«DES SOCIALISTES QUI N’ONT PAS PERDU LEUR AME DOIVENT SE SOUVENIR QUE CE QUI LES UNIT VAUT MIEUX QUE CE QUI LES DIVISE»
Accroché en marge de la cérémonie de 8e jour de la disparition du Secrétaire général des «Verts», Abdoulaye Wilane, porte-parole du Parti socialiste (PS), a parlé du défunt Ousmane Tanor Dieng comme il ne l’a jamais fait et des perspectives. Entretien

Vous êtes le porte-parole du Parti socialiste. Ce lundi (ndlr : hier) coïncide avec la cérémonie de 8e jour du rappel à Dieu d’Ousmane Tanor Dieng. Parlez-nous de l’homme qu’il était ?
Parler d’un homme multidimensionnel, d’un homme complexe comme Ousmane Tanor Dieng, dans ces circonstances où nous sommes étreints par le deuil, la tristesse et l’affliction qui nous habite, c’est vraiment un exercice très difficile. Avant de répondre à votre question, permettezmoi de présenter nos condoléances les plus attristées à la nation sénégalaise, à la tête de laquelle se trouve le chef de l’Etat, le président de la République, distinguer parmi nos compatriotes, tous les leaders d’opinion, chefs de parti, guides religieux, leaders syndicalistes, patronat, élites sénégalaises, élites arabophones comme élites francophones, le clergé catholique naturellement et tous les Sénégalais. Je les confonds dans les condoléances attristées, émues, que nous adressons en tant que Parti socialiste à la famille d’Ousmane Tanor Dieng, sa famille biologique, sa famille de Nguéniène dont il était le maire et au Conseil municipal. Je confonds également à ces condoléances, le département de Mbour, la région de Thiès dont il était le responsable du parti. Nous venons de perdre un de ceux qui ont le plus remarquablement contribué à façonner le destin politique, économique et social de notre chère nation. Mais au-delà, il a aussi contribué à façonner le destin de l’Afrique dans l’espace CEDEAO comme au niveau international. Perdre Ousmane Tanor Dieng, c’est un événement malheureux qui frappe plus que tout le monde Abdou Diouf. Parce que sans Abdou Diouf, Ousmane Tanor Dieng de Nguéniène, Ousmane Tanor Dieng de sa famille, Ousmane Tanor Dieng diplomate, n’aurait pas été connu comme député après avoir été connu comme ministre d’Etat, ministre de la République. Et sans Abdou Diouf, sans le Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng n’aurait pas été Vice-président de l’Internationale socialiste, président du Comité Afrique, président du Comité éthique. Et sans Abdou Diouf et le Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng n’aurait pas fini sa vie président du Haut Conseil des collectivités territoriales. Il est vrai qu’il doit cette responsabilité, ce poste dont il a été le premier à occuper les charges exécutives, au Président Macky Sall. Mais, c’est le lieu, en présentant nos condoléances à nouveau, de rendre hommage au Président Macky Sall et dire notre fierté à toute la nation, à la République, pour les égards, les sentiments nobles, les ferventes prières qui ont été élevées en communion pour qu’Ousmane Tanor Dieng repose en paix.
Que pouvez-vous nous dire encore sur l’homme ?
