LE 18 PASTEFMAIRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Un empire né de la colère, bâti sur les ruines de la confiance et nourri d’indignations partagées

Méphisto le Client et la meute enragée
Chaque révolution a sa plèbe. Chaque tyrannie, sa meute. Et Méphisto le Client, ce comédien de la souffrance recyclée en messie des déçus, n’a pas eu à chercher bien loin pour fédérer son cheptel de pestiférés. Car la rage ne se décrète pas, elle s’entretient. Par les frustrations. Par les humiliations. Par les rêves non réalisés. Par les trahisons réelles ou supposées.
Et l’Histoire, la grande, celle qui sent le sang et la cendre, nous a déjà offert son lot de chefs de meute. Des hommes qui ont su capter le désespoir, canaliser la haine et transformer les foules en armées de fidèles prêts à mourir ou à tuer pour eux.
Le monde a connu Hitler qui, jusqu’à son dernier souffle, fut protégé par Goebbels et une poignée de fanatiques prêts à mourir dans les flammes du bunker. Ou encore Mussolini, traîné dans les rues, mais pleuré par ceux qui voyaient en lui le dernier César. Que dire de Staline, pleuré comme un dieu rouge, par un peuple qu’il avait pourtant broyé. L’Amérique a été traumatisée par Jim Jones qui fit de l’obéissance un acte terminal et du poison un sacrement. Le suicide collectif de Jonestown a eu lieu le 18 novembre 1978, en Guyana (Amérique du Sud), triste évènement au cours duquel 918 personnes sont mortes, dont plus de 300 enfants, sous l’ordre du gourou Jim Jones, fondateur de la secte du Temple du Peuple (People’s Temple). Ce fut l’un des pires suicides collectifs de l’histoire moderne et il incarne à jamais l’horreur de la foi fanatique, transformée en rituel mortifère.
Tous ont eu leurs Méphistophiles, fidèles jusqu’à la mort, car le plus grand talent des tyrans n’est pas de régner : c’est de convaincre les damnés que leur salut dépend de leur propre servitude.
Alors à Djolof Land, il est temps de diagnostiquer cette horde que le verbe venimeux de Méphisto le Client a su fédérer en une meute hystérique, prête à lyncher la Nation, la République et l’État de droit sous les acclamations d’une foule aveuglée.
Il faut rappeler, pour l’histoire qu’à la base, il y avait une aristocratie bureaucratique repue, de jeunes fonctionnaires devenus des rentiers du pouvoir sans honneur, des satrapes administratifs postés dans les interstices de la République, qui n’ont jamais connu que les privilèges de leurs positions administratives. Des hommes et femmes que la pyramide de Maslow n’intéressait plus que pour gravir son sommet, celui du pouvoir absolu, sans devoir. Ils ne croyaient plus à la République, mais à la rente bureaucratique. Ils ont vu en Méphisto le Client, alors tribun qui a su remporter d’importantes batailles syndicales ; un instrument pour s’emparer du pouvoir, leur seul but.
Sur le chemin, ils rencontrèrent les revanchards de la République, ces vétérans des illusions, les survivants des « 30 Glorieuses », ces décennies où l’intellect se croyait maître du monde. Ils ont tout tenté : marxistes d’estrade, panafricanistes de bibliothèque, syndicalistes d’amphithéâtre. Rien n’a marché. Tous les régimes les ont laissés sur le bas-côté. Alors ils ont vu en Méphisto le Client non un chef, mais un instrument de revanche. Un outil de démolition pour venger leur propre insignifiance historique. Leur « Grand Soir » à eux !
La mayonnaise commença alors à prendre et une troisième couche vint rejoindre le mouvement, des jeunes cadres nés après la dévaluation du franc CFA, enfants des plans d’ajustement structurel, élevés sans mémoire collective ni boussole républicaine. Ils n’ont connu que l’échec social de leurs parents, les frustrations d’une classe moyenne avortée et la toute-puissance des réseaux sociaux comme substitut à l’éducation civique. Leur conscience politique tient sur un post Facebook. Leur engagement sur un slogan. Ils n’ont pas lu Cheikh Anta, ni compris Senghor, ni même regardé Kocc Barma. Des coxeurs de la démocratie, agressifs, incultes, sûrs d’eux et du néant qu’ils professent.
Et vint ensuite la quatrième couche, les apprentis Frères musulmans, les opportunistes des crises sociales qui sont les enfants illégitimes d’un islam politique importé, bricolé entre des vidéos YouTube mal traduites et des sermons de haine diffusés sous pseudo. Apprentis Frères musulmans, ils n’ont ni la rigueur des anciens, ni la mystique des soufis, ni même la culture du silence propre aux vrais lettrés. Ce qu’ils ont, en revanche, c’est une rage froide contre les confréries religieuses de Djolof Land, ces bastions d’influence sociale qu’ils rêvent de déboulonner comme on déboulonne une statue.
