KHALIFA SALL, UNE CREDIBILITE A REBATIR
Lignes politiques

Un petit quart d’heure de discours en français et presque autant en wolof, devant des militants armés surexcités, pendus aux lèvres de leur leader dans l’attente d’une nouvelle feuille de route. Ce lundi 21 octobre, Khalifa Sall a endossé le boubou d’un présidentiable. Le discours servi est, presque, une profession de foi. Fidélité aux valeurs socialistes. Ancrage dans l’opposition, « avec responsabilité mais sans compromission, avec fermeté mais sans excès ». Le décor est campé. La prison n’est pas venue à bout de l’ambition de l’ancien maire de Dakar, mais ceux qui s’attendaient à un durcissement de sa démarche politique devront s’adapter au tempo de Sall : « Nous ne devons avoir ni haine ni rancœur, même dans l’adversité. Nous ne devons pas céder aux excès de la politique, ni perdre notre temps à ressasser le passé. »
Khalifa Sall a donc tourné la page de ses déboires judiciaires, même s’il lui faudra faire preuve de tact pour recouvrer tous ses droits. En attendant, il se projette dans le futur et décline son projet de société à travers trois viatiques : la résilience, l’attachement à son identité idéologique (le socialisme) et la centralité des conclusions des Assises nationales dans son programme politique. En se présidentialisant ainsi en avance, Khalifa Sall affiche sa volonté de reprendre son projet politique là où il l’avait laissé avant sa mésaventure judiciaire. « Une grande Nation comme la nôtre ne peut se construire qu’à travers de grandes dynamiques autour des femmes, des hommes et des valeurs. Nous devons être ces femmes et ces hommes et incarner ces valeurs pour tracer un chemin d’espoir pour les millions de Sénégalais qui s’impatientent et s’angoissent. »
Excellent orateur, parlant devant un auditoire acquis, venu pour s’enflammer, il a prononcé l’un de ces grands discours lyriques et sentimentaux qui ponctuent la tradition de la gauche. Il en ressort que l’ancien maire de Dakar endosse les habits d’un social-démocrate résolu, réaliste mais clairement progressiste : centralité de l’école dans la construction de la citoyenneté, modèle de gouvernance qui garantit le « vivre ensemble », effectivité de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, de la démocratie, de la décentralisation, des libertés publiques, des droits humains et de la transparence dans la gestion des ressources publiques, etc. Khalifa Sall est persuadé qu’il faut « placer l’homme au cœur des politiques publiques et le considérer comme la première ressource sur laquelle l’Etat doit investir », et prône la solidarité avec les couches vulnérables et la solidarité entre les générations.
Le discours est bien ficelé et l’orateur y projette des ethos constitutifs de son identité politique. Développé par Aristote et repris aujourd’hui surtout en analyse du discours, l’ethos a été défini comme « les traits de caractère que l’orateur doit montrer (peu importe sa sincérité) à l’auditoire pour faire bonne impression ». Autrement dit, c’est l’image que le locuteur donne de lui-même dans son discours pour assurer son efficacité. L’ethos aide l’orateur à se montrer crédible en faisant preuve de pondération, de sincérité et d’amabilité.
Dans son discours, Khalifa Sall nous a dit comment il voudrait que nous le percevions. Il a un programme politique qui se nourrit des travaux des Assises nationales (ethos de crédibilité). Il pardonne à ses adversaires et tourne la page de son incarcération (ethos de responsabilité). Il est résilient et ancré dans ses valeurs politiques (ethos de courage). Il opte pour un Etat solidaire avec les couches vulnérables (ethos de solidarité). Il ressort de l’analyse de ce discours une nette volonté de montrer les caractéristiques d’un chef qui pourrait se résumer ainsi : « Je suis un homme de convictions qui change les choses ».
Formé à l’école senghorienne, Khalifa Sall sait que dans notre culture, la retenue, le secret et la hauteur passent pour les attributs nécessaires de tout présidentiable. Il polit son image, adresse des œillades appuyées à la grande famille socialiste et déclame son amour au « peuple » des Assises. Il sait qu’à son absence, de nouvelles vocations ont vu le jour et de nouvelles ambitions se sont affirmées. Il lui faut donc brusquer le rythme des saisons pour rattraper son retard.
Habilement, trop habilement, Khalifa a esquivé les questions qui fâchent (il n’a pas répondu aux questions des journalistes) sur l’avenir de sa coalition avec Idrissa Seck, sur la désertion de quelques-uns de ses lieutenants partis rejoindre la majorité, sur son éligibilité après sa condamnation et sur tant d’autres. Mais il était venu pour rassurer sa base et ses sympathisants. Il était venu démontrer sa crédibilité personnelle et celle de son projet. L’avenir nous dira s’il a réussi son exercice. Il lui faudra cependant beaucoup d’habileté pour se remettre au centre de l’échiquier politique.