Vraiment, pour parler d’Ousmane Tanor Dieng, j’aurais voulu vous parler de ce jeune garçon de Nguéniène, dont la maman était à Keur Samba Dia et qui effectuait la navette entre Keur Samba Dia et Nguéniène. Et la dernière fois qu’il s’est rendu à Keur Samba Dia, c’était peu de temps avant le rappel à Dieu de sa maman. Mais, ce Ousmane Tanor Dieng est le fils d’un enseignant du Coran, un cultivateur, un grand érudit, El Hadj Birane Dieng, dont il avait le plaisir dans l’exercice du devoir de quitter Saint-Louis où il apprenait en tant qu’élève pour, dès la fin des compositions du deuxième semestre, rapidement rallier Nguéniène avant que l’hivernage ne s’installe. Parce qu’à l’époque, Nguéniène était difficile d’accès. Cela veut dire que déjà, dès le jeune âge, après les valeurs et les qualités de sa maman qui ont fait qu’elle a pu mériter un enfant comme Ousmane Tanor Dieng et à qui j’offre un exemple aux femmes sénégalaises et aux filles du Sénégal. Ousmane Tanor Dieng, dès le bas âge, s’était distingué, s’était illustré, s’était fait remarquer, brillant élève et étudiant. Il fut jeune diplomate de carrière qui a été très tôt remarqué par ses collaborateurs, par ses collègues, et a été signalé au Président Senghor qui l’a appelé à ses côtés et qui, par la suite, l’a recommandé au Président Abdou Diouf avec lequel il est resté au service de l’Etat, de la nation, de la démocratie et des idées qui fondent le Parti socialiste et qui dessinent, tracent et organisent ces offres programmatiques. C’est ce Ousmane Tanor Dieng, c’est lui qu’on vient de perdre. Shakespeare disait que l’homme n’est pas ce qu’il dit, il est ce qu’il est, parce qu’il est ce qu’il est. C’est ce qu’il est qui le distingue et qui l’élève. Souvenez-vous, le jour où son corps, mercredi, devrait être rapatrié au Sénégal, la nation, le peuple sénégalais, lui ont rendu un hommage qui fait que c’est ce jour-là, pour moi, qu’Ousmane Tanor Dieng est né. En réalité, il est sous terre dans sa tombe, mais il vient de naître, parce qu’à partir de maintenant, comme je l’ai dit, il sera enseigné, raconté, il sera visité, il sera interrogé. Il est parti comme il a vécu, c’est-à-dire digne et discret, discipliné et doux. En un mot comme en plusieurs, en une phrase comme en plusieurs, Ousmane Tanor Dieng était taillé dans le bois rare des grands hommes, des grands hommes d’Etat, des grands hommes politiques. Je voudrais vraiment en ces mots dire que c’est une perte incommensurable. Maintenant, à nous d’essayer de mériter de lui.
Qui était Ousmane Tanor Dieng, l’homme politique, l’homme d’Etat ?
L’homme d’Etat, je ne peux pas dire plus que ce qu’Abdou Diouf n’a dit de lui et peut-être, parce que Senghor le lui avait signalé et recommandé. Je ne peux pas dire plus que ce qu’Abdoulaye Wade a eu à dire. Je ne peux pas dire plus que ce que MackySall a eu à dire de lui. Le Président de la Guinée a envoyé des émissaires qui ont fait des témoignages sur ces qualités d’homme d’Etat, l’internationale socialiste en la personne de Louis Ayala, le Président du Burkina Faso. Tous ceux-là après le Président Ibrahima Boubacar Keïta qui, le jour de son enterrement, en parlant de l’homme d’Etat Ousmane Tanor Dieng, a versé des larmes. L’homme politique était d’une fulgurance d’idées, d’une capacité d’analyse et d’adaptation telle, que je ne vois pas son semblable, en tout cas, parmi les hommes politiques que j’ai fréquentés. Ousmane Tanor Dieng, ceux qui l’ont côtoyé dans le cadre des Assises nationales, sont unanimes à reconnaître ses qualités, sa dimension. En tout cas, à sa mort, tous les témoignages qu’on a entendus, ne relevaient pas de l’opinion forcée. Il n’y avait pas de tricherie dans ce que les uns et les autres ont dit. Je voudrais vraiment m’en tenir à ces propos et demander aux jeunes, aux chercheurs, aux écrivains, aux militants socialistes, de prendre le soin, le temps, de lire les témoignages, de lire les hommages et de les visiter continuellement. Parce qu’au Sénégal, c’est le cas de le dire, chacun avait son Ousmane Tanor Dieng. On l’aimait ou on ne l’aimait pas, il ne laissait personne indifférent. Mais on retiendra de lui que toute sa carrière politique durant, on ne l’a jamais entendu placer un mot de trop ou un mot déplacé. Il n’a jamais froissé qui que ce soit et le Président Diouf de dire qu’il ne l’a jamais trahi, qu’il ne l’a jamais déshonoré.
Comment dirigeait-il le Parti socialiste ?
C’était un leader et non un chef qui avait le sens du devoir, le sens de la responsabilité, le sens de la collégialité. On retiendra quand il est devenu Secrétaire général du parti et quelques années après avoir été nommé Premier secrétaire, que l’inclusion, la démarche proactive, ont été mises en pratique dans le Partie socialiste. Il ne décidait pas, il tirait les conclusions, il retenait ce que l’ensemble de ses camarades avec lui décidaient. D’ailleurs, il avait l’habitude, dans les situations délicates, de dire à nos camarades en Bureau politique, quand il s’agissait de délibérer : «Camarades, mesurons le sens et le poids de nos responsabilités, apprécions à sa juste valeur la gravité du moment et des défis qui nous interpellent, pour que si nous arrêtons quelque chose, que nous tous nous l’assumions, parce que c’est ça la démocratie». En tout cas, croyez-moi, si nous décidons quelque chose, je veillerais plus qu’à la prunelle de mes yeux à la mise en œuvre, parce que je suis un homme de parole, un homme d’honneur.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre compagnonnage avec feu Ousmane Tanor Dieng ?