Opposés aux marabouts mais pas à l’argent. Ennemis du pouvoir mais pas des postes. Opportunistes des crises sociales, ils apparaissent toujours là où la République recule, se glissent dans les failles du système éducatif, s’invitent dans les quartiers oubliés, en promettant l’ordre moral à des âmes en détresse.
Ce sont les fameux tenants du sam jiko yi dont la vertu affichée est inversement proportionnelle à la culture. Spécialistes autoproclamés de la morale publique, ils se sont trouvés une mission divine : criminaliser l’homosexualité à coups de slogans creux, comme si la République pouvait se régénérer par l’exclusion, l’hostilité et l’hystérie législative.
La dernière couche du magma originel, celle qui aura mené la grande bataille, est composée des exclus, des invisibles, des oubliés du contrat social. C’est le cercle des damnés. Ils ne sont ni stratèges, ni idéologues. Mais ils sont nombreux, blessés, mobilisables. Produits brisés des dahras, recalés de l’enseignement classique, jeunesse en errance, piétinée par l’injustice sociale, ils n’ont jamais été conviés au festin national.
A Djolof Land, on les croise sur les trottoirs des marchés, dans la rue, vendeurs à la sauvette. Dans les marges des villes, ils sont maçons, menuisiers, mécaniciens, tâcherons d’un rêve qu’ils n’ont jamais eu les moyens de formuler. Dans les maisons, ils sont les locataires des « lits chauds », ceux qui dorment quand les travailleurs sont partis, qui veillent quand ceux là dorment.
Dans la diaspora, ils survivent dans les sous-sols, sur les plages ou dans les usines. Souvent sans papiers, sans avenir, parfois sans langue. Ils sont vendeurs ambulants, dockers précaires, esclaves modernes du libéralisme occidental. Là-bas comme ici, ils ne trouvent ni respect ni refuge et leur seul passeport devient la colère, la haine contre la République.
Pour tous ceux-là, Méphisto le Client n’est pas une illusion : il est une revanche. Un drapeau. Une voix. Un cri contre ceux qui les ont oubliés, méprisés, humiliés. Un cri qui ne demande pas de solution, mais exige un effondrement. Peu importe le contenu. L’important est de détruire. L’État ? Complice. Les élites ? Traîtres. La République ? Une farce.
Alors il ne leur reste qu’une chose : tout brûler pour exister. Crier pour se sentir vivant. Suivre Méphisto le Client pour enfin être regardé. Celui-ci en stratège du ressentiment, leur offre ce que personne ne leur a jamais promis : un ennemi commun. Le Système. Peu importe qu’il ait un projet. Il a un discours. Un feu. Une direction : vers le bas.
Donc, tout ce beau à un trait commun : c’est une meute, une haine, avec comme unique mission : détruire le Système.
C’est ainsi que Méphisto le Client a bâti son empire : non sur un projet, mais sur une colère. Non sur une vision, mais sur une vengeance collective. Sa parole a su capter la rage de chacun et la transformer en mission sacrée. Il n’a rien proposé, il a tout dénoncé. Et c’est dans ce vide que s’est engouffrée la meute enragée, cette créature à cinq têtes, hurlant à l’unisson contre l’État, les institutions, les élites, la raison.
Et derrière cette agitation apparente se cache une organisation souterraine. Huilée, disciplinée, structurée à la nazie, avec un Goebbels localisé pour chaque canal de communication, chaque compte TikTok, chaque page Facebook, chaque matinale de désinformation.
Voilà le génie pernicieux de Méphisto le Client qui ne cherche pas à convaincre tout le monde, seulement ceux qui veulent déjà croire. Ce n’est plus de la propagande brute, mais de l’ingénierie émotionnelle, lubrifiée par l’indignation, nourrie par le ressentiment.
Le premier pilier de sa stratégie est l’exposition sélective, c’est-à-dire que l’on ne montre ou n’écoute que ce qui conforte. On ne commente que ce qui scandalise. On ne partage que ce qui hystérise. On étouffe le réel sous une avalanche de récits partiels. Le mensonge n’est même plus nécessaire : l’omission suffit.
Le deuxième pilier est ce que l’on appelle la bulle cognitive. Chaque militant, chaque sympathisant, chaque frustré devient le centre de sa propre galaxie algorithmique où il n’entend que l’écho de ses croyances. La vérité ne pénètre plus. Le doute n’a plus de place. La contradiction est vécue comme une agression. On ne pense plus, on répète. On ne doute plus, on partage. On ne cherche plus la vérité. On veut seulement avoir raison.
Le troisième et dernier pilier de la stratégie est le lynchage numérique par une foule fait le travail, à travers le concept des 72 H. Les meutes numériques attaquent. Les voix discordantes sont désignées, traquées, moquées, insultées. On n’argumente pas contre elles : on les invalide par l’humiliation. Toute parole dissidente est pulvérisée dans le tumulte des hashtags et des menaces.
Donc à Djolof Land, nous vivons la sublime ère de la meute et la fin programmée de la République.
Le Veilleur Ironique (témoin de son temps, plume dressée contre l’oubli)