlé le pouvoir et mis en lumière la piètre qualité de barreur en mer agitée de Macky Sall. Pendant plusieurs jours, le président de la République, son gouvernement et la coalition au pouvoir ont été à la remorque des évènements. Tétanisés, ils n’ont été à aucun moment à l’initiative politique. Le discours présidentiel du 8 mars n’a été que le générique de fin. Pas le tempo des moments saillants de l’épisode que nous avons vécu. Macky Sall est sorti de cette crise, avec une légitimité effondrée.
La bouffonnerie comme antidote au débat
Depuis quelques semaines, Macky Sall s’est lancé dans la reconquête de son autorité et de sa légitimité. Des « tournées "économiques", un activisme législatif et une communication de crise sont censés lui permettre d’atteindre ses objectifs. Par des mobilisations populaires impressionnantes, il cherche à montrer qu’il garde la confiance du peuple. Dans ses différentes prises de parole, son discours prend des atours martiaux où reviennent les rengaines sur les évènements de mars ou sur les libertés publiques qu’il faut limiter. À l’Assemblée nationale, vendredi 25 juin 2021, l’adoption du projet de loi de réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale en urgence a permis de lever les derniers doutes sur la volonté du gouvernement d’instrumentaliser la prévention et la lutte contre le terrorisme à des fins partisanes. Ces changements dans la loi ne visent qu’à museler l’opposition en général et en particulier le député Ousmane Sonko que Macky Sall considère comme l’obstacle à sa candidature à un troisième mandat illégitime et illégal à la tête du pays. Pour ne pas débattre des enjeux démocratiques et des répercussions sur les libertés collectives et individuelles, la majorité a utilisé l’outrance, la vulgarité, la violence et l’intimidation. Même le Garde des Sceaux censé expliquer le projet gouvernemental a été mis à contribution : son premier propos étant de traiter les parlementaires de l’opposition… d’ânes.
Comment reconquérir une légitimité perdue ?
La stratégie de la terre brûlée de Macky Sall a montré ses limites. La mise à l’écart des personnalités politiques par des artifices judiciaires a fait son temps. En mars dernier, les Sénégalais ont montré leur aversion de ces méthodes. L’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme, ne permettra pas à Macky Sall de gagner ce qu’il a perdu : l’autorité, la légitimité et un champ politique dégagé de ses potentiels concurrents. La seule voie qui s’offre à lui pour gagner les cœurs et les esprits, c’est de revenir à ce qui fait l’essence de sa fonction et qui est : “… observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois…” L’esprit et la lettre de la Constitution ne lui donnent aucun droit pour être candidat en 2024. Le service qu’il peut rendre à la démocratie sénégalaise est de lever les doutes sur ses intentions. Les ambiguïtés de sa posture polluent le débat et risquent de transformer les prochaines échéances en référendum sur sa personne.
Le Sénégal mérite mieux !