Son intelligence, sa courtoisie, j’allais dire son exquise urbanité. Le tout sur fond d’élégance même dans le combat, dans l’adversité, il était élégant. Je sais également que c’était quelqu’un de très humble. Je l’ai accompagné à travers toutes les localités du pays, dans des villages où il prenait le bain dans un enclos où les palissades n’étaient pas rangées de manière ferme et vous ne sentiez pas chez lui le dépaysement ou en tout cas l’étonnement. Je l’ai vu manger dans des maisons de gens d’une humilité foudroyante, mais il mangeait ce que ces derniers préparaient avec beaucoup de bonheur, d’enthousiasme. C’était quelqu’un qui n’aimait pas l’injustice, qui n’aimait la folie des grandeurs, qui n’aimait pas l’arrogance, qui détestait la médisance. C’était un homme qui vouait un respect à l’Etat, à la République, j’allais dire même qu’il avait la religion de l’Etat et de la République. C’était vraiment un bon talibé, feu Ousmane Tanor Dieng. C’est une perte incommensurable.
Etes-vous en phase avec Serigne Mbaye Thiam par rapport à la succession d’Ousmane Tanor Dieng à Aminata Mbengue Ndiaye ?
Moi, je n’ai pas à être en phase avec X ou Y, je suis le porte-parole du Parti socialiste. Et votre question me donne l’occasion, au nom des intérêts supérieurs du parti, et en toute responsabilité, de lancer un appel à la sérénité, à la lucidité, à la circonspection. Que les commentateurs et analystes qui sont libres en tant qu’intellectuels d’être des agitateurs d’idées, nous respectent et respectent la mémoire d’Ousmane Tanor Dieng. Chacun d’entre nous aura un jour où il sera question de sa mort, de ses obsèques et d’un deuil consécutif à sa disparition, à son rappel à Dieu. Que les Sénégalaises et les Sénégalais sachent que nous savons qui nous sommes, d’où est-ce que nous venons et nous savons aussi ce qui nous est arrivé qui est historique, qui est exceptionnel. Que les historiens du présent comme les prestidigitateurs évitent de nous blesser. Qu’ils nous laissent observer notre deuil jusqu’au bout et qu’ils se souviennent que nous sommes un parti politique, donc une organisation, cela veut tout dire. Il y a des textes et des règles qui régissent son fonctionnement et qui envisagent tous les cas de figure, que ce soit en République ou dans le fonctionnement de l’administration ou dans la vie tout court, à chaque fois qu’il y a des situations comme celles que nous vivons, des dispositions organisent l’ordre des choses et la suite des choses.
En l’espèce, comment les dispositions organisent les choses ?
Allah n’a-t-il pas dit que ‘chaque fois que j’enlève quelque chose ou que j’ôte quelque chose, je laisse sur place meilleur’. Allah est le Meilleur, il est incomparable et il ne disparaîtra jamais. Le parti est un parti politique qui repose sur des idées, qui a une idéologie et un projet de société, le moment venu, dans maximum deux mois, quand nous aurons fini d’observer le deuil au moins de 40 jours tel que recommandé par l’Islam, nous nous retrouverons pour édifier nos compatriotes, nos camarades, nos alliés, le reste du monde. Je veux rassurer tout le monde, surtout ceux qui nous veulent du bien, qu’ils sachent nous faire confiance. Et aux socialistes je veux dire ‘ayez confiance en vous, rien ne sera triste, rien ne sera décevant’. Nous sommes des hommes et des femmes politiques, aguerris et responsables avec la lumière des sages du parti dont Abdou Diouf même s’il n’est plus actif parce que là, il s’agit de son héritier et de son successeur immédiat qu’il avait choisi, qui vient d’être arraché à notre affection pendant qu’il est encore en vie. Nous ferons le nécessaire dans l’intérêt supérieur du Sénégal et du parti. Dans le Parti socialiste, tous les responsables et militants sont interchangeables à merveille.
Ne pensez-vous pas que cette période soit propice à la zizanie dans les rangs ?
