LA QUESTION DU TROISIÈME MANDAT EST COMPLEXE
Même s’il a voulu se soumettre à « l’invite de mon patron Macky Sall » de ne pas se prononcer sur le 3ème mandat, le Pr Ismaïla Madior Fall, ministre d’Etat auprès du président de la République, a été obligé de parler de ce sujet brûlant

Même s’il a voulu se soumettre à « l’invite de mon patron Macky Sall » de ne pas se prononcer sur le 3ème mandat, le Pr Ismaïla Madior Fall, ministre d’Etat auprès du président de la République, a été obligé de parler de ce sujet brûlant et casse-pipe après moult interpellations des journalistes lors des débats qui ont suivi la rencontre organisée par le Conseil Constitutionnel du Sénégal et le Programme pour la promotion de l’Etat de droit en Afrique subsaharienne de la fondation Konrad Adenauer. L’ancien ministre de la Justice et Garde des Sceaux pense que la question du 3ème mandat est tellement complexe qu’on ne peut la résoudre en une minute. Il a également soutenu que le problème du 3ème mandat ne se pose pas de la même manière dans les différents pays concernés. Le constitutionnaliste était revenu auparavant sur la quintessence de cette rencontre tenue à l’initiative du Conseil Constitutionnel du Sénégal. Une institution qui, à l’évidence, a intérêt à s’ouvrir et à se faire connaître par son public.
La question du 3ème mandat des présidents de la République est revenue hier à la réunion des Cours et Conseils Constitutionnels d’Afrique de l’Ouest. Venu prendre part à cette rencontre, le ministre d’Etat auprès du président de la République a été une fois de plus interpellé sur la question du 3ème mandat. « Je voudrais soigneusement respecter l’invite qui m’est faite de ne pas me prononcer sur la question du 3ème mandat », a répondu sèchement Pr Ismaïla Madior Fall qui a semblé vouloir fuir cette question qui a valu à beaucoup de responsables du camp présidentiel de voir leur tête coupée. Seulement voilà, l’éminent constitutionnaliste, en tendant de se dérober, n’avait pas compté avec la détermination de la meute de journalistes déterminés à le faire parler. Ils l’ont donc acculé sur la question du 3ème mandat qui fait débat dans beaucoup de pays d’Afrique. Si elles n’y provoque pas des violences meurtrières. L’ancien ministre de la Justice a en tout cas indiqué qu’il est difficile de mettre tous les pays dans le même sac. Parce que, selon lui, la question du 3ème ne se pose pas de la même manière en Côte-d’Ivoire, au Rwanda, en Guinée, au Togo, au Gabon. On aura compris qu’il aura éludé prudemment notre pays dans cette liste.
Le professeur de droit constitutionnel a donc poursuivi son argumentation en ces termes : « Vous avez en Afrique des pays où il n’y a pas de limitation des mandats. Il y a des pays où on avait limité les mandats avant de lever cette limitation par voie référendaire. C’est le cas du Rwanda. Il y a d’autres où on a fait un 3ème mandat sur la base d’interprétations différentes de la Constitution. Y a certains cas où cela a généré des problèmes. Il y a d’autres où il n’y a pas de problèmes. La question du 3ème mandat est donc tellement complexe qu’on ne peut pas la résoudre en une minute. » Interpelé, aussi, sur les nombreuses déclarations d’incompétence du Conseil Constitutionnel lorsqu’il est saisi pour se prononcer sur certaines questions, le ministre d’Etat auprès du président de la République a répondu qu’il y a lieu de recadrer les choses. « Parce qu’il est reproché au Conseil Constitutionnel de se déclarer systématiquement incompétent lorsqu’il est appelé à connaitre de certaines affaires. Le problème est que le Conseil Constitutionnel est obligé de statuer sur la base d’une loi organique qui détermine son champ de compétence. La loi organique qui complète d’ailleurs la Constitution. Et lorsque une question est soumise au Conseil Constitutionnel, l’Institution regarde si la question qui lui est soumise rentre dans son champ de compétence. Si elle ne rentre pas dans ce champ de compétence, il se déclare incompétent. Ce n’est pas au sens scientifique du terme mais au sens juridique parce que, simplement, la loi organique ne l’habilite pas à se prononcer sur la question qui lui est posée », a défendu le professeur Fall.
Il informe toutefois qu’il y a une importante innovation qui a été introduite dans la Constitution issue du référendum de 2016. L’innovation, c’est que le Conseil Constitutionnel peut désormais être saisi par le président de la République pour toute question de nature constitutionnelle pour avis. C’està-dire dans le champ politique sénégalais lorsqu’il y a des protagonistes qui posent des questions de nature constitutionnelle, le Conseil Constitutionnel peut être invité à donner son avis.
« La Cour de justice de la CEDEAO n’a pas vocation à juger les lois constitutionnelles »
Le constitutionnaliste Ismaïla Madior Fall s’est également prononcé sur l’arrêt rendu par la Cour de justice de la CEDEAO pour exiger à l’Etat du Sénégal la suppression de la «très» controversée loi sur le parrainage. Ce, suite au recours introduit par l’Union sociale-libérale (USL) de Me Abdoulaye Tine. « On a vu la Cour de justice de la CEDEAO sortir un arrêt demandant à l’Etat du Sénégal de mettre un terme au système de parrainage. Le problème qui se pose est que le système du parrainage au Sénégal, c’est dans la Constitution. C’est l’article 28 de la Constitution. Or, on sait que cette cour n’a pas vocation à juger les lois constitutionnelles. C’est comme si, par exemple en Europe, la Cour européenne des Droits de l’homme se levait pour dire que le parrainage pratiqué en France est illégal, il faut l’arrêter. C’est inimaginable !», s’est écrié l’ancien ministre de la Justice. Lequel pense que la Cour de justice de la CEDEAO n’a pas à entrer dans des questions qui relèvent du noyau dur de la souveraineté des Etats. Car, estime Ismaïla Madior Fall, ici, il s’agit d’une question de nature constitutionnelle. « La Cour de justice de la CEDEAO n’a pas à entrer dans des questions qui relèvent du noyau dur de la souveraineté. C’est comme si elle nous disait que l’élection du président au suffrage direct au Sénégal est anticonstitutionnel, qu’il faut le changer ce suffrage », soutient-il. Ismaïla Madior Fall a poursuivi en faisant savoir que les questions de ce genre (Ndlr, celles relatives au parrainage) sont de nature constitutionnelles dans lesquelles la cour elle-même, dans sa jurisprudence, refuse d’entrer. « C’est vrai que les arrêts rendus par la cour sont exécutoires, mais l’Etat se réserve aussi le droit d’introduire un recours en interprétation. D’autant que quand on lit l’arrêt à première vue, on peut aussi penser qu’elle ne remet pas en cause les principes du parrainage, mais seulement les modalités du parrainage. Et dans le cadre du dialogue national, il y a des discussions sur comment améliorer cela », a relativisé en conclusion le constitutionnaliste. Qui s’est exprimé en universitaire sur toutes les questions posées ! On le comprend, le sabre de son « patron » Macky Sall est si vite sorti ces temps-ci…