LA CLASSE POLITIQUE SENEGALAISE DIVISÉE À PROPOS DU PUTSCH GUINÉEN
Pour certaines personnalités publiques, ce coup de force est un cas d’école qui doit servir notamment de leçon aux chefs d’Etat qui ont des ambitions de faire un troisième mandat

Le coup d’état perpétré par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, Commandant du Groupement des Forces spéciales (GFS) et ses hommes, dans la journée du dimanche 5 septembre dernier contre le régime du président Alpha Condé, a propagé ses ondes de choc au-delà de la Guinée. Au Sénégal, cette intervention de l’Armée a plus que divisé les acteurs politiques et activistes de la société civile.
Le coup d’état perpétré par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, Commandant du Groupement des Forces spéciales (GFS) et ses hommes, dans la journée du dimanche 5 septembre dernier contre le président Alpha Condé qui exerçait son troisième mandat présidentiel à la tête de la République de Guinée, a été largement commenté au Sénégal. La plupart des hommes politiques, activistes de la société civile, actifs sur les réseaux sociaux, ont publié des textes/postes dans lesquels ils ont exprimé leur position sur ce coup de force des éléments de cette nouvelle unité d’élite de l’Armée guinéenne mise sur pieds et doté d’une puissance de feu qui dépasse, selon plusieurs sources, de loin les autres corps de l’Armée Guinéenne par le président Condé. Dans ces différents messages rendus publics, les premières heures qui ont suivi la diffusion dans la presse en ligne des premières images montrant l’ancien homme fort de Conakry tranquillement assis sur un canapé au milieu des éléments du Groupement des Forces spéciales encagoulés et que nous avons parcourus, forces et de constater que cette intervention de l’Armée guinéenne ne fait pas l’unanimité au Sénégal.
LA CHUTE DU PRESIDENT CONDE, UNE LEÇON ET UN DEFI
En effet, pour certaines personnalités publiques, ce coup de force est un cas d’école qui doit servir notamment de leçon aux chefs d’Etat qui ont des ambitions de faire un troisième mandat. Parmi eux, il y a notamment le tonitruant activiste et leader du mouvement Frapp-France Dégage, Guy Marius Sagna, qui affirme que le cas de la Guinée devait servir de leçon pour l'Armée sénégalaise et pour Macky Sall. Dans un texte rendu public hier, l’activiste se demande «où était Mamady Doumbouya quand le peuple de Guinée était férocement réprimé par Alpha Condé? Parmi ceux qui réprimaient ou ceux qui étaient bastonnés, tués et emprisonnés ?», s’interroge-t-il. Et d’appeler le peuple de Guinée à sortir et exiger rapidement que le pouvoir lui soit rendu, sans délai. En effet, faisant référence au cursus de formation du chef des putschistes, il indique que, «liés à la France, aux États-Unis et au Sénégal, au moins, Mamady Doumbouya n'est pas forcément une bonne nouvelle pour la Guinée». Loin de s’en tenir là, Guy Marius Sagna de marteler, dans la foulée : «quelle leçon pour l'Armée sénégalaise ? Quand on vous dira de tirer sur le peuple du Sénégal qui en aura marre de ce laquais néocolonial qu'est le président Macky Sall, retourner vos fusils sur Macky car il n'a pas droit à être candidat une 3e fois. Quelle leçon pour Macky Sall ?»
Faisant lui aussi prévaloir, encore une fois de plus, sa liberté de ton, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et l’Innovation, Mary Teuw Niane, a lui aussi publié un poste sur sa page facebook intitulé «L’éthique de la parole donnée est plus forte que la parole éphémère des courtisans!».
Dan ce texte largement repris par les médias, le professeur Niane s’est voulu catégorique. «La chute du président Alpha Condé de Guinée prouve encore que le pouvoir en Afrique est un château de cartes, surtout s’il ne repose pas sur le respect des promesses faites au peuple pour se faire élire, s’il n’améliore pas les conditions de vie des populations, s’il s’impose par la corruption, l’arrogance et l’autoritarisme».
Loin de s’en tenir-là, l’ancien recteur de l’Université Gaston Berger de Saint louis de rappeler, à l’endroit des chefs d’Etat que «l’après-pouvoir est le plus important ! J’admire la sagesse de Nelson Mandela. Oui, après l’exercice du Pouvoir, pouvoir goûter au bonheur de regarder ses concitoyens la tête haute, les yeux dans les yeux. N’est-ce pas le défi de tout élu ! Messieurs les présidents, l’Afrique d’aujourd’hui compte sur vous, relever courageusement le défi !» Pour sa part, le leader de Pastef, Ousmane Sonko, exprimant sa «solidarité avec le peuple de Guinée ! », invite à prier «enfin que ces évènements malheureux servent à assagir les candidats à un troisième mandat suicidaire». «Il y a un an à peine, j’avais alerté, face à la boulimie des ogres politiques qui s’agrippent au pouvoir en Afrique, surtout francophone. Je suis triste pour l’Afrique, pour ces peuples braves et résilients qui ne méritent pas ces leaders… Espérons et prions qu'il n’en soit pas ainsi pour les pays frères de Guinée, Mali et Tchad… », a écrit l’ancien candidat à la présidentielle de 2019.
«UN COUP D'ÉTAT N'EST JAMAIS UNE BONNE NOUVELLE, C’EST UNE ABOMINATION A CONDAMNER, MAIS…»
Contrairement à ces derniers, l’ancien président du groupe parlementaire de la majorité sous la douzième législature, Moustapha Diakhaté, n’est pas allé par quatre chemins pour exprimer son désaccord total avec ce coup de force du Lieutenant-colonel Doumbouya contre le régime de Condé. Dans un texte publié également sur sa page facebook intitulé : «Le Coup d’Etat de Guinée Conakry : une abomination à condamner», Moustapha Diakhaté «condamne avec la dernière énergie» cette prise du pouvoir, en Guinée, par des militaires tout en invitant, dans la foulée, le «président de la République du Sénégal et l’Union africaine à faire montre de fermeté et de ne pas reconnaître le régime mis en place par les putschistes de Conakry». «La place des militaires se trouve dans les casernes et aux frontières pour protéger l’intégrité territoriale de leur pays et non dans une présidence de la République. Il n’y a pas de bons coups d’Etat. Ils n’ouvrent aucune de perspective de transformation sociale ni de consolidation de la démocratie», a-t-il martelé. Abondant dans le même sens, l’ancien ministre de l’Energie, devenu, depuis son éviction du gouvernement, l’un des farouches opposant du régime de Macky Sall, Thierno Alassane Sall estime qu’un «coup d'État n'est jamais une bonne nouvelle. Nous nous réjouissons quand la République est forte et debout. Mais il y a une leçon à tirer : ceux qui dévoient la démocratie et abîment les Institutions sont souvent victimes de leurs propres méfaits».
LE SILENCE ASSOURDISSANT DE MACKY ET AUTRES ANCIENS PM
Cependant, au moment où nous écrivons ces lignes, l’actuel président de la République et quelques personnalités à l’image de ses deux anciens Premiers ministres, Abdoul Mbaye et Aminata Touré, ainsi que le président du Conseil économique social et environnemental (CESE), pourtant très actifs sur les réseaux sociaux, se sont emmurées dans un silence assourdissant depuis l’annonce de cette fin tragique du règne de Condé.