Enfin en ayant confiance en nous, entre nous, n’oublions jamais que des socialistes qui n’ont pas perdu leur âme doivent se souvenir que ce qui les unit vaut mieux que ce qui les divise. Et ce qui nous unit, je veux dire notre cordon ombilical, c’est la solidarité pour mériter du Sénégal. Et puisque je disais que Ousmane Tanor Dieng venait de naître, en cela il est une perspective. A tous les socialistes, j’invite à faire un effort pour mériter de Tanor Dieng et de ceux par qui il tenait le flambeau. N’écoutons pas ou ne répondons pas aux oiseaux de mauvais augure, aux adversaires tapis, aux ennemis encagoulés qui sans avoir jamais été du Parti socialiste nous veulent le malheur extrême et qui soufflent sur des braises s’il y en a. Entre nous, socialistes qui sommes restés depuis le début de l’alternance survenue en 2000 jusqu’à maintenant ensemble, il n’y a pas d’ennemis. Je veux solennellement que les camarades se souviennent de l’obligation de faire preuve de patriotisme de parti. Si quelqu’un se trompe, trébuche ou sa langue fourche parmi nos camarades, soyons indulgents avec lui. Ne parlons pas à tout bout de champ. Et devant chaque situation, posons la question de savoir ce qu’aurait dit ou fait Ousmane Tanor Dieng, pour mériter de lui.
Comment le Parti socialiste devrait-il s’y prendre pour survivre à son défunt Secrétaire général ?
Nous avons tellement de ressorts. En 2000, les ressorts, les valeurs, les principes qui nous avaient permis de tenir debout et d’aller à la rencontre du pays réel sont là, inépuisables. Aujourd’hui, restons dans le droit fil de la dignité qu’incarnait Ousmane Tanor Dieng, de la fierté qu’il incarnait et qu’il nous a procurée. Nous avons eu raison sur tout le monde, il a été peut-être incompris, ou mal compris. Mais être contesté, c’est être constaté. Donc, tous ensemble autour du Secrétariat exécutif qui est présidé par Mme Aminata Mbengue Ndiaye en tant que Secrétaire générale ajointe du parti. Et l’ensemble des membres du Bureau politique, l’ensemble des Secrétaires généraux d’Union régionale et de coordination, l’ensemble des camardes à la base, les mouvements des cadres, des jeunesses féminines, des jeunesses tout court, des travailleurs socialistes et des femmes socialistes, sachons rester unis, sachons rester indulgents, mais soyons toujours vigilants et lucides.
Ne pensez vous pas que c’est le moment pour sonner les retrouvailles de la famille socialiste comme l’avait souhaité Ousmane Tanor Dieng ?
L’ère des perspectives solitaires est révolue. Et ce n’est pas dans un parti, comme le nôtre, qui a choisi d’être dans BBY après avoir été dans le CPC, dans la CPA puis dans le Front Siggil Sénégal, Benno Siggil Sénégal avant d’être dans Benno Bokk Yaakaar, qu’on trouvera quelqu’un qui fait la promotion de l’échappée solitaire. Maintenant, les retrouvailles socialistes doivent être envisagées sous l’angle d’une unité de sensibilités plurielles, que ce soient la gauche dite marxiste-léniniste, la gauche révolutionnaire comme la gauche sociale-démocrate socialiste et autres, nous avons l’obligation ici et maintenant de nous adapter au défi du temps moderne et d’envisager l’avenir ensemble. Et l’avenir dès maintenant, tel est le cri que nous avons toujours lancé et c’est ça qui fait que le Parti socialiste est un parti tracé de destins, de sillons et de perspectives pour l’intérêt national et de l’Afrique.
Quel avenir selon vous pour Benno Bokk Yaakar ?
Mais BBY ne sera que ce que les partis et organisations membres en feront, c’est valable aussi pour le Parti socialiste. C’est la raison pour laquelle, je peux vous dire que pour nous, plus que par le passé, mieux que nous l’avons prouvé jusqu’à maintenant, l’avenir de BBY est un avenir prometteur. Parce qu’il s’agit plus du pays que des organisations prises individuellement ou des leaders pris individuellement. En tout cas, nous avons été très sensibles à toutes les manifestations de solidarité exprimées à l’endroit du PS et de la famille d’Ousmane Tanor Dieng par toutes les sensibilités politiques, opposition, non alignés, comme majorité. Tous les hommages, tous les témoignages, toutes les prières nous ont touchés et nous leur disons : nous avons capté les messages, nous avons cerné l’invite. Nous vous demandons de nous aider en priant que Dieu nous accorde bonne santé, longue vie et l’esprit fertile, le cœur ouvert, la volonté ferme de mériter et de vous et de Tanor et de Diouf donc du Sénégal et du reste du monde.